Elsevier

Médecine du Sommeil

Volume 15, Issue 3, August 2018, Pages 151-166
Médecine du Sommeil

Revue Générale
Retour vers la première classification diagnostique des troubles du sommeil et de l’éveil. Les enjeux passés toujours d’actualité ?Back to the first diagnostic classification of sleep and arousal disorders. Are past issues always relevant?

https://doi.org/10.1016/j.msom.2018.07.001Get rights and content

Résumé

La classification diagnostique des troubles du sommeil et de l’éveil proposée par l’« Association of Sleep Disorders Centers » et l’« Association for the Psychophysiological Study of Sleep » en 1979 représente la première tentative de classification nosographique consensuelle et standardisée en somnologie. L’introduction à cette classification permet de clarifier et expliquer les choix décisifs fait par le comité pour délimiter et classifier les troubles afin de mieux identifier les principes directeurs permettant de déterminer quels états devaient être inclus dans la classification, quels états devaient être exclus, et comment ces états devraient être organisés. Cet article propose une traduction de cette introduction en Français, persuadé que celle-ci pourrait permettre d’éclairer d’un regard historique, les enjeux actuels des nosographies en médecine du sommeil. Cet article propose donc d’identifier 4 enjeux basés sur des dichotomies structurantes pour le débat nosographique : (i) la définition d’un trouble entre un pôle « préjudice » et un pôle « physiologique », (ii) les marqueurs objectifs d’un trouble de type « simple » ou de type « complexe », (iii) l’organisation des troubles suivant une approche de « regroupement » (« lumping ») ou de « scission » (« spliting »), (iv) une recherche basée primordialement sur la clinique ou de type translationnelle (« bench to bedside »).

Summary

The Diagnostic Classification of Sleep and Arousal Disorders proposed by the Association of Sleep Disorders Centers and the Association for the Psychophysiological Study of Sleep in 1979 represents the first standardized and consensual nosological classification in sleep medicine. The introduction to this classification clarifies and explains the decisive choices made by the committee to delimit and classify disorders in order to better identify the guiding principles for determining which conditions should be included in the classification, which conditions should be excluded, and how these conditions should be organized. This article proposes a translation in French of this introduction, convinced that it could highlight current issues in sleep medicine. This article thus proposes to identify 4 issues based on dichotomies structuring the nosographic debate: (i) the definition of a disorder between a “harmful” and a “physiological” pole, (ii) the “simple” or “complex” objective markers of a disorder, (iii) the organization of disorders following an lumping or a splitting approach, (iv) an clinical-based or “bench to bedside” type of research.

Introduction

La classification diagnostique des troubles du sommeil et de l’éveil proposée par l’« Association of Sleep Disorders Centers » et l’« Association for the Psychophysiological Study of Sleep » en 1979 représente la première tentative de classification nosographique consensuelle et standardisée en somnologie approuvée par les deux plus importantes sociétés de recherche sur le sommeil de l’époque [1]. Elle a été élaborée par Howard P. Roffwarg, Robert W. Clark, Chistian Guillemnault, Peter J. Hauri, David J. Kupfer, Laughton E. Miles, Helmut S Schmidt, Vincent P. Zarcone, Franck J. Zorick, avec William C. Dement et Allan Rechteschaffen comme consultants. Le système de classification publié dans Sleep, volume 2, numéro 1, 1979 (au édition Raven Press), comprend une description détaillée de chaque état, du diagnostic différentiel, de l’infrastructure technique et humaine, des références et un glossaire [1]. Bien que largement remaniée depuis, notamment dans les versions successives de la classification internationale des troubles du sommeil de l’« American Academy of Sleep Medicine », cette première classification reste remarquable notamment par son introduction qui nous semble soulever des problématiques nosographiques toujours d’actualité pour la médecine du sommeil. Nous avons donc souhaité proposer une traduction de cette introduction pour la communauté des médecins du sommeil francophones, persuadé que celle-ci pourrait permettre d’éclairer d’un regard historique, les enjeux actuels.

