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Développement de soft skills via les interactions sociales des joueurs de MMORPG :
cas du jeu Final Fantasy XIV

Antoine Chollet 

https://doi.org/10.25965/interfaces-numeriques.4284

Cette étude a pour objectif de montrer en quoi la pratique vidéoludique sur un jeu de rôle en ligne massivement multijoueurs (MMORPG) permet aux joueurs de développer des soft skills. Après une revue de la littérature sur la notion de soft skills et de leurs liens avec les MMORPG, l’étude empirique se porte sur le jeu Final Fantasy XIV pour sa récence et sa communauté dynamique. Pour mener à bien l’étude, des récits sont recueillis via un questionnaire auprès de 118 joueurs. Les résultats de l’analyse thématique manuelle, et lexicale automatique effectuée via le logiciel TROPES v8.5, montrent que les joueurs déclarent développer des soft skills dans leur pratique de jeu via les interactions sociales vécues. Le contexte du jeu conditionne le développement de ces softs skills qui prennent leur sens en fonction des situations en jeu. Le principal apport de cette recherche se trouve dans la prise en considération de ces softs skills par les joueurs comme pratique de serious-gaming. Les limites méthodologiques et éthiques évoquées sont autant de perspectives de recherches futures, qui permettent de montrer un lien étroit entre la pratique d’un MMORPG et l’acquisition de soft skills par les joueurs.

The objective of this study is to show how the practice of video games on a massively multiplayer online role-playing game (MMORPG) allows players to develop soft skills. After a review of the literature on the concept of soft skills and their links with MMORPG, the empirical study focuses on the game Final Fantasy XIV for its recency and dynamic community. To complete the study, stories are collected via a questionnaire from 118 players. The results of the manual thematic analysis, and automatic lexical analysis carried out with the software TROPES v8.5, show that the players declare to develop soft skills in their game practice via the social interactions experienced. The context of the game determines the development of these soft skills that take their meaning according to the situations in play. The main contribution of this research lies in the consideration of these soft skills by players as a serious-gaming practice. The methodological and ethical limits mentioned are all possibilities of future research which make it possible to show a close link between the practice of MMORPG and the development of soft skills by players.

Sommaire

Texte intégral

1. Introduction

Note de bas de page 1 :

Gameblog.fr, « Final Fantasy XIV croule sous les millions de joueurs », http://www.gameblog.fr/news/83428-final-fantasy-xiv-croule-sous-les-millions-de-joueurs-shadow, consulté le 30 juin 2019.

Le 2 juillet 2019, le jeu vidéo de rôle en ligne massivement multijoueurs (MMORPG) Final Fantasy XIV de la société japonaise Square-Enix propose la dernière extension : ShadowBringers. Avec cet épisode, plus 16 millions de joueurs1 vont poursuivre leur aventure dans le monde hédonique d’Eorzéa. Dans une annonce du 28 juin 2019, Chris Parnell, de Sony Pictures Télévision, déclare que :

Note de bas de page 2 :

Tomsguide.com, « Final Fantasy XIV : une série live-action en préparation », site consulté le 30 juin 2019, https://www.tomsguide.fr/final-fantasy-xiv-serie-live-action-preparation/

« Final Fantasy XIV et Éorzéa sont la passerelle idéale vers les fans de longue date de Final Fantasy et les nouveaux venus. La série vise à englober et à incarner tous les éléments qui ont fait de la mythologie de Final Fantasy, un phénomène si captivant. »2.

Au delà de la ferveur des joueurs et de l’aspect marketing, ces anecdotes illustrent le fort intérêt des joueurs pour un jeu populaire derrière lequel se cache une communauté. Bien qu’il soit complexe de définir un jeu vidéo (Triclot, 2011, 6) par ses multiples aspects, les interactions sociales à l’intérieur des univers de synthèse sont cependant bien réelles. De plus, à l’instar du film de Steven Spielberg Ready Player One sorti en 2018, les MMORPG sont considérés comme des terrains fertiles pour la recherche universitaire (Duplan, 2011).

