Elsevier

L'Encéphale

Volume 42, Issue 6, Supplement, December 2016, Pages S51-S59
L'Encéphale

Électroconvulsivothérapie et niveau de preuve : de la causalité à la relation dose-effetElectroconvulsive therapy and level of evidence: From causality to dose-effect relationship

https://doi.org/10.1016/S0013-7006(17)30055-6Get rights and content

RÉSUMÉ

Objectifs

Cet article se donne pour objectifs, premièrement de rappeler l’histoire de l’électroconvulsivothérapie (ECT) en psychiatrie et le passage dans ce contexte d’un niveau de preuve clinique fondé sur les descriptions phénoménologiques à la construction d’études contrôlées permettant d’établir un lien de causalité, et deuxièmement d’analyser les conditions d’application de la relation dose-effet en ECT, critère clef de la causalité.

Méthodes

Une revue de la littérature explorant l’utilisation de l’électricité, de l’ECT et de l’électroencéphalographie (EEG) en psychiatrie a été réalisée. Les publications ont été recensées à partir de la base de données électroniques Pubmed et GoogleScholar.

Résultats

Le rapport de 1784 rédigé par la commission Royale établit par le Roi Louis XVI pour évaluer les pratiques de Mesmer concernant le magnétisme animal a joué un rôle central dans l’établissement des critères nécessaires pour évaluer le niveau de preuve des thérapeutiques électriques en psychiatrie. Depuis, des études randomisées contrôlées en aveugle ont confirmé l’efficacité des ECT contre des ECT placebos pour la prise en charge des troubles psychiatriques. Une relation dose-effet peut être mise en évidence par l’intermédiaire d’une évaluation de la qualité EEG des crises induites par ECT.

Conclusions

Des outils de quantification de la qualité EEG des crises sont nécessaires. Une échelle est proposée dans cet article. Des futures études devront être menées pour la valider, mieux établir la relation dose-effet des ECT, et ainsi renforcer la place de l’EEG comme élément central pour la réalisation d’ECT de qualité.

ABSTRACT

Objectives

The first objective of this article is to summarize the history of electroconvulsive therapy (ECT) in psychiatry in order to highlight the transition from clinical level of evidence based on phenomenological descriptions to controlled trial establishing causal relationship. The second objective is to apply the criteria of causation for ECT, to focus on the dose-effect relationship criteria, and thus to analyze the conditions of application of these criteria for ECT.

Methods

A literature review exploring the use of electricity, ECT and electroencephalography (EEG) in psychiatry was conducted. The publications were identified from the Pubmed and GoogleScholar electronic databases. The scientific literature search of international articles was performed in July 2016.

Results

In 1784, a Royal commission established in France by King Louis XVI tested Mesmer’s claims concerning animal magnetism. By doing that, the commission, including such prominent scientists as the chemist Anton Lavoisier and the scientist and researcher on electricity and therapeutics Benjamin Franklin, played a central role in establishing the criteria needed to assess the level of evidence of electrical therapeutics in psychiatry. Surprisingly, it is possible to identify the classical Bradford Hill criteria of causation in the report of the commission, except the dose-effect relationship criteria. Since then, it has been conducted blinded randomized controlled trials that confirmed the effectiveness of ECT against ECT placebos for the treatment of psychiatric disorders. At present, the dose-effect relationship criteria can be analyzed through an EEG quality assessment of ECT-induced seizures.

Conclusions

EEG quality assessment includes several indices: TSLOW (time to onset of seizure activity ≤ 5 Hz, seconds), peak mid-ictal amplitude (mm), regularity (intensity or morphology of the seizure (0-6)), stereotypy (global seizure patterning, 0-3) and post-ictal suppression (0-3). A manual rating sheet is needed to score theses indices. Such manual rating with example of EEG segments recording is proposed in this article. Additional studies are needed to validate this manual, to better establish the dose-response relationship for the ECT, and thus strengthen the position of the EEG as a central element for clinical good practice for ECT.

Introduction

L’électroconvulsivothérapie (ECT) est utilisée comme traitement des troubles psychiatriques depuis les années 1930 avec les travaux historiques de Ugo Cerletti (1877-1963) et Lucio Bini (1908-1964). Cependant, Cerletti et Bini ne font pas référence aux nombreux travaux sur l’application thérapeutique de l’électricité (générée par un dispositif technologique) existant depuis le 18e siècle. Ces auteurs étaient guidés par le fait que les crises épileptiques pouvaient être un facteur protecteur des troubles psychiatriques [1]. Les ECT sont donc plutôt reliés à l’histoire pharmacologique des drogues proconvulsogènes comme le camphre ou le metrazol. L’électricité était considérée comme un agent « quasi-pharmacologique » plus facile à manipuler et plus efficace pour induire des crises épileptiques que les drogues proconvulsogènes [2].

