Rapports sur la santé
L’embourgeoisement, les interventions urbaines et l’équité : un outil cartographique de l’embourgeoisement (GENUINE) des régions métropolitaines canadiennes

par Caislin L. Firth, Benoit Thierry, Daniel Fuller, Meghan Winters et Yan Kestens

Date de diffusion : le 19 mai 2021

DOI: https://www.doi.org/10.25318/82-003-x202100500002-fra

La rénovation urbaine offre un immense potentiel d’amélioration de la santé de la population dans les villes, mais elle peut également entraîner des conséquences involontaires dans le domaine de l’équité en santé. Les inégalités en matière de santé peuvent être renforcées par un manque d’investissements dans des quartiers défavorisés ainsi que par des processus d’embourgeoisement inattendus. L’embourgeoisement est un processus au niveau de la zone dans le cadre duquel des quartiers anciennement en déclin et manquant de ressources reçoivent de nouveaux investissements et une immigration interne de nouveaux résidents de plus en plus aisésNote 1Note 2Note 3. La transformation des environnements physiques, sociaux et économiques des quartiers du fait du processus d’embourgeoisement peut entraîner une multitude de conséquencesNote 4Note 5. Au Canada, les causes et les conséquences de l’embourgeoisement ont été examinées dans le cadre d’études ayant souligné les bénéficiaires et les victimes de tels changements au sein des quartiers. Dans les villes canadiennes, un signe d’embourgeoisement peut être des changements particuliers de l’environnement bâti, comme un meilleur accès aux réseaux de transports rapidesNote 6 ainsi que des parcs et des espaces vertsNote 7, associés aux zones faisant l’objet d’un embourgeoisement. Ce dernier influe sur le tissu social des quartiers par le biais d’une diminution de la mixité sociale, de la diversité ethnique et de la concentration d’immigrantsNote 8, ainsi que par l’augmentation des évictions de logementsNote 9. Cependant, une efficacité collective accrue peut également en résulterNote 10. Les décideurs, les urbanistes et les chercheurs ont besoin de données et d’outils cohérents et fiables, afin de documenter l’embourgeoisement et de contribuer à la conception de villes en santé.

Le phénomène d’embourgeoisement est souvent mesuré par des changements des caractéristiques relatives aux quartiers, aux logements et à la composition des résidents au cours d’une période. Par exemple, les changements dans un quartier sont souvent mesurés sur des intervalles de 10 ans, afin de correspondre à la collecte de données du recensement des États-Unis ou à deux recensements canadiensNote 11. Les mesures quantitatives d’embourgeoisement permettent la reproductibilité et facilitent les comparaisons entre villesNote 12. Toutefois, aucun consensus n’existe sur les éléments relatifs au logement ou à la composition résidentielle à inclure, ni sur la période la plus pertinenteNote 13. Bon nombre de chercheurs se fient à une approche axée sur des règles, tout d’abord en relevant des zones ayant un potentiel d’embourgeoisement ou caractérisées par un faible statut socioéconomique dans le cadre d’un recensement donné, puis en cernant celles ayant enregistré un changement important (c.-à-d. ayant fait l’objet d’un embourgeoisement) dans un recensement ultérieurNote 11.

