Mise au point
Mésusage et dépendance aux opioïdes de prescription : prévention, repérage et prise en chargeMisuse and dependence on prescription opioids: Prevention, identification and treatment

https://doi.org/10.1016/j.revmed.2016.12.024Get rights and content

Résumé

Depuis les années 1990, l’utilisation des opioïdes de prescription s’est largement répandu, apportant un réel progrès dans le traitement de la douleur. La poursuite au long cours de ces traitements est parfois nécessaire, ce qui aboutit alors fréquemment à des phénomènes de tolérance pharmacologique et à un risque de symptômes de sevrage, encore appelés dépendance pharmacologique aux opioïdes de prescription. Plus rarement, on observe la survenue d’un mésusage aux opioïdes de prescription (MOP), c’est-à-dire une utilisation inadaptée des doses et de l’effet recherché du médicament. Le MOP survient préférentiellement chez des sujets prédisposés : sujets jeunes, avec antécédents addictologiques et psychiatriques, en particulier troubles anxio-dépressifs, sujets jeunes. La survenue d’un MOP expose à de nombreuses complications, en particulier un risque accru de décès par surdosage. La prévention d’un MOP démarre avant même l’initiation du traitement antalgique opioïde, par le repérage des facteurs de risque. Une surveillance planifiée et personnalisée doit être systématique, avec contractualisation de la prescription chez les patients à risque. Les principes fondamentaux du suivi incluent la reconsidération régulière de la prescription selon le bénéfice antalgique observé et les comportements de MOP éventuellement présents. Les situations potentielles de MOP doivent être orientées précocement vers un centre de la douleur et/ou un centre d’addictologie. La prise en charge d’un MOP repose sur des stratégies multidisciplinaires : réadaptation des médicaments antalgiques, arrêt progressif, mesures non-médicamenteuses contre la douleur, prise en charge des comorbidités psychiatriques, voire relais par buprénorphine ou méthadone.

Abstract

Since the 1990s, the use of prescription opioids has largely spread, which has brought a real progress in the treatment of pain. The long-term use of prescription opioid is sometimes required, and may lead to pharmacological tolerance and withdrawal symptoms, i.e. pharmacological dependence on prescription opioids. Occasionally, this may also lead to misuse of prescription opioids (MPO). MPO preferentially occurs in vulnerable individuals, i.e., those with a young age, history of other addictive or psychiatric disorders, especially anxious and depressive disorders. MPO is associated with numerous complications, including an increased risk of fatal overdose. Prevention of MPO begins before the opioid prescription, with the identification of potential vulnerability factors. A planned and personalized monitoring should be systematically implemented. In vulnerable patients, contractualizing the prescription is warranted. During follow-up, the relevance of the prescription should be regularly reconsidered, according to the benefit observed on pain and the potential underlying signs of MPO. Patients with suspected MPO should be referred early to pain or addiction centers. The treatment of MPO should be based on multidisciplinary strategies, involving both the addiction and pain aspects: progressive opioid withdrawal, non-pharmacological measures against pain, or switching to medication-assisted treatment of addiction (i.e., buprenorphine or methadone).

Section snippets

Introduction et définitions

L’usage prolongé de certains médicaments du système nerveux central peut aboutir à deux principaux types de complications addictologiques, que nous désignerons ici sous les termes de « mésusage » et de « dépendance ». Le terme de mésusage désigne un comportement d’utilisation inappropriée du médicament par le sujet [1], ce qui l’expose à des répercussions potentielles sur le plan social, psychologique ou physique [2]. Par contraste, ce qui dans cet article sera désigné sous le terme de

Mésusage des opioïdes de prescription : vers une nouvelle « épidémie » ?

