Elsevier

L'Encéphale

Volume 44, Issue 1, February 2018, Pages 2-8
L'Encéphale

Article de recherche
Quelles comorbidités psychiatriques dans la dépendance au cannabis à l’adolescence ? Comparaison de patients consultants et de témoinsWhich psychiatric comorbidities in cannabis dependence during adolescence? Comparison of outpatients and controls

https://doi.org/10.1016/j.encep.2016.05.013Get rights and content

Résumé

Les objectifs de cette étude étaient de déterminer les comorbidités psychiatriques associées à la dépendance au cannabis chez des adolescents et des jeunes adultes comparativement à des témoins, et d’étudier les liens entre les diagnostics psychiatriques et les indicateurs de consommation de substances psychoactives. Cent patients, dépendants au cannabis, consultant en addictologie, ont été comparés à 82 témoins exempts de diagnostic lié à l’usage de cannabis, recrutés en population générale. En plus de la passation du MINI, les modalités de consommation de substances psychoactives étaient recueillies lors d’un entretien clinique multi-axial. La prévalence de patients présentant au moins un diagnostic psychiatrique de l’axe I du DSM-IV (hors troubles psychotiques) était de 79 %, contre 30,5 % chez les témoins (p < 0,001) ; la présence d’un diagnostic multipliant par 8,6 le risque d’appartenir au groupe de patients dépendants consultants. La différence concernait la dysthymie actuelle, le trouble panique vie entière, la dépendance et l’abus d’alcool, et l’anxiété généralisée. Chez les patients, les prévalences de diagnostics psychiatriques étaient plus élevées chez les hommes (p = 0,011) et les patients les plus âgés (p = 0,006). Les spécificités psychiatriques caractérisées dans cet échantillon d’adolescents et jeunes adultes consultant en addictologie confirment l’importance de porter une attention particulière à la question du double diagnostic pour le déploiement de leur prise en charge.

Abstract

Background

The use of illicit substances, in particular cannabis, among French adolescents and young adults has become an important public health concern. A better understanding of the mechanisms involved in pathological substance use is nowadays critical. Psychiatric comorbidities have been previously reported in adult substance abusers but are less documented in adolescents, especially regarding cannabis dependence.

Objectives

We investigated mental health problems in adolescents and young adults, seeking treatment for their problematic cannabis use, comparatively to healthy controls, taking into account the participant's gender and age. Moreover, we explored the relationships between psychiatric diagnosis and substance use modalities.

Methods

In total, 100 young patients (80 males – mean age 18.2 (SD = 2.9; [14 to 25] years old)) with a cannabis dependence (DSM-IV-TR criteria) seeking treatment in an addiction unit, and 82 healthy control subjects (50 males – mean age 18.3 (SD = 3.4; [14 to 25] years old)) with no substance misuse diagnostic other than for alcohol, participated in the study. The MINI was administered to evaluate cannabis dependence, and DSM-IV axis I comorbid diagnosis, and a semi-structured interview was used to determine psychoactive substance use.

Results

Statistical analyses revealed that 79 % of the patients reported at least one other non-drug or alcohol comorbid diagnosis, versus 30.5 % in the control group (χ2 = 16.83; P < 0.001). Logistic regression indicated that participants with a psychiatric diagnosis had an 8.6 times higher risk (P < 0.001; OR 95 % CI = [4.38–16.81]) of being patients. Significant inter-group differences and OR were noted for several diagnoses: dysthymia over the previous 2 years (χ2 = 14.06; P < 0.001; OR = 10.63; OR 95 % CI = [2.41–46.87]), life-time panic attack disorder (χ2 = 4.15; P < 0.042; OR = 3.59; OR 95 % CI = [0.98–13.19]), alcohol abuse (χ2 = 47.72; P < 0.001; OR = 66.27; OR 95 % CI = [8.87–495.11]) and dependence (V = 0.230; P = 0.001) and generalized anxiety disorder (χ2 = 7.46; P = 0.006–OR = 3.57; OR 95 % CI = [1.37–9.30]). On the whole, the females (n = 20) of our clinical sample presented significantly more comorbid diagnoses than the males (n = 80) (95 % versus 75 %; χ2 = 6.25, P = 0.011). These significant gender differences were found for life-time eating disorder (V = 0.352; P = 0.007) and generalized anxiety disorder diagnoses (V = 0.278; P = 0.013). Moreover, young adult patients (19–25 years old; n = 35) presented, on the whole, significantly more comorbid diagnoses than adolescent patients (14–18 years old; n = 65) (70.8 % versus 94.3 %; χ2 = 7.58, P = 0.006). These age inter-group differences were found for several diagnoses: alcohol dependence (6.2 % versus 20 %; V = 0.211, P = 0.047), dysthymia over the past 2 years (13.8 % versus 34.3 %; χ2 = 5.73, P = 0.017) and generalized anxiety disorder (12.3 % versus 40 %; χ2 = 10.17, P = 0.001). Various associations were observed between psychiatric comorbid diagnosis and substance use indicators.