L’introduction à la classification diagnostique des troubles du sommeil et de l’éveil, signée de Howard P. Roffwarg, Président du comité de classification des troubles du sommeil et de l’éveil, est un texte surprenant au premier abord en raison de son absence de citation et d’ancrage explicite dans la littérature sur les problématiques épistémologiques et méthodologiques soulevées par les classifications en médecine [2], littérature pourtant particulièrement saillante à la même époque, en particulier dans les débats et les travaux préparatoires du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux dans sa version III (Diagnostic and statistical manual of mental disorders – DSM-III) de l’« American Psychiatric Association » [3]. On pense notamment à l’article de Spitzer et Endicott de 1978, intitulé « Medical and mental disorder : proposed definition and criteria » et publié dans un recueil intitulé « Critical issues in psychiatric diagnosis », coordonné par Robert Spitzer et Donald Klein aux éditions également Raven Press [4]. Ce texte avait le même objectif que l’introduction à la classification diagnostique des troubles du sommeil et de l’éveil : clarifier et expliquer les choix décisifs fait par le comité pour délimiter et classifier les troubles afin de mieux identifier les principes directeurs permettant de déterminer quels états devaient être inclus dans la classification, quels états devaient être exclus, et comment ces états devraient être délimités et organisés. Nous avons d’ailleurs proposé récemment une traduction de cet article dans les Annales Médico Psychologiques [5].

Bien que n’en faisant pas référence explicitement dans l’introduction de la classification diagnostique des troubles du sommeil et de l’éveil, les travaux préparatoires du DSM-III et les travaux de l’« Association of Sleep Disorders Centers » et l’« Association for the Psychophysiological Study of Sleep » pour la classification diagnostique des troubles du sommeil et de l’éveil, ont pourtant nécessairement conduit à des échanges, puisque le DSM-III publié en 1980 et coordonnée par Robert Spitzer au service de l’« American Psychiatric Association », fut la première classification internationale reprenant de manière intégrale la classification diagnostique des troubles du sommeil et de l’éveil [3]. Les troubles du sommeil et de l’éveil sont d’ailleurs restés depuis une section à part entière des différentes évolutions du DSM (Tableau 1), montrant l’importante intrication entre troubles du sommeil et troubles psychiatriques, bien sûr au niveau clinique, épidémiologique, physiopathologique, thérapeutique et pronostique [6], mais aussi au niveau des enjeux de classification nosographique, médecine du sommeil et psychiatrie partageant des problématiques non propres à leur domaine, et présentent dans l’ensemble du champs médical [2], mais particulièrement explicitent dans ces deux spécialités.

Malgré l’absence de référence bibliographique et une possible faiblesse conceptuelle, le texte introductif d’Howard P. Roffwarg n’en reste pas moins exigeant et très pertinent sur les enjeux classificatoires en médecine. Nous proposons d’extraire et d’éclairer par une mise en perspectives notamment psychiatriques [6], les enjeux basés sur des dichotomies structurantes que l’on peut retrouver dans ce texte introductif et qui nous paraissent pertinent pour le débat nosographique actuel en médecine du sommeil. Ces enjeux sont les suivants :

  • le premier enjeu est la dichotomie fondant la définition d’un trouble entre un pôle « préjudice » (basé sur un jugement de valeur, normativiste, proche de la notion de détresse et de handicap) et un pôle « dysfonctionnel » (basé sur une approche factuelle, naturaliste, des mécanismes physiologiques) ;

  • le deuxième enjeu est la dichotomie des méthodes d’approches du marqueur objectif d’un trouble soit de type « simple » (basé en particulier sur une variable issue de la polysomnographie) ou de type « complexe » (basé sur une approche d’un ensemble de variables et de leurs relations entre elles et nécessitant des bases de données importantes) ;

  • le troisième enjeu est la dichotomie organisationnelle des troubles dans une classification suivant une approche de « regroupement » des troubles (« lumping ») ou suivant une approche de « scission » des troubles (« spliting ») ;

  • le quatrième enjeu est la dichotomie entre une approche de recherche basée primordialement sur la clinique ou une approche de recherche de type translationnelle (« bench to bedside »).