Pour l’instant, la plupart des mesures et des études sur les répercussions sur la santé ont principalement porté sur l’embourgeoisement de grandes villes des États-Unis. Par exemple, deux récents examens des effets sur la santé publique de l’embourgeoisement ont porté uniquement sur des études épidémiologiques menées aux États-UnisNote 1Note 14. Les liens entre l’embourgeoisement et les déterminants sociaux de la santé ou les problèmes de santé (comme l’instabilité en matière de logement, l’insécurité alimentaire, l’efficacité collective, les naissances prématurées, l’indice de masse corporelle, les hospitalisations et la santé mentale) ont été examinés dans ces étudesNote 1Note 10Note 14Note 15Note 16Note 17. Du fait de différences substantielles des contextes historiques et sociopolitiques entre le Canada et les États-Unis, il est nécessaire de fournir des mesures de l’embourgeoisement relatives aux villes canadiennes. L’outil GENUINE (c’est-à-dire embourgeoisement, interventions urbaines et équité) est un outil cartographique de l’embourgeoisement qui a été conçu pour les villes canadiennes. Cette étude vise à présenter l’outil GENUINE et à décrire les tendances d’embourgeoisement en fonction de ces mesures réalisées dans toutes les régions métropolitaines de recensement (RMR) canadiennes entre 2006 et 2016. L’outil GENUINE est constitué d’un ensemble de quatre mesures d’embourgeoisement reflétant la diversité des approches en la matière et le manque de consensus sur les mesures à employer. Des renseignements sont également fournis sur la façon d’utiliser cet outil dans le cadre de recherches sur la santé de la population ainsi que sur son utilisation par des décideurs.

Données et méthodes

Cadre de l’étude

L’outil GENUINE a été conçu pour comprendre des mesures de l’embourgeoisement pertinentes dans le contexte canadien en adaptant quatre mesures d’embourgeoisement publiées qui ont été appliquées aux données du recensement des États-Unis et du Canada. Ces mesures ont été calculées pour les 36 RMR canadiennes, afin d’illustrer où un embourgeoisement a été observé entre 2006 et 2016. Les secteurs de recensement (zones relativement petites et stables comptant une population allant de 2 500 à 8 000 habitants [moyenne de 4 000  habitants]) ont été utilisés comme unité d’analyseNote 18. Une RMR consiste en une ou plusieurs municipalités voisines comptant une population totale d’au moins 100 000 habitants et au centre de laquelle vivent au moins 50 000 personnesNote 19. Les limites géographiques des secteurs de recensement sont élaborées par un comité d’intervenants locaux et Statistique Canada, afin de veiller à ce qu’ils respectent des caractéristiques physiques permanentes et maximisent l’harmonisation avec les limites de quartiers locales, lorsque cela est possibleNote 18. En 2016, 70,4 % de la population canadienne vivaient dans une RMRNote 20.

Mesures de l’embourgeoisement

Deux des mesures de l’embourgeoisement adaptées pour l’outil GENUINE ont été élaborées au Canada (Grube-CaversNote 6 et Steinmetz-WoodNote 10) et les deux autres, aux États-Unis (FreemanNote 21 et DingNote 22). Ces quatre mesures ont été choisies, car elles sont souvent mentionnées dans la documentation relative à la santé de la population. Les mesures choisies ont été utilisées pour étudier les effets de l’embourgeoisement sur l’état de santé généralNote 23Note 24, la santé mentaleNote 25, les crimes violentsNote 26, les évaluations du créditNote 27, l’efficacité collectiveNote 10 et les caractéristiques de l’environnement bâti dans les zones embourgeoisées, comme les lignes de transport ferroviaireNote 6 et les pistes cyclablesNote 28. Le tableau 1 présente un résumé des mesures initiales de l’embourgeoisement et les adaptations apportées pour élaborer l’outil GENUINE. L’approche de départ d’élaboration axée sur des règles pour chaque mesure ainsi que l’approche relative à l’outil GENUINE sont décrites ci-après.

L’étude de Freeman(2005) a été effectuée aux États-Unis, afin d’examiner l’association entre le déplacement et l’embourgeoisement dans les régions métropolitaines de l’ensemble du paysNote 21. L’embourgeoisement a été relevé au moyen de données du recensement permettant de mesurer les changements au cours de périodes intercensitaires, à savoir de 1980 à 1990 et de 1990 à 2000. Les secteurs de recensement ont été classés comme présentant un potentiel d’embourgeoisement si le revenu médian était inférieur à celui de la région métropolitaine au début de la période intercensitaire et si la proportion de logements construits au cours des 20 dernières années était moins élevée que celle de la région métropolitaine. Les secteurs de recensement présentant un potentiel d’embourgeoisement ont été jugés avoir fait l’objet d’un tel embourgeoisement si on y observait : a) une augmentation en pourcentage du niveau de scolarité atteint plus élevée que celle pour la région métropolitaine; b) une augmentation des prix réels des logements au cours de la période intercensitaire.

