Le design : stratégie de communication ou outil méthodologique de la fonction communication au sein des organisations ?

Patrizia LAUDATI 

https://doi.org/10.25965/interfaces-numeriques.3754

Nous interrogeons les changements paradigmatiques inférés par l’économie de la contribution aux pratiques de communication, à la fois dans les discours et dans les pratiques des entreprises, afin de construire et développer leur marque fondée sur une dynamique participative. Notamment, la prise en compte du contributeur, nouvelle figure d’acteur économique, oblige à une redéfinition des modalités de la création/conception d’une part, et de la participation d’autre part. Afin de relier ces deux paradigmes, nous convoquons le concept de Design et proposons quelques pistes pour designer (au sens anglais du terme) le système d’interactions entre la marque et ses publics.

We question the paradigmatic changes inferred by the economics of contributing to communication practices, both in speeches and in corporate practices, in order to build and develop their brand based on a participatory dynamic. In particular, the consideration of the contributor, a new figure of economic actor, requires a redefinition of the modalities of creation/design on the one hand, and of participation on the other. In order to link these two paradigms, we convene the Design thinking and propose some ideas to design the interactions system between the brand and its audiences.

Sommaire
Texte intégral

1. Introduction

« Un nouveau modèle d’innovation est en train de s’inventer. […] Les technologies numériques ont permis ce renversement. Une véritable infrastructure de la contribution se développe depuis vingt ans via Internet, où il n’y a plus de producteurs d’un côté et de consommateurs de l’autre, mais toutes sortes de contributeurs. C’est ainsi que se forme un nouveau modèle industriel, celui d’une économie de la contribution. » (Stiegler, 2009).

Nous proposons d’interroger les changements paradigmatiques inférés par l’économie de la contribution aux pratiques de communication au sein des organisations, notamment des entreprises innovantes. « L’entreprise innovante opère une rupture avec [] son propre équilibre organisationnel, productif, financier et concurrentiel » (Allegret et Dulbeccco, 1998, p. 22). Une entreprise est alors innovante lorsque les nouvelles idées, les nouveaux concepts qu’elle est capable de générer, rencontrent son marché. Plusieurs formes d’innovation existent (Findeli, 2004 ; Flichy, 2017), chacune caractérisée par une logique différente : (i) l’innovation technologique correspondant à une logique produit ; (ii) l’innovation organisationnelle renvoyant à une logique processus ; (iii) et l’innovation sociale se référant à une logique acteurs. Nous postulons qu’aujourd’hui, la question de l’innovation dépasse celle des nouveautés technologiques et disruptives, pour se recentrer sur des problématiques davantage humaines et sociétales, s’inscrivant dans le moyen et long terme de l’histoire des organisations.

Dans ce contexte, tout en étant liée aux autres manières de produire, d’échanger et de représenter, l’économie de la contribution définit d’autres formes de régulation des activités des entreprises, fondées sur une dynamique participative non marchande (Béraud, Cormerais, 2011). Les relations entre les différents acteurs sont bouleversées, ainsi que la manière de concevoir un produit ou un service qui correspondra, dès lors, à une création collective. Notamment, la prise en compte du contributeur, nouvelle figure d’acteur économique (figure hybride entre consommateur et producteur), oblige à une redéfinition des modalités de création/conception.

Les concepts de création et de conception renvoient à un autre concept, celui de design. Vial (2013) envisage le design comme un processus de création, un « projet en train de se faire », en équilibre entre le savoir-penser et le savoir-modéliser. Depuis quelques années, nous remarquons un engouement pour le Design (Magnusson, 2003 ; Norman, 2004 ; Findeli et al., 2005 ; Miller, 2005 ; Proulx, 2015 ; Darras et Vial, 2017 ; etc.) ancré non plus dans la recherche de la performance technique ou technologique, mais dans la recherche du rapprochement entre l’utilisateur et les objets de son environnement : design de service, design d’objets, design d’espace, design organisationnel, etc. Le terme design est souvent accompagné d’un adjectif qualifiant la nature de son objet, mais dans tous les cas, il fait référence à une manière de le « penser », voire de le créer. En particulier, le « design de services » (ou « conception centrée usager »), voit l’usager se transformer de simple consommateur à co-concepteur du projet, rejoignant ainsi la figure du contributeur évoquée précédemment.

