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THOMAS D'AQUIN LECTEUR CRITIQUE DU GRAND COMMENTAIRE D'AVERROÈS À PHYS. I, 11

Published online by Cambridge University Press:  23 September 2009

CRISTINA CERAMI
Affiliation:
Centre d'histoire des sciences et des philosophies arabes et médiévales, UMR 7062, CNRS, 7 rue Guy Môquet, 94801 Villejuif Cedex Email: cristinacerami@hotmail.com

Abstract

The present article aims to provide a reconstruction of the interpretation offered by Thomas Aquinas of the cognitive process described at the beginning of Aristotle's Physics and of his criticism of Averroes' interpretation. It expounds to this end the exegesis of ancient Greek commentators who opened the debate on this question; then, it puts forward a reconstruction of Aquinas' doctrine by means of other texts of his corpus, as well as an explanation of his criticism of Averroes' exegesis; it finally reconstructs Averroes' interpretation worked out in his Great Commentary to Phys. I, 1, in order to show that Aquinas' disapproval is partly due to an incorrect interpretation of Averroes' divisio textus of Phys. I, 1. It suggests as well that, concerning some fundamental points, Aquinas' exegesis doesn't diverge from the interpretation proposed by Averroes.

Résumé

Le présent article tâche de reconstruire l'interprétation que Thomas propose du processus cognitif décrit au début de la Physique d'Aristote, ainsi que sa critique de l'interprétation proposée par Averroès de ce même texte. Il présente dans ce but les exégèses des commentateurs grecs de l'antiquité tardive qui ont ouvert le débat sur la question; il reconstruit, ensuite, la doctrine de Thomas à l'aide d'autres textes de son corpus, ainsi que sa critique de l'exégèse attribuée à Averroès; il restitue enfin l'interprétation que ce dernier expose dans son Grand Commentaire à Phys. I, 1, dans le but de montrer que les critiques que Thomas lui adresse découlent, au moins en partie, d'une mauvaise interprétation de la divisio textus qu'Averroès offre de Phys. I, 1. Il suggère aussi que sur certains points essentiels l'exégèse de Thomas ne s'écarte pas de la lecture proposée par Averroès.

Type
Research Article
Copyright
Copyright © Cambridge University Press 2009

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References

2 An. Post. II, 19, 100b3–4.

3 An. Post. I, 2, 72a 1–5: “J'appelle antérieur et mieux connu pour nous ce qui est plus proche de la perception, alors que ce qui est antérieur et mieux connu absolument en est plus éloigné. Or ce qui est le plus universel en est le plus éloigné alors que les particuliers en sont le plus proche”.

4 An. Post. I, 2, 71b 9–12: “Nous pensons connaître scientifiquement chaque chose au sens absolu, et non pas à la manière sophistique par accident, lorsque nous pensons connaître la cause de la chose et que cette chose ne peut pas être autrement qu'elle n'est”.

5 An. Post. I, 2, 71b 19–22; Met. Z3, 1029b 3–12.

6 C'est Simplicius lui-même qui, dans son commentaire à Phys. I, 1, rapporte en détail l'exégèse d'Alexandre pour la critiquer.

7 Simplicii In Aristotelis Physicorum libros quattuor priores commentaria, consilio et auctoritate academiae litterarum regiae borussicae, edidit Hermannus Diels, dans Commentaria in Aristotelem graeca, edita consilio et auctoritate Academiae litterarum regiae borussicae, vol. IX (Berlin, 1882), (dorénavant Simpl., In Phys.), 17, 38–39.

8 Simpl., In Phys. 17, 39–18, 2.

9 Simpl., In Phys. 18, 2–4.

10 Simpl., In Phys. 18, 20–23.

11 M. Rashed, Essentialisme. Alexandre d'Aphrodise entre logique, physique et cosmologie (Berlin / New York, 2007), p. 191, n. 544.

12 Simpl., In Phys. 15, 12–29; Ioannis Philoponi In Aristotelis Physicorum libros tres priores commentaria, consilio et auctoritate academiae litterarum regiae borussicae, edidit Hieronymus Vitelli, dans Commentaria in Aristotelem graeca, edita consilio et auctoritate Academiae litterarum regiae borussicae, vol. XVI (Berlin, 1887), (dorénavant Philopon, In Phys.), In Phys. 9, 6–10.