L’étude de Ding (2016) a été menée aux États-Unis en vue d’examiner la façon dont l’embourgeoisement de la ville de Philadelphie a eu une incidence sur la santé financière (c.-à-d. les évaluations du crédit)Note 27. Pour cette mesure, les données du recensement de 2000 et les estimations sur cinq ans de l’American Community Survey pour la période allant de 2009 à 2013 ont été utilisées. Un secteur de recensement a été jugé comme présentant un potentiel d’embourgeoisement si le revenu médian du ménage était inférieur à celui de la ville, et un secteur de recensement présentant un potentiel d’embourgeoisement a été classé comme embourgeoisé si : a) le loyer brut médian ou la valeur médiane des logements a augmenté plus que dans l’ensemble de la ville; b) la proportion des résidents ayant suivi des études universitaires a augmenté plus que celle pour l’ensemble de la ville. La mesure de Ding comprend un indicateur de gravité de l’embourgeoisement. L’embourgeoisement est défini comme étant faible (secteurs en voie d’embourgeoisement où les hausses des loyers ou de la valeur des logements entre 2006 et 2016 étaient égales ou inférieures au 25e centile), modéré (lorsque les loyers ou la valeur des logements ont augmenté pour se situer entre le 25e centile et le 75e centile) ou intense (lorsque les loyers ou la valeur des logements ont augmenté pour se situer au-delà du 75e centile).

L’étude de Grube-Cavers(2015) a été menée au Canada, afin d’examiner la relation entre l’infrastructure de transports rapides et l’embourgeoisement dans les RMR de Vancouver, de Toronto et de MontréalNote 6. Pour cette mesure, les données des recensements de 1961, de 1971, de 1981, de 1986, de 1991, de 1996, de 2001 et de 2006 pour Toronto et Montréal et à partir de 1986 pour Vancouver ont été utilisées. Un secteur de recensement a été jugé comme présentant un potentiel d’embourgeoisement si le revenu familial moyen et le pourcentage de titulaires d’un grade universitaire étaient inférieurs à la moyenne pour la RMR. Une zone a été jugée comme ayant fait l’objet d’un embourgeoisement si, lors du recensement suivant, une hausse supérieure à celle de la RMR était enregistrée pour les cinq indicateurs suivants : loyer mensuel moyen, revenu familial, pourcentage de titulaires d’un diplôme, pourcentage de logements occupés par le propriétaire et pourcentage de personnes exerçant une profession libérale.

L’étude de Steinmetz-Wood(2017)a été menée au Canada et a permis d’examiner les effets de l’embourgeoisement sur l’efficacité collective des quartiers à MontréalNote 10. Cette mesure a été adaptée de celle de Grube-CaversNote 6 en remplaçant le critère d’embourgeoisement du pourcentage de personnes exerçant une profession libérale par deux variables : la hausse du pourcentage de résidents de 30 à 44 ans et la diminution du pourcentage de ménages à faible revenu. Pour qu’un secteur de recensement soit jugé comme ayant fait l’objet d’un embourgeoisement, il devait : a) être une zone présentant un potentiel d’embourgeoisement; b) avant le recensement suivant, avoir enregistré des hausses supérieures à celles enregistrées pour la RMR pour les cinq variables (c.-à-d. loyer mensuel moyen, revenu familial, pourcentage de titulaires d’un diplôme, pourcentage de logements occupés par le propriétaire et pourcentage de résidents de 30 à 44 ans), ainsi qu’une diminution du pourcentage de ménages à faible revenu supérieure à celle de la RMR. Dans l’étude initiale, l’embourgeoisement a été mesuré pour la période allant de 1996 à 2006.

