Article original/Original article
Comment ce que disent les patients peut nous renseigner sur leurs crises non épileptiques psychogènesWhat the patient's history tells us about their nonepileptic seizures

https://doi.org/10.1016/j.neucli.2013.09.002Get rights and content

Résumé

L’étiologie des crises non épileptiques « psychogènes » (CNEP) reste mal comprise et le diagnostic différentiel avec les crises épileptiques est parfois difficile. Dans la première partie de cet article de revue, nous décrivons des pistes récentes pour comprendre les fondements neurobiologiques des CNEP. Ainsi des études démontrent l’importance des anomalies de la régulation des émotions chez les patients souffrant de CNEP. Ces anomalies ont été mises en évidence par des études sur entretien des vécus des patients et des études neuropsychologiques des processus cognitifs préconscients. Ces études montrent que les CNEP ne seraient pas les seules manifestations du trouble mental chez ces patients, en effet un évitement excessif des situations de menace sociale et une dysrégulation des processus émotionnels seraient également présents en dehors des crises et peuvent donc contribuer au handicap au-delà des crises elles-mêmes. Dans la seconde partie de cette revue, nous décrivons les résultats d’études qui ont examiné les différences entre les comportements communicationnels des patients souffrant de CNEP et ceux souffrant d’épilepsie. Bien que ces études soient initialement destinées à aider les cliniciens pour le diagnostic différentiel entre les CNEP et l’épilepsie, nous proposons que l’analyse sociolinguistique des transcriptions des patients décrivant leurs maladies puisse aussi fournir des indices sur l’étiologie des CNEP. Dans la troisième et dernière partie de cette revue, nous proposons une lecture précise des transcriptions d’un entretien particulier entre une patiente souffrant de CNEP et son médecin, et nous verrons que la façon dont les patients parlent d’eux-mêmes et de leur maladie, peut probablement donner des indices sur les causes des CNEP dans chaque cas particulier.

Summary

The aetiology of “psychogenic” non-epileptic seizures (NES) remains poorly understood and the differentiation of NES from epilepsy can be a difficult. In the first part of this review article we focus on recent insights into the neurobiological underpinnings of NES. We summarise a number of studies demonstrating the importance of abnormalities of emotion regulation in patients with NES. Evidence for abnormal emotion regulation comes from both self-report and experimental studies of pre-conscious cognitive processes. These studies show that NES are not the only manifestation of abnormal mental processing in these patients and that excessive social threat avoidance and emotional dysregulation are also evident between seizures and may therefore contribute to disability beyond the seizures themselves. In the second part of this review, we describe the findings of a number of studies, which have examined differences between the communication behaviour of patients with NES and those with epilepsy. We argue, that, whilst these studies initially aimed to help clinicians with the differential diagnosis of NES and epilepsy, close sociolinguistic analysis of patient's talk can also provide clues about the aetiology of NES. We conclude that the interaction of patient with NES with the doctor can be interpreted as a manifestation of avoidance and a demonstration of helplessness perhaps intended to secure active support from the doctor. In the third part of this review, we suggest that a close reading of a transcript of the interaction between a patient with NES and her doctor (and perhaps attentive listening to how patients’ talk about themselves and their disorder) can yield clues to the causes of NES in individual cases.

Introduction

Les crises non épileptiques psychogènes (CNEP) peuvent ressembler à des crises épileptiques mais ne sont pas associées à une activité électrique anormale « épileptiforme » dans le cerveau. D’une manière générale, ce sont des épisodes paroxystiques de perte de conscience associée à des symptômes et des signes variés, depuis des manifestations motrices et sensorielles, jusqu’à des manifestations psychologiques et comportementales anormales [30]. La grande majorité des CNEP sont considérées comme échappant au contrôle volontaire. Dans le DSM-IV, elles font partie des « troubles somatoformes » et sont plus précisément dénommées « troubles de conversion avec crises épileptiques ou convulsions », ce qui constitue une appellation ambiguë et génératrice de confusion, puisqu’il ne s’agit justement pas de crises épileptiques [1]. Dans la CIM-10, les CNEP font partie des troubles dissociatifs [51], ce qui peut les rapprocher d’un équivalent d’un syndrome de répétition traumatique caractérisé par un trouble dissociatif récurrent [2], [3]. Pour une mise au point en français sur les troubles dissociatifs, voir [22]. Les CNEP ne sont pas des troubles factices [1], [51].