Conclusion

This study demonstrates that cannabis dependence in adolescents and young adults is related to great psychological distress and puts emphasis on the importance of substance use prevention as early as middle school. Moreover, the psychiatric features of adolescents and young adults need to be taken into consideration for treatment planning.

Introduction

Face aux enjeux de santé publique que représente l’importance des prévalences d’usagers réguliers de substances psychoactives, et plus particulièrement de cannabis chez les jeunes français [1], [2], il est fondamental de mieux comprendre les particularités cliniques associées au développement d’une dépendance. Les comorbidités psychiatriques sont particulièrement fréquentes dans les troubles addictifs, et notamment dans les troubles liés à l’usage de substances psychoactives, tant chez les adultes [3], [4] que chez les adolescents [5]. Les études épidémiologiques conduites chez l’adulte ont notamment mis en évidence que les prévalences de comorbidités psychiatriques dépendaient du type de substances, mais également de la gravité de l’usage (ex., abus vs dépendance) et des catégories de troubles psychiatriques considérées [4]. Malgré ces indications, et les résultats de nombreuses études épidémiologiques ayant démontré la fréquence élevée des polyconsommations chez les sujets dépendants, ces travaux ne discriminent pas toujours clairement la substance principalement consommée. Deux études françaises ont rendu compte des prévalences de comorbidité chez des adultes usagers de cannabis vus en consultations spécialisées, et ont confirmé la forte représentation des troubles de l’humeur et anxieux [6], [7]. Malgré ces connaissances acquises chez l’adulte, nous avons observé que seules deux études étrangères [8], [9], conduites en population générale, s’étaient intéressées spécifiquement à l’évaluation des comorbidités psychiatriques chez des adolescents et des jeunes adultes dépendants au cannabis. De plus, à notre connaissance, la proportion de diagnostics psychiatriques chez des adolescents dépendants au cannabis consultants n’a encore jamais été comparée à celle de sujets témoins tous venants issus de la population générale. Ainsi, nos objectifs étaient de déterminer les comorbidités psychiatriques associées à la dépendance au cannabis chez des adolescents et des jeunes adultes consultants comparativement à des témoins issus de la population générale, d’inscrire nos analyses dans une approche développementale prenant en compte le genre et l’âge des participants, et d’étudier les liens entre les diagnostics psychiatriques et les indicateurs de consommation de substances psychoactives.

Section snippets

Participants

L’échantillon clinique comportait 100 patients (dont 80 hommes), dépendants au cannabis (critères DSM-IV), consultant pour leur usage problématique de cannabis (âge moyen et étendue : 18,2 (ET = 2,9 ; [14–25] ans)). Ils ont été recrutés à Paris au Centre émergence, à l’ECIMUD de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, ainsi qu’au CEDAT de Mantes la Jolie (Yvelines). La répartition des derniers niveaux scolaires était : CAP/BEP = 19,6 %, collège = 12,4 %, lycée général et technique = 48,5 % et enseignement

Données descriptives sur la consommation de cannabis, d’alcool, de tabac et d’autres substances illicites des patients

La majorité des patients (80,8 %) consommaient du cannabis quotidiennement depuis en moyenne plus de 40 mois (Tableau 1). Leur consommation actuelle était en moyenne de plus de 5 joints par jour, et 69 % déclaraient consommer du cannabis essentiellement quand ils étaient seuls.

Concernant l’alcool, la grande disparité des fréquences de consommation indique que certains patients en consommaient moins d’une fois par mois, mais que d’autres buvaient très régulièrement. Les données relatives au

Discussion

Les analyses ont mis en évidence que la prévalence de patients présentant un diagnostic comorbide de l’axe I du DSM-IV, qu’il soit actuel ou vie entière, était particulièrement élevée : 79 % des participants de notre échantillon clinique présentaient au moins un autre diagnostic associé à celui de dépendance au cannabis contre 30,5 % des témoins. Au-delà de la différence intergroupe très fortement significative, les analyses par régression ont par ailleurs mis en évidence que le fait de

Conclusion

Quelle que soit la perspective étiologique, sur un plan clinique, l’effet cumulatif des différents troubles psychiatriques ne peut qu’être considéré comme un facteur négatif en regard du fonctionnement de l’individu [20]. La fréquence et la sévérité de la symptomatologie dépressive sont particulièrement inquiétantes en regard notamment du risque de récurrence des épisodes dépressifs majeurs [24]. Par ailleurs, la sévérité d’un trouble psychiatrique comorbide constitue un facteur négatif de

Déclaration de liens d’intérêts

Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.

Références (27)

Cited by (0)

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