Images provoquées ?
Approche réflexive sur les datas et l’infographie, de la recherche au journalisme

Maxime FABRE 

https://doi.org/10.25965/interfaces-numeriques.4441

Cet article aborde la question des datas et de l’infographie au sein du journalisme, du point de vue de la réflexivité en sciences humaines. En partant d’un travail réflexif sur les modalités de capture des données dans la recherche, plus particulièrement des publications photographiques de l’Agence France-Presse sur les réseaux socionumériques saisies par le chercheur, l’auteur étudie le travail de « mise en visibilité » de ces réseaux. En effet, une « corrélation expressive » s’opère entre le point de vue de l’Agence et celui des dispositifs, plus spécifiquement une rhétorique du « passage » et une représentabilité des portraits allégoriques, de ce qu’Édouard Glissant nomme le « Tout-monde », qui lui est adjacent. Cette analyse permet ensuite d’élaborer une distinction sémiotique entre le travail des datas (en les présentant comme des traces), puis de leur mise en forme visuelle, infographique.

This article tackles the subject of data and infographics within journalism, from the point of view of reflexivity in human sciences. From a reflexive study of data collection methods, with a focus on the photography publications of Agence France-Presse on social media, the author studies the « showcasing » of these media. Indeed, an « expressive correlation » happens between the Agency's point of view and the devices’ones, more specifically a rethoric of « passage » and a representability of allegoric portraits, of what Edouard Glissant calls the « Every-Body », which is similar. This analysis then allows the development of a semiotic distinction between the work on data (displayed as « marks »), and their visual and infographics layout.

Sommaire
Texte intégral

1. Préambule : du recueil des données aux « machines de lecture », et inversement

Note de bas de page 1 :

Pour des questions à la fois de quantité d’images et de représentativité sociale, c’est le mois de février 2016 qui a été retenu pour délimiter la durée de la saisie : du 1er au 29 février.

Si, comme le préconisait Laurent Gervereau, nous ne sommes pas à l’affût d’icônes sur lesquelles « nous aurions beaucoup à dire » (Gervereau, 2001), il a fallu organiser et expérimenter un protocole de recherche qui n’orienterait aucune hypothèse in abstracto, mais se contenterait d’un recueil systématique et préalablement réglé, in concreto, des « datas » textuelles. Cette méthode nous a permis de sélectionner et de circonscrire un corpus, mais à condition « que l’on veuille bien lire dans le corpus le corps » (Barthes, 1975), ou plutôt les corps, dans la mesure où les figures de l’énonciation numérique sont hétérogènes et soumises à une mutabilité constante. Ces données proviennent des comptes de l’Agence France-Presse sur Instagram @afpphoto, Twitter @afpfr et Facebook @AFPnewsenglish1. Puis, en observant le travail visuel opéré par l’historien de l’art Aby Warburg, dans le traitement de la quantité par l’organisation en « tables d’images » à travers l’Atlas Mnémosyne (Warburg, 2015), il est alors apparu qu’au-delà du simple « Imp[rimer]Ecr[an] » (Gomez-Mejia, 2011) il était crucial de produire des machines de lecture laissant d’abord à l’observateur la possibilité d’élaborer ses propres « cristaux de lisibilité » (Didi-Huberman, 2011) à partir de ces datas. Mais avant de comprendre où peut nous mener le recueil des données, à la fois du point de vue de la réflexivité sur le processus de recueil, puis de la corrélation entre la représentation des photographies de l’AFP et la « mise en visibilité » du dispositif Instagram, il nous faut d’abord revenir sur le processus de « mise en visibilité » lui-même, en l’analysant très concrètement.

2. Le principe de « mise en visibilité » sur Instagram

La fabrique économique, visuelle, d’un dispositif est une forme d’« impensé informatique » (Robert, 1994). Elle a pour objectif de verrouiller le regard critique des usagers pour faciliter l’infra-ordinarité de son utilisation pratique et quotidienne. Or la dispositio (dont la définition de dispositif découle) est historiquement un concept stratégique et rhétorique, et son rôle dans le parcours des images est crucial.

À leur manière, les dispositifs d’exposition numérique opèrent ce savant travail d’organisation du lieu de la pratique. Tels les passages de Fourier procurant à Walter Benjamin une impression de « monde en miniature », la mise en ordre d’Instagram s’énonce en termes de « tables d’images », et l’effet induit une même vision globale du monde photographié par l’Agence France-Presse. Dans notre corpus, et à travers une capture d’écran du 15 février 2016 à 11 heures, nous pouvons en effet constater que la « galerie » de l’Agence France-Presse expose des photographies capturées dans le monde entier : les États-Unis, l’Afghanistan, le Brésil, la Chine, la France et l’Italie y sont mutuellement représentés.

Figure 1 : La table d'images sur Instagram

Figure 1 : La table d'images sur Instagram

Source : Galerie Instagram @afpphoto, capture d’écran du 15/02/2016.