13 Concernant la doctrine d'Alexandre et son interprétation de la théorie de l'analyse je renvoie à nouveau à la monographie de M. Rashed (cf. Rashed, Essentialisme).

14 Simpl., In Phys. 15, 24–25.

15 Cf. Simpl., In Phys. 18, 28–34. En proposant ce cadastre des sciences théorétiques, Simplicius concilie le souci néoplatonicien de faire de la métaphysique la seule science véritablement démonstrative avec l'exigence à la base de l'épistémologie aristotélicienne de voir dans l'inférence à partir de principes supérieurs la forme la plus parfaite de démonstration. Dans les mêmes pages (Simpl., In Phys., 18, 33–34), Simplicius nuance sa position et, en se réclamant de l'auctoritas de Théophraste, précise que le rang secondaire de la physique n'en fait pas une discipline méprisable. Cette déclaration sur le caractère non scientifique de la démonstration physique témoigne d'un débat qui, présent déjà à l'état embryonnaire chez Alexandre d'Aphrodise (cf. Rashed, Essentialisme, p. 270 et ss.), se manifestera dans toute sa véhémence dans l'opposition entre Avicenne et Averroès. Sur le débat Avicenne-Averroès concernant l'autonomie de la science physique, voir C. Cerami, Substance et génération, Aristote et Averroès entre physique et métaphysique, Scientia Graeco-Arabica, Walter de Gruyter, à paraître.

16 À la ligne 18, 11 Simplicius parle de ὁλοσχερής φαντασία.

17 Simpl., In Phys. 20, 11.

18 In Phys. 19, 5–11.

19 Cf. C. Dalimier, “La saisie des principes physiques chez Aristote: Simplicius contre Alexandre d'Aphrodise”, Oriens-Occidens, 2 (1998): 77–94.

20 In Phys. 19, 21–25.

21 Cf. Rashed, Essentialisme, p. 193.

22 In Phys. 19, 25–29: “Mais il faut faire une remarque: si en effet ‘le principe est un ou plusieurs’ et ‘s'ils ont une contrariété ou non’ et ‘si quelque chose est substrat ou non’ sont des choses dites au sujet même des principes et non au sujet des objets confus qui procèdent d'eux, comment cette démarche nous conduira-t-elle des composés aux principes?”.

23 Concernant cette question, M. Rashed (cf. Rashed, Essentialisme, p. 193 et ss.) affirme que les deux interprétations attribuées par Simplicius à Alexandre ne sont pas inconciliables, dans la mesure où la seconde ne fait qu'introduire une précision à la première solution proposée par ce dernier.

24 Cf. Dalimier,“La saisie des principes physiques”.

25 La lecture d'Averroès semble être fondée sur ces mêmes présupposés, tout en mettant davantage en évidence le rôle de l'induction dans la recherche des principes. Sur la théorie d'Averroès concernant la connaissance des principes, voir la suite de cet article ainsi que Cerami, Substance et génération, chap. VI et VII.

26 Philopon renvoie sans doute à An. Post. I, 1 (71a 6 et ss.) où, en réalité, Aristote ne distingue pas un mode didactique d'un mode apodictique, mais où il pose la distinction entre la procédure apodictique et l'induction.

27 Philopon, In Phys. 9, 6 et ss.

28 Philopon, In Phys. 9, 15–17.

29 Philopon, In Phys. 11, 24–12, 2.

30 Il serait tout de même imprudent d'affirmer que Philopon critique directement l'interprétation de Simplicius, car il pourrait également renvoyer à l'exégèse d'autres platoniciens. De ce point de vue, il n'est pas impossible que la cible de la critique de Philopon soit Ammonius.

31 Philopon, In Phys. 11, 28–29.

32 Philopon, In Phys. 11, 33–12, 4.

33 Philopon, In Phys. 12, 6.

34 Philopon, In Phys. 12, 10.

35 Philopon, In Phys. 12, 7–13.

36 Philopon, In Phys. 12, 25.

37 C'est aux lignes 12, 22–25 que Philopon affirme explicitement que l'individu indéterminé est le produit de la première élaboration de la faculté sensible (appelée génériquement αἴσθησις) et que le genre in re, en étant le produit du λόγος, est ce qui le suit dans le processus cognitif.