Les interactions sociales et les mécaniques de jeu existantes dans Final Fantasy XIV amènent les joueurs à échanger entre eux, partager avec la communauté, contribuer à l’effort de leur équipe ou encore participer à des événements. Cependant, ces différentes activités réalisables seul ou en groupe supposent une attitude précise et un comportement adéquat pour satisfaire les différentes situations en jeu, inhérentes aux MMORPG comme : réussir un donjon en équipe, faire du commerce avec d’autres joueurs ou encore établir des stratégies en groupe. Ainsi, pour accomplir ces différentes missions qui demandent une forte interaction entre les joueurs, ceux-ci vont devoir faire preuve de certaines compétences comportementales et sociétales plus connues sous le vocable de soft skills (Dubrin, 2004, 2).

Ce lien entre soft skills et interactions sociales dans les MMORPG soulève la problématique suivante : en quoi les interactions sociales dans les MMORPG ont-elles une influence sur le développement de soft skills chez les joueurs ? Pour répondre à cette question, nous abordons dans une première partie les notions de soft skills et de leurs liens avec les MMORPG. Puis, dans une deuxième partie, nous présentons la méthodologie de l’étude avant d’en détailler les résultats dans une troisième partie. Enfin, dans une quatrième partie, nous discutons des résultats obtenus pour avancer des perceptives en pointant les limites.

2. Cadre théorique

Nous définissons tout d’abord la notion de soft skills puis de leur lien avec les MMORPG.

2.1. Les soft skills ou compétences comportementales et sociétales

Avant d’aborder la notion de soft skills, il convient tout d’abord de définir la notion de compétence. Selon une définition récente de Tardif (2006), la compétence peut être vue comme « un savoir-agir complexe prenant appui sur la mobilisation et la combinaison efficaces d’une variété de ressources internes et externes à l’intérieur d’une famille de situations » (Tardif, 2006, 22). Il s’agit ainsi d’un mélange logique de savoirs, de savoir-faire et de savoir-être que Coulet (2011) synthétise comme étant « une organisation dynamique de l’activité, mobilisée et régulée par un sujet pour faire face à une tâche donnée, dans une situation déterminée » (Coulet, 2011, 17). Or, sur la base du triptyque savoir, savoir-être et savoir-faire (Le Boterf, 1994), les recherches académiques pour définir la notion de soft skills se multiplient (Matteson et al., 2016, 75).

Souvent opposées aux hard skills (Culpin and Hamish, 2012) représentant les compétences techniques et le savoir-faire, les soft skills correspondent aux compétences interpersonnelles et attributs personnels d’un individu (Robles, 2012). Cependant, les deux notions peuvent aussi être considérées comme complémentaires dans le développement d’un individu (Oladokun et Gbadegesin, 2017). Aussi, la question de l’évaluation des soft skills (Charoensap-Kelly, 2016) et de leur transférabilité (Laker et Powell, 2011) anime la communauté scientifique. Concrètement, Bouret et al. (2014) distinguent quinze soft skills comme l’empathie, la créativité ou encore la curiosité que les auteurs qualifient de compétences comportementales, transversales et humaines.

Bien que les organisations prennent davantage en considération aujourd’hui les soft skills (Hendarman et Cantner, 2018), leur étude en management est déjà ancienne (Whitmore et Fry, 1974). Pour Heckman et Kautz (2012), les soft skills développées par les individus engendrent un degré de réussite significatif dans leurs vies et leur permet de connaître le succès, notamment pour un public d’étudiants (Schulz, 2008). Aussi, parmi les compétences clés attendues au XXIe siècle, certaines sont qualifiées de contextuelles en dehors de celles plus techniques : conscience éthique, flexibilité, autogestion et apprentissage tout au long de la vie (Van Laar et al., 2017).

Au niveau du lien entre apprentissage des soft skills et des technologies, celles-ci peuvent favoriser leur acquisition (Nadiyah et Faaizah, 2015). Pour Morgan et Adams (2009), les apprenants peuvent davantage contrôler leur processus d’apprentissage à l’aide de technologies, en particulier via le jeu. De plus, le jeu favorise l’apprentissage (De Freitas, 2006) et l’acquisition de soft skills (Sousa et Rocha, 2017). Les technologies du début du XXIe siècle comme la réalité virtuelle représentent un support d’acquisition privilégié des soft skills (Schmid et al., 2018).