Il faut alors repenser le rôle des différents acteurs et leur participation aux activités de conception de l’entreprise, à travers de nouvelles modalités de relation et d’échange entre toutes les parties prenantes. Cela signifie se pencher sur la manière dont la fonction communication se matérialise au sein de l’entreprise. La communication, en tant que pratique, est le processus relationnel et sémantique qui s’instaure entre des acteurs, à travers différents dispositifs. À partir de la construction du message autour d’un objet jusqu’à sa transmission à des tiers, à des publics cibles, la communication renvoie ainsi aux concepts de transmission et de médiation.

Quel est alors le processus permettant de faire dialoguer les deux paradigmes que nous venons d’introduire ; deux paradigmes ayant des appuis théoriques et des finalités diverses : le paradigme de la conception/création et le paradigme de la médiation/transmission ? Pour répondre à cette question, nous allons essayer de comprendre le rôle que le design peut jouer dans les pratiques communicationnelles des entreprises, notamment dans la création et le développement de leur marque et de la relation de celle-ci avec les publics. En d’autres termes, nous proposons de designer (au sens anglais du terme) les relations entre la marque et ses publics. « La marque s’inscrit dans une logique de différenciation de l’offre. L’entreprise a l’ambition de mieux coller aux attentes d’une certaine clientèle et se focalise pour lui fournir de façon constante et répétée la combinaison idéale d’attributs tangibles et intangibles, fonctionnels et hédonistes, visibles et invisibles, dans des conditions viables économiquement pour elle-même » (Kapferer, 2007, p. 37).

Loin d’être une simple dépendance linéaire de causalité, la corrélation entre les deux termes « création de l’offre » et « rencontre du marché », est complexe, multidimensionnelle et itérative.

2. Design et Communication au sein des organisations: quelle relation?

Le point de départ de notre réflexion est le constat de l’émergence, au sein des organisations et notamment des entreprises engagées dans des démarches d’innovation, d’autres formes de communication, liées aux nouveaux formats du numérique. Ceux-ci permettent la structuration, sous forme calculable et manipulable, des contenus que l’entreprise veut véhiculer, et leur mise en visibilité via les nouveaux médias du Net. Plus que parler de nouveaux médias, il faut parler des nouvelles manières dont « [] les marques investissent les médias jusqu’à parfois transformer en médias des espaces qui n’avaient pas cette fonction » (Berthelot-Guiet et al., 2013, p. 58). Les médias acquièrent alors les caractéristiques du réseau : dématérialisés, déterritorialisés, multi-centres, multi-supports, mobiles et ubiquitaires ; amenant de nouveaux contenus et de nouveaux usages individuels et collectifs, à travers des formes spécifiques et inédites d’interaction, fondées sur le partage de valeurs symboliques. Les formats du numérique modifient ainsi l’ordre jusque-là linéaire et vertical du processus de la création, de la production, de la circulation, de la consommation des biens et des services (Rebillard et al., 2016). « Si le format numérique permet une circulation facilitée, donc accrue, de contenus symboliques, il autorise alors aussi un partage et une appropriation/transformation de ces contenus par les usagers qui, à leur tour, s’impliquent dans leur circulation » (Loicq, 2017, p. 154).

L’arrivée des nouvelles technologies s’est accompagnée d’une transformation du rapport entre les marques et les consommateurs, poussant les professionnels de la communication à redéfinir leurs discours et leurs stratégies autour de la notion de contenu, le façonnant au plus près des attentes des publics. En effet, depuis une dizaine d’années, les marques ne fondent plus leur communication sur la valorisation du produit, mais sur le contenu de marque. Celui-ci correspond au contenu créé à l’initiative de la marque à des fins de communication publicitaire et d’image. « Les contenus doivent raviver la dimension magique, sensorielle, voire poétique des marques et rendre hommage à ceux qui la font vivre de l’intérieur » (Jamet, 2013, p. 63).