Le dispositif imbrique les images entre elles, les dispose dans des lignes de carrés miniaturisant les représentations, les contraignant dans un nouveau format, les exposant à la vue de l’usager qui, d’un seul regard, peut embrasser les productions photographiques diffusées par l’Agence sur les réseaux sociaux. Cette vision, nous la nommons synoptique, parce qu’elle « donne par sa disposition une vue générale (des parties) d'un ensemble que l'on peut ainsi embrasser d'un seul coup d'œil » (TLFi). À la manière de l’atlas, le synoptique fait « surgir inépuisablement de nouvelles relations […] entre des choses ou des mots que rien ne semblait apparier d’abord » (Didi-Huberman, op. cit.). Or, sa puissance réside justement dans sa capacité à mettre ces « choses » et ces « mots » en exposition et donc, fondamentalement, en lecture, comme si cet appareillage du photographié avait « un sens » (une signification), et donnait « un sens d’interprétation » (une direction) au sujet percevant. Cette double condition d’exposition, Georges Didi-Huberman l’observe au niveau de l’usage de la lecture, ayant à la fois « un sens dénotatif en quête de messages, un sens connotatif et imaginatif en quête de montages » (ibid). Poser le synoptique comme un impensé informatique, et le critiquer comme tel, c’est faire ressurgir un questionnement sur la lisibilité du monde et la visibilité même des choses exposées. « Lire le monde, c’est aussi relier les choses du monde » nous dit Didi-Huberman, cette correspondance intime entre le sens et la ressemblance appuie une exposition en tables d’images, tissant instinctivement des relations entre les choses. Ainsi, dans l’exemple présenté ci-dessus, l’exposition tabulaire nous invite à questionner et nouer des liens entre les différentes vignettes : du choix esthétique (une coloration majoritairement vive des photographies, vignettes 2 à 9 et 11-12), des sujets abordés (des scènes de la vie quotidienne, vignettes 1 à 6 et 8 à 12), du cadrage (une dominante accordée au portrait, vignettes 2 à 8 et 10 à 12), jusqu’à l’occasion photographique (la capture d’instants, souvent en mouvement, vignettes 1 à 4, 6, 8-9 et 11-12).

Sur Instagram, cette lisibilité est donc d’abord une visibilité, visibilité totale, générale, englobante des productions de l’Agence où la petite forme du « charger la suite » et de la barre de « chargement » suggèrent subséquemment l’infinité de la collection photographique dans le temps. Ensemble, elles désignent la collection comme un assemblage illimité en se réactualisant par le haut (une nouvelle publication peut s’ajouter à l’album) et son chargement par le bas (les anciennes publications sont quant à elles re-visualisables). Ce sont donc deux conceptions de la durée qui se rejoignent ici : linéaire avec la liste déroulante disposant les images chronologiquement ; cyclique avec les petites formes circulaires signifiant le processus itératif de la publication sur le réseau.

Figure 2 : Les formes suggestives de la collection infinie sur Instagram

Figure 2 : Les formes suggestives de la collection infinie sur Instagram

Source : Galerie Instagram de @afpphoto, capture d’écran du 15/02/2016.

Note de bas de page 2 :

La difficulté de capturer cette petite forme sur Twitter nous a contraint à ajouter une flèche circulaire pour reproduire l’effet causé par la circularité lors du recueil de cette donnée.

Cette infinité est symétriquement symbolisée sur Twitter2 et Facebook, par une barre circulaire de remplissage simulant la représentation cyclique de la durée et rythmant le mode de réception des images dans le déroulement de la liste.

Figure 3 : Facebook et Twitter

Figure 3 : Facebook et Twitter

Source : Profils Facebook @AFPnewsenglish et Twitter @afpfr, captures d’écran du 17/09/2018.

Sur Tumblr, ce n’est pas une barre circulaire qui suggère la quantité mais un message linguistique traduisant cet effet temporel de la publication passée : « Older » accompagné d’une flèche signifie la possibilité de visualiser le reste de la collection dans la durée respective de leur parution (il est répété toutes les dix photographies visualisées).

Figure 4 : Tumblr

Figure 4 : Tumblr

Source : Profil Tumblr @afp-photo, capture d’écran du 17/09/2018.

Pour comprendre comment se matérialise concrètement cette impression de collection infinie sur les réseaux, nous avons schématisé le processus analysé précédemment dans l’illustration ci-dessous. On distingue ainsi la liste disposant les images chronologiquement, le cadre de l’écran permettant de visualiser un nombre limité de photographies, et donc complété en haut et en bas par les petites formes de l’actualisation dans le premier cas, du retour dans le temps dans le second.