2.2. Acquisition de soft skills par les jeux vidéo

Apparus au début des années 2000, les MMORPG offrent à ses utilisateurs des univers de synthèse où se déroule une économie et une vie parallèles à celles vécues en dehors du jeu. Les communautés qui composent ces univers sont une source d’inspiration pour les éditeurs de ces jeux (Parmentier et Mangematin, 2009, 83) qui tiennent compte de leurs remarques afin de faire évoluer leurs univers. Les avatars joués par les joueurs de MMORPG entraînent un attachement à l’égard des personnages de synthèse (Suh et al. 2011). Aussi, « la technologie tend à favoriser toujours plus le réalisme, et à travers lui, l’immersion, cette illusion d’être plongé au cœur de l’action, de s’identifier à son avatar » (Solinski, 2012, 168), ce qui favorise l’implication du joueur dans son expérience vidéoludique. Au delà de l’avatar, l’histoire du jeu elle-même tend à favoriser les interactions entre les joueurs, notamment via la narrativité du jeu (Wuyckens, 2018) entraînant la création d’œuvres appelées fanfictions (Vachey, 2011, 83). De plus, les interactions entre les joueurs dans les MMORPG permettent l’acquisition de compétences managériales (Xanthopoulou et Papagiannidis, 2012) tels que le leadership, la communication, la coordination ou encore la prise de décision (Chollet, 2015, 362). Ces interactions ont une influence sur la stabilité émotionnelle du joueur (Ochs et al., 2009, 342 ; Geslin, 2013, 142) en lien avec leur personnalité (Graham and Gosling 2012, 603), sur leur empathie (Tordo et Tisseron, 2013, 91), sur la gestion du stress (Kang, et al., 2009, 82), ou encore sur leur créativité (Pace et al., 2009, 201) les amenant à se rencontrer IRL (In Real Life – « dans la vraie vie »).

Néanmoins, peu d’études s’intéressent aux discours des joueurs sur les softs skills et notamment dans les MMORPG récents comme Final Fantasy XIV, sorti initialement en 2010 mais fortement plébiscité à partir de 2013 avec la suite « A Realm Reborn ». Les travaux d’Hewett et al. (2018) étudient le jeu mais les auteurs appellent à davantage de recherches. De précédents travaux ont étudié l’acquisition de soft skills dans des MMORPG plus anciens (2003-2004) comme EverQuest Online Adventures (Ducheneaut et Moore, 2005), Linéage II (Voulgari et al., 2014), ou encore World of Warcraft (Chen, 2009). À l’inverse, des études montrent que la relation entre l’acquisition de soft skills et jouer à un MMORPG n’est pas significative et nécessite davantage de recherches sur le sujet (Zhong, 2011). Aussi, Barnett et Coulson (2010) rapprochent les expériences de jeu dans les MMORPG à de vrais lieux d’apprentissage qui nécessitent une attention particulière de la part des chercheurs en Sciences Humaines et Sociales. En réponse à ces travaux, Martončik et Lokša (2016) montrent un lien entre certains comportements adoptés in situ qui pourraient être influencés, en partie, par les mécaniques de jeu, autrement dit au gameplay inhérent aux MMORPG (Oberdörfer et Latoschik, 2013). Enfin, dans une revue de la littérature de 2010 à 2016 concernant le lien entre jouer aux MMORPG et acquisition de compétences attendues au XXIe siècle, Sourmelis et al. (2017) préconisent davantage de recherches sur les soft skills. Cette étude répond donc à une demande exprimée par la communauté des chercheurs dans le champ des sciences humaines et sociales.

3. Méthodologie

La présentation de la méthodologie se déroule en quatre points : la méthode puis le média de collecte des données, la méthode de constitution de l’échantillon et enfin le processus d’analyse des données.

3.1. Méthode de collecte des données

Afin de mener notre étude, le choix de l’entretien est retenu (Wacheux 1996). L’objectif dans cette étude consiste à recueillir des expériences de jeu afin de connaître les interactions sociales pouvant amener à une mobilisation de soft skills.

C’est pourquoi, la démarche par récit de vie est pertinente puisqu’en « sciences sociales, le récit de vie résulte d’une forme particulière d’entretien, l’entretien narratif. C’est un entretien au cours duquel un « chercheur » [...] demande à une personne [...] de lui raconter tout ou partie de son expérience vécue » (Bertaux, 2016, 11). De plus, « la méthode des récits de vie en s’intéressant à des mondes sociaux [...] cherche à rendre compte des logiques qui les sous-tendent. La société étant constituée de mondes sociaux divers, une des manières d’appréhender ces univers est d’avoir recours aux récits de vie, lesquels rendent compte de l’histoire et des singularités de ces expériences collectives » (Chanlat, 2005, 164). En résumé, la méthode de collecte des données est réalisée par entretien directif sur la base des récits de vie des joueurs.