Chaque mesure a été adaptée aux villes canadiennes (tableau 1) et calculée pour la période allant de 2006 à 2016. Les valeurs obtenues pour les secteurs de recensement ont été comparées à une région géographique plus vaste pour chaque mesure. Par souci d’uniformité, toutes les mesures ont été calculées en comparant les valeurs du secteur de recensement à la moyenne pour la RMR (p. ex. le revenu médian d’un secteur de recensement a été comparé à celui de la RMR). Quelques adaptations mineures des mesures initiales ont dû être effectuées, généralement en lien avec les ajustements apportés afin de tenir compte des différences existant entre les données des États-Unis et du Canada ou de variations quant à la disponibilité des variables de recensement. Un exemple est la mesure de Freeman, qui, aux États-Unis, comprend la variable du prix réel des logements (c.-à-d. la valeur des logements corrigée pour tenir compte de l’inflation), ce qui n’existe pas dans le recensement canadien. La valeur médiane des logements a alors été utilisée.

Méthodes statistiques

Les quatre mesures d’embourgeoisement ont été calculées pour la période allant de 2006 à 2016 en utilisant des données du recensement canadien. Ces données du recensement ont été extraites auprès de Statistique Canada au moyen du progiciel R cancensus 0.2.1 pour toutes les RMR au niveau du secteur de recensement pour les années de recensement de 2006 et 2016Note 29. Statistique Canada accorde la priorité à la stabilité des limites des secteurs de recensement, en fournissant un tableau de conversion établissant le lien entre les aires de diffusion (unités spatiales plus petites nichées au sein des secteurs de recensement) au fil du tempsNote 30. Des statistiques descriptives ont été calculées pour chaque variable utilisée pour mesurer l’embourgeoisement avec R 3.6.1 et Stata/SE 16.1. De mesures et des cartes de l’embourgeoisement ont été créées dans R à l’aide des progiciels suivants : Hmisc 4.3-1, janitor 1.2.1, cowplot 1.0.0, ggplot2 3.3.0, sf 0.9-4, stringr 1.4.0, tidyr 1.1.0 et dplyr 1.0.0. Le script correspondant est accessible en ligne (https://github.com/TeamINTERACT/GENUINE_paper). Le script nécessaire a été fourni afin de générer des mesures de l’outil GENUINE pour d’autres périodes intercensitaires et expliquer les variations des limites des secteurs de recensement au fil du temps (p. ex. la base de données longitudinales canadienne des secteurs de recensement, de 1971 à 2016)Note 31. Les données de l’outil GENUINE sont publiées sur le site Web du Canadian Urban Environmental Health Research Consortium (CANUE) et des cartes interactives de l’embourgeoisement pour chaque RMR sont accessibles sur le site Web d’INTERACT (NTErventions, Research and Action in Cities Team).

Résultats

Les facteurs utilisés pour mesurer l’embourgeoisement sont regroupés selon les domaines suivants : revenu, logement, profession, niveau de scolarité et âge (tableau 2). Les indicateurs de conditions de logement et de résidence variaient considérablement entre les RMR. De 2006 à 2016, le revenu médian du ménage et le loyer mensuel moyen ont augmenté plus que l’inflation (p. ex. le loyer moyen était de 711 $ en 2006 et de 918 $ en 2016, représentant un taux de croissance annuel composé de 2,6 % par rapport au taux d’inflation de 1,6 %), et la proportion des ménages à faible revenu a diminué, passant de 7,8 % en 2006 à 5,8 % en 2016. En 2016, le revenu moyen du ménage pour toutes les RMR s’élevait à 72 540 $; le revenu du ménage le plus élevé se situant à Calgary (100 352 $) et le moins élevé, à Trois-Rivières (54 624 $).

Les données de l’outil GENUINE sont accessibles au moyen du site Web de CANUE et les cartes de l’outil GENUINE pour toutes les RMR sont publiées en ligne (https://teaminteract.ca/develop/gentrification/gentrif_test_allCMA.html). Les cartes en ligne présentent simultanément les quatre mesures de l’embourgeoisement pour une région donnée, soulignent les tendances spatiales de l’embourgeoisement et facilitent les comparaisons entre les mesures. Les figures 1 à 4 présentent les cartes de l’outil GENUINE pour Toronto, Montréal, Vancouver et Halifax.