Figure 5 : L'infinité des collections photographiques

Figure 5 : L'infinité des collections photographiques

Pour le lecteur, la collection semble exhaustive, voire profondément totalitaire, donnant cette impression étrange que tout est photographié, potentiellement photographiable aussi, signé, légendé, indexé, puis rangé, classé. Le texte accompagnant l’image de la vignette 4 de l’exemple d’Instagram cité précédemment nous permet d’illustrer le formatage de cette impression « totalitaire », il est systématisé à toutes les publications de l’AFP dans notre corpus Instagram, et nous l’avons substantiellement départagé en quatre catégories. On distingue ainsi en bleu la logique du classement évaluatif et chronologique, en gris les signatures des énonciateurs (l’AFP et le photographe attaché à l’Agence) et qui renvoient par lien hypertexte à leurs profils respectifs, en rouge la légende décrivant factuellement l’image (situation du personnage, de l’action et du lieu), et en vert les modalités d’indexation de l’image sur le dispositif à travers des hashtags (décrivant la scène, le genre, les thèmes abordés et l’identité du personnage) et permettant aux utilisateurs du réseau de retrouver la photographie de l’AFP sous ces mots clés à l’aide de la barre recherche du support.

Figure 6 : Le formatage textuel de l’exposition

Figure 6 : Le formatage textuel de l’exposition

Source : Capture d’écran du 15/02/2016, compte Instagram @afpphoto Farshad Usyan/AFP.

L’espace de la table d’Instagram est ensuite un espace strié, borné, marqué par des seuils, tout en jouant le jeu de la ritournelle, « sans frontière », à la manière des objets mondialisés d’Andrea Semprini (2001). Afin de mieux comprendre la construction de ces deux espaces, nous avons classé les signes visibles de ces derniers en deux catégories : les signes marquant l’espace strié et ceux désignant le passage de la ritournelle. Chacune de ces catégories est ensuite subdivisée entre le signifiant (graphique ou linguistique) et leur signifié (dans le cadre du code du dispositif). Ainsi, l’espace strié est évoqué par les signes graphiques des trois points délimitant la zone du titre et celle de la légende, par le hashtag permettant d’indexer l’image selon des critères thématiques, par la flèche indiquant le sens de lecture, par la croix figurant à l’usager comment quitter la visualisation de la photographie affichée. Le passage est quant à lui illustré par une arobase menant par lien hypertexte au profil Instagram du journaliste cité dans le crédit photographique, puis il est matérialisé par trois cercles alignés permettant l’intégration de la publication sur un autre média informatisé, et il est enfin incarné par les icônes de la conscription affective (le cœur) et conversationnelle (le phylactère de la bande dessinée.)

Figure 7 : Principe synoptique : espace strié, jeu de la ritournelle

Figure 7 : Principe synoptique : espace strié, jeu de la ritournelle

Or cette vision synoptique n’est pas anodine, les conditions de visibilité du monde s’accordent à cette prétention exhaustive des DEN, tout comme elles s’harmonisent à une conception transnationale des agences de presse mondialisées ayant, elles aussi, prétention à l’exhaustivité du traitement de l’information, comme le soutient le journaliste agencier Claude Castéran (2012) :

Depuis longtemps, les agenciers – rédacteurs et photographes – ont tissé une toile d’araignée planétaire. Grâce à elle, rien de ce qui est important ne peut longtemps passer inaperçu. […] qu’elles diffusent des nouvelles courtes ou longues, en images ou pas, d’une origine proche ou lointaine, les grandes agences proposent un service qui se veut complet, rapide, fiable.

La visibilité synoptique du dispositif connote cette conception absolue de la distance à l’information, une distance réduite par un effet télescopique, lui-même symbolisé par les miniatures carrées. La réduction de la distance est d’ailleurs le propre de la valeur d’exposition chez Walter Benjamin où « en permettant à la reproduction de s’offrir au récepteur dans la situation où il se trouve, elle actualise l’objet reproduit » (Benjamin, op. cit.).

L’assemblage sériel des miniatures carrées s’investit d’une triple fonction, réactualisation de l’objet-photographie, télescopage de la scène capturée dans l’espace-temps de l’utilisateur, totalité du traitement de l’information par l’Agence. Le principe synoptique se présente comme une « mise en cohérence », comme un moyen de réguler l’incertitude, « la profonde horreur du spectacle du monde » pour paraphraser Nietzsche (1901). La table d’Instagram se présente à la fois comme réalité morcelée, démultipliée, et sémiotiquement comme un « tout de signification ». C’est ce double jeu du microscopique et du télescopique qui fonde cette impression synoptique, fondement d’une vision globale :

Au moyen du télescope, il n’y a rien de si distant qui ne puisse nous être mis sous les yeux ; et par le secours du microscope, rien de si minuscule qui ne puisse échapper à notre examen ; ainsi, un nouveau monde visible est découvert à l’entendement (Hooke, 1665, cité par Brykman, 2010).

