Développement Professionnel Continu
Épilepsie : pour une sémiologie neuropsychiatrique de la dépressionEpilepsy: For neuropsychiatric symptomatology of depression

https://doi.org/10.1016/j.amp.2015.07.034Get rights and content

Résumé

La prévalence des pathologies psychiatriques est plus élevée chez les patients présentant une épilepsie que dans la population générale. Chez plus de la moitié des patients présentant une épilepsie, les épisodes dépressifs caractérisés ont tendance à avoir des manifestations cliniques inhabituelles (notamment sur la durée et le type de symptômes) comparativement aux critères stricts des classifications nosographiques internationales psychiatriques. Un certain nombre de données humaines et animales tendent à mettre en évidence un lien physiopathologique spécifique entre épilepsie et syndrome dépressif. Cette physiopathologie pourrait expliquer la spécificité de la sémiologie du syndrome dépressif chez les patients souffrant d’épilepsie. Cette spécificité clinique conduit à distinguer différentes formes cliniques de syndrome dépressif en fonction de leurs apparitions par rapport aux phénomènes ictaux : péri-ictaux (pré-ictale, ictale, post-ictale) et inter-ictaux. Les épilepsies du lobe temporal sont particulièrement associées à des syndromes dépressifs péri-ictaux. Parmi ces syndromes : (i) la dysphorie péri-ictale est caractérisée par des symptômes apparaissant dans les 24 heures précédant la crise, (ii) le syndrome dépressif ictal par des symptômes apparaissant au moment de la crise, (iii) le syndrome dépressif post-ictal par des symptômes apparaissant dans les 72 heures après la crise. Les syndromes inter-ictaux sont indépendants des crises. Le plus caractéristique est le syndrome dysphorique inter-ictal et regroupe des symptômes dépressifs labiles (humeur dépressive, anhédonie, douleurs et insomnie), des symptômes affectifs labiles (anxiété et attaque de panique) et des symptômes spécifiques dysphoriques (irritabilité paroxystique et euphorie). L’ensemble de ces syndromes dépressifs sont fréquents chez les patients présentant une épilepsie et, bien que les critères des classifications nosographiques internationales psychiatriques ne soient pas forcément retrouvés, altèrent le fonctionnement du patient. Il s’agit donc : (i) de dépister systématiquement un syndrome dépressif chez les patients souffrant d’épilepsie par la Neurological Disorders Depression Inventory for Epilepsy NDDI-E qui est une échelle de dépistage validée en langue française diffusé par l’International League Against Epilepsy ILAE et (ii) de savoir diagnostiquer les syndromes dépressifs péri-ictaux et inter-ictaux.

Abstract

The prevalence of psychiatric disorders is significantly higher among patients with epilepsy than the general population. Moreover, the profile of depressive disorder is often atypical in patients with epilepsy. Data from human and animal studies have tended to point towards a bidirectional link in the pathophysiological basis of both epilepsy and depressive syndrome. Depressive symptoms in epilepsy can be divided into those occurring in the peri-ictal period (pre-ictal, ictal and post-ictal), and those occurring in the inter-ictal period. Peri-ictal depressive disorders are particularly associated with temporal lobe epilepsies. These include: (i) peri-ictal dysphoria, (symptoms occur in the 24 hour period preceding a seizure); (ii) ictal depression, (symptoms develop during the seizure); (iii) post-ictal depression, (symptoms occur in the 72 hours following the seizure). The inter-ictal depressive disorders are not temporally related to seizures. The best characterized of these is “inter-ictal dysphoric disorder”. This includes labile depressive symptoms (depressed mood, anergia, pain, insomnia), labile affective symptoms (panic-like symptoms and anxiety), and supposedly “specific” symptoms (paroxysmal irritability and instable-euphoric moods). Standard psychiatric classification may be inadequate to describe some of the atypical profiles seen in this patient population. Depression in patients with epilepsy is therefore under-diagnosed, and yet contributes to poorer quality of life, epilepsy outcome and risk of suicide. It is recommended that an appropriate screening tool be used to detect signs of major depression, the Neurological Disorders Depression Inventory for Epilepsy (NDDI-E). Clinicians should recognize the characteristics of peri-ictal and inter-ictal depressive syndromes.

Introduction

La prévalence des pathologies psychiatriques est plus élevée chez les patients présentant une épilepsie que dans la population générale. Ceci est d’autant plus marqué chez les patients présentant une épilepsie réfractaire. La prévalence des épisodes dépressifs caractérisés est d’environ 30 % et celle des troubles anxieux de 10 à 25 % dans cette population [7]. Les troubles dépressifs sont la comorbidité psychiatrique la plus fréquente chez les patients atteints d’épilepsie [33]. Ils appartiennent à l’ensemble des troubles de l’humeur divisés en troubles unipolaires et troubles bipolaires [6]. Leurs présentations cliniques, chez les patients atteints d’épilepsie, peuvent être impossibles à distinguer des épisodes dépressifs caractérisés pour une partie de cette population. Mais pour plus de la moitié des patients présentant une épilepsie, les troubles dépressifs ont tendance à avoir des manifestations cliniques inhabituelles par rapport à la durée et au type de symptômes. D’une part, aux symptômes « classiques » de la dépression se greffent des éléments d’irritabilités et d’anxiété et, d’autre part, les tableaux syndromiques altérant pourtant le fonctionnement du patient ne correspondent pas forcément aux classifications diagnostiques figurant dans le Manuel diagnostic et statistique des troubles mentaux [24].