Le premier enjeu soulevé par l’introduction de la classification diagnostique des troubles du sommeil et de l’éveil est celle de la définition générale d’un trouble du sommeil et de l’éveil [1]. Cependant, cette introduction ne propose ni définition générale, ni critériologie précise, contrairement au DSM-III [3] et aux versions suivantes. Il n’en reste pas moins que l’introduction soulève un enjeu majeur de la définition d’un trouble en médecine. Ainsi l’introduction commence par un jugement très normatif : les troubles du sommeils sont « des facteurs importants de la détresse humaine » [1]. Pour rapidement ensuite proposer l’importance cruciale d’identifier de manière « naturalistique » les mécanismes physiologiques (« sous-jacentes ») des troubles du sommeil et de l’éveil. Cependant, il est ensuite souligné que la dichotomie primaire/secondaire basée sur l’étiologie reste difficile en médecine du sommeil car « dans pratiquement aucun trouble du sommeil les véritables causes étiologiques du tableau clinique sont connues. Par conséquent, l’utilisation du terme “primaire” est alors soit mal appliquée soit confusionnel et est peu utile dans les évaluations cliniques » [1]. Cet aller-retour entre une position basée sur les conséquences du trouble entraînant des « difficultés intimement vécues par les Hommes » [1] et une position basée sur l’étiologie des troubles, est en fait un élément structurant du débat sur les nosographies en médecine. Ainsi, Wakefiled, penseur central dans ce débat a soumis l’idée que « le trouble pathologique se situe à la frontière entre le monde naturel donné et le monde social construit ; il y a trouble pathologique dès lors que se produit, chez une personne, une défaillance de ses mécanismes internes à réaliser les fonctions pour lesquelles ils ont été façonnés par la nature, et que cette défaillance affecte de manière préjudiciable le bien-être de la personne tel qu’il est caractérisé par les valeurs et les considérations sociales. L’ordre qui est perturbé lorsque quelqu’un est atteint d’un trouble pathologique est donc à la fois biologique et social ; aucun de ces deux aspects n’est suffisant à lui seul pour justifier l’étiquette de trouble pathologique » p. 28 [7]. « Dysfonctionnement est un terme scientifique et factuel qui s’appuie sur la biologie évolutionniste et qui désigne l’échec d’un mécanisme interne à réaliser la fonction naturelle pour laquelle il a été façonné par l’évolution, et préjudiciable un terme qui connote un jugement de valeur quant aux conséquences qui affectent la personne à cause de ce dysfonctionnement, conséquences qui sont considérées comme négatives selon les normes socioculturelles en vigueur » p. 130 [7]. En clair, « un état est un trouble pathologique si est seulement si :

  • cet état produit un certain préjudice ou prive la personne d’un bénéfice au regard des attentes de la culture à laquelle elle appartient (critère évaluatif), et ;

  • cet état résulte d’une incapacité d’un certain mécanisme interne à réaliser sa fonction naturelle, où par fonction naturelle nous entendons un effet qui fait partie de l’explication évolutionniste de l’existence et de la structure du mécanisme en question (critère explicatif) » [7].

Ainsi, l’introduction de la classification des troubles du sommeil et de l’éveil définit clairement la fonction naturelle et les mécanismes principaux et centraux en médecine du sommeil : le système physiologique veille/sommeil [1]. Il définit aussi clairement le domaine des préjudices : celui des états liés à une perturbation de l’endormissement et de la continuité du sommeil (TECS) et liés à une somnolence excessive pathologique (SEP). L’enjeu de cette dichotomie définitoire des troubles entre un pôle « préjudice » et un pôle « dysfonctionnel » réside alors dans la manière de lier les répercussions sur les activités humaines (le handicap) et les mécanismes physiologiques [5], [8], [9]. Cette question imprègne en fond toute l’introduction de la classification des troubles du sommeil et de l’éveil.