Car c’est en effet de cela qu’il s’agit, d’un monde « découvert à l’entendement », et permis par le développement singulier d’une technique. Emmanuël Souchier rappelle à ce propos le poids théologique de la mise en ordre informatique :

Le 16 avril 1955, répondant à une demande d’Émile Nouel alors responsable d’IBM France qui l’avait sollicité pour déterminer le choix du nom à donner à une nouvelle machine destinée au traitement de l’information, Jacques Perret, professeur de philologie à la Sorbonne, écrit : « Que diriez-vous d’ordinateur ? C’est un mot correctement formé, qui se trouve même dans le Littré comme adjectif désignant Dieu qui met de l’ordre dans le monde » institue la production des visibilités comme mimêsis de toutes les opérations providentielles de Dieu (Souchier, 2012)

L’ordonnancement du monde par Dieu est d’ailleurs aussi entendu dans la conception de « la vision synoptique [qui] est la contemplation de l’univers d’un point de vue qui serait celui de Dieu » (Brykman, op. cit.), donc omniscient. Comme le souligne Georges Didi-Huberman, « son principe, son moteur, n’est autre que l’imagination » (Didi-Huberman, op. cit.) :

[…] l’imagination, si déroutante soit-elle, n’a rien à voir avec une fantaisie personnelle ou gratuite. C’est, au contraire, d’une connaissance traversière qu’elle nous fait don, par sa puissance intrinsèque de montage qui consiste à découvrir – là même où elle refuse les liens suscités par les ressemblances obvies – des liens que l’observation directe est incapable de discerner (ibid).

Car l’ordonnancement quasi divin de la table d’images est d’abord une rhétorique visuelle, la visibilité n’est pas naturelle, elle est un pouvoir, à la manière du panoptisme carcéral décrit par Michel Foucault dans Surveiller et punir, qui est fondamentalement le modèle d’une société disciplinaire, axée sur le contrôle social (Foucault, 1993). Pourtant, le synoptique se différencie du panoptique en ce qu’il ne vise ni la surveillance, ni la discipline, il n’assoit pas non plus la position de la personne qui « voit sans être vu », mais il partage en revanche le même pouvoir du regard, de la vision multiple et totalisante au moyen du montage de l’imagination.

C’est en effet parce que le dispositif met en ordre les images selon un mode spécifique que la visibilité du « monde » devient possible. Un « monde » qui n’est donc pas naturel, mais construit, particularisant ainsi un regard. S’il n’est pas naturel, il se présente pourtant comme tel, à la manière de l’impensé informatique défini par Pascal Robert. Mais quelques bornes indicatives amènent néanmoins le lecteur sur la voie de la construction. Car la « table d’images », dans nos termes, est en réalité la « galerie » dans ceux du dispositif Instagram. On voit se tisser de nouveau un lien crucial entre visibilité et exposition. La galerie est une construction du regard, une mise en lisibilité réfléchie et formatée des productions photographiques, dont on peut déjà se douter qu’ils sont stratégiquement investis.

Pour l’instant, soulignons que cela systématise la visualisation sous la forme synoptique des contenus de l’Agence France-Presse et permet, en creux, de comprendre cette connotation totalisante du regard informatif de l’Agence qui est aussi finalement une construction du point de vue de la recherche.

3. Les « cristaux de lisibilité » : des machines visuelles aux machines de lecture

Note de bas de page 3 :

« On se donnera au départ une facilité – considérable : on n’étudiera que l’image publicitaire. Pourquoi ? Parce qu’en publicité, la signification de l’image est assurément intentionnelle […] ; si l’image contient des signes, on est donc certain qu’en publicité ces signes sont pleins, formés en vue de la meilleure lecture : l’image publicitaire est franche, ou du moins emphatique » (Barthes, 1992).

Si Instagram nous a fourni un exemple prégnant du rôle de la puissance synoptique dans les dispositifs d’exposition numérique, c’est parce que sa dispositio était plus emphatique (à la manière de la publicité dans l’analyse de la « Rhétorique de l’image »3 de Roland Barthes) que celles des autres dispositifs, avec son agencement réglé et « franc » des images formatées en « galerie ». Pourtant, c’est l’impératif numérique (et la tentative d’épuisement qu’il impose au chercheur) qui nous a permis de consolider cette hypothèse. Et c’est la démarche empirique proposée par Georges Perec qui nous a décidé à adopter ce point de vue réflexif.

Dans Penser/Classer en effet, Perec porte une attention toute particulière au classement, au rangement, à l’ordonnancement, à la manière dont les choses ordinaires sont sériées, tentant toujours de répondre à la question fondatrice de son travail sociologique, ou « comment regarder le quotidien ? » (Perec, 2003), en produisant « une approche un peu oblique » de sa pratique routinière. Dans un même souci d’appréhension des manifestations de l’infra-ordinaire, il nous a fallu développer un discours propre, une méthode adaptée au fonctionnement du quotidien numérique et de la prolifération des objets qu’elle met en circulation. Aux stratégies des « machines visuelles » produites par les dispositifs, répondent les tactiques de nos « machines de lectures » (des images (re-)cueillies durant l’étape de l’observation). De la « mise en visibilité » des premières à l’articulation des « cristaux de lisibilité » des secondes, d’une « lecture après tout » (Didi-Huberman, op. cit.) dont le savoir est à la fois fondé sur l’accumulation des thèmes et la ressemblance des motifs. Un travail qui se rapproche finalement de la construction de L’Atlas Mnémosyne d’Aby Warburg selon Georges Didi-Huberman :

[…] l’atlas Mnémosyne délègue au montage la capacité à produire, par les rencontres d’images, une connaissance dialectique de la culture occidentale, cette tragédie toujours reconduite – sans synthèse, donc – entre raison et déraison, ou, comme le disait Warburg, entre les astra de ce qui nous élève vers le ciel de l’esprit et les monstra de ce qui nous reprécipite vers les gouffres du corps (ibid).