L’étiologie des CNEP est complexe. Aucun facteur étiologique nécessaire et suffisant n’a été identifié. Bien qu’il existe des facteurs communs, de très nombreux facteurs de risques peuvent, chez un patient donné, prédisposer à l’apparition de CNEP, déclencher la première crise et entretenir le trouble après la première crise [9], [35]. Il existe cependant des facteurs de risque plus fréquemment associés aux CNEP, à savoir, parmi les facteurs prédisposants, l’abus sexuel dans l’enfance et, parmi les facteurs déclencheurs, une maladie intercurrente entraînant une expérience de perte de conscience ou de contrôle de soi [10].

Suite aux développements récents, dans tous les domaines de la médecine, de notre compréhension des liens intimes et bidirectionnels entre le bien-être physique, les émotions et l’expérience subjective [23], on peut raisonnablement considérer que la division dualiste entre les maladies du corps « somatiques » et les troubles mentaux « psychiatriques » est maintenant dépassée [17]. La pensée dualiste est remplacée par un modèle biopsychosocial qui postule que les expériences que fait un sujet entraînent des changements physiques dans son cerveau modifiant en retour ses expériences futures ainsi que ses relations avec les autres [31]. Le fait que le traitement des CNEP, en l’absence de comorbidité dépressive ou anxieuse, relève davantage d’approches « psychologiques » (psychothérapies) que « somatiques » (médicaments) ne signifie évidemment pas que ces troubles n’ont pas de bases « physiques » dans le cerveau [32]. Effectivement, bien que leur étiologie reste largement inconnue, les CNEP sont très probablement associées à des modifications neurobiologiques.

Cet article sera divisé en trois parties :

  • sa 1re partie résume un certain nombre d’études qui ont fourni de nouvelles connaissances sur les fondements neurobiologiques des CNEP, complétant en français notre dernière revue de 2009 [31] ;

  • sa 2e partie décrit les conclusions des études dans lesquelles des techniques sociolinguistiques microanalytiques [46], [16], [49], [41], [18] ont été utilisées pour décrire et analyser le comportement communicationnel des patients souffrant de CNEP au cours d’entretiens médicaux portant sur leurs crises. Nous allons montrer que, bien que ces études aient été initialement déployées pour aider au diagnostic différentiel entre les CNEP et l’épilepsie, les différences en termes de caractéristiques interactionnelles, linguistiques et de contenus catégoriels trouvées entre les deux troubles nous informent également sur les facteurs mis en jeux dans les CNEP ;

  • dans la 3e partie de cet article, nous utiliserons les transcriptions d’une première consultation entre un patient et un neurologue pour illustrer le fait que l’analyse des caractéristiques interactionnelles, linguistiques et des contenus catégoriels propres à la façon de parler de ses crises pour un patient donné peuvent aider le médecin ou le thérapeute à comprendre les CNEP d’un patient individuel. L’idée selon laquelle l’analyse approfondie du langage et de sa dynamique interactionnelle pourrait ouvrir une fenêtre sur les processus psychodynamiques n’est d’ailleurs pas nouvelle et a déjà été utilisée chez des patients présentant d’autres « troubles mentaux » [15], [11].

Section snippets

Partie 1 : données récentes concernant la compréhension biopsychosociale des CNEP

Plusieurs études ont montré que les patients souffrant de CNEP présentent des modifications du traitement cognitif des émotions. Prigatano et Kirlin ont ainsi montré que les patients souffrant de CNEP avaient une performance moins bonne que celle des patients souffrant d’épilepsie pour les tâches de perception et d’expression des émotions, tandis qu’il n’y avait pas de différences significatives entre les performances de ces deux groupes de patients à d’autres tests neuropsychologiques [29].

Premières études

Devant les difficultés que représente la nécessité d’un diagnostic rapide et précis de CNEP [33] et les réflexions cliniques de certains neurologues indiquant que les entretiens avec des patients souffrant de CNEP sont parfois plus difficiles qu’avec les patients souffrant d’épilepsie, un groupe de recherche multidisciplinaire de l’université de Bielefeld et du Bethel Epilepsy Center en Allemagne a cherché à savoir si l’analyse linguistique approfondie des entretiens cliniques entre les

La signification des observations sociolinguistiques chez une patiente : « Sue »

Les études linguistiques ne fournissent pas seulement des indices sur l’étiologie des CNEP en général, mais peuvent aussi nous aider à comprendre les CNEP chez un patient particulier. Nous avions notamment montré dans une étude de cas comparant un entretien d’un patient souffrant d’épilepsie avec celui d’un patient souffrant de CNEP, comment le comportement interactionnel du patient avec CNEP est caractérisé par un certain évitement tout au long de son entretien avec le médecin [24]. Dans cet