Par ailleurs, décider de structurer la classification des troubles sur les TECS et les SEP, peut conduire à se demander s’il s’agit d’une classification des troubles ou d’une classification du fonctionnement et du handicap en médecine du sommeil. Il s’agit-là d’une ambiguïté que l’on retrouve dans le DSM. Le DSM-5 le souligne d’ailleurs dans son introduction [10]. « Dans le système élaboré par l’OMS, la Classification Internationale des Maladies (CIM) couvre tous les troubles et les maladies, tandis que la Classification Internationale du Fonctionnement, du Handicap et de la Santé (CIF), elle, propose une classification générale du handicap. (…) Toutefois, en l’absence de marqueurs biologiques clairs et de mesures cliniquement utiles pour apprécier la sévérité dans de nombreux troubles mentaux, il n’a pas été possible de séparer complètement les expressions symptomatiques normales et pathologiques contenues dans les critères diagnostiques » p. 23 [10].

La recherche des mécanismes est essentielle pour mieux relier les maladies aux mécanismes physiopathologiques sous-jacents [11], et participer au projet de médecine scientifique de Claude Bernard [12], mais ne doit pas faire oublier l’importance de prendre en compte également une évaluation rigoureuse de la clinique et des répercussions sur les activités lors de leur établissement.

Le second enjeu soulevé par l’introduction de la classification diagnostique des troubles du sommeil et de l’éveil est celle de la place d’un marqueur objectif (ou d’un ensemble de marqueurs) dans la délimitation des différents troubles du sommeil et de l’éveil [1]. Cette introduction souligne clairement que la polysomnographie est l’outil d’exploration centrale en médecine du sommeil mais que la classification ne pourra pas se fonder sur elle, ou uniquement sur elle, pour classer les troubles du sommeil et de l’éveil. « Le comité aurait préféré utiliser les paramètres polysomnographiques, qui ont été si éclairant pour la compréhension des troubles du sommeil, comme un outil de classification (semblable à la classification des maladies cardiologiques selon les résultats électrocardiographiques). Cependant, à l’exception de certains critères dans quelques troubles, la polysomnographie ne semble pas suffisamment spécifique pour être un différenciateur diagnostique » [1]. L’enjeu est alors de savoir si la polysomnographie et des variables « simples » issues de cet examen suffira pour être la base d’une classification pertinentes (pour la clinique, le pronostique et la thérapeutique) des troubles du sommeil et de l’éveil. Cela fait écho aux enjeux de phénotypage en médecine du sommeil qui consiste à essayer de définir des « phénotypes » de sous-type de maladie sur la base d’« endotype », qui serait identifié en clinique par un marqueur objectif (ou un ensemble de marqueurs) [13]. Chaque endotype représentant idéalement « une histoire naturelle unificatrice et cohérente, des caractéristiques cliniques et physiologiques, une pathophysiologie sous-jacente avec des biomarqueurs et une génétique identifiables et une réponse prévisible aux thérapies générales et spécifiques qui ont un impact sur le pronostic des patients » [13]. L’objectif étant d’identifier de manière plus précise à la fois les mécanismes dysfonctionnels physiologiques des troubles afin de proposer une thérapeutique adaptée à ceux-ci, et les sous-types de trouble marqué par un pronostique particulièrement sévère si aucune prise en charge n’est mise en place [11]. Le constat fait dans l’introduction de la classification diagnostique des troubles du sommeil et de l’éveil est cependant étonnamment encore valable [1], sauf pour la narcolepsie de type 1 définit désormais sur un endotype spécifique : le déficit en hypocretine [11]. C’est le cas notamment pour le syndrome d’apnées obstructives du sommeil (SAOS) [13]. Ainsi il a été souligné récemment que « les catégorisations actuelles des patients avec SAOS, n’ont pas encore atteint le statut de définition de l’endotype » [13]. Pour autant comme le propose l’introduction, le recueil systématique de données cliniques et issues d’explorations fonctionnelles neurophysiologiques ou biologiques, ainsi que la constitution de base de données importantes est indispensable. Au lieu d’identifier un endotype avec un mécanisme physiopathologique claire, l’objectif de ces analyses fondées sur les bases de données importantes est plutôt l’identification d’une combinaison complexes de caractéristiques de la maladie afin de définir « une catégorie de patients avec SAOS se distinguant des autres par un seul ou une combinaison de caractéristiques de la maladie, en relation avec des attributs cliniquement significatifs (symptômes, réponse à la thérapie, résultats de santé, qualité de vie) » [13]. Ce type de recherche avant tout clinique et pragmatique permet l’identification de phénotype utile [14], [15], et soulève l’enjeu de la transdisciplinarité propre à l’approche somnologique [11]. Bien que cliniquement pertinent, ce type de recherche ne doit pas faire sous-estimer la nécessité de recherche également centrée sur l’identification des mécanismes dysfonctionnels [5], [11], [12], ceux-ci étant essentiels pour une perspective unificatrice et compréhensive physiologique.