Évidemment, si la saisie des corpora peut correspondre avec celle d’Aby Warburg, la visée est bien différente. Alors que l’historien s’attache à reconstruire « l’héritage de notre temps » (ibid), la « Folie de la dérive » (ibid), nos machines de lecture ont pour fonction de déconstruire la signification « d’actualité de nos images ». Tout l’intérêt d’une telle méthodologie de recherche est de rendre l’infra-ordinarité de la diffusion numérique lisible, et de comprendre les passages comme un monde à lire, en « explorant les aspects matériels et contingents de l’espace graphique et des liens qui s’y produisent » (Pic et Alloa, 2012). Chez Walter Benjamin, la lisibilité (ou « Lesbarkeit ») se formule à partir d’une « constellation » (Benjamin, 2009), d’un ensemble de connexions fondées sur l’amalgame, « d’une attention à l’insignifiant » (Pic et Alloa, op. cit.) portée à la lecture et l’interprétation. En cela, nos machines de lecture sont des « images provoquées » (Bonaccorsi, 2012) par un regard, ou plutôt une posture, celle d’une « approche oblique » de l’actualité selon un postulat simple : « chaque présent est déterminé par les images qui sont synchrones avec lui » (Benjamin, op. cit.), au-delà de leur « insignifiance » apparente. La machine a donc eu pour intérêt de retranscrire la temporalité propre à la diffusion et l’exposition des photographies de l’Agence en plaçant le recueil en synchronie de la parution et la machine en traduction quotidienne de celle-ci. Cela se traduit concrètement par la saisie de l’heure et la date de parution, ainsi que celles du moment de capture, puis leur réinsertion dans la chronologie vécue de la réception lors de l’observation participante.

Si l’on prend l’exemple du 9 février 2016 sur le Twitter @afpfra, l’enquête a débuté l’après-midi à 16H18, elle a permis de capter des images exposées le même jour à 10H22 pour la photographie de Philippe Huguen illustrant un sujet sur l’Euro 2016 (vignette n° 1), à 13H11 pour le portrait d’une artiste syrienne par Louai Beshara dans la ville de Homs (vignette n° 2), à 14H02 pour un deuxième portrait par Mandel Ngan illustrant un sujet sur l’art contre la violence aux États-Unis (vignette n° 3), et enfin à 14H21 pour la résidence du président d’Afrique du Sud Zuma capturée par Marco Longari (vignette n° 4). La chronologie de la machine a respecté à la fois les moments de réception des publications lors de l’observation participante et le schème organisateur du fil d’actualité des dispositifs.

Figure 8 : Rendre lisible le temps de réception des images exposées sur les réseaux

Figure 8 : Rendre lisible le temps de réception des images exposées sur les réseaux

Source : Extrait de la machine de lecture Twitter @afpfr du 09 février 2016.

Note de bas de page 4 :

Dans son retour réflexif sur les modalités de la recherche, Julia Bonaccorsi explique le travail de « mise en abyme » que produit la constitution d’une méthodologie vis-à-vis de l’objet d’étude (Bonaccorsi, op. cit.).

Étudier ces images, les correspondances qu’elles produisent, c’est développer une « iconologie des intervalles » (Didi-Huberman, op. cit.), c’est rendre un monde lisible, ou plutôt construire la « lisibilité du monde » (Blumenberg, 2007), parce que le discours d’information de l’AFP n’est pas un discours neutre mais bien un discours sur le monde, et que pour comprendre ce présumé « discours », largement objectivé par le fantasme d’un « langage moyen » (Boyd-Barret et Palmer, 1981), il est nécessaire de produire un appareil de capture qui permettrait une « totalisation de l’intelligible » (Grandjean, 2012). Dans ce cadre, c’est bien la condition tabulaire des photographies qui rend lisible et intelligible notre conception de l’« exposition banale », tributaire des industries numériques des passages. Cette condition nous permet de « voir le temps » (Didi-Huberman, op. cit.), elle est la trace du processus de quotidianisation, provoquée, elle le retranscrit comme un tout de signification. La machine de lecture est une mise en abyme de l’expérience ordinaire de l’usager sur le dispositif4. Elle a pour objectif de retranscrire la complexité de l’objet étudié, à la fois producteur d’une vision du monde (le discours photographique de l’Agence), et en même temps ancré dans une situation de communication originale et significative (l’exposition dans le temps actualisé des dispositifs). Mais l’appareil de capture n’est pas une grille imposée à l’interprétation, au sens où il ne repose pas sur une « “sémiophysis”, une naturalité inerte du signe » (Barthes, 1978), il n’impose pas un sens (une direction, une signification), mais propose par analogies des « cristaux de lisibilité », à la manière d’une « sémiotropie » :

[…] une sémiotropie : tournée vers le signe, elle en est captivée et le reçoit, le traite et au besoin l’imite, comme un spectacle imaginaire (ibid).