3.2. Média de collecte des données

Traditionnellement, la méthode par interviews en face-à-face ou à distance, via un outil de communication tiers, est utilisée pour réaliser les entretiens. Néanmoins, dans notre cas, du fait du caractère directif des entretiens, le questionnaire en ligne via des questions ouvertes est plus adapté (McGuirk et O’Neill, 2016, 269).

Note de bas de page 3 :

Dans le jeu Final Fantasy XIV, un groupe de joueurs ayant un objectif commun sur le long terme est appelé compagnie libre.

Pour collecter les données, un questionnaire en ligne via l’application Eval and Go est a été créé. C’est pourquoi, un habillage graphique rappelant l’univers du jeu Final Fantasy XIV est adopté pour correspondre au profil des répondants dans l’optique de rendre le processus de réponse plus attrayant (Chollet, 2015, 276). Cependant, même si la technique du questionnaire est retenue, un guide d’entretien reste d’actualité. Celui-ci comporte 18 questions essentiellement ouvertes et non obligatoires, regroupées en quatre parties. Les deux premières permettent de mettre en confiance le répondant en lui permettant d’exprimer ses expériences de jeu au sens large dans Final Fantasy XIV et au sein de sa compagnie libre3. La troisième partie représente le cœur de l’étude en s’intéressant aux soft skills. Enfin, des informations sociodémographiques sont recueillies en dernière partie.

3.3. Méthode de constitution de l’échantillon

Pour cette étude, l’échantillon se compose de joueurs de Final Fantasy XIV sans particularités sociodémographiques car les communautés de joueurs sont souvent très soudées avec une forte identité sociale (Albrechtslund, 2010).

L’auteur de l’étude est un joueur de jeu vidéo et connaît bien Final Fantasy XIV. Il est ainsi plus aisé d’entrer en contact avec les joueurs afin de leur proposer de répondre à cette enquête. Afin de limiter tout biais méthodologique, le chercheur qui ne jouait plus activement depuis 2016, n’a pas mentionné son pseudonyme pour éviter d’être reconnu. La connaissance du milieu ainsi que l’appartenance à la communauté du jeu améliore le contact auprès des sujets. À ce stade de l’étude, il convient de rappeler la stigmatisation parfois démesurée que subissent les joueurs de jeux vidéo, phénomène également dénoncé par la littérature (Gaon et Stora, 2008). Les MMORPG renforcent l’esprit d’appartenance à un groupe d’individus et construit le capital social de celui-ci qui consolide à son tour son identité (Tseng et al., 2015). C’est pourquoi, pour contacter les joueurs, le chercheur s’est adressé à une compagnie libre de Final Fantasy XIV qu’il connaissait pour diffuser l’enquête via leur page du réseau social Facebook. Puis, par effet boule de neige (Miles et Huberman, 1994, 28), d’autres joueurs ont partagé cette enquête afin de collecter davantage de répondants de tous types de joueurs au sens de Bartle (1996, 6).

3.4. Processus d’analyse des données

Les données recueillies dans le cadre de cette étude sont de type textuel pour la très grande majorité. Or, l’objectif consiste à chercher des significations dans le contenu des expériences vécues. Ainsi, l’analyse de contenu au sens d’Aktouf (1987) se prête parfaitement à l’exercice puisquelle « offre la possibilité de traiter de manière méthodique des informations et des témoignages qui présentent un certain degré de profondeur et de complexité » (Van Campenhoudt et al., 2017, 299). De plus, l’analyse de contenu permet de « nourrir la réflexion du phénomène étudié » (Groleau, 2003, 232).

Parmi les différentes techniques d’analyse de contenu (Fallery et Rodhain, 2007), le choix de l’analyse thématique au sens de Bardin (2007) paraît propice du fait qu’elle se porte sur « une portion de phrase, une phrase entière, ou un groupe de phrases » (Allard-Poesi et al. 1999, 460). Ainsi, l’étude des données s’effectue par l’extrait de verbatim issus des expériences des joueurs. Pour compléter, une analyse lexicale est réalisée avec le logiciel gratuit TROPES v8.5.