Selon la mesure utilisée, en 2006, de 18 % à 46 % des secteurs de recensement de RMR étaient jugés comme ayant un potentiel d’embourgeoisement et, en 2016, de 2 % à 20 % des secteurs de recensement étaient classés comme ayant fait l’objet d’un embourgeoisement (tableaux 3-1 et 3-2). En 2016, cela correspondait à entre 2 % (418 065 personnes) et 17 % (4 266 434 personnes) de la population canadienne vivant dans ces zones embourgeoisées. En général, les RMR comptant une population de plus de 1 million d’habitants enregistraient une proportion légèrement supérieure de leur population vivant dans des zones embourgeoisées (de 2 % à 18 %) par rapport aux RMR comptant moins de 250 000 habitants (de 1 % à 14 %).

Par définition, certaines mesures de l’embourgeoisement sont plus restrictives que d’autres. La mesure de Ding a permis de relever entre 40 % et 66 % de secteurs de recensement de RMR présentant un potentiel d’embourgeoisement, alors que la mesure de Steinmetz-Wood a permis de relever seulement entre 7 % et 25 % de tels secteurs de recensement; les deux autres mesures se situant quelque part entre ces deux extrêmes. À Toronto, le nombre de personnes vivant dans des zones ayant fait l’objet d’un embourgeoisement pouvait varier jusqu’à huit fois en fonction de la mesure : de 123 553 au moyen de la mesure de Steinmetz-Wood à 906 765 en utilisant la mesure de Ding. Dans certaines RMR, la mesure de Steinmetz-Wood n’a pas permis de relever de secteur de recensement ayant fait l’objet d’un embourgeoisement. À Edmonton, par exemple, la mesure de Steinmetz-Wood a permis de relever 32 secteurs de recensement présentant un potentiel d’embourgeoisement en 2006, mais aucun n’a enregistré un changement suffisant pour être classé comme embourgeoisé en 2016. En revanche, au cours de la même période, les mesures de Ding, de Freeman et de Grube-Cavers ont permis de relever 65, 43 et 3 secteurs de recensement embourgeoisés, respectivement.

Les quatre mesures de l’embourgeoisement présentaient une piètre corrélation les unes avec les autres. Ensemble, ces quatre mesures ont permis de dénombrer 1 075 secteurs de recensement uniques comme étant embourgeoisés, alors que seuls 3 % (n = 32) de ceux-ci étaient communs pour les quatre mesures, et 26 se trouvaient dans d’importantes RMR (comptant plus de 1 million d’habitants). Même lors de l’utilisation de la mesure la plus restrictive (Steinmetz-Wood), seuls 30 % des 108 secteurs de recensement relevés comme étant embourgeoisés étaient également classés ainsi par les trois autres mesures (plus souples). Pour tous les secteurs de recensement classés comme étant embourgeoisés par l’une ou l’autre des mesures, 6 % ont été relevés par trois mesures, 50 % par deux mesures et 41 % par une mesure.

La mesure de Ding présente des renseignements uniques sur la gravité de l’embourgeoisement. Selon ces critères, l’embourgeoisement était jugé comme étant faible pour 2 % de la population vivant dans des zones embourgeoisées, modéré pour 57 % et intense pour 41 %. Les indicateurs de gravité sont accessibles dans l’ensemble de données de l’outil GENUINE sur le site Web de CANUE. Les cartes de la gravité ne sont actuellement pas intégrées à l’outil de visualisation GENUINE.

