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Introduction

Faire participer les pays du Sud à l’effort de lutte contre le changement climatique sans entraver leur processus de développement reste un défi majeur pour la communauté internationale. Dans le cadre du protocole de Kyoto, le Mécanisme de développement propre (MDP) est le seul mécanisme qui intègre ces pays à l’effort global de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES). L’objectif du MDP est d’encourager les investissements dans les pays en développement afin de favoriser le transfert de technologies respectueuses de l’environnement et de promouvoir ainsi le développement « durable ». Il s’inscrit dans cette double problématique développement-environnement.

Le MDP permet aux pays de l’« Annexe 1 »[1] d’investir à l’extérieur de leurs frontières, à moindre coût, en recevant des unités de réduction certifiée des émissions (URCE[2]). Par ces investissements, ils obtiennent des crédits « carbone » correspondant à la différence entre les émissions estimées grâce à la mise en place du projet et un scénario de référence défini auparavant et validé par le conseil exécutif[3] du MDP. Les réductions de GES ainsi réalisées sont attribuées aux investisseurs. Le MDP couvre plusieurs secteurs d’activités (énergie, transport, agriculture, gestion des déchets ou gestion forestière). Pour recevoir un projet MDP, les pays « non-annexe I » doivent avoir ratifié le protocole de Kyoto et nommé une Autorité nationale désignée (AND) chargée de valider les projets[4]. Le premier d’entre eux a été enregistré par le conseil exécutif en novembre 2004 et les premiers crédits MDP ont été générés en octobre 2005. En septembre 2011, 3 395 projets[5] avaient déjà été enregistrés[6] (Fenhann, 2011).

Malgré l’engouement suscité par le MDP, l’évaluation de son impact en termes de développement nous semble une voie insuffisamment explorée. Selon certains auteurs, l’évaluation de la contribution du MDP au développement est discutable (Bumpus et Cole, 2010; Boyd et al., 2009). Pour Olsen (2007), le MDP ne remplirait tout simplement pas son objectif de développement.

Dans ce contexte général, le Pérou est concerné à double titre par les politiques climatiques internationales. D’une part, il fait partie des pays les plus vulnérables face au changement climatique (fontes des glaciers, augmentation de la fréquence des phénomènes extrêmes, dépendance aux secteurs primaires). D’autre part, le Pérou a intérêt à réduire ses émissions de GES car il émet 0,4 % des émissions mondiales (chiffre faible au niveau international mais élevé comparé à son PIB). Le Pérou a signé le protocole de Kyoto en 1998 et l’a ratifié en septembre 2002. Le MINAM et le FONAM[7] sont en charge des questions climatiques. Le MDP représente une vraie opportunité d’investissements pour ce pays dans les transports, les énergies renouvelables, la gestion des déchets et la gestion forestière. L’importance des risques climatiques, ses émissions de gaz à effet de serre et son potentiel pour l’accueil des projets MDP expliquent la forte implication du Pérou dans le protocole de Kyoto.

L’objet de cette analyse est de contribuer à une évaluation qualitative de l’impact du MDP sur une économie en développement à travers le cas particulier du Pérou. Dans un premier temps, nous présentons brièvement les difficultés de comprendre la contribution du MDP au développement. Nous expliquons ensuite notre méthodologie d’analyse concernant l’impact du MDP sur les dimensions du développement « durable ». Les principaux résultats soulignent l’apport intéressant, mais inégalement réparti, du MDP sur les dimensions économique et sociale. Aussi, il nous apparaît clairement que le MDP ne répond pas, pour le moment, aux défis environnementaux du Pérou. À partir de ces enseignements, nous indiquons les principales directions dans lesquelles pourrait s’engager le Pérou afin que le MDP contribue de manière plus significative à son développement.