4. Résultats de l’étude

4.1. Caractéristiques de l’échantillon

Au total, 118 réponses ont été recueillies dont 72 complétées à 100 %. Dans la mesure où cette recherche se veut qualitative, le taux de complétude n’a pas réellement de sens puisqu’une réponse même partielle peut être exploitée jusqu’au moment où le répondant s’est arrêté (Carricano etal., 2010). Sur les 72 répondants, 56 % sont des hommes et 44 % des femmes. L’âge moyen des répondants est de 29 ans et 7 mois. Concernant la gestion d’équipe, 34 % des répondants endossent des responsabilités d’encadrement en dehors du jeu contre 18 % qui en ont eu mais n’en possèdent plus et 48 % qui ne managent pas. Parmi ceux qui en sont dépourvus, près de 63 % en exercent dans Final Fantasy XIV, au sein de leur compagnie libre en tant que chef, officier ou équivalent. Enfin, les répondants ont une ancienneté de jeu en moyenne de 3 ans et 11 mois.

4.2. Lien entre expérience de jeu sur les MMORPG et soft skills

L’analyse thématique des discours des joueurs révèle plusieurs éléments faisant écho à des soft skills. Pour illustrer les résultats, des verbatim sont extraits des récits des joueurs.

4.2.1. Entraide et sens du collectif

Tout d’abord, l’entraide proposée par les joueurs dans les MMORPG représente un des éléments les plus présents.

« Je suis altruiste et le fait de jouer dans une guilde pour moi veut dire qu’il faut s’entraider pour avancer ensemble, » (Rep n° 18)
« J’ai aidé des joueurs en difficulté contre des monstres en dehors des villes qui étaient trop forts pour eux » (Rep n° 104)

L’entraide et le sens du collectif amènent les joueurs à avancer ensemble dans l’aventure. Le proverbe « l’union fait la force » d’Ésope (620 à 564 av. J.-C.) prend tout son sens pour les joueurs qui peuvent également faire preuve de présence et d’empathie.

4.2.2. Présence et empathie

Lorsque le joueur explore le monde d’Eorzéa, celui-ci se trouve à la fois dans le monde physique (son corps), et dans le jeu (son avatar).

« Quand je me connecte je deviens mon personnage à 90 % du temps. Ce n’est pas moi qui joue mais mon personnage et il en va de même pour les interactions avec les autres » (Rep n° 96)
« J’ai deux comportements différents : soit je reste naturel, je suis qui je suis, soit je joue de manière role play, dans le sens où, si je joue un personnage féminin, je jouerais une femme et je ne dirais pas le contraire en jeu » (Rep n° 34)

Aussi, lorsque le joueur a conscience qu’il est présent à deux endroits à la fois (devant son écran et dans le jeu), l’avatar joue un rôle de médiateur entre le jeu et l’être humain.

« J’essaie de ne jamais oublier que derrière le personnage, il y a une personne réelle, comme moi et qu’il faut la respecter » (Rep n° 17)
« J’ai tendance à me remettre constamment en question via mon avatar » (Rep n° 31)

Grâce à son avatar, le joueur se sent présent et considère l’autre comme un être à part entière. Aussi, les avatars ou les joueurs directement peuvent communiquer et créer des liens de confiance.

4.2.3. Communication et confiance

La communication dans les MMORPG est capitale entre les joueurs afin qu’ils puissent échanger, partager et interagir. Cette communication peut prendre plusieurs formes : orale, écrit ou gestuelle (via l’avatar).

Note de bas de page 4 :

Discord est un logiciel de type VoIP (Voice over IP) comme Skype ou Messenger initialement conçu pour les communautés de joueurs.

« J’aime parler oralement, lorsque j’en ai la possibilité je demande toujours s’il est possible de discuter sur discord4. Je trouve qu’il est plus simple d’y comprendre les gens » (Rep n° 48)
« La traduction automatique est parfois très pratique ! Mais parfois il faut essayer de s’exprimer avec son personnage (gestuelle) quand la barrière de la langue est compliquée à surmonter » (Rep n° 101)

De plus, au fil des discussions et des expériences sociales, le joueur peut donner sa confiance aux autres ce qui lui permet d’être attractif.

