Rapports sur la santé
L’acouphène au Canada

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par Pamela L. Ramage-Morin, Rex Banks, Dany Pineault et Maha Atrach

Date de diffusion : le 20 mars 2019

DOI : https://www.doi.org/10.25318/82-003-x201900300001-fra

L’acouphène est la perception d’un bruit en l’absence d’une source de son externe; on l’appelle aussi le bruit fantômeNote 1. L’acouphène est habituellement classé comme étant subjectif ou objectif. Dans au moins 95 % des cas, l’acouphène est subjectif, c’est-à-dire que les sons dans la tête ou les oreilles sont perceptibles uniquement par la personneNote 2. En revanche, l’acouphène objectif se produit lorsque la perception des sons découle de sources à l’intérieur du corps; les sons sont transmis à l’oreille et peuvent parfois être entendus par un médecin lors d’une auscultation (c.-à-d. à l’écoute des sons provenant du cœur, des poumons et d’autres organes)Note 1Note 3. La nature du son perçu varie d’une personne à l’autre, mais elle a été décrite comme un tintement, un bourdonnement, un grondement, un grincement ou comme le son des grillons, des cigales, du vent ou de la vapeur qui s’échappeNote 1Note 4. L’acouphène pulsatile est rythmique, synchronisé avec les pulsations cardiaquesNote 1Note 5.

La gravité et la persistance de l’acouphène peuvent varier d’une occurrence de courte durée sans conséquence à un problème de santé chronique qui perturbe la vie d’une personneNote 6Note 7. L’acouphène a été associé à l’anxiété, à la dépression, à l’insomnie, à l’irritation, au stress et même au suicide, bien que ce dernier puisse indiquer la présence de troubles de santé mentale concomitantsNote 6Note 7Note 8Note 9.

L’acouphène peut être un problème de santé primaire sans cause connue outre la perte auditive ou un problème de santé secondaire attribuable à des facteurs tels que l’exposition à un bruit intense, d’autres causes otologiques, une blessure ou une maladie neurologique, des troubles dentaires, certains médicaments ou certaines maladies infectieusesNote 1Note 6Note 7Note 10. Même lorsqu’on peut déterminer les circonstances qui déclenchent l’acouphène, les mécanismes qui prolongent les symptômes ne sont pas clairsNote 6. La physiopathologie de l’acouphène est complexe et n’est pas universellement admiseNote 11Note 12. La majorité des patients développent des acouphènes comme symptôme d’une perte auditive, qui est causée par l’âge, un traumatisme sonore, une blessure à la tête ou des médicaments ototoxiques. La perte auditive réduit la quantité de stimuli sonores externes qui se rendent au cerveau. En réaction, le cerveau subit des changements neuroplastiques dans sa manière de traiter différentes fréquences sonores. On croit que l’acouphène est le produit de changements neuroplastiques inadaptésNote 1Note 3Note 11Note 12.

L’acouphène ne se guérit pas; la gestion des symptômes est axée sur la qualité de vie et varie selon des facteurs tels que la gravité, les répercussions, la perte auditive concomitante et les besoins individuelsNote 13. Une approche thérapeutique personnalisée est recommandée et pourrait incorporer la consultation, la thérapie sonore (p. ex. la thérapie d’habituation à l’acouphène), la psychothérapie (p. ex. la thérapie cognitivo-comportementale) et la gestion de la perte auditive (p. ex. les appareils auditifs, les implants cochléaires)Note 13Note 14. On peut prescrire des médicaments contre l’acouphène, particulièrement en présence de problèmes de santé concomitants comme la dépression ou l’insomnieNote 13. Les interventions ciblent les personnes chez qui l’acouphène persistant et incommodant pourrait nuire à la qualité de vieNote 6Note 15.

Jusqu’à tout récemment, les cliniciens se fiaient aux données des États-Unis pour estimer la prévalence de l’acouphène au sein de la population canadienne. Aux États-Unis, environ 50 millions d’adultes ont eu des acouphènes au cours de l’année précédente et 16 millions d’entre eux en avaient presque tout le temps ou au moins quotidiennementNote 16. Les données de l’Enquête canadienne sur les mesures de la santé (ECMS) de 2012 à 2013 indiquent que 43 % des Canadiens âgés de 16 à 79 ans (11,5 millions de personnes) avaient déjà eu des acouphènes pendant leur vie et que 35 % en avaient eu au cours de l’année précédenteNote 17. La diffusion de données de l’ECMS qui sont plus récentes (de 2014 à 2015) et leur combinaison avec les données du cycle précédent permettent de mener des analyses plus poussées sur les acouphènes s’étant manifestés au cours de l’année précédente au Canada. Cela comprend des estimations de l’acouphène incommodant et une exploration des facteurs associés à ce problème de santé, plus particulièrement les sources de bruit, les problèmes de santé chroniques, les mesures du bien-être, la perte auditive et l’utilisation d’appareils auditifs. Cette information sera utile en vue d’accroître la sensibilisation au sujet de l’acouphène, de planifier les traitements et de mener d’autres recherches au Canada.

