Elsevier

La Presse Médicale

Volume 45, Issue 12, Part 1, December 2016, Pages 1096-1101
La Presse Médicale

Mise au point
Qu’apporte la neurobiologie aux addictions ?What brings neurobiology to addictions?

https://doi.org/10.1016/j.lpm.2016.02.021Get rights and content

Points essentiels

Les addictions sont multifactorielles et il n’existe pas de modèles expérimentaux répliquant tous les points de cette pathologie.

L’utilisation de modèles animaux reproduisant de mieux en mieux la symptomatologie clinique des addictions a fait considérablement progresser la connaissance des processus neurobiologiques impliqués dans la dépendance aux drogues.

Les données précliniques mettent en évidence des neuroadaptations différentes en fonction des voies d’administration, des vitesses d’injection et des fréquences d’exposition aux drogues.

Les neuroadaptations induites par une exposition aux drogues suivent des processus dynamiques dans le temps.

Malgré les avancées très importantes des connaissances neurobiologiques permettant de proposer de nouvelles cibles thérapeutiques, le passage en clinique de nouveaux médicaments est souvent décevant.

Le peu d’efficacité des traitements rapporté dans les essais cliniques vient sans doute d’une hétérogénéité très importante des patients, avec des facteurs biologiques, génétiques, mais aussi des modes de consommation différents pouvant entraîner des neuroadaptations différentes, comme le démontre les études précliniques.

Key points

Addictions are multifactorial, and there are no experimental models replicating all aspects of this pathology.

The development of animal models reproducing the clinical symptoms of addictions allows significant advances in the knowledge of the neurobiological processes involved in addiction.

Preclinical data highlight different neuroadaptations according to the routes of administration, speeds of injection and frequencies of exposure to drugs of abuse.

The neuroadaptations induced by an exposure to drugs of abuse follow dynamic processes in time.

Despite significant progresses in the knowledge of neurobiology of addictions allowing to propose new therapeutic targets, the passage of new drugs in clinical is often disappointing.

The lack of treatment efficacy reported in clinical trials is probably due to a very important heterogeneity of patients with distinct biological and genetic factors, but also with different patterns of consumption that can lead to different neuroadaptations, as clearly observed in preclinical studies.

Introduction

Depuis la nuit des temps, les drogues sont consommées. Dans les sociétés primitives, la consommation était étroitement liée au contexte social régnant au sein de la tribu. Elle ne peut être dissociée des rites, des usages, des cultures et des traditions. Dans le chamanisme, la consommation est encadrée par un rite sacré ayant pour fonction de conduire à l’extase, permettant de dépasser les frontières virtuelles entre conscience et inconscience, vie et mort, maladie et santé. À l’heure actuelle, la consommation de drogues s’inscrit encore dans un ensemble de pratiques codifiées et revêt souvent un caractère initiatique : il ne suffit pas de prendre un produit et d’en subir les effets, encore faut-il le faire dans un contexte donné, à un certain âge, entouré de certaines personnes. Dans la majorité des cas, on est face à des usages festifs et récréatifs, mais tous les individus ne sont pas égaux vis-à-vis du risque du passage d’une consommation récréative à une consommation abusive, puis à une véritable addiction. Parmi les usagers réguliers d’alcool, de tabac ou encore de cocaïne, seule une minorité – de 15 % à 35 % selon la substance – passe de la consommation régulière à une véritable addiction.

Pendant longtemps, on a pensé que l’homme était le seul à consommer volontairement des drogues. Mais ce n’est pas vrai et de nombreuses autres espèces animales sont aussi des consommateurs. Par exemple, le chat avec la valériane (présente dans leurs hormones sexuelles). La grive, le singe ou l’éléphant consomme des fruits fermentés pourvoyeurs d’alcool, le renne recherche des champignons hallucinogènes telle l’amanite tue-mouche (acide iboténique, produit commun dans les rituels chamaniques), ou encore les chèvres qui raffolent des feuilles de khat. Le psychopharmacologue américain Ronald Siegel soutient que le règne animal se révèle un véritable repaire d’intoxiqués de son plein gré et pour le plaisir [1]. Son équipe en parcourant le monde a rapporté de nombreuses anecdotes. Par exemple, « la grande beuverie » d’une quinzaine d’éléphants, dans un village du nord-ouest de l’Inde : « les pachydermes défoncèrent la porte d’un hangar où fermentait de la bière de riz et se servirent copieusement, avant de tuer quatre personnes et d’en blesser six autres ». Ou encore la passion d’ours bruns dans la réserve naturelle de Kronotski pour l’aérodrome local : « les plantigrades étaient attirés par les effluves du kérosène et certains étaient devenus si accros qu’ils volaient des bidons d’essence, les roulaient vers la forêt pour en respirer les vapeurs tranquillement, avant de creuser un trou et s’y effondrer dans une position de nirvana ».

En laboratoire, cela a permis aux biologistes d’étudier les effets de la drogue sur le cerveau, notamment chez le rat. Et ils ont ainsi montré que cette exposition entraîne de nombreuses modifications cérébrales. En revanche, on a longtemps pensé que la consommation compulsive, caractéristique de l’addiction, n’existait que chez l’homme. Et ce n’est que très récemment que des modèles animaux ont permis de mettre en évidence un comportement compulsif de prise de drogue chez le rat. Néanmoins, il est clair que les addictions sont multifactorielles, et qu’il n’existe pas de modèles expérimentaux parfaits, répliquant point par point cette pathologie, rendant la recherche translationnelle dans ce domaine difficile. Quoiqu’il en soit, les progrès dans de nombreux domaines, neuro-imagerie, biologie moléculaire, modèles animaux, ont permis ces dernières années de mieux comprendre les mécanismes neurobiologiques et neurochimiques des addictions. L’utilisation de ces connaissances en combinaison avec les résultats des sciences sociales et de la génétique par exemple, est sans doute la voie d’avenir permettant un nouveau regard sur les addictions.

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Déclaration de liens d’intérêts

les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.

Références (21)

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Cited by (0)

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