1. Réflexion méthodologique sur les difficultés de cerner la contribution du MDP au développement

La littérature économique concernant l’évaluation du mécanisme MDP révèle que les analyses se sont principalement centrées sur l’objectif environnemental des MDP, à savoir leur capacité à réduire les émissions de gaz à effet de serre. L’objectif de développement des pays hôtes semble, en revanche, avoir été largement sous-évalué (Austin et Faeth, 2000; Olsen, 2007). L’une des premières explications tient certainement au fait que l’incitation à évaluer l’impact environnemental est particulièrement forte, notamment parce qu’il détermine le niveau des revenus générés par chaque projet sur le marché carbone. La contribution au développement n’est, en revanche, qu’un objectif affiché dans le Project Design Document (PDD) [8] de chaque projet servant uniquement à faciliter l’acceptation du projet par le pays hôte et laissée à leur appréciation. Chaque pays, par l’intermédiaire de son AND, développe ainsi ses propres évaluations en fonction de ses priorités politiques nationales et de sa conception de ce qu’est le développement « durable ». Ces projets doivent généralement participer au développement local par la construction de nouvelles infrastructures, par la création d’emplois, par le financement de projets sociaux (éducatifs ou sanitaires) ou par une amélioration de qualité de l’environnement. Cette contribution au développement du MDP est inscrite dans le PDD de chaque projet. Ceci dit, les données y faisant référence ne sont pas exhaustives tant au niveau quantitatif que qualitatif (Alexeew et al., 2010). Il serait en outre souhaitable que ces informations soient vérifiées ex post par des études indépendantes (Subbarao et Lloyd, 2011). Dans le cas contraire, les bénéfices d’un MDP sur le développement risquent d’être surestimés par le développeur du projet, afin d’en faciliter la validation. Par ailleurs, les AND sont en compétition pour attirer les MDP sur leur territoire (Jung, 2006) ce qui peut nuire à la qualité des analyses sur le développement. Plusieurs auteurs soulignent donc la nécessité d’appliquer un standard international pour évaluer la contribution du MDP au développement (Cosbey et al., 2005; Cosbey, 2006; Sutter et Parreno, 2007). Pour y remédier, Olsen et Fenhann (2008) ont proposé une taxonomie dont la sélection des dimensions et des critères s’inspire de l’approche dite « check-list » et de l’approche multicritère (Sutter, 2003), habituellement utilisées comme base méthodologique. Cet outil d’évaluation s’appuie sur les informations inscrites dans le PDD concernant les bénéfices potentiels du projet sur les dimensions du développement « durable ». Son application à 744 PDDs a permis à Olsen et Fenhann (2008) de montrer que le MDP touche principalement cinq critères : la création d’emplois, la croissance économique, la qualité de l’air, l’accès à l’énergie et le bien-être de la population. Ils précisent également que les projets dédiés aux énergies renouvelables ont d’importants bénéfices socioéconomiques alors que ceux liés à la réduction des émissions de méthane[9] sont plus favorables à la dimension environnementale du développement « durable ».

Notre étude se basera sur cette méthodologie pour analyser le MDP au Pérou. Nous confronterons donc les résultats obtenus par Olsen et Fenhann (2008) au cas péruvien.

2. La contribution du MDP aux dimensions du développement « durable » au Pérou

2.1 Le MDP au Pérou : panorama

Particulièrement sensible aux questions environnementales compte tenu de sa vulnérabilité face au changement climatique, le Pérou a ratifié le protocole de Kyoto en septembre 2002 et s’est doté d’institutions permettant de bénéficier du MDP. Le Pérou se classe régulièrement parmi les 10 pays les plus attractifs au monde pour recevoir des projets MDP[10]. Ainsi, le nombre de projets soumis à l’AND est en très forte progression. En 2004, le FONAM annonçait un portefeuille de 18 projets pour un investissement total de 700 millions de dollars américains ($ US). Le FONAM (2011) répertorie à ce jour 234 projets, soit un montant total de 12,2 milliards de $ US. Les 176 projets affiliés au secteur énergétique permettraient, à eux seuls, une réduction des émissions annuelles de 26,92 millions de tCO2e, et un investissement de 12,13 milliards de $ US (56,88 % des réductions proviendraient des projets hydrauliques).

Par ailleurs, l’implication des institutions péruviennes en charge du MDP et la qualité de leur évaluation sur le développement durable ont souvent été soulignées (Disch, 2010). En effet, l’AND consulte régulièrement les communautés et les autorités locales sur l’impact potentiel du projet MDP sur le développement.

2.2 Base de données et méthodologie utilisée

Cette étude évalue uniquement les projets MDP dont l’impact sur le développement a été confirmé en amont. Les projets MDP retenus doivent remplir 3 conditions :

  • Le projet doit fournir un PDD publié sur le site de l’UNFCCC[11]. Ce document est fondamental puisqu’il contient des informations précises sur l’impact potentiel du projet MDP sur le développement.

  • Le projet doit avoir reçu une lettre d’acceptation de l’AND pour sa mise en oeuvre. Par ce document, le ministère péruvien de l’environnement, après consultation des acteurs locaux, confirme l’impact positif du projet MDP sur le développement de la zone.