« J’accorde très vite ma confiance aux autres […] ça me permet d’obtenir la confiance de l’autre plus facilement. » (Rep n° 81)

Au-delà de la communication et de la confiance, un joueur peut être amené à gérer des situations nécessitant des compétences plurielles.

4.2.4. Gestion d’un groupe et compétences plurielles

Dans le cas où le joueur possède une responsabilité d’encadrement, celui-ci est confronté à plusieurs éléments en jeu. Il doit tenir compte de son environnement, notamment dans l’accomplissement de quêtes tout en sachant garder la tête froide et une considération de chacun.

« À travers la gestion d’une équipe, j’ai mobilisé des compétences à la fois managériales, d’empathie, et organisationnelles. De plus, dans tous les aspects du jeu, la compréhension de l’autre et le fonctionnement en équipe sont nécessaires » (Rep n° 87)
« Étant assez calme de nature j’essaie de régler les éventuels conflits qui peuvent naître entre certaines personnes » (Rep n° 23)
« La médiation et l’équité sont importantes, notamment lorsqu’il s’agit de gérer l’obtention d’équipements de haut niveau, afin qu’il n’y ait pas de personnes avantagées et inversement » (Rep n° 33)

Dans les phases de jeu de haut niveau, la gestion d’un groupe intègre ainsi plusieurs compétences relationnelles et comportementales avec les autres joueurs. Le joueur ou le groupe doit également faire face à des problèmes en jeu.

4.2.5. Curiosité et résolution de problèmes

La richesse de contenu de Final Fantasy XIV amène les joueurs à chercher certains éléments de jeu, à découvrir de nouvelles opportunités ou à connaître toutes les mécaniques. Aussi, cette curiosité peut entraîner le joueur à plus facilement résoudre des problèmes.

« Je cherche souvent à en savoir le plus possible pour assurer de pouvoir répondre aux questions des membres de ma compagnie » (Rep n° 67)
« Un comportement de leader c’est préparer les stratégies et les mettre en place ensuite pour résoudre un problème » (Rep n° 8)
« Mon petit truc à moi pour traiter avec les gens toxiques, c’est de jouer la psychologie. À force de discussion et de raisonnement j’arrive parfois à totalement renverser la vapeur et faire se remettre en question le joueur toxique sur le fond de son problème, jusqu’à parfois remonter à des soucis passés et enfouis dans la personne elle-même » (Rep n° 70)

L’intérêt du joueur à rechercher de nouvelles solutions et d’envisager un problème sous de nouveaux aspects, peut également soulever la notion d’audace et d’entreprendre.

4.2.6. Audace et esprit d’entreprendre

Les multiples interactions à la fois avec les autres et avec le jeu encouragent le joueur à tester de nouvelles opportunités. Ce comportement induit certaines compétences personnelles pour faire face à l’inconnu.

« Je ressens un dépassement de moi quand je profite du contenu haut niveau » (Rep n° 13)
« De plus en plus, j’ose approcher des inconnus […] et analyser des situations que je ne connais pas » (Rep n° 115)

Ces verbatim montrent que les joueurs font preuve d’initiative en jeu. Enfin, en plus d’initiative, certains joueurs arrivent à exprimer de la motivation en la partageant.

4.2.7. Motivation et humilité

De par son côté social, un MMORPG peut devenir un espace où les joueurs apprennent des autres. Certains d’entre eux au travers d’un comportement enthousiaste et stimulant véhiculent leur énergie. Aussi, un tel comportement n’empêche pas de faire preuve d’humilité.

« Je suis également du genre à essayer de motiver les personnes un peu en retrait pour s’intégrer » (Rep n° 59)
« J’essaie de rester positif et d’apprendre à mes amis les plus pessimistes à eux aussi penser de manière plus positive [...] et certains trouvent aussi une place voire des qualités qu’ils ne voyaient pas avant chez eux » (Rep n° 26)
« Je me sens sur le même pied d’égalité que les autres » (Rep n° 47)
« Il faut savoir se positionner en tant que professeur ou élève selon si on doit apprendre à quelqu’un, ou par quelqu’un » (Rep n° 109)

Au-delà des aspects positifs des expériences de jeu, certains joueurs font également mention de certaines phases d’énervement.