Méthodes

Source de données

L’ECMS est une enquête transversale permanente qui échantillonne les ménages de cinq régions canadiennes (l’Atlantique, le Québec, l’Ontario, les Prairies et la Colombie-Britannique). Les participants fournissent des données démographiques et socioéconomiques ainsi que des renseignements sur leur santé et leur mode de vie dans le cadre d’une interview en personne qui a lieu à domicile et qui est assistée par ordinateur, puis d’une visite à un centre d’examen mobile (CEM) où on recueille des mesures physiques directes. Sont exclus du champ de l’ECMS les membres à temps plein des Forces armées canadiennes, les résidents des trois territoires, des réserves et autres peuplements autochtones et de certaines régions éloignées ainsi que la population vivant en établissement comme les établissements de soins infirmiers. Ensemble, ces exclusions représentent environ 4 % de la population cible. Les interviews par personne interposée étaient admises dans les cas de déficience physique ou intellectuelle.

Les données des cycles 3 et 4 (de 2012 à 2013 et de 2014 à 2015) ont été combinées aux fins de la présente analyse. Pour chaque cycle, les données ont été recueillies de janvier (de la première année) à décembre (de la deuxième année) à 16 emplacements, qui ont été sélectionnés au hasard parmi l’ensemble des cinq régions et où l’un des deux CEM a été installé. Le taux de réponse combiné des cycles 3 et 4 pour les composantes des ménages et des CEM était de 52,7 %. Les renseignements détaillés sur le plan d’échantillonnage, la collecte des données et le calcul des taux de réponse figurent dans les guides de l’utilisateur des données de l’ECMSNote 18Note 19 et dans les Instructions pour la combinaison de multiples cycles de l’Enquête canadienne sur les mesures de la santé (ECMS)Note 20. De plus amples renseignements sur la base de sondage et la collecte des données sont disponibles sur le site Web de Statistique Canada.

Échantillon de l’étude

La présente étude est fondée sur un échantillon de 6 571 répondants (3 250 hommes et 3 321 femmes) de 19 à 79 ans. L’échantillon pondéré du cycle 3 (n = 3 288) et du cycle 4 (n = 3 283) représentait une population de 25,9 millions de Canadiens. Pour les descriptions détaillées du processus de pondération permettant de calculer des estimations démographiques à partir de l’échantillon, veuillez consulter les guides de l’utilisateur des données de l’ECMSNote 18Note 19.

Définitions

Dans l’ECMS, on a décrit l’acouphène comme « la perception d’un sifflement, d’un bourdonnement, d’un tintement ou d’un son strident ou assourdissant dans les oreilles quand il n’y a pas d’autres sons autour (...) ». La présente étude porte précisément sur les répondants qui avaient eu des acouphènes au cours de l’année précédente. On leur a demandé si les acouphènes les dérangeaient au point d’avoir, par exemple, des répercussions sur leur sommeil, leur concentration ou leur humeur. On a considéré que les personnes qui avaient répondu « Oui » souffraient d’acouphène incommodant.

On a retenu les sources suivantes d’exposition à un bruit intense au cours de l’année précédente au travail, à l’école et dans les loisirs : la musique amplifiée (p. ex. à un concert), les outils électriques, les événements sportifs ou de divertissement (p. ex. une partie de hockey) et les armes à feu (p. ex. un fusil). Le bruit intense était autodéclaré; il a été décrit auprès des répondants comme un volume qui nécessitait de parler plus fort pour se faire comprendre ou pour communiquer avec une personne située à une distance d’un bras. Les répondants ont indiqué toutes les sources pertinentes. Parmi toutes les sources de bruit intense, on a sélectionné ce sous-ensemble, car il y avait des questions de suivi à propos des effets de la source de bruit sur les acouphènes.