38 Philopon, In Phys. 13, 6–14.

39 Philopon, In Phys. 14, 5 et ss.; 15, 9.

40 Sur cet aspect de la doctrine de la connaissance formulée par Thomas, je renvoie à J.-B. Brenet,“Thomas d'Aquin, Sur la vérité (De veritate, question 1)”, cours du CNED pour l'Agrégation externe de Philosophie (Oral, texte latin), 2007–2008, qui contient divers développements relatifs aux points que j'aborde.

41 S. Thomae Aquinatis, In octo libros Physicorum Aristotelis expositio, cura et studio P. M. Maggiolo, Marietti (Torino / Roma, 1954) (dorénavant Thom., In Phys.), L. I, l. I, n. 5: “le Philosophe place au début de ce livre un proème, dans lequel il montre l'ordre selon lequel on procède dans la science naturelle. Aussi fait-il deux choses: il montre premièrement qu'il faut commencer par considérer les principes; deuxièmement que parmi les principes il faut commencer par les principes les plus universels, là [οù il est écrit]: est naturelle etc.”.

42 Ce texte reproduit donc la traduction latine des lignes 184a16–24 du texte grec d'Aristote qui se trouve, dans l'édition Marietti, avant le commentaire de Thomas. Ce texte ne correspond sans doute pas en tout et pour tout à la traduction d'Aristote que Thomas avait sous les yeux, je le cite dans le seul but de rendre la lecture de son exégèse plus aisée. Thom., In Phys., L., I, l. I, 2.:“(2) Est naturelle la voie qui conduit des choses qui sont plus connues pour nous aux choses qui sont plus certaines et plus connues par nature. En effet, les choses connues pour nous et les choses connues absolument ne sont pas les mêmes. Il en découle qu'il est nécessaire, selon ce mode, de procéder des choses incertaines par nature, qui sont pour nous plus certaines, aux choses qui sont par nature certaines et plus connues. (3) Ce sont les choses plus confuses qui en tout premier lieu sont manifestes et certaines pour nous: c'est, en effet, en les divisant que les éléments et les principes <deviennent> ensuite connus pour nous. (4) Il en découle qu'il faut procéder des universels aux singuliers”.

43 Thom., In Phys., L., I, l. I, n. 7: “Pour expliquer la première proposition, il allègue que ne sont pas identiques les choses plus connues pour nous et les choses plus connues par nature, mais que les choses qui sont plus connues par nature sont les moins connues pour nous. Et puisque le mode naturel ou l'ordre de l'apprentissage est ainsi fait que l'on procède de ce qui est connu pour nous vers ce qui est inconnu pour nous, il est nécessaire que nous parvenions à des choses plus connues par nature à partir des choses plus connues pour nous. Il faut noter qu'ici <Aristote> entend par connu par nature et connu absolument la même chose. Les choses plus connues absolument sont celles qui sont plus connues en elles-mêmes. Et les choses qui sont plus connues en elles-mêmes sont les choses qui ont davantage d'étantité: car chaque chose est connaissable en tant qu'elle est un étant. Or les choses qui sont davantage des étants sont celles qui sont davantage en acte: d'οù vient qu'elles sont connaissables par nature au plus haut degré. Il nous arrive en revanche l'inverse, du fait que nous procédons dans l'intellection de la puissance à l'acte et que le principe de notre connaissance vient des choses sensibles, qui sont matérielles et intelligibles en puissance; d'οù vient que ces choses-là sont, pour nous, plus connues que les substances séparées qui sont, elles, plus connues par nature, comme le montre Met. I”. Je corrige la référence donnée par Thomas dans le texte de l'édition Marietti, qui renvoie à Met. II et non pas à Met. I. L'éditeur signale d'ailleurs en note la référence correcte, à savoir Met. A2, 982a21–25.

44 Dans son commentaire au De Trinitate de Boëce (Sancti Thomae De Aquino, Super Boetium De Trinitate, dans Opera omnia (Roma / Paris, 1992), (dorénavant Thomas, Super Boetium De Trinitate), t. L, p. 153, ll. 108 et ss.), Thomas attribue cette distinction à Avicenne et affirme qu'il la fait sienne. Thomas semble en ce sens renvoyer au deuxième chapitre du premier traité de la Physique du Shifā' (Ibn Sīnā, al-Shifā', al-Ṭabī‘iyyāt. I al-Samā' al-ṭabī‘ī, éd. S. Zayed (Le Caire, 1983), (dorénavant Ibn Sīnā, Al-Shifā', al-Ṭabī‘iyyāt), p. 15, l. 10 et ss.; Avicenna Latinus, Liber primus naturalium. Tractatus primus de causis et principiis naturalium, édition critique par S. Van Riet (Louvain-La-Neuve / Leiden, 1992), p. 22, l. 81 et ss.) Je laisserai ici de côté la question épineuse de savoir dans quelle mesure Thomas réinterprète la distinction formulée par Avicenne, je me limiterai, dans la suite de cet article, à mettre en évidence le rôle qu'elle joue dans l'exégèse de Thomas à Phys. I, 1.