Note de bas de page 5 :

Ce regard est d’emblée formalisé sur Instagram par la « galerie », notre travail méthodologique consiste donc à le « re- » formaliser en table a contrario sur les autres « réseaux », il n’est pas énoncé comme tel, il s’agit alors pour nous de le concrétiser formellement par la table.

La machine de lecture est une sémiotropie parce qu’elle est à la fois « tournée vers le signe » et critique envers lui, elle répète, en miroir, la naturalité de l’exposition tout en proposant une seconde lecture au spectateur, des « images secondes » au sens de Julia Bonaccorsi (op. cit.), en vue de déjouer l’immédiateté du signe, « réglé par une sorte d’évidence » (Barthes, op. cit.), en l’archivant dans le mouvement des tables d’images. Ces tables ont d’ailleurs eu pour vocation de renouer avec l’impression de « totalité » énoncée par la mise en visibilité du dispositif. Elles procèdent donc fondamentalement d’un remontage dont la volonté a été de re-formaliser5 le « regard embrassant » de l’assemblage intersémiotique du discours propre de l’Agence, et de celui des réseaux sociaux. En prenant l’exemple du 10 février 2016 sur Facebook @AFPnewsenglish, il a fallu opérer plusieurs séries de « captures d’écran » à différentes dimensions des cadres instituant les médias informatisés. Des « captures » très générales (vignette n° 1 ci-dessous), incluant toutes les strates d’encadrement, du « cadre logiciel » au « cadre document » (un niveau de capture que nous appelons « macro »), en passant par des « captures » ciblant les publications photographiques à proprement parler qui sont par opposition un niveau « micro » de la capture (vignette n° 2). Les niveaux de capture visent à préserver l’énonciation visuelle insérée dans une situation de communication. Ces niveaux sont ensuite agencés dans des tables pour préserver cette fois la temporalité des dispositifs (vignette n° 3), et rendre lisible ensuite l’expérience passagère et quantitative des images.

Figure 9 : Captures et remontage

Figure 9 : Captures et remontage

Source : @AFPnewsenglish, captures d’écran du 10/02/2016.

Note de bas de page 6 :

L’« abonnement » au compte d’un réseau social – par exemple le compte Facebook de l’Agence France-Presse –, n’est possible que si l’utilisateur détient lui-même un compte sur le dispositif. Une fois « abonné », l’usager peut visualiser les publications de l’Agence dans son propre « fil d’actualité ». Il n’y a pas de contrepartie financière, et l’utilisateur peut décider s’il voit, ou non, les publications en question. L’abonnement a surtout valeur de quantification de la notoriété : plus un compte a d’abonnés, plus il a de chance d’être visible dans le dispositif selon la logique des « algorithmes de réputation » (Cardon, 2015).

Autrement dit, il s’agit de ré-exprimer l’abondance photographique éprouvée par l’usager-abonné aux comptes de l’Agence6, ainsi que de reproduire la puissance synoptique que ces publications agencées produisent comme effet sur le spectateur. Les machines de lecture sont donc tout à la fois des objets pratiques et conceptuels, « pratiques » car elles facilitent et condensent la lecture, « conceptuels » car elles visent la production d’un nouveau savoir sur l’exposition numérique et « banale » des photographies de l’Agence France-Presse. Enfin, c’est justement de cette « abondance » qu’il s’agit de traiter par ces tables : que nous dit-elle de la pratique journalistique des médias informatisés ? Quelles sont les logiques qui la dominent ? Quelle économie cela suppose-t-il ? Toutes ces questions sont à l’origine de la constitution des machines de lecture.

4. Les portraits allégoriques du « Tout-monde »

Du point de vue synoptique s’ouvre ensuite corrélativement le regard humaniste et mondialisé de l’Agence, la dynamique des portraits, d’une « scansion individuelle du social » (Wrona, 2012) qui est la condition de constitution d’un vivre-ensemble numérique et on pourrait dire, agencier et social. Dans Face au portrait, de Sainte-Beuve à Facebook, Adeline Wrona explicite plus clairement les critères d’une telle analyse :

Le portrait de presse […] repose sur la relation périodique, et sur un modèle économique qui est celui de la diffusion massive, à bon marché, d’un produit standardisé. Ce sont là des critères déterminants pour l’analyse du portrait de presse : la parution dans un média périodique à large diffusion constitue un élément majeur de la définition générique. La relation périodique use des portraits selon un mode bien particulier, qui répond à des fins de reconnaissance : il s’agit d’alimenter les représentations du « je-nous », ou de l’individu en société (ibid).