  • Le projet doit être pris en compte dans l’étude de l’UNFCCC (2010) sur le transfert technologique.

Cette étude se focalise donc sur 37 projets MDP. Disponibles sur le site de l’UNFCCC, nous analyserons les PDDs et les documents fournis pour chaque projet. Nous complèterons ces informations avec celles données par le CDM pipeline (type, localisation, méthodologie, stade d’achèvement et investissement par projet). Aussi, nous avons obtenu auprès des institutions péruviennes et des développeurs de projet des informations détaillées sur l’apport de chaque projet au développement. Enfin, le deuxième inventaire national péruvien sur les GES (MINAM, 2010a) nous renseigne sur la répartition sectorielle des émissions ainsi que sur les conséquences du changement climatique au Pérou.

Afin d’évaluer l’impact du MDP sur le développement, nous avons choisi de nous appuyer sur la méthodologie développée par Olsen et Fenhann (2008) que nous avons adaptée au cas particulier du Pérou. En conséquence, nous avons incorporé le transfert technologique comme un critère d’évaluation de la dimension économique[12]. Par ailleurs, l’étude réalisée par l’UNFCCC[13] (2010) nous permettra d’apprécier la contribution du MDP au transfert technologique (transfert d’équipements et/ou de connaissances).

Le tableau 1 présente les indicateurs et les quatre critères d’évaluation retenus dans notre analyse (notés 0 ou +1) pour estimer les trois dimensions du développement « durable » (« économie », « social », « environnement »). Les projets MDP seront donc évalués sur une échelle allant de 0 à 12 points[14] en fonction de leur contribution au développement.

2.3 Résultats et analyse de la contribution du MDP aux dimensions du développement « durable »

Les résultats de notre analyse, présentés dans les graphiques 1 et 2, montrent que les projets MDP contribuent de manière significative aux dimensions économique et sociale du développement « durable ». Aussi, le transfert technologique semble encouragé par le MDP. Par contre, les bénéfices du MDP sur la dimension environnementale du développement « durable » sont circonscrits à quelques types[15] de projets.

Tableau 1

Critères et indicateurs d’évaluation des bénéfices du mdp sur les dimensions du développement « durable »

Critères et indicateurs d’évaluation des bénéfices du mdp sur les dimensions du développement « durable »

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2.3.1 La nature et la répartition des bénéfices socioéconomiques du MDP sur le développement « durable »

2.3.1.1 La prédominance des projets hydrauliques

Le MDP représente un afflux important d’investissements sur le territoire péruvien. Sur les 37 projets étudiés, l’investissement total s’élève à 1,95 milliards de $ US dont 90 % pour les seuls projets hydrauliques[16]. Il est donc essentiel d’étudier la répartition de cet investissement au sein de l’économie péruvienne. Par exemple, un projet hydraulique nécessite des investissements dans les infrastructures énergétiques (turbines) ou connexes (barrage, canal, tunnel). Les secteurs de la construction, de l’industrie et des transports vont donc recevoir la plus grande partie de ces investissements. Les créations d’emplois durant la phase de construction seront importantes, même si ces emplois seront conjoncturels. Par la suite, seuls quelques emplois permanents seront conservés. L’essor de nouvelles activités économiques sur le site sera facilité par la construction d’infrastructures (routes) et par l’amélioration des services fournis (électricité), promouvant ainsi le développement local. En effet, ces projets favoriseront la distribution, la disponibilité et la qualité de l’énergie proposée. Ils réduiront sensiblement l’importation d’énergies fossiles, c’est pourquoi une amélioration de la balance des paiements est attendue.

Graphique 1

Bénéfices des projets MDP péruviens sur le développement « durable » par critère (en pourcentage)

Bénéfices des projets MDP péruviens sur le développement « durable » par critère (en pourcentage)

Note : BP : balance des paiements; TT : transfert technologique

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Graphique 2

Bénéfices des projets MDP péruviens sur le développement « durable » par type (en points)

Bénéfices des projets MDP péruviens sur le développement « durable » par type (en points)

Note : EE : energy efficiency

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La contribution de ces projets à la dimension sociale du développement « durable » sera aussi encouragée par une augmentation des revenus reçus par les gouvernements locaux à travers la hausse des taxes ou par le financement de programmes sociaux[17] (éducatifs ou sanitaires). Ce financement peut-être direct, c’est-à-dire versé aux communautés locales en fonction de leurs priorités, ou indirect par un pourcentage préalablement défini des URCEs. De la redistribution de ces nouvelles recettes dépendra l’ampleur des bénéfices potentiels des projets MDP sur le développement local.