45 S. Thomae Aquinatis In duodecim libros Metaphysicorum Aristotelis expositio, cura et studio M.-R. Cathala-Spiazzi, Marietti (Taurini / Romae, 1950), (dorénavant: Thomas, In Met.) L. I, l. 2, n. 46: “Quant à la recherche des propriétés et des causes des êtres naturels, ce sont les choses moins communes qui sont connues en premier lieu, du fait que nous parvenons aux causes universelles par le biais des causes particulières qui relèvent d'un même genre ou d'une même espèce. Les choses qui sont universelles quant à l'action causale sont postérieurement connues pour nous – bien qu'elles soient premièrement connues par nature –, même si les universels quant à la prédication sont d'une certaine façon plus connus pour nous que ceux qui sont moins universels. En effet, la connaissance du sens, qui porte sur les singuliers, précède en nous la connaissance intellective qui est <connaissance> des universels. Il faut souligner ceci qu'on ne dit pas des choses les plus universelles qu'elles sont absolument “les plus difficiles” <à connaître>, mais presque <les plus difficiles>. En effet les choses qui sont radicalement séparées quant à l'être, comme les substances immatérielles, sont même pour nous plus difficiles à connaître que les universels. C'est pourquoi cette science <i. e. la métaphysique>, qui est appelée sagesse, même si elle est première en dignité, elle est dernière dans l'apprentissage”.

46 Thom., In Phys., L., I, l. I, n. 7: “Pour comprendre la seconde proposition, il faut savoir qu'on entend ici par ‘choses confuses’ les choses qui contiennent en elles certaines autres choses en puissance et de façon indistincte. Et puisque connaître quelque chose de façon indistincte est à mi-chemin entre la pure puissance et l'acte parfait, lorsque notre intellect procède de la puissance à l'acte, ce qui est confus lui apparaît avant ce qui est distinct; mais alors la science est achevée en acte quand on parvient par analyse à la connaissance distincte des principes et des éléments. C'est la raison pour laquelle les choses confuses sont connues pour nous avant les choses distinctes. Or que les choses universelles soient confuses est évident, car les universels contiennent en eux leurs espèces en puissance et celui qui connaît quelque chose de manière universelle le connaît de façon indistincte. Dès lors sa connaissance devient distincte lorsque chacune des choses qui sont contenues en puissance dans l'universel est connue en acte: celui qui connaît l'animal, en effet, ne connaît le rationnel qu'en puissance. Or connaître quelque chose en puissance est antérieur au fait de le connaître en acte: donc selon cet ordre de l'apprentissage selon lequel nous procédons de la puissance à l'acte, la connaissance de l'animal est pour nous antérieure à celle de l'homme.”

47 Thom., In Phys., L., I, l. I, n. 8: “Contrarium autem huic videtur esse quod dicit Philosophus in I Post., quod singularia sunt magis nota quoad nos, universalia vero naturae sive simpliciter. Sed intelligendum est quod ibi accipit singularia ipsa individua sensibilia: quae sunt magis nota quoad nos, quia sensus cognitio, quae est singularium, praecedit cognitionem intellectus in nobis, quae est universalium. Sed quia cognitio intellectualis est perfectior, universalia autem sunt intelligibilia in actu, non autem singularia (cum sint materialia); simpliciter et secundum naturam universalia sunt notiora. Hic autem singularia dicit non ipsa individua, sed species; quae sunt notiores secundum naturam, utpote perfectiores existentes et distinctam cognitionem habentes: genera vero sunt prius nota quoad nos, utpote habentia cognitionem in potentia et confusam.”; “Mais cela semble contredire ce que dit le Philosophe au livre I des Seconds Analytiques, à savoir que les singuliers sont plus connus pour nous, et les universels plus connus par nature ou absolument. Mais il faut considérer qu'il entend là par ‘singuliers’ les individus sensibles eux-mêmes, lesquels sont plus connus pour nous parce que la connaissance du sens, qui porte sur les singuliers, précède en nous la connaissance de l'intellect, qui porte sur les universels. Mais parce que la connaissance intellectuelle est plus parfaite, et que les universels sont intelligibles en acte, mais pas les singuliers (puisqu'ils sont matériels), absolument et selon la nature les universels sont plus connus. Ici, en revanche, il appelle ‘singuliers’ non pas les individus eux-mêmes, mais les espèces, lesquelles sont plus connues selon la nature, puisqu'elles ont une existence plus parfaite et une connaissance plus distincte, tandis que les genres sont plus connus pour nous, puisqu'ils ont une connaissance en puissance et confuse.”