Discussion

Du fait de l’intérêt national de faire progresser la recherche axée sur les solutions en matière de santé urbaine et des investissements gouvernementaux majeurs en infrastructure urbaine et en abordabilité des logementsNote 32, analyser la relation entre l’embourgeoisement et la santé de la population continue à être un défi central à la fois pour la recherche et l’élaboration de politiques. Les villes et les décideurs espèrent améliorer les quartiers tout en évitant les conséquences négatives sur les plans sociétal et de la santé de la population pouvant découler de l’embourgeoisement, comme l’érosion de la culture de quartier ou le déplacement de résidentsNote 33. Dans le cadre de ce souhait de concevoir des villes résilientes pour tous, les décideurs et les chercheurs ont besoin de tenir davantage compte du contexte politiqueNote 32 ainsi que de données et d’outils locaux. L’outil GENUINE est un outil cartographique librement accessible permettant aux utilisateurs d’explorer des mesures d’embourgeoisement de villes canadiennes et de les intégrer à leurs calendriers de recherche et à l’élaboration de politiques en matière de santé urbaine.

Des mesures de l’embourgeoisement axées sur des règles, comme celles que fournit l’outil GENUINE, sont intrinsèquement restrictives et portent principalement sur un ensemble limité de caractéristiques comparatives, potentiellement inappropriées du fait de la nature complexe, interreliée et contextuelle des processus urbainsNote 2Note 34. Dans d’autres méthodes de mesure de l’embourgeoisement (même si moins courantes), on utilise des techniques de réduction des données (p. ex. analyse des composantes principales)Note 35Note 36 ou des approches méthodologiques mixtes (p. ex. méthodes qualitatives de mesures de l’embourgeoisement fondées sur le recensement et la réalité de terrain)Note 11, mais ces approches sont propres à un environnement particulier et peuvent ne pas pouvoir être généralisées à d’autres régions. De plus, en utilisant des mesures de recensement au niveau de la zone, les chercheurs ne peuvent pas cerner les mécanismes particuliers du changement dont les quartiers font l’objet. Les variations de revenu au niveau de la zone, par exemple, pourraient découler de l’immigration interne de personnes ayant un revenu supérieur ou de l’émigration interne de personnes ayant un revenu inférieur (p. ex. déplacement); elles pourraient également être dues à une hausse du revenu des personnes vivant dans un quartier (c.-à-d. les personnes qui sont demeurées dans le quartier et pour lesquelles une mobilité sociale ascendante a été observée). Malgré leurs limites, les mesures fondées sur des données du recensement sont pratiques et largement utilisées, et elles facilitent les comparaisons entre les zones. Toutefois, comparer les valeurs réelles des composantes d’embourgeoisement utilisées dans l’outil GENUINE pour les différentes villes peut ne pas être utile, du fait des différences de contextes sociaux et économiques.

Le phénomène d’embourgeoisement se manifeste différemment selon les villes et une méthode de mesure de l’embourgeoisement ne permettra probablement pas de mettre en évidence toutes les formes du processus d’embourgeoisement. Les utilisateurs de l’outil GENUINE disposent par conséquent de quatre mesures de l’embourgeoisement et en utiliser une plus qu’une autre n’est pas recommandé. L’incidence de l’utilisation des diverses mesures de l’outil GENUINE pour cerner les zones d’embourgeoisement au Canada est importante et doit être prise en compte lors de l’utilisation de l’outil. Par exemple, une étude fondée sur la mesure de Steinmetz-Wood pour évaluer la prévalence de l’embourgeoisement entraînerait la prise en compte d’un dixième de la population exposée par rapport à une étude utilisant la mesure de Ding. Il a également été relevé que le nombre de secteurs de recensement ayant fait l’objet d’un embourgeoisement au sein de chaque RMR était également lié à la taille de la population; dans des régions comptant une population de plus de 1 million d’habitants, une plus grande proportion des résidents vivaient dans des zones embourgeoisées par rapport à la proportion dans de plus petites régions. De plus, seuls 3 % de tous les secteurs de recensement classés comme ayant fait l’objet d’un embourgeoisement selon l’une ou l’autre des mesures ont été déterminés comme tels systématiquement avec les quatre mesures. Ces constatations sont marquées, mais ne sont pas uniques. Des écarts similaires des mesures de l’embourgeoisement sont observés dans des études aux États-Unis. Dans la ville de Seattle, par exemple, un seul secteur de recensement commun a été relevé comme étant embourgeoisé selon trois mesures distinctes (58 secteurs de recensement ont été déterminés par au moins une mesure)Note 37. Deux mesures de l’embourgeoisement distinctes pour la région de la baie de San Francisco ont permis de relever uniquement 13 % de correspondance dans des zones déterminées comme étant embourgeoiséesNote 38. Ces différences représentent un défi pour les décideurs et les chercheurs devant mesurer la portée de l’embourgeoisement dans les collectivités canadiennes ainsi que les répercussions associées sur la santé et l’équité.