Les opioïdes constituent un ensemble hétérogène de molécules agissant sur le système de neurotransmission du même nom, impliqué notamment dans la régulation de la douleur [11]. Historiquement, les premiers cas de mésusage et de dépendance aux opioïdes ont été la conséquence de l’utilisation médicale extensive de l’opium à partir du XVIIIe siècle [12]. Avant de devenir une substance illégale, l’héroïne, dérivé de la morphine, eut également une courte carrière de médicament, et les premiers cas

Principes de prevention et de reperage

La prévention et le repérage des situations de MOP et/ou DOP sont deux phases indissociables dans la pratique clinique. Le repérage commence en effet avant la prescription, par l’individualisation de facteurs de risque spécifiques de MOP et par l’information du patient sur la possibilité de survenue de manifestation de DOP. Une prévention personnalisée devra systématiquement découler de la mise en évidence d’éventuels facteurs de risque lors de l’initiation du traitement. L’ensemble de ces

Situation de DOP isolée

Le développement d’une DOP est inhérent à tout traitement prolongé par opioïdes, et comme préalablement spécifié, peut survenir chez tout sujet. En conséquence, la survenue d’une DOP isolée, sans critère de MOP et sans facteur de risque associé, doit faire poser la question de la durée du traitement antalgique, mais ne constitue pas en soi un problème de nature addictologique (Fig. 1).

S’il n’existe pas de douleur résiduelle, il est possible que le traitement opioïde ait été laissé plus

Conclusion

L’objectif de cette mise au point était de proposer une synthèse sur la prévention, le repérage, l’évaluation et la prise en charge des situations de MOP et DOP, écrite conjointement par des spécialistes de la douleur et des spécialistes des addictions. Ces situations constituent une problématique large qui concerne aussi bien les soins primaires que les centres spécialisés, et impliquent des disciplines qui sont encore insuffisamment coordonnées entre elles en France.

La diversité des

Déclaration de liens d’intérêts

Benjamin Rolland déclare avoir des liens d’intérêt avec Indivior et Bouchara Recordati. Jérôme Bachellier déclare avoir des liens d’intérêt avec Indivior, Shire, Jansen et Bouchara Recordati. Maurice Dematteis déclare avoir des liens d’intérêt avec les laboratoires Indivior, Bouchara-Recordati et Éthypharm. Didier Bouhassira, Serge Perrot, Raymund Schwan, Pierre Polomeni et Philippe Lack déclarent avoir des liens d’intérêt avec Indivior. Marc Auriacombe ne signale pas de liens d’intérêts ad

Références (51)

  • S.F. Butler et al.

    Validation of the revised screener and opioid assessment for patients with pain (SOAPP-R)

    J Pain

    (2008)
  • K.E. Dunn et al.

    The association between outpatient buprenorphine detoxification duration and clinical treatment outcomes: a review

    Drug Alcohol Depend

    (2011)
  • Substance Abuse and Mental Health Services Administration (SAMHSA). Prescription Drug Misuse and Abuse....
  • A. Casati et al.

    Misuse of medicines in the European Union: a systematic review of the literature

    Eur Addict Res

    (2012)
  • Biological research on addiction: comprehensive addictive behaviors disorders

    (2013)
  • D.S. Hasin et al.

    DSM-5 criteria for substance use disorders: recommendations and rationale

    Am J Psychiatry

    (2013)
  • K. Janhsen et al.

    The problems of long-term treatment with benzodiazepines and related substances

    Dtsch Ärztebl Int

    (2015)
  • B. Fischer et al.

    Prescription opioid related misuse, harms, diversion and interventions in Canada: a review

    Pain Physician

    (2012)
  • L. Manthey et al.

    Correlates of benzodiazepine dependence in the Netherlands study of depression and anxiety

    Addiction

    (2012)
  • R.C. Dart et al.

    Trends in opioid analgesic abuse and mortality in the United States

    N Engl J Med

    (2015)
  • R. Al-Hasani et al.

    Molecular mechanisms of opioid receptor-dependent signaling and behavior

    Anesthesiology

    (2011)
  • D.T. Courtwright

    Dark Paradise: a history of opiate addiction in America

    (2009)
  • Haute Autorité de Santé

    Stratégies thérapeutiques pour les personnes dépendantes des opiacés : place des traitements de substitution

    (2004)
  • K.S. Barth et al.

    Pain and motives for use among non-treatment seeking individuals with prescription opioid dependence

    Am J Addict

    (2013)
  • Pain Policy Studies Group

    Opioid consumption maps: morphine, mg/capita

    (2014)
  • Cited by (0)

    View full text