48 Infra § 1. On retrouve ce même exemple dans le premier traité de la Physique du Shifā' (Ibn Sīnā, al-Shifā', al-Ṭabī‘iyyāt, p. 9, 20–10, 6).

49 Thom., In Phys., L., I, l. I, n. 11: “Deinde cum dicit: Et pueri etc., ponit tertium signum sumptum ex universaliori sensibili. Sicut enim universalius intelligibile est prius notum nobis secundum intellectum, ut puta animal homine, ita communius sensibile est prius notum nobis secundum sensum, ut puta hoc animal quam hic homo. Et dico prius secundum sensum et secundum locum et secundum tempus. Secundum locum quidem, quia cum aliquis a remotis videtur, prius percipimus ipsum esse corpus quam esse animal, et hoc prius quam quod sit homo, et ultimo quod sit Socrates”; “Ensuite lorsqu'il dit: Et les enfants, etc., il pose un troisième signe tiré d'un sensible plus universel. De même en effet que l'intelligible plus universel nous est connu d'abord selon l'intellect, par exemple animal avant homme, de même le sensible plus commun nous est-il connu d'abord selon le sens, par exemple cet animal avant cet homme. Et je dis d'abord selon le sens, à la fois sous le rapport du lieu et sous le rapport du temps. Quant au lieu, parce que lorsque quelqu'un est vu de loin, nous percevons d'abord que c'est un corps avant de percevoir que c'est un animal, et cela avant de percevoir que c'est un homme, et finalement que c'est Socrate.”

50 Il n'existe pas encore d'étude fouillée sur la connaissance que Thomas avait des commentaires de Philopon et sur l'influence que ces derniers ont eue sur sa propre doctrine. La notice la plus complète sur la question se trouve dans l'édition de R.-A. Gauthier du commentaire de Thomas au De Sensu d'Aristote (cf. Sancti Thomae De Aquino, Sentencia libri De sensu et sensato cuius secundus tractatus est De memoria et reminiscencia, cura et studio Fratrum Praedicatorum, dans Opera omnia iussu Leonis XIII P. M. edita (Roma / Paris, 1984) (dorénavant Thomas, In De Sensu), t. XLV/2, p. 102*, nota 7). Je dois cette information au père L. J. Bataillon qui, en répondant à mes questions quelques jours avant sa disparition, m'a permis de profiter une dernière fois de son savoir et de son extrême générosité.

51 Cette question mérite d'être traitée de plus près. Il faut notamment établir le rôle qu'a pu jouer dans ce contexte l'œuvre d'Avicenne.

52 Thomas, Super Boetium De Trinitate, I, 3, p. 87, 112–143: “Et c'est pourquoi il faut affirmer que ce qui en premier est connu par l'homme peut s'entendre de deux façons: soit selon l'ordre des différentes puissances, soit selon l'ordre des objets à l'intérieur d'une seule puissance. Quant à la première façon: puisque notre connaissance intellective découle entièrement des sens, ce qui est connaissable par le sens nous est connu avant ce qui est connaissable par l'intellect, c'est-à-dire que le singulier ou le sensible <nous est connu avant> l'intelligible; quant à l'autre façon, c'est-à-dire la seconde façon: pour chaque puissance ce qui est connaissable en premier c'est son objet propre. Puisque dans l'intellect humain on a une faculté passive et une active, l'objet de la faculté passive, c'est-à-dire de l'intellect possible, sera ce qui est un acte grâce à la puissance active, c'est-à-dire de l'intellect agent, parce qu'à une faculté passive doit correspondre un <principe> actif propre; or l'intellect agent ne rend pas intelligibles les formes séparées, qui sont intelligibles par elles-mêmes, mais les formes qu'il abstrait des fantasmes: donc celles-ci sont ce que notre intellect connaît en premier. Et parmi celles-ci sont premières les formes qui se présentent en premier à l'intellect qui abstrait; or telles sont les <formes> qui incluent plusieurs choses soit à la manière d'un tout universel, soit à la manière d'un tout intégral. C'est pourquoi les <choses> les plus universelles sont celles qui sont connues en premier par l'intellect; les composés <sont connus avant> les composants, comme l'est ce qui est défini par rapport aux parties de la définition. Et dans la mesure où il y a une certaine imitation de l'intellect dans le sens, qui reçoit d'une certaine façon les choses abstraites de la matière, dans le sens aussi les choses singulières qui sont plus communes sont connues en premier, comme ‘ce corps’ par rapport à ‘cet animal’”.