Le graphique 3 résume l’impact socioéconomique positif des projets MDP hydrauliques sur le développement « durable ». Selon les critères retenus dans notre analyse, nous pouvons considérer que ce type de projets bénéficiera à l’« emploi », à la « croissance », au « bien-être » et aux critères énergétiques (« balance des paiements » et « énergie »). Ces résultats confirment les conclusions de Olsen et Fenhann (2008) à savoir que les projets dédiés aux énergies renouvelables, dont l’hydraulique fait partie, auraient un impact significatif sur la dimension socioéconomique du développement « durable ».

2.3.1.2 L’inégale répartition géographique du MDP au Pérou

Intégrée aux objectifs du millénaire, la réduction des inégalités et de la pauvreté est une des priorités du gouvernement péruvien. Ces dernières années, le Pérou a connu une forte croissance économique qui a permis de diminuer sensiblement les taux de pauvreté (INEI, 2009). Néanmoins, cela n’a pas été suffisant pour réduire de manière significative les inégalités sociales et l’extrême pauvreté dans les zones rurales, souvent les plus affectées par les risques climatiques (MINAM, 2010a).

Le graphique 4 décrit la répartition régionale des projets MDP et l’incidence de la pauvreté par région. Deux régions, parmi les plus riches du pays (Lima et Ancash), reçoivent à elles seules près de 60 % des projets alors que les régions fortement touchées par la pauvreté, comme Huancavelica, Ayacucho, Puno ou Pasco n’accueillent aucun projet pour le moment. Concernant l’investissement, l’écart se creuse puisque ces deux régions recevraient près de 70 % des investissements MDP. Ce déséquilibre dans l’implantation du MDP risque de limiter son influence sur le développement des régions les plus pauvres.

Graphique 3

Bénéfices des projets hydrauliques sur le développement « durable » (en pourcentage)

Bénéfices des projets hydrauliques sur le développement « durable » (en pourcentage)

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Graphique 4

Incidence de la pauvreté et MDP par région (en pourcentage)

Incidence de la pauvreté et MDP par région (en pourcentage)
Source : INEI (2009) et FONAM (2011)[18]

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En définitive, le MDP aura un impact important sur la dimension socioéconomique du développement « durable ». Il s’inscrit également dans la politique d’électrification des zones rurales péruviennes. De plus, les programmes sociaux associés au projet MDP seront favorables aux communautés locales. Bien que l’afflux d’investissement profitera en priorité à certaines régions, quelques projets d’envergure (multirégionaux ou nationaux) pourraient néanmoins bénéficier à l’ensemble du pays.

2.3.2 Le MDP vecteur de transfert technologique au Pérou

Le modèle de développement actuel basé sur l’utilisation massive des énergies fossiles est considéré comme non soutenable et non applicable à l’ensemble des pays du Sud. Il est donc essentiel que ces pays puissent, dès maintenant, profiter des technologies les plus « propres » afin de limiter leurs émissions de GES. C’est pourquoi un des objectifs du MDP est d’encourager le transfert technologique vers les pays en développement. Le GIEC[19] définit le transfert de technologie comme « un vaste ensemble de processus qui englobent les échanges de savoir-faire, de données d’expérience et de matériel pour l’atténuation des changements climatiques et l’adaptation à ces changements et ce, parmi différentes parties prenantes telles que les gouvernements, les entités du secteur privé, les organismes financiers, les organisation non gouvernementales (ONG) et les établissements de recherche et d’enseignement» (IPCC, 2000). Pour évaluer l’influence du MDP sur le transfert technologique, nous avons utilisé l’étude de l’UNFCCC (2010)[20].

D’après Dechezleprêtre et al. (2009), la contribution du MDP au transfert technologique varie de 12 % à 68 %[21] selon les pays étudiés. Aussi, les projets réduisant les GES ayant un PRG[22] élevé dans l’industrie chimique, dans l’agriculture, ou dans la gestion des déchets ont souvent un impact positif sur le transfert technologique. En revanche, les projets hydrauliques, les projets d’amélioration de l’efficacité énergétique (EE) et de biomasse apporteraient peu de transfert technologique (Haites et al., 2006; Seres, 2007; Dechezleprêtre et al., 2008, 2009) car ils feraient souvent appel à des technologies locales.