4.2.8. État d’énervement et maîtrise de soi

Bien que les joueurs mentionnent de larges bénéfices à jouer à Final Fantasy XIV, un élément revient à de multiples reprises concernant leur agacement envers d’autres joueurs. Cette irritabilité ressentie par des interactions sociales infructueuses est très courante, comme dans la vie en dehors du jeu, et ne relève en rien de l’exceptionnel. Néanmoins, cet état se voit provoqué par l’environnement du jeu et notamment par d’autres joueurs.

« Je me suis déjà énervé contre des joueurs qui n’appliquent pas la stratégie, même si je prends le temps de l’expliquer » (Rep n° 91)
« En général calme, il m’est déjà arrivée de parfois m’énerver derrière mon écran après un donjon qui tourne mal, manque de patiente ou juste mauvaise journée » (Rep n° 55)
« Il peut m’arriver de m’énerver, comme tout le monde, si un ou plusieurs joueurs se montrent irrespectueux ou malpolis, mais j’essaie d’être patiente et compréhensive » (Rep °9)

Néanmoins, il convient ainsi de mentionner que l’état d’énervement auquel sont confrontés les joueurs se place davantage comme une conséquence et non une cause. Ce résultat vient contrebalancer la stabilité émotionnelle de certains joueurs mais crée également un nouveau bénéfice, celui de la maîtrise de soi. Pour appuyer l’analyse thématique, une analyse lexicale est réalisée.

4.3. Des mots précis pour qualifier les soft skills

Afin de compléter l’analyse thématique pour trouver du sens et interpréter les discours des joueurs, l’analyse lexicale est réalisée via le logiciel Tropes v8.5. Même si ce logiciel s’adapte davantage à une analyse linguistique au sens de Fallery et Rodhain (2007), celui-ci permet également la comptabilisation de l’occurrence de mots. L’analyse lexicale est réalisée sur la question suivante : « Plus généralement, quelles compétences sociales et comportementales pensez-vous mobilier en jouant à Final Fantasy XIV ? ». La question étant facultative, les résultats portent sur 40 réponses (Tableau 1).

Tableau – Résultats de l’analyse lexicale sur 40 réponses

Mot

Occurrence

Pourcentage des répondants

Empathie

8

20

Patience

7

17,5

Gentillesse

7

17,5

Écoute

6

15

Ces quatre mots rappellent certains résultats vus dans l’analyse thématique. De plus, d’autres mots apparaissent de nombreuses fois et peuvent être regroupés. Ainsi, le sentiment est évoqué 13 fois sur 12 discours (30 % des répondants) via les mots suivants : compassion, confiance et respect. Enfin, le comportement est évoqué 25 fois sur 13 discours (32,5 % des répondants) avec des mots comme : indulgence, persévérance, tolérance, vigilance ou équité.

5. Discussion

Pour discuter nos résultats, nous abordons tout d’abord, les apports de cette recherche au regard de la littérature. Puis nous présentons les perspectives et limites amenant à de futures recherches.

5.1. Apports de la recherche

À la suite des différents récits de vie sur l’expérience des joueurs de Final Fantasy XIV, nos résultats montrent l’existence d’un lien entre la pratique du jeu et la mobilisation de soft skills (Bouret et al., 2014). Cependant, la stabilité émotionnelle des joueurs peut fluctuer selon le contexte du jeu. En effet, le joueur peut à la fois faire preuve de calme mais également s’énerver. Cette ambivalence met en avant un comportement social particulier d’un joueur surnommé troll, auquel la littérature apporte un éclairage (Friedline et Collister, 2012). Le troll correspond à un joueur générant de la discorde au sein d’un groupe. Cette situation n’est en rien exceptionnelle et permet au joueur de mettre au défi sa stabilité émotionnelle ainsi que sa maîtrise de soi dans les échanges écrits, verbaux ou gestuels effectués en jeu. C’est pourquoi, nos résultats montrent un lien fort entre l’expérience de jeu des joueurs de Final Fantasy XIV et la mobilisation de soft skills via les interactions sociales induites. Cette étude apporte par conséquent des perspectives.