53 Sur le sens de ces développements et leur rapport avec la théorie psychologique de Thomas, voir J.-B. Brenet,“Thomas d'Aquin, Sur la vérité, q. 1”, qui explique bien qu'en proposant cette lecture Thomas peut en même temps confirmer la théorie cognitive d'Aristote et affirmer, avec Avicenne, que ce qui est pour nous connu en premier, c'est l'étant.

54 Sur cette distinction cf. Sancti Thomae Aquinatis, Summae theologiae, dans Opera omnia (Romae, 1888–1889), t. IV–V, I, q. 77, a. 1, ad 1; Quaestio disputata de spiritualibus creaturis, dans Opera omnia (Roma / Paris, 2000), t. XXIV/2, a. 11, ad 2; In Met., L V, l. 20, n. 27.

55 Thomas, In Phys., L. I, l. 1, n. 9.

56 Sancti Thomae De Aquino, Expositio Libri Posteriorum, in Opera (Roma / Paris, 1989) (dorénavant Thomas, In An. Post.), t. I*/2, cap. 1, lect. 4, 15–16, pp. 153–4: “Pour expliquer cela, il affirme que les choses antérieures et plus connues absolument sont celles qui sont éloignées du sens, à savoir les universels. En revanche, les choses qui sont antérieures et plus connues relativement à nous sont les plus proches du sens, c'est-à-dire les singuliers, qui s'opposent aux universels, soit selon l'opposition de l'antérieur au postérieur, soit selon l'opposition du proche et de l'éloigné. Il semble que ce soit le contraire dans le premier <livre> de la Physique, où il affirme que les universels sont antérieurs relativement à nous et postérieurs par nature. Mais il faut dire qu'ici on parle de façon absolue de l'ordre du singulier à l'universel, dont l'ordre doit se prendre de l'ordre de la connaissance sensible et intelligible en nous. Or la connaissance sensible précède en nous la connaissance intellective, puisque la connaissance intellective procède en nous à partir des sens. C'est pourquoi le singulier est antérieur et plus connu pour nous que l'universel. En revanche, dans le premier <livre> de la Physique on ne pose pas l'ordre de l'universel au singulier de façon absolue, mais <l'ordre> de ce qui est plus universel à ce qui l'est moins; par exemple de ‘animal’ à ‘homme’ il est ainsi nécessaire que relativement à nous l'universel soit antérieur et plus connu. En effet, dans chaque génération ce qui est en puissance est antérieur chronologiquement, mais postérieur par nature, tandis que ce qui est achevé en acte est antérieur par nature mais postérieur chronologiquement. Or la connaissance du genre est pour ainsi dire potentielle par rapport à la connaissance de l'espèce dans laquelle est connu en acte tout ce qui, de la chose, est essentiel. De là vient que dans l'engendrement de notre science on connaît en premier ce qui est plus commun par rapport à ce qui l'est moins”.