On a questionné les répondants à propos de leur utilisation de casques d’écoute ou d’écouteurs à placer dans les oreilles pour écouter de la musique, des films ou d’autres types de matériel audio sur des appareils tels que les lecteurs MP3, les iPod, les téléphones cellulaires, les chaînes stéréo, les téléviseurs et les ordinateurs. Les personnes que l’on appelle « utilisateurs » ont répondu « Oui » à la question suivante : « Au cours des 12 derniers mois, avez-vous utilisé des appareils audio avec un casque d’écoute ou des écouteurs qu'on place dans les oreilles? » On leur a également posé la question suivante : « En moyenne, au cours des 12 derniers mois, combien d’heures par semaine avez-vous écouté de la musique, des films ou d’autres types de matériel audio en utilisant un casque d’écoute ou des écouteurs qu'on place dans les oreilles? » Les utilisateurs dont le nombre d’heures et de minutes était zéro ainsi que ceux qui n’ont pas précisé leur utilisation hebdomadaire moyenne ont été considérés comme des utilisateurs occasionnels; on les a retenus aux fins de l’estimation de la moyenne d’heures d’écoute. Les moyennes hebdomadaires des heures d’utilisation et d’utilisation à un volume élevé au cours des 12 derniers mois ont été estimées par groupe d’âge. Une réponse affirmative à au moins une des deux questions suivantes a permis d’établir le volume élevé : « Le niveau du volume est-il habituellement égal ou supérieur aux trois quarts du volume maximal? » et « Le volume est-il généralement si élevé qu’une personne se trouvant à la distance d'un bras doive parler d'une voix élevée pour que vous compreniez ce qu’elle dit? » On a calculé le nombre moyen d’heures d’écoute et d’heures d’écoute à un volume élevé par semaine pour l’ensemble de la population (les personnes n’ayant pas utilisé de casque d’écoute ou d’écouteurs n’ont fourni aucune heure) et pour la sous-population des utilisateurs (les utilisateurs occasionnels n’ont fourni aucune heure). L’inclusion des utilisateurs occasionnels fournit une estimation plus prudente de la moyenne d’heures hebdomadaires que si on avait exclu ces personnes.

Une variable dichotomique, créée pour le modèle de régression logistique, regroupait les répondants qui avaient été exposés à un bruit intense de l’une ou de plusieurs des sources sélectionnées ou qui avaient utilisé des casques d’écoute ou des écouteurs à placer dans les oreilles avec leurs appareils audio par rapport aux adultes n’ayant pas été exposés à ces types de bruits.

On a questionné les répondants sur les problèmes de santé de longue durée (durant ou devant durer au moins six mois) qui avaient été diagnostiqués par un professionnel de la santé. Dans le cadre de la présente analyse, on a sélectionné les problèmes de santé chroniques qui ont été associés à l’acouphène directement ou en raison de médicaments liés à un traitement : la tension artérielle élevée (y compris l’utilisation de médicaments pour l’hypertension au cours du mois précédent), une maladie cardiovasculaire (c.-à-d. est atteint d’une maladie du cœur, a eu une crise cardiaque ou souffre de troubles dus à un accident vasculaire cérébral), le diabète (sauf le diabète de grossesse), l’arthrite et une dysfonction rénale ou une maladie du rein.

On a examiné cinq catégories d’indice de masse corporelle (IMC = mesure du poids [kg] / mesure de la taille [mètres] au carré) : un poids insuffisant (< 18,50 kg/m2), un poids normal (18,50 kg/m2 à 24,99 kg/m2), un surpoids (25,00 kg/m2 à 29,99 kg/m2), l’obésité de classe I (30,00 kg/m2 à 34,99 kg/m2) et l’obésité de classe II et de classe III (≥ 35,00 kg/m2)Note 21.

Pour l’exposition à la fumée, on a classé les répondants comme fumeurs (tous les jours ou à l’occasion) ou non-fumeurs (ancien fumeur ou personne qui n’a jamais fumé). On a subdivisé le groupe des non-fumeurs en fonction de l’exposition à la fumée secondaire, définie comme le fait de vivre dans un foyer où l’usage du tabac était permis ou d’être exposé à la fumée secondaire dans des véhicules privés, des lieux de travail, la résidence d’une autre personne ou des espaces publics intérieurs.

Dans des questions distinctes, on a demandé aux répondants d’évaluer leur santé mentale et leur qualité de vie. Les personnes ayant répondu « Mauvaise » ou « Passable » ont été regroupés et comparés aux personnes ayant répondu « Bonne », « Très bonne » ou « Excellente » à chaque question.

Les troubles de l’humeur étaient autodéclarés en réponse à la question : « Êtes-vous atteint d’un trouble de l’humeur tel que la dépression, le trouble bipolaire, la manie ou la dysthymie? »

On a demandé aux répondants : « Comment décririez-vous votre sentiment d’appartenance à votre communauté locale? Diriez-vous qu’il est... Très fort; Plutôt fort; Plutôt faible; Très faible? » On a catégorisé les personnes qui ont choisi l’une ou l’autre des deux dernières réponses comme ayant un faible sentiment d’appartenance à leur collectivité.