L’enjeu est de décrire la représentation du « je-nous ». Cette représentation est marquée par la répétition et l’accumulation des sujets humanistes, de « l’universalité des gestes humains dans la vie quotidienne de tous les pays du monde : naissance, mort, travail, savoirs, jeux imposent partout les mêmes conduites » (Barthes, 1957), comme le constate Roland Barthes à propos de l’exposition photographique « The Family of Man » dans les Mythologies. Les portraits publiés par l’AFP déploient l’idéologie unaire de « la grande famille des hommes », de ce « mythe ambigu de la “communauté” » (ibid), qui n’est d’ailleurs pas sans rappeler le discours messianique des « réseaux sociaux » (Rebillard, 2007), dont le fonctionnement rhétorique est principalement allégorique, « la vie comme un tout signifiant » (Wrona, op. cit.) où « il s’agit […] de donner à l’individu raconté une portée généralisante » (ibid). Le discours allégorique fonctionne ensuite en deux temps :

[…] on affirme d’abord la différence des morphologies humaines, on surenchérit sur l’exotisme, […] on babelise à plaisir l’image du monde. Puis, de ce pluralisme, on tire magiquement une unité : l’homme naît, travaille, rit et meurt partout de la même façon ; et s’il subsiste encore dans ces actes quelque particularité ethnique, on laisse du moins entendre qu’il y a au fond de chacun d’eux une « nature » identique, que leur diversité n’est que formelle et ne dément pas l’existence d’une matrice commune (Barthes, op. cit.).

C’est pourquoi, les sujets allégoriques sont souvent des dramatis personae (l’enfant, le vieillard, la mère), car ils sont des « sortes d'essences émotionnelles, chargées de vivifier le stéréotype » (Barthes, 1964) humaniste, des correspondances entre les pratiques, les usages, qui façonnent ensemble une véritable « esthétique des gestes laborieux » (Barthes, 1957) à travers les quatre dispositifs. Or, cette représentation allégorique instancie une relation « je-nous » qui passe de la reconnaissance « d’une matrice commune » à la constitution d’un « imaginaire commun ». Imaginaire qu’Édouard Glissant conçoit comme un « Tout-monde » (Glissant, 1997) :

J’appelle Tout-monde notre univers tel qu’il change et perdure en changeant et, en même temps, la « vision » que nous en avons. La totalité-monde dans sa diversité physique et dans les représentations qu’elle nous inspire : que nous ne saurions plus chanter, dire ni travailler à souffrance à partir de notre seul lieu, sans plonger à l’imaginaire de cette totalité.

Le Tout-monde a ceci de particulier qu’il conçoit la question de la « mondialité » comme relevant d’un imaginaire, d’une vision projetée de la pratique quotidienne à celle d’une totalité, jusqu’à ce que l’on ne puisse plus penser l’une sans l’autre, que chacun de nos gestes fasse implicitement référence à cette « mondialité » de la représentation. Dans notre corpus, les drames, les joies, les sourires, les âges de la vie, les détresses seraient le fond commun de ce registre médiatique humaniste et « spiritualiste » (Barthes, op. cit.).

Note de bas de page 7 :

« Appréhender la singularité différentielle d’un média, c’est tenter d’en saisir la “médiativité”. Celle-ci rassemble tous les paramètres qui définissent le potentiel expressif et communicationnel développé par le média » (ibid).

Car le Tout-monde est une forme culturelle de la communication globalisée, de « l’instauration d’un “marché” planétaire [qui] a suscité l’émergence d’objets configurés pour être reçus à n’importe quel endroit de la planète » (Pedler, 2002). Roland Barthes explique à ce propos que l’idéologie de « la grande famille des hommes » s’exprime par la « photogénie des images » (Barthes, op. cit.), il est de même possible de penser le discours de ces « objets configurés pour être reçus à n’importe quel endroit de la planète » comme relevant d’une médiagénie, de « la dynamique d’une interfécondation » (Marion, 1997) entre un récit d’un côté (le récit humaniste de l’Agence) et la « médiativité »7 d’un média de l’autre (l’expression de la mondialisation culturelle des réseaux) permettant la mise en circulation de cette forme de vivre-ensemble globalisé. Il est d’ailleurs intéressant de constater que c’est la figuration du mouvement qui domine dans ces portraits, comme s’ils textualisaient la condition si particulière de ces « images en circulation à l’échelon mondial » (Wrona, 2014). Mouvement des êtres dans le gigantesque « tourbillon » (Glissant, 1993) imposé par le Tout-monde, en miroir du mouvement circulatoire des êtres culturels.

