Panel: Une histoire du poisson durable ? Le droit et la régulation de la pêche en Suisse (XIVe-XVIIIe siècle)

Author of the report
Idrisse Désiré
Machia A Rim
Université de Fribourg
Citation: Machia A Rim Idrisse Désiré: « Panel: Une histoire du poisson durable ? Le droit et la régulation de la pêche en Suisse (XIVe-XVIIIe siècle) », infoclio.ch Tagungsberichte, 15.07.2022. En ligne: <https://www.doi.org/10.13098/infoclio.ch-tb-0257>, consulté le 28.03.2024

Responsabilité : Marco Cicchini, Pascale Sutter
Intervenantes et intervenants : Claudia Sutter, Roman Sigg, Michael Schaffner, Rainer Hugener, Alice Bairoch de Sainte-Marie, Marco Cicchini
Commentaire : Barbara Roth

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Avec ses 1500 lacs, la Suisse est considérée comme le château d’eau de l’Europe, réalité pouvant susciter des convoitises. Du XIVe au XVIIIe siècle, les cours d’eau qui l’arrosent ont joué simultanément le rôle de passerelles et de frontières. Par ailleurs, ils ont généré plusieurs activités économiques, à l’instar du commerce et de la pêche. Quant à cette dernière, le poisson apparait comme l’une des ressources halieutiques les plus prisées. Compte tenu de l’importance d’une telle activité et de sa nature transfrontalière, son encadrement juridique s’est avéré indispensable. Pour mettre en relief les différentes régulations autour des pratiques de pêche en Suisse, des spécialistes issus de trois universités ont confronté les résultats de leurs travaux, échanges conclus par le commentaire de BARBARA ROTH (Genève).

CLAUDIA SUTTER (Saint-Gall) et ROMAN SIGG (Saint-Gall) ont détaillé la régulation de la pêche dans deux segments transfrontaliers du Rhin, le haut Rhin (Hochrhein) et l’Untersee. Plus long fleuve de Suisse et frontière naturelle avec l’Allemagne, le Liechtenstein et l’Autriche, le Rhin voit sa partie alpine se jeter dans le Bodensee. Profond de 40 m pour une superficie totale de 62 km2, l’Untersee, à l’ouest du Bodensee, marque pour sa part la frontière entre l’Allemagne et les cantons suisses de Thurgovie et de Schaffhouse. Grâce à la diplomatie, les représentants du monastère de Reichenau et des villes de Schaffhouse, Steckborn, Diessenhofen et Stein am Rhein élaborèrent, entre le XIVe et le XVIIIe siècle, des mécanismes de régulation de la pêche. Il s’agissait entre autres de la prohibition des techniques de pêche dites « barbares » car pouvant entrainer la disparition définitive des poissons, de la migration de ces derniers vers des espaces plus sécurisés, mais encore de la limitation de la pollution des eaux. Les autorités s’attachèrent également à limiter le nombre de captures, à définir les périodes de pêche et à préserver les petits poissons. Une telle attitude traduisait un intérêt manifeste des milieux dirigeants pour la question du développement des ressources au Moyen âge. La préservation des jeunes poissons devait favoriser leur reproduction pour le bien-être des générations futures. Nonobstant ces efforts de réglementation, cette législation n’était que partiellement respectée.

MICHAEL SCHAFFNER (Zurich), RAINER HUGENER (Zurich) ont traité des enjeux de la régulation de la pêche à Zurich entre le XIVe et le XVIIIe siècle. Le réseau hydrographique de cette ville est dense, avec deux cours d’eaux principaux : le Greifensee et le lac de Zurich, d’une superficie d’environ 88,66 km2. Parmi les espèces aquatiques attestées dans ces deux cours d’eau, la présence d’une grande variété de poissons et de crustacés a contribué à modifier la physionomie de cette entité territoriale. Compte tenu de l’importance de ces ressources halieutiques, la nécessité de normer l’exercice de la pêche s’invita naturellement à la table des discussions des autorités locales. Leur objectif était de faire cesser les pratiques de braconnage, conduisant inévitablement à une segmentation législative des domaines de pêche et par la définition des circuits de ravitaillement. La réglementation de la pêche visait en outre l’amélioration des conditions de vie des pêcheurs, en plus de la préservation des ressources naturelles. À partir de 1370, différentes législations relatives à la pêche dans le lac de Zurich sont dès lors attestées et des droits particuliers sont accordés à des autorités ecclésiastiques telles que l’abbaye d’Einsiedeln et le couvent de Wurmsbach, ce dans l’intention de normer l’activité commerciale. La scrupuleuse application des autorités zurichoises à réguler la pêche dans leurs diverses seigneuries rend compte de leur attachement aux questions de préservation des ressources naturelles, faisant écho aux débats contemporains à propos d’écologie et de durabilité, thématiques devenues incontournables.

Dans leur intervention, ALICE BAIROCH DE SAINTE-MARIE (Genève) et MARCO CICCHINI (Genève) remontent aux sources médiévales de la réglementation de la pêche à Genève, puis constatent une amplification des mesures entre le XVIIe et le XVIIIe siècle. Conscientes des dérives et autres pratiques de contrebande au sein des circuits de production, de distribution et de consommation du poisson provenant du Léman, les autorités genevoises ont strictement régulé ces activités afin de contrôler l’exercice de la pêche. Par conséquent, aucun élément n’est négligé par les Conseils s’agissant de l’élaboration des lois sur la pêche, d’autant plus que le Léman est partagé avec Berne ou la Savoie. Les variétés de poissons propices aux captures furent ainsi clairement définies, le volume des prises arrêté, les périodes d’exercice de la pêche fixées, les outils et engins utilisables par les pêcheurs précisés. En édictant de telles lois, le magistrat sensibilisait sa population et se portait garant de la sécurité alimentaire de la République, restreignant en outre la prolifération des prédateurs dans les cours d’eau. En fonction du contexte politique, les législations prises par cette ville faisant frontière avec la Savoie et la France évoluèrent. Ce faisant, l’étude de ces lois donne à voir les évolutions étatiques à l’œuvre : en s’arrogeant des compétences du ressort de seigneurs justiciers à l’époque médiévale, la bourgeoisie de Genève prouve qu’elle parvient progressivement, dès le XVIe siècle, à s’octroyer des compétences sur des domaines régaliens fondamentaux, tels que la gestion des ressources halieutiques.

Les trois interventions ont permis de démontrer que la régulation de la pêche ne commence pas avec les sociétés contemporaines, remontant au contraire à des périodes très antérieures. En outre, la régularisation de cette activité économique ne visait pas exclusivement à satisfaire les besoins en alimentation des populations locales. Elle permettait non seulement de parer à d’éventuels conflits diplomatiques dans des cours d’eau faisant frontières, mais aussi de préserver la nature et ses ressources dans l’espoir d’assurer la survie des générations futures.

Aperçu du panel :
Sutter, Claudia; Sigg, Roman : Grenzüberschreitender Schutz von Fischen in Hochrhein und Untersee im Spätmittelalter

Schaffner, Michael; Hugener Rainer : Von den Einungen zur Ordnung : Die Regulierung der Fischerei im Zürcher Herrschaftsgebiet (14.–18. Jahrhundert)

Bairoch de Sainte-Marie, Alice; Cicchini, Marco : « Il n’y aura que des lois sévères qui puissent arrêter le mal ». Réguler la pêche à Genève au XVIIIe siècle

Evènement
6e Journées suisses d'histoire
Organisé par
Société suisse d'histoire et Université de Genève
Date de l'événement
Lieu

Genève

Langue
Français
Report type
Conference