Conclusion

Les CNEP sont un trouble sémiologiquement et étiologiquement hétérogène [31], elles sont caractérisées par quelques grands sous-groupes différents [37], [50]. Les recherches récentes par entretiens sur les vécus des patients et des recherches plus expérimentales ont permis d’augmenter nos connaissances sur les CNEP. Ainsi, les CNEP seraient souvent associées à des anomalies de la régulation émotionnelle qui seraient probablement une dimension importante pour expliquer le déclenchement d’une

Déclaration d’intérêts

Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

Remerciements

Nous remercions Ulrich Krafft pour son aide lors de la préparation du manuscrit et le Dr. Martin Schöndienst pour sa contribution à l’interprétation linguistique.

Références (51)

  • M. Reuber

    Psychogenic nonepileptic seizures: answers and questions

    Epilepsy Behav

    (2008)
  • M. Reuber

    The etiology of psychogenic non-epileptic seizures: toward a biopsychosocial model

    Neurol Clin

    (2009)
  • M. Reuber et al.

    Non-epileptic seizures and other functional neurological symptoms: predisposing, precipitating and perpetuating factors

    Psychosomatics

    (2007)
  • M. Reuber et al.

    Using Conversation Analysis to distinguish between epilepsy and non-epileptic seizures: a prospective blinded multirater study

    Epilepsy Behav

    (2009)
  • N.A. Roberts et al.

    Emotion in psychogenic nonepileptic seizures: responses to affective pictures

    Epilepsy Behav

    (2012)
  • C. Robson et al.

    Catastrophising and normalising in patient's accounts of their seizure experiences

    Seizure

    (2012)
  • A.K. Rosenstiel et al.

    The use of coping strategies in chronic low back pain patients: relationship to patient characteristics and current adjustment

    Pain

    (1983)
  • M. Schwabe et al.

    Differential diagnosis of seizure disorders: a conversation analytic approach

    Soc Sci Med

    (2007)
  • A.A. Uliaszek et al.

    Emotion regulation profiles in psychogenic non-epileptic seizures

    Epilepsy Behav

    (2012)
  • American Psychiatric Association

    Diagnostic and statistical manual of mental disorder, 4th ed, text revision (DSM-IV-TR)

    (2000)
  • P. Bakvis et al.

    Trauma, stress and preconscious threat processing in patients with psychogenic non-epileptic seizures

    Epilepsia

    (2009)
  • P. Bakvis et al.

    Basal hypercortisolism and trauma in patients with psychogenic nonepileptic seizures

    Epilepsia

    (2010)
  • R. Bayer et al.

    Neurosis, psychodynamics and DSM-III: a history of controversy

    Arch Gen Psychiatry

    (1985)
  • E.S. Bowman et al.

    Psychodynamics and psychiatric diagnoses of pseudoseizure subjects

    Am J Psychiatry

    (1996)
  • E.S. Bowman et al.

    The contribution of life events to pseudoseizure occurrence in adults

    Bull Menninger Clin

    (1999)
  • Cited by (15)

    • Toward a « narrative neurology »

      2022, Pratique Neurologique - FMC
    • Psychogenic non-epileptic seizures: Chronology of multidisciplinary team approach to diagnosis and management

      2022, Revue Neurologique
      Citation Excerpt :

      Generally speaking, alteration of consciousness in PNES mainly reflects content of consciousness with globally preserved level of consciousness [45]. Patients’ narrative descriptions of PNES have been shown to differ from descriptions of epileptic seizures: patients with PNES more often describe their seizure as a “place where they go” and cannot easily come back from [46]. Whatever the nature of alteration of consciousness in PNES, it appears to play a protective role against overwhelming emotions and explaining this process to the patient can help them understand the experience of their seizures.

    • Differentiating PNES from epileptic seizures using conversational analysis on French patients: A prospective blinded study

      2020, Epilepsy and Behavior
      Citation Excerpt :

      The terms “crise” (seizure), “trou noir” (memory lapse), and “malaise” (blackout) were counted in a patient's interview [8,14]. Raters also quantified metaphors used by patients to describe their seizures and classified them according to three previously established categories: “the seizure is an AGENT/FORCE”, “the seizure is an EVENT/SITUATION”, and “the seizure is a PLACE/SPACE” [8,15–17]. This study was validated by the clinical research support ethics group (ERERC, Espace de Réflexion Ethique Région Centre-Val de Loire, France).

    View all citing articles on Scopus
    View full text