Cette évolution du paradigme de la communication du produit vers le Brand content (contenu de marque), correspond à la volonté de rendre visible et promouvoir l’univers tout entier de la marque, pour que ses valeurs identitaires rencontrent celles du consommateur, en lui proposant une « expérience » présentée comme spécifique, originale voire inédite. Les consommateurs, quant à eux, sont des figures de plus en plus hybrides, fragmentées, mobiles et à même d’opérer leurs propres choix éditoriaux et programmations. Prenons comme exemple, le film documentaire Mission aux confins de l’espace de 2013, qui montre le saut spectaculaire en parachute de Felix Baumgartner depuis la stratosphère et qui associe l’évènement « extrême » au groupe RedBull. De nouvelles séquences de la vidéo et de nouvelles anecdotes sur le tournage, continuent à alimenter l’évènement sur les réseaux sociaux, attirant l’attention des internautes partageant les mêmes valeurs sportives promues par la marque. Cela provoque de nombreuses réactions et interactions entre internautes, par rapport auxquelles la marque reste distanciée : elle n’interagit pas directement avec les consommateurs, préférant ne pas interférer avec leur expérience individuelle et partagée.

Cet exemple montre comment la stratégie de la marque se meut d’un contenu orienté sur le produit lui-même, à un contenu fondé sur les valeurs que la marque choisit de véhiculer, le cas échéant, un style de vie particulier : le sport extrême. Les professionnels de la communication doivent ainsi construire leur discours autour de cette nouvelle stratégie, en mobilisant de plus en plus le design, au sens évoqué plus haut, dans leurs pratiques.

Dans ces conditions, le design ne serait-il qu’un outil ou un prétexte dans le cadre de stratégies de communication des marques, un ajustement du discours pour l’adhésion des consommateurs ; ou bien, peut-il jouer le rôle d’outil épistémologique et méthodologique capable d’orienter la création de contenus et leur communication ? Nous formulons ainsi l’hypothèse que le design peut apporter une aide aux professionnels de la fonction communication, en agissant comme une méta-structure capable de designer les formes émergentes d’interactions entre la marque et les publics. Comme nous le verrons par la suite, ces interactions se matérialisent par une expérience inédite des publics qui entrent ainsi en résonance avec la marque : cela traduit une forme d’adhésion et d’appropriation, par les publics, du discours institutionnel dans sa dimension culturelle. Nous essayons de démontrer la nécessité pour le design de répondre en même temps au double objectif évoqué précédemment : (i) le premier objectif correspond à une stratégie médiatique, permettant d’atteindre les différents publics et de gagner leur adhésion en les amenant à participer à la co-création de contenus ; (ii) le second objectif, d’ordre plus épistémologique, interroge le design comme paradigme théorique et méthodologique, permettant de rendre opératoire le concept d’interaction avec les publics et d’en définir ainsi les modalités.

Comment designer les diverses formes d’interaction ? Comment le design peut-il aider à mieux penser ce processus relationnel ? Pour répondre à cette question, il faut tout d’abord dégager les composantes du processus, ainsi que leurs caractéristiques ; ce à quoi nous nous attelons dans les paragraphes suivants.

D’une part, nous abordons l’évolution de la fonction communication qui se construit, aujourd’hui, sur la volonté des entreprises d’établir de nouvelles formes de relation aux publics ; et d’autre part, l’évolution du design vers un design de la communication (communication design) qui postule désormais une approche de la co-conception intégrant les publics/récepteurs à chaque phase du processus. Du côté de la communication publicitaire, cela marque le passage d’une stratégie produit, en réponse aux besoins supposés du consommateur, à une stratégie brand content visant à partager des représentations liées aux goûts et aux valeurs de ce dernier, jusqu’au User Generated Content (UGC), c’est-à-dire à la génération de contenu par les utilisateurs eux-mêmes, appartenant (ou pas) à une communauté. Du côté du design, on assiste d’abord à l’émergence du design de service, ou User Centered Design (UCD), puis du User eXperience Design (UXD), jusqu’au Communication Design. Face à l’emploi de ces néologismes autour de la notion de design en contexte commercial, nous essayons de comprendre comment les principes d’un design de la communication peuvent contribuer à rationnaliser une stratégie brand content .