57 C'est en effet un point fondamental de son exégèse de Phys. I, 1 celui de comprendre que les deux propositions que Thomas isole constituent en réalité un seul propos absolument unitaire. C'est pourquoi, lorsqu'il renvoie à Phys. I, 1, Thomas peut se référer à une seule des deux propositions ou aux deux à la fois. Par exemple, dans la suite de son commentaire à An. Post. I, 2 (cf. Thomas, In An. Post., cap. 1, lect. 4, 16, pp. 154–5), Thomas renvoie au texte de Phys. I, 1, en citant le début de celle qu'il appelle la première proposition (innata est autem […]). En faisant cela, toutefois, Thomas ne veut pas renvoyer à la seule première proposition, mais à l'ensemble des deux. Dans ce passage de son commentaire, Thomas formule une deuxième objection possible à la thèse qui veut que les démonstrations se font à partir des choses plus connues par nature, voire plus connues simpliciter. Contre cette thèse on pourrait, en effet, objecter qu'en Phys. I, 1, Aristote affirme que la voie naturelle pour l'homme est celle qui démarre de ce qui est plus connu pour nous, à savoir le sensible. Cela devrait nous obliger à conclure que les démonstrations ne se font pas à partir des choses plus connues par nature, mais des choses plus connues pour nous. Thomas répond que, dans ce cas là non plus, il n'y a pas de contradiction, car dans les An. Post. Aristote parle seulement de la connaissance dans sa totalité, alors qu'en Phys. I, 1 il parle aussi (etiam) de la connaissance intellectuelle. Ce qui veut dire qu'il parle aussi bien de la relation de la connaissance sensible à la connaissance intellectuelle que de la relation des universels à l'égard des moins universels dans le plan de la connaissance intellectuelle. C'est pourquoi, conclut Thomas, sur la base de ce qu'Aristote affirme en Phys. I, 1, on n'est pas contraint de dire que les démonstrations sont forcément à partir des choses plus connues pour nous. Car, finalement, Phys. I, 1 considère aussi que dans l'ordre de l'intelligible ce qui est plus universel est connu en premier lieu par rapport à ce qui est plus spécifique.

58 Thomas, In De sensu, p. 3, 23–4, 37: “Et sicut diversa genera scienciarum distinguuntur secundum hoc quod res sunt diversimode a materia separabiles, ita etiam in singulis scienciis, et praecipue in sciencia naturali, distinguuntur partes sciencie secundum diversum separationis et concretionis modum. Et quia universalia sunt magis a materia separata, ideo in sciencia naturali ab universalibus ad minus universalia proceditur, sicut Philosophus docet in I Physicorum. Unde et scienciam naturalem incepit tradere ab hiis que sunt communissima omnibus naturalibus, quae sunt motus et principium motus, et deinde processit per modum concretionis, sive applicationis principiorum communium, ad quaedam determinata mobilia, quorum quaedam sunt corpora vivencia”.

59 Thomas, In Phys. L. 1, l. 1, n. 8: “Il dit donc que là <οù il est écrit>: mais est naturelle, etc. le Philosophe veut mettre en évidence le mode de démonstration de cette science, puisqu'elle démontre par l'effet et les choses postérieures par nature: de telle sorte que ce qui est dit ici s'entende du processus de la démonstration et non de la détermination. Et lorsqu'il dit: mais sont pour nous, etc., il entend montrer, à son avis, les choses qui sont plus connues pour nous et moins connues par nature, à savoir les choses composées d'<éléments> simples, en prenant ‘composées’ pour ‘confuses’. Puis il conclut en dernier lieu qu'il faut procéder des <choses> plus universelles au moins universelles, comme s'il s'agissait d'un corollaire. C'est pourquoi son exégèse n'est pas correcte, puisqu'il ne ramène pas tout à un seul objectif et qu'ici le philosophe ne veut pas démontrer le mode de démonstration de cette science – il fait cela dans le deuxième livre, selon l'ordre de la détermination; et enfin parce que ‘confuses’ ici ne doit pas être entendu au sens de ‘composées’, mais d'‘indistinctes’ en effet on ne pourrait rien conclure au sujet des universels, puisque les genres ne sont pas composés d'espèces”.

60 Sur le fait que c'est dans le livre II qu'Aristote traite d'après Thomas de la démonstration du physicien, voir infra n. 63.

61 Sancti Thomae de Aquino, Quaestiones disputatae de veritate, in Opera Omnia, Editori di San Tommaso (Roma, 1973), t. XXII, vol. 3, fasc. 1, q. 21 a. 1, p. 592, 94–105: “on dit que quelque chose est ajouté à une autre chose par mode de contraction ou de détermination (per modum contrahendi et determinandi), à la manière dont l'homme ajoute quelque chose à l'animal; […] l'animal est contracté par l'homme (animal per hominem contrahitur), parce que ce qui est contenu de manière déterminée et actuelle (determinate et actualiter) dans la notion d'homme est contenu de manière implicite et comme potentiellement (implicite et quasi potentialiter) dans la notion d'animal”.