Les réponses à la question « En pensant à la quantité de stress dans votre vie, diriez-vous que la plupart de vos journées sont... » ont été catégorisées comme un stress quotidien élevé (« Assez stressantes » ou « Extrêmement stressantes ») comparativement à un stress quotidien faible (« Pas du tout stressantes », « Pas tellement stressantes » ou « Un peu stressantes »).

Les personnes qui ont répondu « Jamais » ou « Rarement » à la question « À quelle fréquence votre sommeil est-il réparateur? » ont été considérées comme ayant un sommeil de mauvaise qualité comparativement à celles qui ont répondu « Parfois », « La plupart du temps » ou « Tout le temps ».

Une évaluation audiométrique a permis d’établir la perte auditive. Celle-ci a été définie comme un seuil d’audition unilatéral ou bilatéral supérieur à 25 dB dans la pire oreille, selon une moyenne des sons purs (MSP) sur quatre fréquences, soit 0,5 kHz, 1 kHz, 2 kHz et 4 kHz, une MSP aux hautes fréquences de 3 kHz, 4 kHz, 6 kHz et 8 kHz et une MSP aux basses fréquences de 0,5 kHz, 1 kHz et 2 kHz. Les personnes qui présentaient une MSP supérieure au seuil de 25 dB aux hautes fréquences, aux basses fréquences ou aux quatre fréquences ont été classées comme ayant une perte auditive. Le seuil de perte auditive pour les adultes âgés de 19 ans ou plus était fondé sur les lignes directrices de l’American Speech-Language-Hearing AssociationNote 22. Les tests audiométriques étaient menés par des spécialistes des mesures de la santé formés et supervisés par un audiologiste certifié qui assurait le contrôle de la qualité. Pendant le test, les répondants prenaient place dans une cabine d’audiométrie portative (Eckel AB-4230) et la porte était fermée. De plus amples renseignements sur l’évaluation audiométrique sont disponibles ailleursNote 23.

Les utilisateurs d’appareils auditifs étaient les personnes qui avaient déclaré avoir une prothèse auditive pour l’oreille gauche, l’oreille droite ou les deux oreilles.

Techniques d’analyse

On a calculé des fréquences pondérées et des tableaux croisés afin d’examiner la prévalence de l’acouphène au cours de l’année précédente selon le sexe, le groupe d’âge, la source de bruit, la perte auditive, l’utilisation d’appareils auditifs et d’autres facteurs associés à l’acouphène. Les estimations de la prévalence des résultats défavorables associés à l’acouphène sont présentées. On a utilisé un modèle de régression logistique corrigé selon le sexe pour examiner les cotes exprimant le risque de déclarer la présence de l’acouphène au cours de l’année précédente après avoir pris en compte l’exposition au bruit. Une variable dichotomique pour l’exposition au bruit regroupait les personnes ayant été exposées à une ou à plusieurs des sources de bruit sélectionnées par rapport à celles qui n’avaient été exposées à aucune des sources sélectionnées. On a calculé la moyenne pondérée des heures d’utilisation d’un casque d’écoute ou d’écouteurs à placer dans les oreilles par semaine au cours des 12 mois précédents selon le volume dans l’ensemble et selon le groupe d’âge pour deux populations : la population totale et la population des utilisateurs. Les utilisateurs sont ceux qui ont déclaré avoir utilisé un casque d’écoute ou des écouteurs à placer dans les oreilles au cours de l’année précédente et comprennent les personnes qui, par la suite, ont déclaré avoir utilisé un casque d’écoute ou des écouteurs à placer dans les oreilles en moyenne zéro heure par semaine (ces répondants étaient considérés comme des utilisateurs occasionnels). Les utilisateurs occasionnels n’ont apporté aucune heure au calcul de la moyenne, ce qui a donné lieu à des estimations plus prudentes. Pour tenir compte du plan de sondage complexe, on a calculé des intervalles de confiance (IC) de 95 %, des erreurs-types et des coefficients de variation en utilisant la méthode bootstrap avec 22 degrés de libertéNote 24Note 25. Dans les tableaux et le texte, les estimations avec un coefficient de variation de 16,6 % à 33,3 % sont marquées d’un « E » (à utiliser avec prudence).

Résultats

Prévalence de l’acouphène

On estime que 37 % des adultes canadiens (9,2 millions de personnes) avaient eu des acouphènes au cours de l’année précédente (tableau 1). Ils étaient incommodants pour 7 % d’entre eux, ayant des répercussions sur des aspects de leur vie comme le sommeil, la concentration et l’humeur. Même si les hommes étaient plus susceptibles que les femmes d’avoir des acouphènes, ils étaient aussi plus susceptibles de déclarer que cela ne les incommodait pas. Les personnes plus jeunes ayant de 19 à 29 ans étaient plus susceptibles que celles des groupes d’âge supérieurs d’avoir eu des acouphènes au cours de l’année précédente, mais elles ont aussi déclaré que cela ne les incommodait pas.