Pourtant, dès le 18e siècle, l’électricité fut appliquée sur les patients souffrant de troubles psychiatriques [3], [4], [5]. L’objectif de cet article est premièrement de rappeler cette histoire naissante de l’électricité en psychiatrie et les descriptions cliniques et phénoménologiques de l’époque qui faisaient alors office de preuve d’efficacité. Cette histoire a vu également apparaître la nécessité d’une évaluation de ces thérapeutiques dépassant la preuve de la description clinique de cas singuliers. La deuxième partie de cet article analysera donc les arguments détaillés dans un rapport fameux sur l’efficacité du magnétisme animal (thérapeutique à cette époque concurrente des thérapeutiques électriques) à la lumière des désormais classiques critères de causalité de Hill [6]. Parmi ces neufs critères, un manquera dans le rapport. Le critère sur la relation dose-effet y est en effet absent, ce qui permettra dans la troisième partie de cet article de détailler comment appliquer ce critère dans le domaine des ECT. La neurophysiologie et plus particulièrement l’électroencéphalographie per critique obtenue juste après la stimulation électrique de la séance ECT sera présentée comme un élément majeur pour établir une relation dose-effet en ECT et ainsi aborder à nouveau frais l’électricité dans la perspective « quasi-pharmacologique ».

Section snippets

Description phénoménologique et preuve d’efficacité clinique de l’électricité en psychiatrie

Benjamin Franklin (1706-1790) fut un des investigateurs majeurs de l’application thérapeutique de l’électricité, poursuivant en médecine une approche empirique et rigoureuse [1], [3]. C’est au cours d’échanges avec Jan Ingenhousz (1730-1799), un médecin allemand, que fut suggérée pour la première fois l’application de l’électricité dans le traitement de la « mélancolie ». Cette idée n’a pas été sous-tendue par une conception physiopathologique des troubles psychiatriques, mais plutôt par une

Critéres de causalité et preuve d’efficacité clinique de l’électricité en psychiatrie

Mesmer et son mentor Charles Deslon (1750-1786), docteur-régent à la Faculté de Médecine de Paris et membre de la Société Royale de Médecine développèrent une thérapeutique basée sur l’utilisation d’un baquet en bois autour duquel les patient(e)s étaient relié(e)s par des tiges de fer. Le baquet était censé être un condenseur et un conducteur du magnétisme animal. Le thérapeute circulait alors entre les participant(e)s et touchait avec une baguette en fer une partie de leur corps [13]. Ces

Études randomisées controlées contre placebo pour les ECTs

Les ECTs sont efficaces cliniquement et le taux de répondeurs dans le cadre des épisodes dépressifs caractérisés (EDC) est d’environ 80 %, ce qui en fait une des thérapeutiques psychiatriques des plus efficaces [18]. Pourtant comme le soulignait le rapport de la commission, l’efficacité clinique est insuffisante pour légitimer une thérapeutique en médecine. La question du lien de causalité est la première, « celle de l’utilité ne doit être traitée que lorsque l’autre aura été pleinement résolue

Relation dose-effet et électroconvulsivothérapie

L’évaluation en 1784 de la preuve d’un lien de causalité entre magnétisme animal et effet clinique a suivi huit des neuf critères de Hill. Le neuvième critère de Hill est l’établissement d’une relation dose effet [6]. La méta-analyse du Lancet a exploré cette relation [22].

Sept études étaient incluses, pour un nombre total de 342 patients [29], [30], [31], [32], [33], [34], [35]. La comparaison faible versus forte charges était soit 2,5 fois le seuil versus 403 mc [32], [35], soit 7-10 J versus

Conclusion

Aborder le niveau de preuve d’efficacité des ECTs conduit à se plonger dans l’histoire débutant au 18e siècle de l’électricité appliquée en médecine d’une part et des essais contrôlés en aveugle (par l’intermédiaire du rapport de 1784) d’autre part. La place de la psychiatrie est centrale dans cette histoire médicale. L’électricité a ainsi joué un rôle essentiel dans la constitution d’une psychiatrie biologique. Contrairement aux conceptions de Cerletti et Bini les ECTs ne proviennent pas

Liens d’intérêts

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt pour cet article.

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