Le troisième enjeu soulevé par l’introduction de la classification diagnostique des troubles du sommeil et de l’éveil est celle de la logique organisatrice de la classification. L’introduction souligne la nécessité de regroupement des entités cliniques et non pas seulement la réalisation d’une liste de troubles [1]. « Il existe des difficultés à ne pas distinguer les TECS et les somnolences excessives pathologiques (SEP). Une difficulté importante est que (…) la classification consiste alors seulement en une liste de troubles et non en un système nosologique organisée et hiérarchisée » [1]. Ainsi d’une certaine façon, la classification se situe entre une approche de regroupement des troubles (« lumping ») et une approche de scission des troubles (« spliting »). Ces deux approches proviennent d’une dichotomie proposée par Darwin dans une lettre à Hooker en 1857 (« It is good to have hair-Splitters & Lumpers ») [16]. D’une certaine façon « Lumpers » et « Splitters » se retrouvent dans toute discipline qui cherchent à catégoriser et à organiser des entités dans une classification. Un « Lumper » soutien une approche inclusive assez large de nombreux sous-type, persuadé que les différences ne sont pas aussi fortes que les similitudes. Un « Splitter » soutient une approche plus précise des catégories, persuadé qu’il est important de créer des nouvelles catégories pour classer chaque sous-type de manière spécifique [2], [17] (Fig. 1).

Le choix organisationnel d’une classification entre regroupement (« lumping ») et scission (« splitting ») est un enjeu central dans la nosographie moderne [18], [19], [20]. Le choix entre ces deux modalités d’arrangement dépend certainement du niveau d’analyse auquel on positionne la classification : clinique, physiologique, pronostique, thérapeutique. Cette dichotomie implicite dans l’introduction de la classification des troubles du sommeil et de l’éveil irrigue cependant encore les classifications internationales. Ainsi, il est intéressante de noter que l’ICSD 3 a choisi une stratégie de regroupement (« lumping ») pour les troubles insomnies, comme le DSM-5, mais une stratégie de séparation (« splitting ») pour les troubles hypersomnolences, à la différence du DSM-5 qui a choisi une stratégie de regroupement (à part pour les narcolepsies). Il est difficile de trancher entre les deux logiques. La position du milieu (appelé « Fence-straddler ») consiste surtout à garder à l’esprit que « Lumpers » et « Splitters » ne peuvent se justifier sur des bases purement physiologiques et que les aspects pratiques de la clinique orientés vers le diagnostic, la thérapeutique et le pronostic sont des éléments essentielles dans la définition et l’organisation des troubles en médecine [5]. Cette position est en particulièrement soutenue par Engelhardt sur la notion de maladie [21]. Celui-ci souligne en effet que l’approche médicale consiste à introduire au sein des symptômes et signes cliniques une « substructure nomologique » (de lois qui président aux phénomènes naturels) guidée par la nécessité diagnostique, pronostique, et thérapeutique de l’exercice médical socialement et historiquement situé. « Les maladies existent donc, mais comme des agencements explicatifs, et non comme des choses en soi ou comme des types eidétiques de phénomènes » p. 50 [21]. L’agencement des catégories nosographiques serait alors fondamentalement déterminé par des choix pragmatiques régulés par le but d’expliquer, prédire et contrôler les troubles, comme le souligne l’introduction de la classification diagnostique des troubles du sommeil et de l’éveil [1]. Il faut alors souligner que la substructure nomologique doit être considérée comme un niveau réduit du savoir physiologique, mais réduit dans la mesure où justement cette structure est contrainte par les exigences pragmatiques de l’exercice médical. Il s’agit donc d’une réduction structurante, qui ne conduit pas à simplifier le réel complexe dans lequel se met en œuvre le savoir médical, mais à tenir compte de manière intégrée des aspects sociaux, en plus des aspects physiologiques et physiopathologiques qui restent essentiels, au sein desquels se mettent en place l’exercice d’une discipline médicale comme la somnologie.