3. La création de contenus de marque: une nouvelle relation aux publics.

Comme nous l’avons évoqué précédemment, les stratégies publicitaires des entreprises privilégient, depuis une dizaine d’années, de nouvelles formes de médiatisation, mettant au premier plan les marques au détriment des produits, répondant à une volonté de dépasser la question de la valeur exclusivement économique de l’entreprise. Cette communication (B to C) alternative, identifiée par le terme brand content, se fonde sur les possibilités offertes par les nouveaux médias du Net (sites internet, mails, blogs, réseaux sociaux, etc.), pour associer de manière active et interactive les consommateurs à des expérimentations publicitaires à la marge des formats attendus, grâce à de nouveaux types de contenu : storytelling (histoires à raconter) ; entertainment (web séries, jeux, etc.) ; live content (diffusion d’informations en direct, via les réseaux sociaux) ; tutoriels ; etc.

On passe d’une communication commerciale chargée de « vendre » un produit, à une communication institutionnelle, chargée de (re)construire et transmettre l’image de l’entreprise. Cet objectif d’autoréférence a pour but de consolider la mémorisation de la marque et la notoriété de l’annonceur. « [] Les marques se construisent un éthos de maîtres à penser, captant les préoccupations existentielles du public et l’invitant à communier avec les solutions consensuelles qu’elles proposent » (Bonhomme, 2014, p. 11). Cela correspond aux enjeux de la fonction communication. « La conception de l’image de l’entreprise est simplement l’extension de l’image du produit et de l’image de la marque, c’est-à-dire la stratégie d’action sur les esprits. Le concept marketing de l’image condense la recherche du rapport entre l’utilité ou la fonction de l’objet et la symbolique qui permet d’atteindre le point de vue subjectif du destinataire » (Floris, 2001, p. 10).

Le contenu de marque se distingue alors par les caractéristiques suivantes :

  • les marques ne se contentent plus simplement de transmettre des messages publicitaires ; elles les façonnent au plus près des attentes des publics, en les personnalisant et en les contextualisant au sein d’un récit permettant au consommateur de s’y reconnaître. On est loin de la formule de McLuhan, lorsqu’il affirmait « the medium is the message », mettant l’accent sur la forme du message et sur la manière de le transmettre. Aujourd’hui, ce qui compte ce sont les valeurs véhiculées par le message et la relation durable qui, au travers de celui-ci, s’instaure entre la marque et le consommateur. Le contenu n’est donc pas un moyen, mais une fin en soi. Créer du contenu de marque, c’est « créer des univers » dans lesquels le consommateur peut vivre cette dimension inattendue, de manière individuelle ou partagée ;

  • l’expérience qui est donnée à « vivre » au consommateur, intègre et contextualise le produit dans l’univers plus global de la marque et autour de ses valeurs. La relation marque/consommateur n’est plus établie sur un objectif commercial, mais sur un objectif d’identification symbolique. On est plus sur un mode de séduction que de persuasion. L’objectif étant que le consommateur, séduit et engagé par le récit, aille − à plus long terme − de lui-même vers un acte d’achat ;

  • le consommateur devient « public », ou « consom’acteur » (De Barnier et Joannis. 2010), c’est-à-dire qu’il n’est plus vu comme un acheteur passif avec des besoins et des attentes à satisfaire, mais comme un individu ayant une personnalité propre, avec des goûts et des valeurs, engagé et responsable et donc plus investi dans la conception de l’offre de la marque. Quelques études en marketing (Frisou, 2000 ; Thomson et al., 2005), ont démontré qu’il ne s’agit pas d’un simple discours managérial, et ont essayé de mesurer l’attachement émotionnel à la marque comme moteur d’investissement et d’engagement à long terme du consommateur ;

  • l’individualisation des consommateurs présuppose leur différenciation. Un consommateur peut adhérer potentiellement à une communauté autour de la marque et de ses valeurs, selon ses propres représentations et interprétations. Il peut ainsi faire partie de plusieurs communautés différentes, de manière synchronique ou diachronique. Pour atteindre les différentes communautés, selon leurs goûts et intérêts (et donc potentiellement intéressées), la communication n’en est que segmentée ;

  • pour atteindre les différents publics, plusieurs supports sont investis, en multipliant les points de contact de manière synchrone et ubiquitaire : via les nouveaux médias du web 2.0 (Facebook, Youtube, LinkedIn, etc.) ou les plateformes collaboratives ;

  • « si aucun sens n’est extrait (précisons-nous : de la communication publicitaire), il ne peut y avoir de “consommation” » (Hall, 1994, p. 29). Il est important alors de comprendre aussi comment le sens perçu par les publics, s’articule dans la pratique pour induire des actions. L’interprétation des récepteurs correspond à trois attitudes : ceux qui se soumettent à la structure de l’offre ; ceux qui l’acceptent, mais l’adaptent et l’articulent avec leurs propres codes ; et ceux qui opposent leurs propres interprétations à celles proposées par la marque.