Sources de bruit intense

La prévalence plus élevée des acouphènes au cours de l’année précédente chez les personnes d’un plus jeune âge pourrait s’expliquer en partie par leur utilisation d’appareils audio avec des casques d’écoute ou des écouteurs à placer dans les oreilles ainsi que par une exposition à un bruit intense provenant d’autres sources au cours de la même période. En fait, 80 % des adultes du groupe d’âge le plus jeune ont déclaré avoir utilisé des casques d’écoute ou des écouteurs à placer dans les oreilles qui étaient branchés à des appareils audio au cours de l’année précédente, un pourcentage considérablement plus élevé que chez les adultes âgés de 30 à 49 ans (53 %) ou de 50 à 79 ans (28 %) (figure 1). La moyenne hebdomadaire de temps d’écoute était plus élevée chez les adultes de 19 à 29 ans (6,2 heures par semaine) que chez les groupes d’âge moyen et plus âgés, dont les moyennes respectives étaient 2,9 heures et 1,4 heure par semaine (tableau 2). Ces moyennes comprennent l’ensemble de la population et, par conséquent, tiennent compte de la proportion de la population qui n’a pas utilisé d’appareils audio avec des casques d’écoute ou des écouteurs à placer dans les oreilles au cours de l’année précédente (ces utilisateurs n’ont apporté aucune heure au calcul de la moyenne). Cependant, même lorsqu’on limite la moyenne hebdomadaire d’heures d’écoute au sous-ensemble des utilisateurs dans chaque groupe d’âge, les plus jeunes présentent une moyenne d’heures supérieure (7,8 heures par semaine) à celle des personnes de 30 à 49 ans (5,5 heures par semaine) ou de 50 à 79 ans (5,2 heures par semaine). Des tendances similaires ont été observées pour la moyenne hebdomadaire d’heures d’écoute à un volume élevé, qui est défini comme un volume habituellement réglé aux trois quarts ou plus du volume maximal ou comme un volume si élevé qu’une personne située à la distance d’un bras doit hausser la voix pour se faire comprendre.

En plus de l’utilisation de dispositifs audio, la plus jeune cohorte était plus susceptible que les autres d’être exposée au travail, à l’école ou pendant les loisirs à une musique forte et amplifiée que l’on entend dans les concerts, les boîtes de nuit et à d’autres endroits de même qu’au bruit intense des armes à feu (figure 1). La plus jeune cohorte était également plus susceptible que le groupe des personnes de 50 à 79 ans de déclarer une exposition au bruit intense des événements sportifs et de divertissement comme des parties de hockey. Dans l’ensemble, 85 % (IC de 95 % : 82 à 87) des hommes et 70 % (IC de 95 % : 68 à 72) des femmes ont été exposés à une ou à plusieurs sources de bruit intense. Lorsque cette exposition a été prise en compte dans un modèle de régression logistique, la différence entre les hommes et les femmes ayant eu des acouphènes au cours de l’année précédente qui est présentée dans l’analyse bivariée (tableau 1) n’était plus évidente. Initialement, les cotes exprimant le risque de présenter des acouphènes au cours de l’année précédente étaient plus élevées chez les hommes que chez les femmes (1,26, IC de 95 % : 1,02 à 1,56). Toutefois, lorsque l’exposition à une ou à plusieurs sources de bruit était ajoutée au modèle, les cotes exprimant le risque d’avoir eu des acouphènes au cours de l’année précédente n’étaient plus significatives (1,17, IC de 95 % : 0,96 à 1,42).

Facteurs de risque

Au cours de l’année précédente, 42 % des personnes qui faisaient de l’hypertension artérielle ou qui prenaient des médicaments pour contrôler leur tension artérielle avaient eu des acouphènes, comparativement à 35 % des personnes qui ne faisaient pas d’hypertension artérielle (tableau 3). L’arthrite était aussi associée de façon significative à l’acouphène : 43 % des personnes faisant de l’arthrite ont aussi déclaré avoir des acouphènes, comparativement à 35 % des personnes ne présentant pas ce problème de santé. On n’a détecté aucune différence notable dans la prévalence de l’acouphène entre les personnes ayant une maladie cardiovasculaire, le diabète ou une maladie rénale et les personnes ne présentant pas ces problèmes de santé chroniques. Malgré cela, la prévalence de l’acouphène était plus élevée (41 %) chez les personnes ayant déclaré avoir un ou plusieurs des problèmes de santé évalués comparativement à celles n’en ayant pas (34 %). Aucune association significative n’était évidente entre l’IMC et l’acouphène. Les personnes exposées à la fumée (directement en tant que fumeur ou indirectement par la fumée secondaire) étaient plus susceptibles de déclarer la présence d’acouphènes (42 % et 43 % respectivement) que les non-fumeurs qui n’étaient pas exposés à la fumée secondaire (34 %).