En ce sens, les portraits allégoriques sont des portraits qui racontent la vie triviale des formes culturelles inspirées par la communication globalisée, ils expriment la différence pour mieux l’intégrer dans un fonds commun et partageable, presque neutre. Car, répondant à un « respect d’un principe de neutralité énonciative » (Wrona, 2012), le discours agencier est aussi une machine à produire des évidences, l’évidence matricielle d’une nature partagée de l’Homme, que Roland Barthes regroupe sous « le règne des vérités gnomiques » :

[…] la jonction des âges de l’humanité, au degré le plus neutre de leur identité, là où l’évidence du truisme n’a plus de valeur qu’au sein d’un langage purement poétique (Barthes, op. cit.).

Or « l’évidence du truisme » prend une valeur particulière dans la banalité numérique, « cet “état de choses” qui réalise une unanimité irréfléchie, et dont la continuation paraît ordinairement s’imposer à toute conscience à l’intérieur de cette société » (Jerphagnon, 1965) est une construction sociale de type homéostatique. Il est accentué par la mondialisation de la communication, qui incorpore les différences pour les faire figurer sous une forme nouvelle, simplifiée, stabilisée, assimilée et intégrée selon un patron sémiotique qui lui est propre : l’allégorie humaniste. Sa fonction est donc à la fois communicationnelle (partager des codes génériques communs), et hégémonique (assimiler les formes culturelles concurrentes à son élection) :

Ainsi, tout le milieu social se défend contre ce qui, de près ou de loin, lui paraît en vouloir à sa permanence, une permanence qui se reflète et se mire dans les objets qu’il se donne. Le monde tel que la société le voit est, en rigueur de termes, son contemporain, et sa durée comme monde est gage et témoin de la sienne propre. C’est ce rythme tacitement adopté par la plupart de ses membres qu’il faut assurer, et qu’on tentera d’imposer à tout être venant en ce monde-là (ibid).

Le portrait allégorique s’inscrit donc en effet dans une périodicité et une économie, celle de la mondialisation des formes culturelles.

5. Conclusion. La réflexivité en question: du recueil des datas à leur mise en forme graphique

L’analyse opérée a posteriori par le chercheur (à partir des données recueillies durant l’observation participante) est une mise en forme graphique des datas répertoriées puis rangées, classées. Leur visualisation en « tables d’images » a donc élaboré de véritables « machines de lecture ». Il est alors intéressant de constater que le travail de réflexivité en sciences humaines peut permettre d’élaborer une distinction de forme entre deux pratiques professionnelles, celle des datas et celle des infographies, proches de nos propres outils de recherche.

C’est ce recul, cette mise à distance du chercheur par rapport à ses propres objets (puis la mise en forme visuelle de ceux-ci) qui met en lumière une distinction fondamentale dans la distinction de ces praxis. Du point de vue sémiotique, nous émettons l’hypothèse selon laquelle les datas fonctionnent comme des traces, « sans intention de désigner » (Thouard, 2007). En elles-mêmes, elles sont muettes et n’existent que dans la mesure où elles sont insérées dans un tissu de relations, interrogées par un destinataire (le chercheur ou le journaliste). Fondamentalement, une trace (ou plus simplement la data) est quelque chose que nous recherchons. En cela, elle ne signifie qu’à partir de procédés mis en place pour l’interpréter (ce que nous avons appelés des « machines de lecture ») qui, comme les infographies, donnent un sens de lecture, et une direction interprétative. C’est une « inscription dans un mode d’existence physique qui adjoint à sa matérialité observable une opérativité symbolique, apte à créer du sens à travers le tissage de liens adéquats », comme l’explique Yves Jeanneret (2012). L’infographie est, quant à elle, un construit sémiotique, elle élabore une iconologie des intervalles et apporte une signification, directive, de sa mise en forme.

Néanmoins, il nous faut ici opérer une distinction importante entre les « machines de lecture » et la matérialité de l’infographie. Si les premières laissent au lecteur le soin d’opérer ses propres « cristaux de lisibilité », la seconde impose un sens, une direction forte, au lecteur. La grammaire de la réception est conditionnée en amont et vise à délimiter une interprétation préconstruite par le travail de l’infographiste, là où la machine de lecture laisse, comme chez l’historien Aby Warburg à travers son Atlas Mnémosyne, une lecture oblique des modes de visualisation.

Malgré cette distinction, l’infographie ou la machine de lecture ont pour intérêt de rendre lisible des traces, des données. Ces images provoquées permettent de comprendre différemment l’objet de l’analyse, surtout quand ces données sont nombreuses, fluctuantes, mobiles, comme dans le cas des réseaux sociaux numériques. Qu’elle soit directive ou oblique, la mise en lecture permet de comprendre les données à partir d’un point de vue, d’un regard. Et en effet, ce questionnement réflexif nous a permis de mettre en lumière un point important quant à la représentation des photographies de l’AFP sur les dispositifs d’exposition numérique : une « corrélation expressive » entre le point de vue de l’Agence et celui des réseaux sociaux, et plus spécifiquement une rhétorique du « passage » qui met en visibilité la co-construction des portraits allégoriques du « Tout-monde ».