Elsevier

L'Encéphale

Volume 49, Issue 3, June 2023, Pages 317-320
L'Encéphale

Perspectives/Opinion
Évaluer un programme de remédiation cognitive dans l’anorexie : nouveaux outilsEvaluation of the effectiveness of a cognitive remediation program in anorexia nervosa using new neuropsychological tools: A case study

https://doi.org/10.1016/j.encep.2022.01.017Get rights and content

Résumé

La prise en charge de l’anorexie mentale demeure complexe avec des taux de réussites encore insuffisants. À partir d’observations cliniques et empiriques mettant en cause des difficultés neuropsychologiques dans l’anorexie mentale, la thérapie de remédiation cognitive semble montrer des effets positifs. Néanmoins ces résultats restent sujets à débat, car certaines études ne démontrent pas cette amélioration ou dans le cas d’améliorations positives, une taille d’effet qui reste moindre sur les performances cognitives. Une explication possible pourrait résider dans les tests cognitifs utilisés pour évaluer la remédiation cognitive. L’objectif de cette étude est de proposer un nouveau protocole d’évaluation de la remédiation cognitive pour des patients souffrant de TCA au travers la présentation d’une étude de cas.

Abstract

The management of anorexia nervosa (AN) remains complex with insufficient success rates. Based on clinical and empirical observations implicating neuropsychological difficulties in AN, cognitive remediation (CR) therapy appears to show positive effects. Nevertheless, these results remain subject to debate as some studies do not show this improvement, or in the case of positive improvements, a smaller effect size on cognitive performance. A possible explanation could lie in the cognitive tests used to assess CR. The aim of this study is to propose a new protocol for the evaluation of cognitive remediation for patients suffering from ED through the presentation of a case study.

Introduction

La prise en charge de l’anorexie mentale demeure complexe avec des taux de réussites encore insuffisants [1] À partir d’observations cliniques et empiriques mettant en cause des difficultés neuropsychologiques dans l’anorexie mentale, des cliniciens chercheurs en Angleterre ont adapté une thérapie de remédiation cognitive [2]. Cette thérapie cible la mobilisation et l’entraînement de deux processus cognitifs affaiblis dans l’anorexie mentale : la flexibilité mentale et l’approche globale de l’information, dont il a été établi qu’ils sont des marqueurs endophénotypiques (i.e existants en dehors des phases aiguës et présents également chez des apparentés non atteints) [3]. Un processus cognitif est un mode de traitement de l’information conduisant à un comportement [4]. Une revue récente sur l’anorexie mentale [5] a proposé de les regrouper en six principales catégories : les capacités d’attention, les fonctions exécutives (qui sont les fonctions dites supérieures permettant notamment la planification), la mémoire, la vitesse de traitement, les capacités visuo-spatiales et la mémoire de travail. La flexibilité est une composante des fonctions exécutives et correspond au processus permettant de passer d’une tâche à une autre. La cohérence centrale est considérée dans cette classification aux capacités visuo-spatiales et correspond au processus permettant de focaliser son attention sur les détails d’un stimulus, mais également sur la forme générale de celui-ci.

Le manque de flexibilité cognitive et l’approche centrée sur les détails (au détriment de l’information globale ; aussi appelée manque de cohérence centrale) sous-tendraient différents éléments comportementaux observés dans l’anorexie mentale, tels que les comportements ritualisés, le perfectionnisme et la méticulosité, l’intolérance au changement et la pensée en tout ou rien, et seraient des facteurs critiques de maintien du trouble [2].

Des essais randomisés ont commencé à montrer des effets encourageants sur l’évolution des performances de flexibilité à certains tests, comme le Trail Making Test (TMT), ou encore l’amélioration des scores à des échelles de symptomatologie alimentaire (EDE-Q et EDI 2) [6], [7]. Néanmoins ces résultats restent sujets à débat, car certaines études ne démontrent pas cette amélioration ou dans le cas d’améliorations positives, une taille d’effet qui reste moindre sur les performances cognitives [2], [8][voir 2 et,8 pour des revues sur ce sujet]. Ces dernières études questionnent sur l’efficacité de cette thérapie pourtant bien acceptée par les patients. Ces tailles d’effet relativement faibles pourraient s’expliquer par les tests neuropsychologiques utilisés dans ces études pour évaluer la flexibilité cognitive. En effet, compte tenu du profil de performance non déficitaire couramment retrouvé chez ces patients souffrant d’anorexie mentale [9] ces tests ne semblent pas appropriés, car probablement pas assez spécifiques et/ou sensibles. En effet, pour qu’un score puisse être considéré comme déficitaire, celui-ci doit s’éloigner de plus ou moins deux écarts-types de la moyenne (un seul parfois suivant certaines recommandations). Or, nous observons plutôt des scores inférieurs à la moyenne sur certains processus cognitifs mais sans que le seuil des deux écarts-types ne soit nécessairement observé chez les patients souffrant d’anorexie [5]. Les scores retrouvés sont globalement satisfaisants sur de nombreuses tâches classiques et il apparaît donc nécessaire d’adapter nos outils de mesure à cette particularité de la population. Un outil d’évaluation plus précis nous permettait ainsi de mieux démontrer l’efficacité de la remédiation cognitive sur la flexibilité.