Faibles niveaux de bien-être

Les adultes ayant eu des acouphènes au cours de l’année précédente, particulièrement s’ils étaient incommodants, étaient plus susceptibles que les personnes n’ayant pas eu d’acouphènes de déclarer de faibles niveaux de bien-être (figure 2). Par exemple, le sommeil n’était jamais réparateur ou l’était rarement pour 30 % des personnes présentant des acouphènes incommodants et 23 % des personnes ayant des acouphènes non incommodants, des pourcentages qui sont considérablement plus élevés que chez les personnes n’ayant pas d’acouphènes (17 %). Dans l’ensemble, 17 % des personnes ayant des acouphènes incommodants et 10 % des personnes ayant des acouphènes non incommodants ont qualifié leur santé mentale de mauvaise ou passable, comparativement à 6 % des personnes ne présentant pas d’acouphènes. La prévalence d’un trouble de l’humeur comme la dépression ou un trouble bipolaire était plus de deux fois plus élevée chez les personnes ayant des acouphènes incommodants (19 %) ou non incommodants (17 %) que chez les adultes sans acouphènes (8 %).

Perte auditive et acouphène

L’évaluation audiométrique et les questions de l’ECMS ont révélé que 60 % des adultes canadiens avaient présenté une perte auditive ou des acouphènes (au cours de l’année précédente) ou les deux (tableau 4). On estime que 24 % des adultes présentaient un certain degré de perte auditive dans une ou deux oreilles sans avoir d’acouphènes, 22 % avaient seulement des acouphènes et 15 % étaient atteints des deux problèmes de santé. Les personnes aux prises avec une perte auditive et des acouphènes étaient deux fois plus susceptibles d’utiliser des appareils auditifs (11 %) que les personnes présentant seulement une perte auditive (5 %).

Discussion

La présente étude a examiné la prévalence de l’acouphène au cours de l’année précédente et les facteurs associés à ce problème de santé parmi un échantillon d’adultes de 19 à 79 ans représentatif à l’échelle nationale; on estime que 37 % de la population adulte avait eu des acouphènes au cours de l’année précédente, et 7 % des personnes ont déclaré que ce problème de santé était incommodant. McCormack et coll.26 ont examiné 39 études, qui ont toutes été réalisées à l’extérieur du Canada, et ont observé des estimations de la prévalence de l’acouphène qui variaient considérablement : de 5 % à 43 % pour un acouphène courant et de 3 % à 31 % pour un acouphène incommodant. Ils ont conclu que les comparaisons étaient rendues difficiles par l’absence de critères et de définitions normalisés de l’acouphène ainsi que par les différences entre les questions, les catégories de réponse, les périodes de temps, les groupes d’âge et les méthodologies d’enquête. Les estimations de prévalence de la présente étude s’inscrivent à l’intérieur des intervalles indiqués par McCormack et coll.Note 26, quoiqu’elles se situent dans la plage supérieure pour l’acouphène au cours de l’année précédente et dans la plage inférieure pour l’acouphène incommodant.

Selon l’analyse bivariée de la présente étude, les hommes étaient plus susceptibles que les femmes d’avoir eu des acouphènes, ce qui est cohérent avec certains rapportsNote 15Note 26Note 27, mais pas tousNote 10Note 28Note 29. Cette différence n’était plus notable lorsqu’on prenait en compte l’exposition au bruit. Les hommes sont plus susceptibles que les femmes de travailler dans des environnements bruyants et pendant plus longtempsNote 17, deux facteurs qui ont été associés à des taux plus élevés d’acouphènesNote 16Note 27.

Les hommes étaient plus susceptibles que les femmes de déclarer ne pas être incommodés par leur acouphène, par exemple parce que cela n’avait aucune incidence sur leur sommeil ou leur concentration. Cette constatation fait ressortir deux composantes de l’acouphène : la présence même du problème de santé, c’est-à-dire une évaluation neutre sur le plan émotif selon la prise de conscience et la durée de l’acouphène, et la réaction personnelle au problème de santé, c’est-à-dire le niveau de détresse reflétant les sentiments subjectifs de souffrance qui résultent de l’acouphèneNote 30. Des travaux antérieurs montrent que les femmes sont plus susceptibles d’indiquer que leur sommeil est perturbé et qu’elles se sentent fatiguées ou malades en raison de l’acouphèneNote 31. Vanneste et coll.Note 32 ont indiqué que les femmes étaient plus susceptibles que les hommes de vivre un état dépressif même lorsqu’il n’y avait aucune différence dans l’intensité de l’acouphène et de la détresse liée à l’acouphène et ils ont insisté sur l’importance de tenir compte des différences entre les sexes dans la recherche sur l’acouphène.