62 Thomas, In Met., L. II, l. 1, n. 278: “[…] la voie qui conduit à la connaissance de la vérité est double: la première, selon le mode de la résolution, selon laquelle nous procédons des choses composées aux choses simples, ainsi que du tout à la partie, comme il est dit dans le premier <livre> de la Physique, puisque les choses confuses sont connues en premier pour nous. Dans cette voie, la connaissance de la vérité s'achève, lorsqu'on parvient à une connaissance distincte des parties individuelles. L'autre voie est la voie de la composition, par laquelle nous procédons des simples aux composés et la connaissance de la vérité s'achève quand on parvient au tout”.

63 Thomas, In Phys., lib. II, l. 5 n. 1: “Et dividitur in partes duas: in prima determinat de causis; in secunda vero ostendit ex quibus causis naturalis demonstret, ibi: quoniam autem causae quatuor etc. Circa primum duo facit: primo ostendit necessitatem determinandi de causis; secundo incipit de causis determinare, ibi: uno quidem modo etc. Dicit ergo primo quod postquam determinatum est quid cadat sub consideratione scientiae naturalis, restat considerandum de causis, quae et quot sunt”.

64 Cf. Thomas, In Phys., L. II, l. 1, n.1.

65 Averrois Cordubensis Commentarium Magnum In Aristotelis De Physico Audito libri octo, dans Aristotelis Opera cum Averrois Commentariis, Venetiis, apud Junctas, 1562, vol. IV (réimpr Frankfurt, 1962), (dorénavant, Averroès, In Phys.), c. 2, 6K2–L11, “Quand il déclare qu'il faut que le physicien fournisse la connaissance des causes et des éléments, il entreprend d'expliquer la voie qui conduit à la connaissance des causes des choses naturelles et la nature des démonstrations qui fournissent les causes des choses naturelles. Et la voie vers celles-ci, c'est la voie qui conduit à la connaissance des causes des choses naturelles […] et c'est le mode démonstratif qu'on appelle signe”.

66 Sur cette question, je me permets de renvoyer encore à mon propre travail: Cerami, Substance et génération, chap. VII.

67 Averroès, In Phys., c. 3, 7C5–D5: “Il est dit en outre que les choses qui sont pour nous connues en premier au sein des choses naturelles sont les choses composées et causées par les éléments et celles qui sont naturellement pour nous inconnues sont les causes des composés. Mais il est possible de connaître les causes à partir des choses composées, c'est-à-dire à partir de leurs conséquents; de sorte qu'à partir d'elles seront connues les causes qui font qu'elles soient composées. Mais les causes sont plus connues par nature, car la nature fait les choses par les causes”.

68 Averroès, In Phys., c. 4, 7F1–G10: “Une fois qu'il a déclaré que la cause en vertu de laquelle nous devons aller dans cette science des choses postérieures vers les choses précédentes est que nous devons toujours aller de ce qui est connu pour nous vers ce qui nous est inconnu, il explique que c'est en vertu de cette cause, à savoir que l'on doit aller de ce qui est plus connu pour nous vers ce qui est plus caché, que dans l'ordre de l'enseignement il faut commencer par la connaissance des causes universelles et des accidents universels […] Et il déclare à partir de ce propos que le but de ce livre est de discuter des choses universelles communes à toutes les choses qui sont constituées par nature”.

69 Averroès, In Phys., c. 4, 7G13–I6: “Une fois qu'il a déclaré la manière d'ordonner l'enseignement dans cette science […] il commence par fournir la cause par laquelle il était nécessaire que l'universel intelligible soit plus connu pour l'intellect que le particulier qui se trouve en dessous de lui et il a dit le tout alors etc. c'est-à-dire les choses universelles sont plus connues pour l'intellect que les particulières, à savoir les espèces, parce que l'universel est assimilé à l'individu composé […] de même que ceci est plus connu pour le sens (ce qui est presque un principe de foi) par rapport aux choses simples qui sont les causes de ce tout là, à savoir <l'individu> désigné, de même aussi les universels sont plus connus pour l'intellect que les particuliers”.

70 Averroès, In Phys., c. 4, 7I12–K7: “La cause donc du fait que les voies de la démonstration dans cette science conduisent des composés aux simples et du fait que le principe de l'enseignement se trouve au sein des choses universelles, est le suivant: que le tout désigné est plus connu pour le sens que ses parties et que l'universel est plus connu pour l'intellect que ce qui est propre. Et en déclarant que l'universel est assimilé au tout composé désigné, il établit un rapport de similitude”.