Pour résumer : « Le message publicitaire à transmettre devient un contenu à partager, les consommateurs un public, la cible l’interlocuteur d’une conversation, le pitch une histoire et les dispositifs de marque une expérience à vivre » (Guellec, 2014, p. 75).

4. Le Design de la communication ou comment designer les nouvelles formes d’interaction entre la marque et ses publics

Nous avons affirmé que le design est un processus correspondant à une approche spécifique de la conception, une manière de penser l’objet. L’objet en question, dans notre cas de figure, est le processus communicationnel et interactionnel qui se met en place entre les marques et leurs publics cibles dans le cadre des nouveaux formats de la communication publicitaire. Nous avons vu que les entreprises orientent de plus en plus leurs stratégies de communication autour de publicités inclusives basées sur l’élaboration de nouveaux types de contenus (brand contents), dans l’objectif d’établir des relations identitaires, et non plus exclusivement commerciales, avec leurs publics. Nous avons ainsi formulé l’hypothèse que le Design peut être un outil épistémologique de compréhension de ce processus communicationnel, en agissant comme une méta-structure capable de designer les formes émergentes d’interactions entre la marque et les publics. Cela s’opère à deux niveaux : à un méta-niveau (le niveau organisationnel), il s’agit de rationaliser le processus qui permet de réaliser la rencontre entre la marque et le public dans une logique itérative ; à un niveau plus pragmatique et opérationnel (le niveau de la rencontre elle-même), il s’agit de déterminer et structurer les composants d’une expérience inattendue dans un scénario donné. L’objectif n’est pas tant (ou plus) le changement de culture de l’entreprise tournée vers le public/récepteur par l’instauration d’une intelligence créative et collaborative ; il s’agit plutôt de rendre la marque pérenne et durable dans l’esprit du public, dans un contexte internationalisé d’interactions sociales.

Au niveau organisationnel, nous avons esquissé dans des travaux antérieurs (Laudati, 2017) les éléments d’une théorie du design informationnel capables de mettre en évidence les liens de causalité circulaire entre les données et les acteurs des différentes étapes du processus de co-conception : du dessein de la structuration des données, à leur représentation, jusqu’à la circulation d’informations et leur perception par les destinataires. Cela a permis de mieux comprendre les enjeux d’une conception partagée et co-construite, et de la relier à une praxis. Une meilleure compréhension des pratiques des usagers peut aider à construire des stratégies plus adaptées et à élaborer des contenus dans lesquels les publics arrivent à s’y reconnaître.

La figure 1 traduit une schématisation possible du processus du design communicationnel de la marque. Le plan XY représente l’espace-temps (de la coprésence) du projet sur lequel travaillent les différents acteurs de la fonction communication, en manipulant une multiplicité de données hétérogènes. C’est sur ce plan que se formulent les hypothèses reliant les différents acteurs et les différentes données, c’est-à-dire les combinatoires possibles qui permettront d’y asseoir le choix des contenus.

Figure 1. Modélisation du design communicationnel (source : auteur)

Figure 1. Modélisation du design communicationnel (source : auteur)

Les différentes étapes du processus figurent dans cet espace-temps et sont reliées de manière circulaire, synchronique et itérative : conception (dessein du contenu), représentation (forme du contenu selon les supports), réalisation (du contenu), réception (interprétation/expérience/interaction). La phase réception renferme en elle la manière dont l’individu vit l’expérience à partir de ses propres valeurs et peut, dans certains cas, agir sur le contenu même qui lui est proposé, en le modifiant. On repart donc sur la phase conception enrichie cette fois par l’expérience des publics, et ainsi de suite.