Les études indiquent systématiquement que la prévalence de l’acouphène augmente avec l’âgeNote 6Note 10Note 16Note 26Note 27Note 28. Il fallait s’y attendre puisqu’il n’y a aucun remède à l’acouphène et que le nombre d’années de vie durant lesquelles on peut être exposé au bruit, aux médicaments, aux traumatismes et à d’autres éléments déclencheurs est plus grand. Toutefois, les données de la présente étude ont révélé que la plus jeune cohorte de Canadiens (âgés de 19 à 29 ans) était beaucoup plus susceptible que les adultes plus âgés d’avoir des acouphènes, ce qui correspond aux conclusions de Nondahl et collNote 33. Cela pourrait refléter une exposition accrue au bruit à un plus jeune âge accompagnée de changements sur les plans de la technologie et des comportements individuels, comme l’élaboration et l’utilisation de dispositifs audio avec des casques d’écoute ou des écouteurs à placer dans les oreilles, comme l’indique la présente étude, en plus des environnements de plus en plus bruyantsNote 34Note 35Note 36Note 37. Cela pourrait aussi indiquer une prise de conscience et une déclaration accrues du problème de santé à un plus jeune âgeNote 33. La prévalence accrue de l’acouphène chez les personnes d’un plus jeune âge donne à penser que les estimations démographiques de ce problème de santé augmenteront dans le futur. Même si les personnes plus jeunes étaient plus susceptibles d’avoir des acouphènes, elles étaient aussi plus susceptibles de déclarer que cela ne les incommodait pas. Cette observation concorde avec les travaux de Kim et coll.Note 29, qui ont découvert qu’un âge plus avancé était associé à une augmentation d’acouphènes agaçants.

L’acouphène est un symptôme plutôt qu’une maladie en soiNote 7. Même si les événements et les problèmes de santé qui précipitent le début de l’acouphène ne sont souvent pas détectablesNote 6, il y a une variété de facteurs de risque reconnus, y compris ceux qui sont otologiques, neurologiques, cardiovasculaires, liés à des traumatismes et liés à des médicamentsNote 6Note 7. L’association entre l’hypertension artérielle et l’acouphène que la présente étude a relevé a été observée ailleursNote 16Note 28.L’arthrite a été définie comme un facteur de risque de l’acouphèneNote 7Note 29Note 33Note 38Note 39, ce qui est cohérent avec les résultats de l’ECMS. Les médicaments servant à traiter la douleur et l’inflammation pourraient être ototoxiques et précipiter l’acouphène.Note 10Note 39 Les associations entre l’acouphène et l’obésité et le diabète qui ont été observées ailleurs n’étaient pas évidentes dans la présente étude.Note 16Note 28 Elle n’a pas non plus permis de relever une association entre le poids insuffisant et l’acouphène, comme l’ont découvert Lee et coll.Note 40, bien que la population qu’ils ont étudiée était restreinte aux femmes en préménopause. L’usage du tabac, qui est un facteur de risque de la maladie cardiovasculaire, est aussi associé à l’acouphèneNote 4Note 16. La présente étude a ajouté une dimension en découvrant que les non-fumeurs exposés à la fumée secondaire étaient tout aussi susceptibles d’avoir des acouphènes que les fumeurs.

Les données de la présente étude montrent que les personnes qui avaient des acouphènes étaient plus susceptibles que celles qui n’en avaient pas de déclarer de faibles niveaux de bien-être sur les plans psychologique et émotionnel. Les associations entre l’acouphène et les troubles de l’humeur et la diminution du bien-être sont cohérentes avec les travaux antérieursNote 28Note 39Note 41Note 42Note 43. Une revue de la littérature menée par Ziai et coll.Note 41 a indiqué que l’acouphène était étroitement lié à la dépression et à l’anxiété. En plus de ces troubles, Bhatt et coll.Note 42 ont établi que les personnes vivant avec des acouphènes avaient en moyenne moins d’heures de sommeil par nuit. Nondahl et coll.Note 39 ont indiqué que des symptômes dépressifs constituaient un facteur de risque de l’acouphène, mais ont reconnu que la relation contraire ou une relation bidirectionnelle étaient possibles. Les données temporelles indiquent que la présence d’acouphène peut mener à une détresse psychologiqueNote 43. Les traits de personnalité présentant des réactions plus prononcées au stress et une plus faible proximité sociale pourraient jouer un rôle dans la détresse associée à l’acouphène lorsque l’attention de la personne est concentrée sur le problème de santé qui empêche l’adaptation positive.Note 44 Même si les déclarations concernant le stress quotidien élevé et le faible sentiment d’appartenance à la collectivité ont été associées à l’acouphène dans le cadre de l’ECMS, il est impossible d’établir si ces sentiments ont contribué à l’acouphène ou en ont été le résultat. Quelle que soit la direction de la relation entre l’acouphène et la diminution du bien-être, on s’entend pour dire que les gens qui souffrent de ce problème de santé profiteraient d’une intervention précoce, d’un dépistage en santé mentale et d’un traitement appropriéNote 9Note 43.