Enfin, le quatrième enjeu soulevé par l’introduction est le sens de la recherche en médecine du sommeil. Comme dans les discussions pour l’élaboration du DSM-III [5], l’introduction de la classification diagnostique des troubles du sommeil et de l’éveil [1] considère que la première étape de la médecine scientifique est l’examen clinique des patients, qu’il s’agit d’améliorer. Les classifications diagnostiques sont provisoires, et « le comité estime que toutes les troubles décrits dans la classification doivent conduire à une évaluation de leur validité, au moins dans leur forme actuelle ; même si certaines de ces évaluations ne seront que confirmatoires. Cependant, une approche diagnostique approximative est mieux qu’aucun diagnostic, en particulier quand on en a besoin. Le diagnostic approximatif fournit également une base sur laquelle des résultats supplémentaires pourront être confrontés, permettant un processus qui conduit souvent à un affinement éventuel de la catégorie diagnostique. De cette façon, le système de classification contribue à sa propre amélioration en même temps qu’il permet une meilleure recherche sur les fondements biologiques des troubles ». Il s’agit donc d’une démarche de recherche partant de la sémiologie clinique pour aboutir à une validation des entités diagnostiques ainsi définit. Ainsi l’introduction de postuler « si les critères diagnostiques consensuels ne sont pas en accord avec les caractéristiques pathologiques apparaissant dans la nature, la nature nous le fera savoir ». L’introduction de la classification diagnostique des troubles du sommeil et de l’éveil [1] ne propose cependant pas de liste précise de validateurs qui été par contre discutée dans la littérature psychiatrique, pour revue voir : [2]. Il faut distinguer ici deux concepts : la fiabilité et la validité. La fiabilité fait référence au degré de désaccord entre les cliniciens sur un diagnostic ; à coup sur la classification diagnostique des troubles du sommeil et de l’éveil [1] a été une première étape dans l’amélioration de la fiabilité du diagnostic en somnologie. La validité fait référence au degré d’association entre un trouble et un mécanisme physiopathologique sous-jacent. Spitzer et Endicott (1978) avaient identifié les validateurs suivants : sémiologie clinique ; évolution clinique ; réponse traitement ; incidence familiale ; étiologie [4]. L’introduction du DSM-5, soulignait de manière intéressante qu’« en lien avec les recommandations qui ont été faites pour modifier la structure des chapitres du DSM-5, les membres du groupe chargés de l’étude des spectres diagnostiques ont examiné si des validateurs scientifiques étaient susceptibles de justifier de nouveaux regroupements possibles de troubles associés au sein de la structure catégorielle existante. Onze de ces indicateurs ont été définis pour remplir ce but (…). Ces indicateurs ont été utilisés par les membres de la Task Force et des groupes de travail comme autant de règles empiriques pour aider à la prise de décision quant à la meilleure manière de regrouper les troubles, tout en maximisant leur validité et leur utilité clinique : le fait de partager des substrats neuronaux ; les traits familiaux ; les facteurs de risque génétiques ; les facteurs spécifiques de risque environnemental ; les biomarqueurs ; les antécédents au niveau du tempérament ; la présence d’anomalies dans le fonctionnement émotionnel ou cognitif ; la similarité symptomatique ; l’évolution de la maladie ; le haut degré de comorbidité ; la similarité dans la réponse au traitement » p. 13 [10].