La première question que doivent se poser les psychiatres qui prennent en charge des troubles de l’humeur chez des patients souffrant d’épilepsie est de savoir si le syndrome dépressif n’est pas secondaire à des antiépileptiques. Ces derniers peuvent être à l’origine ou majorer les symptômes dépressifs et/ou anxieux [23], [30], [31]. La seconde question est d’interroger le lien entre épilepsie et syndrome dépressif. L’association entre syndrome dépressif et épilepsie est intéressante d’un point de vue neuropsychiatrique puisqu’elle met en évidence un soubassement physiopathologique commun. Dans l’épilepsie, plus que dans les autres pathologies neurologiques [35], existerait en effet un lien bidirectionnel entre la physiopathologie de l’épilepsie et celle de la dépression. L’existence d’un épisode dépressif caractérisé, diagnostiqué rétrospectivement avant le début de l’épilepsie, augmente ainsi le risque d’apparition d’une épilepsie [10], [11]. Et inversement, la présence d’une épilepsie augmente le risque de syndrome dépressif. Ce lien physiopathologique conduit à se demander si cliniquement la présentation du syndrome dépressif n’est pas modifiée par l’existence d’une épilepsie et si les critères du DSM [35] sont pertinents pour aborder les symptômes dépressifs chez les patients souffrant d’épilepsie [21], [22], [34].

Ainsi, une évaluation clinique conduit à mettre l’accent sur les spécificités de la sémiologie du syndrome dépressif chez les patients souffrant d’épilepsie. Ces spécificités sont peu reconnues dans les classifications nosographiques psychiatriques internationales [35]. Les critères du DSM sont en effet en partie inappropriés pour repérer cliniquement l’ensemble des syndromes dépressifs avec une répercussion fonctionnelle chez les patients souffrant d’épilepsie [16]. Une sémiologie et une classification spécifique reliées à la chronologie des crises d’épilepsies ou à la mise en place des traitements antiépileptiques ont donc été proposées par l’International League Against Epilepsy [22]. Par ailleurs, une échelle de dépistage adaptée est désormais disponible afin de détecter en pratique courante les syndromes dépressifs dans le contexte de l’épilepsie [25], [35].

Section snippets

Physiopathologie

Un certain nombre de données humaines et animales tendent à expliquer [14] le lien bidirectionnel entre épilepsie et syndrome dépressif [5], [10], [11], [12]. Il semble en partie en lien avec une augmentation de l’activité de l’axe hypothalamo-hypophysaire qui serait à l’origine d’une diminution de la neurotransmission sérotoninergique, GABAergique et d’une augmentation de la neurotransmission glutamatergique [18]. Sur le plan anatomo-fonctionnel, des études de l’imagerie fonctionnelle trouvent

Syndromes dépressifs péri-ictaux

Les épilepsies du lobe temporal sont plus souvent associées à des syndromes dépressifs péri-ictaux, surtout si le système limbique est impliqué [29].

Syndrome dépressif inter-ictal

Les critères DSM ne sont pas toujours présents [35]. La durée des symptômes dépressifs est variable de quelques heures à quelques jours [9], [17], [24] et intervient dans une période libre de crise [13].

Il existe une grande aspécificité et les symptômes à rechercher sont la dévalorisation, la culpabilité, les idéations suicidaires, l’irritabilité, la frustration et l’anhédonie [8], [16].

Malgré leur manque de spécificité mais devant leur fréquence, le ralentissement psychomoteur, l’asthénie et

Pratique Clinique

Il existe désormais un outil de dépistage rapide, fiable et pertinent pour le dépistage du syndrome dépressif dans l’épilepsie, validé en de multiples langues. Il s’agit du Neurological Disorders Depression Inventory for Epilepsy (NDDI-E) construit et validé en langue anglaise [8]. Il s’agit d’un autoquestionnaire de dépistage rapide, constitué de six items (score allant de 6 à 24) [8] (cf. Tableau 1).

Il est maintenant traduit et validé en français [25]. Les items sont « tout est une lutte »,

Conclusion

Les syndromes dépressifs sont très fréquents chez les patients présentant une épilepsie. Cependant, les critères DSM n’étant pas toujours respectés, ils sont sous-diagnostiqués.

Le risque de ce sous-diagnostic est de négliger la prise en charge et plus précisément le traitement des patients souffrant d’épilepsie. Or les deux troubles ont un lien bidirectionnel. Une collaboration épileptologie/psychiatrie fondée sur des représentations communes, évitant la dichotomie psychique/organique, est

Déclaration d’intérêts

Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

Références (35)

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