La perte auditive est un facteur de risque pour l’acouphèneNote 28Note 43 et l’utilisation d’appareils auditifs est souvent un outil efficace pour aider à gérer ce problème de santéNote 1Note 14.Les données de l’ECMS pourraient attester cette conclusion, compte tenu du fait que les personnes qui présentent une perte auditive et des acouphènes étaient deux fois plus susceptibles d’utiliser des appareils auditifs que celles qui présentaient uniquement une perte auditive. La gestion de la perte auditive (p. ex. avec des appareils auditifs, des appareils combinés et des implants cochléaires), la thérapie sonore (p. ex. la thérapie d’habituation à l’acouphène, la gestion progressive de l’acouphène et le traitement par l’activité), les interventions comportementales (p. ex. la thérapie cognitivo-comportementale et la thérapie d’acceptation et d’engagement) et l’éducation spécialisée sont toutes des interventions efficaces qui dépendent du portrait clinique du patient aux prises avec l’acouphèneNote 1Note 2Note 15. Par ailleurs, la combinaison de l’acouphène et de la perte auditive pourrait aussi avoir augmenté les comportements de demande d’aide et l’utilisation subséquente d’appareils auditifs.

Les résultats de la présente étude indiquent que 1 adulte canadien sur 5 a des acouphènes sans perte auditive mesurée. Cependant, la présence d’acouphènes pourrait indiquer qu’un degré de dommage subclinique s’est déjà produitNote 45 et elle annonce les futures tendances en perte auditive chez les Canadiens.

Forces et limites

L’une des forces de la présente étude est le vaste échantillon représentatif de la population canadienne. En plus des questions sur l’acouphène, l’ECMS comprend des autodéclarations sur l’exposition au bruit et des mesures objectives de la perte auditive. L’étude a clairement démontré l’association négative entre les appareils d’écoute portatifs personnels et la santé auditive des jeunes adultes.

Il n’y a aucune distinction entre l’acouphène subjectif et objectif dans l’ECMS, ni entre l’acouphène idiopathique et l’acouphène secondaire à une affection sous-jacente. L’ECMS ne porte sur aucun autre des troubles de sensibilité au son qui accompagnent l’acouphène, comme l’hyperacousie, la misophonie et la phonophobie.

Les cliniciens se concentrent sur l’acouphène incommodant et persistant (qui dure pendant au moins six mois). On n’a pu repérer adéquatement les personnes qui avaient des acouphènes persistants et, par conséquent, on a restreint la classification de l’acouphène à son caractère incommodant ou non.

L’ECMS est une enquête transversale. Il est impossible d’établir un ordre temporel entre l’acouphène et les problèmes de santé chroniques, l’usage du tabac et l’exposition à la fumée et l’IMC. L’estimation plus faible de la présence d’acouphènes au cours de l’année précédente chez les Canadiens plus âgés pourrait refléter les différences entre les cohortes ou indiquer que l’acouphène se résorbait avec le temps.

Conclusion

L’acouphène est un problème de santé commun qui peut causer de la détresse. Même s’il n’existe aucun remède pour l’acouphène, de nombreux protocoles de gestion des symptômes se sont avérés efficaces pour réduire les effets négatifs de l’acouphène et améliorer la qualité de vie en général. L’exposition au bruit, particulièrement par l’utilisation de casques d’écoute ou d’écouteurs que l’on place dans les oreilles, pourrait expliquer la prévalence accrue des acouphènes chez les jeunes adultes comparativement aux cohortes plus âgées et pourrait déterminer les domaines à cibler en matière d’éducation et de changements de comportement. Les Canadiens pourraient profiter d’une sensibilisation accrue à l’acouphène, de stratégies de prévention et d’options pour la gestion des symptômes. La forte prévalence de l’acouphène et ses conséquences qui peuvent bouleverser la vie d’une personne indiquent qu’il s’agit d’un problème de santé publique important.

Références
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