L’étude des projets péruviens confirment ces analyses (graphique 5). Sur 37 projets analysés, au moins 46 %[23] d’entre eux apporteraient du transfert technologique (UNFCCC, 2010), cela place le Pérou au-dessus de la moyenne mondiale estimée à 36 % (Seres et al., 2009). Tous les projets landfill gas[24] et methane avoidance [25] favorisent le transfert technologique (transfert de connaissances ou d’équipements). Par ailleurs, les projets de biomasse utilisent effectivement des technologies locales. Enfin, contrairement aux conclusions des études précédentes les projets EE seraient vecteurs de transfert technologique au Pérou.

Néanmoins, dans le cas particulier du Pérou, les projets hydrauliques méritent une attention particulière puisque certains projets auraient un impact favorable sur le transfert technologique alors que d’autres feraient uniquement appel à des technologies locales. Sur notre échantillon, au moins 35 % des projets hydrauliques apporteraient du transfert technologique. Ce résultat est supérieur aux analyses empiriques qui évaluent la part de la contribution des projets hydrauliques au transfert technologique à 22 % (Dechezleprêtre et al., 2008), 15 % (Haites et al., 2006) et 9 % (Seres, 2007). Cette différence vient du fait que leurs études comprennent souvent des pays émergents comme le Brésil, la Chine ou l’Inde qui maîtrisent déjà cette technologie. Ainsi, un faible pourcentage de transfert technologique peut simplement signifier que les industries locales sont plus performantes (cas de l’Inde) (Dechezleprêtre et al., 2009). Bien que le Pérou utilise depuis longtemps la technologie hydraulique, le pays doit encore importer certains équipements nécessaires à la construction de ces projets (World Bank, 2011).

Graphique 5

Contribution du MDP au transfert technologique par type de projet (en pourcentage)

Contribution du MDP au transfert technologique par type de projet (en pourcentage)

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Les résultats présentés dans le graphique 5 confirment l’effet positif du MDP sur le transfert technologique et, plus particulièrement, l’impact certain des projets Landfill gas (LFG)Methane avoidance et Energy efficiency (EE). Il est aussi intéressant de constater le développement de projets MDP éoliens ou solaires souvent très favorables au transfert technologique.

2.3.3 L’impact relatif du MDP sur la dimension environnementale du développement « durable »

Les critères retenus pour analyser l’impact du MDP sur la dimension environnementale du développement « durable » sont les mêmes que ceux proposés par Olsen et Fenhann (2008), c’est-à-dire l’amélioration de la qualité de l’eau et de l’air (hors GES) ainsi que la préservation des espèces et des sols. L’apport environnemental du MDP est limité aux projets de gestion et de valorisation des déchets (Landfill gas et Methane avoidance) et aux projets de boisement/reboisement (graphique 6). Par contre, il est plus incertain pour les projets hydrauliques ou industriels. Ces résultats confirment les conclusions de Olsen et Fenhann (2008).

Graphique 6

Bénéfices du MDP sur les dimensions du développement « durable » par type de projet (en points)

Bénéfices du MDP sur les dimensions du développement « durable » par type de projet (en points)

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2.3.3.1 Les projets hydrauliques aux effets aléatoires

Bien que notre analyse montre que 65 % des projets MDP hydrauliques améliorent la qualité des eaux, les impacts de ces projets sur la dimension environnementale du développement « durable » sont controversés. En effet, les effets collatéraux néfastes des projets hydrauliques sont très complexes à estimer (notamment pour les grands projets). La Banque mondiale souligne par exemple le haut niveau d’incertitude sur les conséquences des projets hydrauliques sur les précipitations (World Bank, 2011). Ils peuvent aussi avoir des impacts négatifs sur la faune, sur la flore et sur les populations locales (déplacement et conflits sociaux).

2.3.3.2 Le cas particulier des MDP forestiers

Le Pérou compte 68,7 millions d’hectares de forêts naturelles, dont 99,4 % dans sa partie orientale. Il possède la 8e couverture forestière du monde et la 2e d’Amérique latine derrière le Brésil. Le taux de déforestation entre 1990 et 2000 a été évalué à 150.000 hectares par an (Elgegren, 2005; INRENA, 2005; Larsen et Strukova, 2005). Les projets forestiers ont un impact certain sur la dimension environnementale (qualité de l’eau et préservation des espèces et des sols) et sociale (emploi, éducation et bien-être) du développement « durable » (graphique 6). Tout d’abord, ces projets de reforestation s’intègrent dans une politique de lutte contre la déforestation. Aussi, ils peuvent promouvoir de nouvelles connaissances sur la gestion des forêts. Enfin, ils permettent une diversification des revenus des populations locales par une reconversion des activités agricoles vers une activité forestière.