Fonder une classification des troubles primordialement sur la clinique peut cependant être questionnée. Et en psychiatrie, améliorer la fiabilité du diagnostic n’a pas permis d’améliorer sa validité [22]. Ainsi, le projet récent des Research Domain Criteria (RDoC) a eu pour objectif de créer de nouvelles façons de classer les troubles mentaux basés sur des mécanismes physiologiques sous-jacents. Ces RDoC ont été développés à l’Institut national de santé mentale (NIMH) avec l’idée d’aboutir, dans le cadre d’une recherche translationnelle, à un classement nosographique plus proche des mécanismes physiopathologiques sous-jacents des troubles psychiatriques, pour revue voir : [2], [5].

L’originalité du projet des RDoC a été de renverser le rapport entre clinique et physiologie. Aragona (2015) a clairement mis en évidence ce point. « Le DSM-III néo-kraepelinien et le DSM-5 sont tous deux fondés sur la même hypothèse de validité : les descriptions cliniques provisoires (…) seront pleinement validées lorsque certains facteurs neurobiologiques spécifiques seront “découverts” confirmant que la description clinique correspond bien à une maladie neurobiologique. (…) Le projet RDoC, considéré comme l’approche étiopathogénique la plus prometteuse dans les débats actuels, partage avec les autres approches étiopathogéniques un tournant révolutionnaire. Alors que dans l’approche néo-Kraepelinienne, la recherche de validation devrait passer du trouble défini de façon clinique à la découverte de leur étiologie, dans les approches étiopathogéniques, la direction devrait provenir de dysfonctionnements “subpersonnels” (gènes, processus cérébraux ou mécanismes cognitifs) à l’image clinique qui en résulte. (…) [Ces deux modèles] considèrent les pathologies mentales comme des entités biomédicales résultant d’un dysfonctionnement des processus physiologiques ; par conséquent, la différence est juste dans la direction de l’entreprise de découverte, à savoir du syndrome à la physiopathologie sous-jacente dans les DSM, de la physiopathologie aux syndromes résultants dans les approches étiopathogéniques » p. 39–40 [23].

Ainsi, l’introduction à la classification diagnostique des troubles du sommeil et de l’éveil [1] permet de questionner la possibilité d’une inversion du rapport entre clinique et mécanisme physiopathologiques dans les classifications futures [11], comme ce qui a été proposé en psychiatrie par le passage de la logique du DSM à la logique des RDoC [2]. À ce titre l’ICSD-3 reste dans un entre deux, certaines maladies étant classé sur la base des mécanismes (comme la narcolepsie de type 1) et d’autre purement sur la base de la clinique (comme les troubles insomnies).

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La classification de 1979

Le DSM-III a été traduit et publié en Français en 1986 sous la coordination générale de Pierre Pichot (pour les traductions française, italienne et espagnole) et la coordination de Julien Daniel Guelfi (plus spécifiquement pour la traduction française1). L’annexe E du DSM-III reproduisait intégralement le

Traduction de l’introduction à la classification diagnostique des troubles du sommeil et de l’éveil de 19792

Les perturbations du sommeil et un éveil inadéquat sont des facteurs importants de détresse humaine. De nombreuses personnes ont leurs chances d’avoir un fonctionnement social adéquat, une vie de famille gratifiante et une réussite dans le travail réduites par des symptômes liés à des troubles du sommeil et de l’éveil. L’impulsion pour le développement de cette classification diagnostique des troubles du sommeil et de l’éveil fait suite aux nombreuses années où les plaintes du sommeil des

Déclaration de liens d’intérêts

Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.

Références (23)

  • C.L. Bassetti et al.

    Neurology and psychiatry: waking up to opportunities of sleep. State of the art and clinical/research priorities for the next decade

    Eur J Neurol

    (2015)
  • Cited by (1)

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