Mise au pointQu’apporte la neurobiologie aux addictions ?What brings neurobiology to addictions?
Introduction
Depuis la nuit des temps, les drogues sont consommées. Dans les sociétés primitives, la consommation était étroitement liée au contexte social régnant au sein de la tribu. Elle ne peut être dissociée des rites, des usages, des cultures et des traditions. Dans le chamanisme, la consommation est encadrée par un rite sacré ayant pour fonction de conduire à l’extase, permettant de dépasser les frontières virtuelles entre conscience et inconscience, vie et mort, maladie et santé. À l’heure actuelle, la consommation de drogues s’inscrit encore dans un ensemble de pratiques codifiées et revêt souvent un caractère initiatique : il ne suffit pas de prendre un produit et d’en subir les effets, encore faut-il le faire dans un contexte donné, à un certain âge, entouré de certaines personnes. Dans la majorité des cas, on est face à des usages festifs et récréatifs, mais tous les individus ne sont pas égaux vis-à-vis du risque du passage d’une consommation récréative à une consommation abusive, puis à une véritable addiction. Parmi les usagers réguliers d’alcool, de tabac ou encore de cocaïne, seule une minorité – de 15 % à 35 % selon la substance – passe de la consommation régulière à une véritable addiction.
Pendant longtemps, on a pensé que l’homme était le seul à consommer volontairement des drogues. Mais ce n’est pas vrai et de nombreuses autres espèces animales sont aussi des consommateurs. Par exemple, le chat avec la valériane (présente dans leurs hormones sexuelles). La grive, le singe ou l’éléphant consomme des fruits fermentés pourvoyeurs d’alcool, le renne recherche des champignons hallucinogènes telle l’amanite tue-mouche (acide iboténique, produit commun dans les rituels chamaniques), ou encore les chèvres qui raffolent des feuilles de khat. Le psychopharmacologue américain Ronald Siegel soutient que le règne animal se révèle un véritable repaire d’intoxiqués de son plein gré et pour le plaisir [1]. Son équipe en parcourant le monde a rapporté de nombreuses anecdotes. Par exemple, « la grande beuverie » d’une quinzaine d’éléphants, dans un village du nord-ouest de l’Inde : « les pachydermes défoncèrent la porte d’un hangar où fermentait de la bière de riz et se servirent copieusement, avant de tuer quatre personnes et d’en blesser six autres ». Ou encore la passion d’ours bruns dans la réserve naturelle de Kronotski pour l’aérodrome local : « les plantigrades étaient attirés par les effluves du kérosène et certains étaient devenus si accros qu’ils volaient des bidons d’essence, les roulaient vers la forêt pour en respirer les vapeurs tranquillement, avant de creuser un trou et s’y effondrer dans une position de nirvana ».
En laboratoire, cela a permis aux biologistes d’étudier les effets de la drogue sur le cerveau, notamment chez le rat. Et ils ont ainsi montré que cette exposition entraîne de nombreuses modifications cérébrales. En revanche, on a longtemps pensé que la consommation compulsive, caractéristique de l’addiction, n’existait que chez l’homme. Et ce n’est que très récemment que des modèles animaux ont permis de mettre en évidence un comportement compulsif de prise de drogue chez le rat. Néanmoins, il est clair que les addictions sont multifactorielles, et qu’il n’existe pas de modèles expérimentaux parfaits, répliquant point par point cette pathologie, rendant la recherche translationnelle dans ce domaine difficile. Quoiqu’il en soit, les progrès dans de nombreux domaines, neuro-imagerie, biologie moléculaire, modèles animaux, ont permis ces dernières années de mieux comprendre les mécanismes neurobiologiques et neurochimiques des addictions. L’utilisation de ces connaissances en combinaison avec les résultats des sciences sociales et de la génétique par exemple, est sans doute la voie d’avenir permettant un nouveau regard sur les addictions.
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Les modèles animaux ne sont-ils que réductionnistes ?
Pour étudier et mieux comprendre l’étiologie et les mécanismes sous-tendant des pathologies complexes et multifactorielles telle que l’addiction, le recours aux modèles animaux intégrés est nécessaire, les modèles alternatifs actuels (in silico, in vitro, cellulaire ou moléculaire) étant insuffisants. Malheureusement, ces modèles animaux ne peuvent rendre compte que de certains aspects de l’addiction et peuvent être considérés en ce sens comme réductionnistes. Néanmoins, malgré leurs limites,
Une meilleure compréhension de l’impact des parcours de consommation
Selon les principes fondamentaux de la pharmacologie, la quantité et la vitesse auxquelles un composé atteint la circulation sanguine, permettant sa distribution dans l’organisme et donc l’accès à ses sites d’action, conditionnent ses effets pharmacologiques. Ces effets dépendent soit de la concentration maximale (Cmax, effet pic), soit de l’exposition systémique reflétée par les concentrations sanguines en fonction du temps. Sur ces principes fondamentaux, la concentration plasmatique d’une
Les apports de la neurobiologie dans le développement des pharmacothérapies
Révéler les neuroadaptations spécifiques et persistantes mises en place lors du développement d’une addiction permet de mettre en évidence de nouvelles cibles thérapeutiques potentielles. Différentes stratégies thérapeutiques ont été envisagées jusqu’à présent. La première consiste à utiliser une molécule agoniste des récepteurs cibles de la drogue afin de mimer l’action de celle-ci. Ces molécules doivent avoir une durée d’action longue, une bonne biodisponibilité et être capable de
Conclusion
Il est incontestable que la recherche préclinique dans le domaine des addictions ces dernières années a réalisé beaucoup de progrès, en particulier sur les modèles animaux, notamment les rongeurs, qui reproduisent de mieux en mieux la symptomatologie humaine, y compris la perte de contrôle et la vulnérabilité à la rechute. Il faut bien sûr continuer à travailler et à développer les différents modèles existants (de la drosophile au primate), aucun ne mimant l’addiction proprement dite, mais
Déclaration de liens d’intérêts
les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.
Références (21)
- et al.
Optogenetic interrogations of the neural circuits underlying addiction
Curr Opin Neurobiol
(2013) - et al.
Why does the rapid delivery of drugs to the brain promote addiction?
Trends Pharmacol Sci
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Effect of rate of delivery of intravenous cocaine on self-administration in rats
Pharmacol Biochem Behav
(2009) - et al.
Relationship between injection duration, transporter occupancy and reinforcing strength of cocaine
Eur J Pharmacol
(2004) - et al.
Different patterns of administration modulate propensity of methadone and buprenorphine to promote locomotor sensitization in mice
Prog Neuropsychopharmacol Biol Psychiatry
(2013) - et al.
The nicotinic acetylcholine receptor partial agonist varenicline and the treatment of drug dependence: a review
Eur Neuropsychopharmacol
(2010) - et al.
Role of the GABA(B) receptor in alcohol-seeking and drinking behavior
Alcohol
(2009) - et al.
Kappa-opioid receptors are implicated in the increased potency of intra-accumbens nalmefene in ethanol-dependent rats
Neuropharmacol
(2011) Intoxication: life in the pursuit of artificial paradise
(1989)Une brève histoire des modèles animaux de l’addiction
(2012)