Les différences observées dans les classements obtenus sont directement liées aux différences de définition de l’embourgeoisement selon chaque mesure. Toutes les mesures comprennent des composantes relatives à une certaine variation de la valeur des logements et du niveau de scolarité. Toutefois, pour déterminer les zones ayant fait l’objet d’un embourgeoisement, les mesures de Grube-Cavers et de Steinmetz-Wood requièrent également des hausses du revenu du ménage ou de la famille. De plus, la mesure de Grube-Cavers requiert également une augmentation du nombre de personnes exerçant une profession libérale et la mesure de Steinmetz-Wood comprend des réductions de la proportion des résidents ayant un faible revenu et des hausses de la proportion des adultes âgés de 30 à 44 ans. Le secteur de recensement 8250002.04 à Calgary, par exemple, a enregistré une augmentation de 126 % de la valeur des logements (par rapport à une augmentation de 36 % pour la RMR) et une augmentation de 21 % de la proportion des titulaires d’un grade universitaire (par rapport à une hausse moyenne de 7 % pour la RMR). Ce secteur de recensement s’est embourgeoisé selon les mesures de Ding et de Freeman, mais pas selon les mesures de Grube-Cavers et de Steinmetz-Wood, car les conditions n’ont pas été satisfaites en matière de revenu familial, de personnes exerçant une profession libérale, de résidents de 30 à 44 ans et de familles à faible revenu. Ces critères supplémentaires utilisés dans les deux mesures élaborées au Canada (Grube-Cavers et Steinmetz-Wood) ont probablement contribué à la faible prévalence de l’embourgeoisement relevée au Canada par rapport aux mesures plus souples élaborées aux États-Unis (Freeman et Ding).

Pour la plupart des RMR, la mesure de Ding a permis de relever le plus grand nombre de zones ayant fait l’objet d’un embourgeoisement, suivie des mesures de Freeman, de Grube-Cavers et de Steinmetz-Wood. Une exception est examinée ci-après afin de souligner la mesure dans laquelle le contexte local peut avoir une incidence sur les résultats des mesures d’embourgeoisement. À Vancouver, selon la mesure de Ding, près de trois fois plus de personnes vivent dans des zones embourgeoisées par rapport aux trois autres mesures. On soupçonne que le critère d’ancien parc immobilier des zones présentant un potentiel d’embourgeoisement, selon la mesure de Freeman, a contribué aux différences observées par rapport à la mesure de Ding. À Vancouver, les zones à faible revenu des districts industriels ne pourraient pas faire l’objet d’un embourgeoisement selon la méthode de Freeman. Par exemple, avant les Jeux olympiques d’hiver de 2010, la ville de Vancouver a converti des zones industrielles et d’anciens sites industriels dans le sud-est de False Creek en village olympique, qui s’est finalement transformé en appartements en copropriété et en propriétés locatives de luxe. L’embourgeoisement de False Creek ne serait pas observé au moyen de la méthode de Freeman, puisque ces nouveaux immeubles à logements multiples ont été construits sur d’anciens sites industriels; ce qui signifie que cette zone ne comptait pas d’anciens logements privés. Les conditions d’embourgeoisement selon la mesure de Freeman sont par conséquent potentiellement problématiques pour des zones comme Vancouver. Avec la méthode de Freeman, on ne mesure pas l’âge des logements au début de la période d’embourgeoisement; on ne rend donc pas compte de l’embourgeoisement ayant lieu en raison de la transformation d’espaces industriels. En revanche, dans la mesure de Freeman, on tient compte des zones embourgeoisées à partir de logements occupés par le propriétaire qui sont rénovés et convertis à des fins de profit et accroissent les valeurs des logements au niveau de la zone.