Mais, les projets MDP forestiers restent difficiles à développer et sont soumis à de nombreuses controverses. Tout d’abord, les réductions des émissions ne sont que temporaires (séquestrées) et non définitives. De plus, le marché carbone européen[26] (EU ETS) n’accepte pas les crédits issus de projets de « reforestation ». Par ailleurs, des problèmes méthodologiques dans le montage et dans l’évaluation de ce type de projet se posent. Enfin, les risques de conflits sociaux ou communautaires sont importants concernant le thème sensible des droits de propriétés.

Les prochaines réunions internationales sur le changement climatique donneront, ou non, plus de lisibilité au développement à grande échelle des projets forestiers.

2.3.3.3 Le fort potentiel des projets liés à la gestion des déchets

Les projets de valorisation et de gestion des déchets favorisent la dimension environnementale du développement « durable » en améliorant la qualité de l’air (diminution des polluants autres que les GES) et des sols mais aussi en protégeant les ressources naturelles (graphique 7). L’impact de ce type de projet MDP est évident sur la santé et le bien-être des populations locales. Le traitement des déchets est une des priorités des autorités environnementales péruviennes. En effet, selon le MINAM (2010b), le Pérou produit 17 200 tonnes de déchets par jour et seulement 31 % sont traités. Aussi, la quantité de déchets produits devrait doubler dans la prochaine décennie. Le potentiel des projets MDP liés à la gestion des déchets est donc considérable mais leur nombre, trop limité à ce jour, en réduit l’impact.

2.4 Les limites de l’analyse qualitative sur la contribution du MDP au développement « durable »

Les difficultés rencontrées dans notre analyse sont d’ordre méthodologique mais aussi théorique.

Tout d’abord, nous accordons le même poids (+1) aux quatre critères composant chaque dimension du développement « durable » (« environnement », « social », « économie »). De plus, nous comparons des critères incommensurables entre eux (balance des paiements et préservation) puisque nous mettons sur un même plan des variables aux horizons temporels différents (temps économique et temps biologique). La méthodologie utilisée nous permet néanmoins de surmonter les difficultés méthodologiques et théoriques concernant l’évaluation monétaire des ressources naturelles.

De plus, les critères choisis et leur notation sont discutables. D’une part, il existe un risque de double comptabilisation. Par exemple, un projet réduisant les pollutions urbaines aura aussi un impact sur la santé. De même, le transfert de connaissances favorisera le critère « éducation » mais aussi le « transfert technologique ». D’autre part, ces critères sont codés positivement (+1) : nous excluons donc la possibilité que les projets MDP puissent avoir un effet négatif sur le développement.

Graphique 7

Bénéfices des projets Landfill gas et Methane avoidance sur le développement « durable » (en pourcentage)

Bénéfices des projets Landfill gas et Methane avoidance sur le développement « durable » (en pourcentage)

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Par ailleurs, les données quantitatives et qualitatives étant assez rares dans les PDDs, il est difficile de définir des seuils. Par exemple, certains projets peuvent créer des milliers d’emplois alors que d’autres en annoncent une dizaine. Au niveau du codage, quelques projets peuvent également être sur ou sous-cotés par suite de l’imprécision des données fournies dans le PDD concernant le développement.

Enfin, les résultats de notre analyse sur la contribution du MDP au développement sont des bénéfices potentiels et non pas des bénéfices réels et mesurables. C’est pourquoi, il serait indispensable de comparer les impacts du MDP sur le développement décrits dans le PDD et ses impacts effectifs une fois le projet terminé.

Conclusion

Grâce à un afflux d’investissements estimé par le FONAM (2011) à 12,2 milliards de $ US, le MDP est devenu une source de financement intéressante pour le développement du Pérou. Néanmoins, l’impact du MDP sur la seule dimension environnementale du développement « durable » sera limité. En effet, rares sont les MDP dans le secteur des déchets, dans les énergies renouvelables (hors hydrauliques) ou dans les transports, essentiels au développement soutenable du pays. Plus préoccupant, le déséquilibre géographique dans l’implantation des projets MDP risque d’accentuer les inégalités régionales et sociales.

Les résultats de cette analyse permettent d’orienter les autorités péruviennes dans leur choix de soutenir, ou non, l’essor de certains types de projets MDP en fonction de leurs priorités politiques en matière de développement.