Dans cette étude de cas, nous souhaitons proposer un protocole d’évaluation pré- et post- intervention d’une prise en charge d’une patiente souffrant d’anorexie mentale par l’adaptation francophone de la remédiation cognitive ([10] ; utilisé dans l’essai randomisé TRECOGAM1). Cette évaluation comporte : 1) des mesures subjectives de rigidité cognitive et attention portée aux détails (Detail and Flexibility Questionnaire–DFlex [11]) et d’estime de soi [12] ; (2) des mesures objectives de la flexibilité mentale avec l’utilisation de La Local Global Task (LGT ; adaptée de [13]) en plus du TMT (couramment utilisé en tâche classique, mais qui est de plus en plus critiquée face aux nombres de fonctions cognitives qu’elle implique et son manque de spécificité [14]). La tâche local-global a été développée par Miyake, et al. [13] à partir des études de Navon [15]. Il s’agit d’une épreuve de catégorisation visuelle permettant de mesurer la flexibilité du participant. Plus spécifiquement, la tâche est composée de quatre figures géométriques (cercle, croix, triangle et carré) au niveau global dont les côtés sont formés de ces mêmes formes géométriques, de petite taille. Ces figures apparaissent à l’écran soit en rouge soit en bleu. La tâche du participant consiste à déterminer le plus rapidement et correctement possible la figure géométrique dans ses aspects locaux ou globaux en fonction de la couleur de la figure. En fonction de la couleur, le jugement portera donc soit sur la figure globale (bleu), soit sur la figure locale (rouge). La variable dépendante pour la tâche local-global est le coût de la flexibilité qui correspond à la différence entre la médiane des temps de réaction pour les essais corrects en condition non-switch (Local et Global) et la médiane des temps de réaction pour les essais corrects en condition de changement (Local-global et Global-local). Plus le coût de la flexibilité est important, moins la flexibilité est bonne. De plus un score de précision est calculé en multipliant le temps médiant par le pourcentage de réponses justes.

Ces éléments en font un outil probablement plus sensible pour des patients souffrant d’anorexie mentale. L’objectif de cette étude est de proposer un nouveau protocole d’évaluation de la remédiation cognitive pour des patients souffrant de TCA au travers la présentation d’une étude de cas.

Section snippets

Illustration avec une étude de cas

Madame C. est une patiente célibataire âgée de 26 ans. Me C. est hospitalisée à sa demande pour prise en charge de son anorexie mentale de type restrictif. Lors de son admission, il est noté une humeur triste et des angoisses liées aux changements à venir. Elle décrit un comportement assez rigide envers l’alimentation depuis l’adolescence avec une volonté de “manger sain”. Elle relie le début de sa perte de poids à la rupture avec son compagnon il y a 2 ans avec une perte progressive de plus de

Intérêt du nouveau protocole aspects recherche

Cette étude de cas semble montrer un effet positif de la remédiation cognitive dans la prise en charge de l’anorexie mentale avec normalisation de l’estime de soi et des capacités de flexibilité aussi bien sur des mesures auto-rapportées (D-Flex) que sur un test neuropsychologique réputé sensible (LGT). Le test TMT utilisé couramment comme mesure de la flexibilité mentale n’a pas permis quant à lui d’objectiver cet effet positif.

Au-delà des effets encourageants démontrés dans cette étude de cas

Conclusion

Au vu des difficultés à proposer des thérapeutiques efficaces pour la prise en charge de l’anorexie mentale, et malgré les critiques actuelles dont souffre la remédiation cognitive, cette étude de cas démontre qu’elle demeure une piste pertinente à explorer en utilisant des outils neuropsychologiques plus sensibles et adaptés à la population étudiée.

Déclaration de liens d’intérêts

Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.

Cited by (1)

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