L’outil GENUINE peut contribuer à une meilleure compréhension de la façon dont le lieu a une incidence sur la santé dans les villes canadiennes. Les chercheurs en santé urbaine ont besoin de données et d’outils permettant de cerner les quartiers faisant l’objet d’un embourgeoisement, afin d’examiner la façon dont ces changements influent sur la santé. Les données de l’outil GENUINE peuvent être couplées à des données de cohorte existantes, comme les Cohortes santé et environnement du recensement canadien, pour mieux comprendre la façon dont les changements ayant lieu au niveau des quartiers ont une incidence sur la santé. Par exemple, des résidents de longue date faisant l’expérience d’un embourgeoisement de leur quartier (et d’une augmentation des parcs et des espaces verts dans le quartier) peuvent enregistrer une diminution de la probabilité d’être déprimés. Trois conditions sont nécessaires pour pouvoir examiner la santé au moyen de cohortes existantes : 1) au moins 10 ans d’historique d’adresses résidentielles portant sur les deux dernières périodes censitaires; 2) des données d’enquête recueillant de manière routinière les problèmes de santé ou un couplage avec les enregistrements administratifs; 3) une taille d’échantillon suffisante comprenant divers participants dans des quartiers diversifiés sur le plan spatial permettant ainsi d’examiner les répercussions sur la santé au sein de différents groupes de population.

GENUINE est un outil visant la prise de mesures politiques qui fournit des données ainsi que des cartes, de sorte que les villes puissent intégrer la prise en compte de l’embourgeoisement à leurs calendriers de politiques et de programmes. Des renseignements sur les domaines dans lesquels les villes devraient investir des ressources peuvent ainsi être obtenus en classant des zones présentant un potentiel d’embourgeoisement et celles en ayant récemment fait l’objet. Les espaces verts et autres interventions auprès d’environnements bâtis peuvent, par exemple, accroître les valeurs des logements voisins et entraîner le déplacement des résidents ayant de faibles revenus. Cerner les zones ayant un potentiel d’embourgeoisement et recouper les nouvelles interventions dans des environnements bâtis peut aider les urbanistes à mettre ces interventions en œuvre afin de réduire les répercussions négatives sur les résidents. Les données de l’outil GENUINE peuvent être intégrées à des tableaux de bord de données existants gérés par les villes, afin de surveiller les zones ayant fait l’objet d’un embourgeoisement. Les villes peuvent alors donner la priorité aux ressources visant des quartiers embourgeoisés dans le cadre d’initiatives, telles que le soutien aux services sociaux et sanitaires en fonction de l’endroit, afin d’atténuer les risques de déplacement de résidents à faible revenu.

Conclusion

En portant uniquement attention aux villes en santé en essor, l’outil GENUINE peut faire partie intégrante de recherches axées sur les solutions et aider les villes à concevoir des collectivités saines et équitables. Actuellement, l’outil GENUINE est adapté pour intégrer l’embourgeoisement aux programmes politiques relatifs à la santé urbaine des villes canadiennes. L’outil GENUINE évoluera à mesure du suivi longitudinal de l’embourgeoisement lors du recensement à venir et de l’ajout d’indicateurs complémentaires; cela pourrait contribuer à cerner des processus liés à l’embourgeoisement, ainsi que des causes et des conséquences possibles. L’outil GENUINE offre la possibilité de faciliter une discussion sur l’embourgeoisement dans l’ensemble du Canada et de mieux le comprendre. En étant davantage associé aux interventions dans les environnements bâtis et aux transformations urbaines, il peut guider les prises de décisions en faveur de villes plus justes et plus équitables.

Références
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