5.2. Perspectives

Les perspectives de ces résultats sont multiples. Tout d’abord, l’expérience de jeu des joueurs pourrait être prise en considération par les organisations et notamment par les entreprises afin de la valoriser. Ce mécanisme peut s’apparenter à une pratique de serious-gaming (Lépinard, 2014 ; Chollet, 2019) qui induit un effet d’apprentissage par un individu via le jeu (Shaffer et al., 2005). Néanmoins, nous souhaitons rester prudent sur cette perspective du transfert de soft skills. En effet, celle-ci nécessite davantage d’éclaircissements théoriques auxquels la littérature peine à répondre, en dehors de son caractère de pédagogie alternative (Prensky, 2006 ; Kapp, 2012 ; Gee, 2014).

De plus, notre étude renforce les attentes de la littérature à encourager les recherches à l’intérieur des MMORPG (Duplan, 2011). Ces mondes composés de pixels possèdent une richesse sociale et culturelle qui en font de véritables terrains d’étude. Les éditeurs de MMORPG pourraient valoriser ces multiples interactions sociales pour accentuer l’idée que l’activité en jeu dépasse celle du seul divertissement. Cependant, au-delà des perspectives subsistent des limites amenant à de futures recherches.

5.3. Limites et futures recherches

Les limites de cette étude sont à la fois méthodologiques et éthiques. En premier lieu, notre étude se base sur l’aspect déclaratif des participants. Même si l’aspect qualitatif permet d’étudier un phénomène, celui-ci pourrait être étudié sous un angle quantitatif sur la base de nos résultats.

En second lieu, l’aspect éthique concerne le lien entretenu entre la vie en dehors du jeu et la vie en jeu. Sans entrer dans des débats de situations de jeu abusif non traitées dans cette recherche, nous souhaitons apporter un éclairage plus philosophique. En effet, sans opposer réel et virtuel, Final Fantasy XIV propose au joueur de vivre des aventures épiques dans des univers chatoyants et fantaisistes. Cette immersion en jeu rappelle l’œuvre cinématographique Ready Player One inspirée du livre original d’Ernest Cline. D’ailleurs, l’étude de l’œuvre par Nordstrom (2016) montre un lien entre utopie et science-fiction par le jeu. Les résultats de notre étude présentent de fortes interactions sociales, riches et multiples vécues par les joueurs qui mobilisent des soft skills. Or, cette vie parallèle à celle en dehors de Final Fantasy XIV rappelle celle vécue par les protagonistes de Ready Player One que Nordstrom (2016) qualifie d’échappatoire. Ainsi, en recoupant les apports des MMORPG en termes de soft skills montrés dans cette étude ainsi que du rapport que possède le joueur avec le jeu, la vie vidéoludique pourrait être une ressource personnelle pour celui-ci. De futures études sur la dimension éthique des interactions sociales vécues par les joueurs et de leurs effets sur leur vie en dehors du jeu apporteraient un éclairage à ce sujet.

6. Conclusion

Notre recherche avait pour objectif d’étudier en quoi les interactions sociales dans les MMORPG peuvent avoir une influence sur le développement de soft skills chez les joueurs. Les analyses effectuées auprès des joueurs de Final Fantasy XIV indiquent que des soft skills sont acquises par ceux-ci via leur expérience vidéoludique. Les joueurs déclarent développer des compétences sociétales et comportementales via leurs nombreuses interactions en jeu comme l’empathie, le sens du collectif, l’audace ou encore la curiosité. Ces résultats sont un apport dans la littérature sur le lien entre soft skills et jeu vidéo dont les études sur les MMORPG étaient davantage portées sur ceux d’avant 2010. La récence du jeu Final Fantasy XIV et le dynamisme de sa communauté permettent d’apporter des perspectives sur la considération de l’expérience de jeu, dans un but de valorisation auprès des organisations.

Note de bas de page 5 :

Theconversation.com (2019). DRH, recrutez des gamers comme managers. Article consulté le 5 juillet 2019 sur https://theconversation.com/drh-recrutez-des-gamers-comme-managers-116792.

En définitive, cette recherche contribue à des réflexions académiques et sociétales actuelles publiées sur le site « The Conversation » qui préconisent le recrutement de joueurs comme managers5. Enfin, sans entrer dans une fiction académique, tout comme Wade, héros dans l’œuvre Ready Player One et approché par une organisation pour ses talents en jeu, certains joueurs de Final Fantasy XIV pourraient-ils devenir de futures références managériales dans le développement de soft skills ?