L’axe Z est l’axe axiomatique, c’est-à-dire celui sur lequel on retrouve les objectifs de la communication formulés comme postulats, selon le modèle structural des attitudes (Lafrenaye, 1994) : l’objectif cognitif (faire connaître la marque), affectif (faire aimer la marque) et actionnel (faire agir, pousser à l’achat). Nous les avons représentés comme des paliers séparés et superposés. Dans la réalité, ils sont fusionnés. En se basant sur une réactualisation des travaux de Jakobson (1963), à chacun de ces objectifs, nous faisons correspondre une des fonctions de la communication : (i) référentielle et expressive pour l’objectif cognitif (informer le public/récepteur des valeurs de la marque et de son univers) ; (ii) phatique et poétique pour l’objectif affectif (établir le contact et maintenir le lien symbolique avec le public) ; (iii) et conative pour l’objectif actionnel (pousser à l’action, influencer le comportement du public).

Au niveau opérationnel, designer les formes d’interaction entre la marque et les publics, revient à articuler les hypothèses relationnelles (acteurs/données) à chacune des étapes du plan XY (conception, représentation, réalisation, réception), avec les trois objectifs de l’axe Z (cognitif, affectif, actionnel). Ainsi, designer ce système de relations permet de satisfaire les trois fonctions évoquées précédemment (référentielle/expressive, phatique/poétique, et conative) sur lesquelles se fonde l’expérience offerte au public par la marque. Il ne s’agit pas de représenter une expérience déjà vécue par le consommateur, mais de créer les prémisses pour que celui-ci puisse vivre une expérience inédite et séduisante. Il ne suffit pas simplement de penser l’objet/expérience comme quelque chose de figé et statique ; mais bien comme un processus dynamique en interaction avec son environnement, quels que soient la forme de cette expérience et les canaux par lesquels elle est véhiculée. La valeur ajoutée n’est pas liée à la valeur performantielle du scénario proposé, mais bien à sa capacité à évoquer des expériences uniques et mémorables liées à l’univers de la marque.

Il est alors indispensable, pour mieux saisir les différentes modalités de l’expérience, de comprendre comment est constitué le contexte ou le scénario dans lequel cette expérience se déroule et de quelle manière l’interaction individu/marque se déclenche. Ce qui peut être modélisé n’est donc pas l’expérience, mais les modalités potentielles de sa mise en place. Cela signifie que, dans un objectif d’anticipation, nous pouvons préconfigurer les conditions matérielles du scénario et du contexte culturel, social, technique, technologique, etc., dans lequel l’expérience se déroulera et qui vont l’influencer.

Les supports choisis constitueront les interfaces grâce auxquelles les publics vont interagir avec le scénario proposé et via lesquelles ils deviendront designers de leur propre expérience.

5. Conclusions

Nous avons voulu mettre l’accent sur les nouvelles formes d’interaction qui se mettent en place entre marque et publics, grâce aux expériences inédites que celles-ci leur proposent. Nous avons essayé d’ouvrir quelques pistes de réflexion sur la manière dont le design peut agir comme une méta-structure capable de designer les formes émergentes d’interaction entre la marque et les publics, tant d’un point de vue organisationnel qu’opérationnel. Ainsi, nous avons proposé une modélisation possible du processus multidimensionnel du design communicationnel, qui essaye de structurer les données et les acteurs qui collaborent autour d’un projet, avec les objectifs fixés par la marque pour le contenu proposé.

Cette démarche s’appuie sur une logique transversale qui promeut l’intelligence créative et collective. Convoquer le Design dans les pratiques communicationnelles peut avoir un rôle à jouer pour accroître non seulement la valeur économique, mais davantage la valeur symbolique des entreprises. Ces réflexions concernent, de manière plus large, l’impact des nouveaux médias du Net sur l’innovation sociale fondée sur une nouvelle manière de produire les connaissances. Et si le modèle proposé n’était tout simplement qu’une rationalisation d’un système social ?

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Pour citer ce document

Référence papier

LAUDATI, P. (2019). Le design : stratégie de communication ou outil méthodologique de la fonction communication au sein des organisations ?. Interfaces numériques, 8(1), 83-97.

Référence électronique

LAUDATI, P. (2019). Le design : stratégie de communication ou outil méthodologique de la fonction communication au sein des organisations ?. Interfaces numériques, 8(1). https://doi.org/10.25965/interfaces-numeriques.3754

Auteur
Patrizia LAUDATI
DeVisu, Université Polytechnique Hauts de France
59300 Valenciennes, France
patrizia.laudati@uphf.fr
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