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LUC BOLTANSKI

la constitution du champ de la bande dessinée

La description des transformations qui ont affecté la bande dessinée peut être l'occasion d'analyser certains des mécanismes qui accompagnent l'apparition d'un champ formé sur le modèle des champs de culture savante et d'observer les changements que la constitution d'une culture spécifique, d'un champ relativement autonome, d'une division du travail à l'intérieur du champ -entre producteurs, reproducteurs, commentateurs, etc.— enfin d'un appareil (revues, congrès, prix, éditeurs, institutions d'enseignement, etc.) introduit dans les caractéristiques des producteurs, dans les propriétés formelles des oeuvres et dans le type de relations que les producteurs entretiennent avec les oeuvres (1).

Depuis son apparition à la fin du 19è siècle jusqu'à une époque récente (1960 environ), la BD possède les propriétés communes à la plupart des biens produits dans le champ de grande diffusion et tient ses caractéristiques génériques de la position dominée qu'elle occupe dans l'ordre des légitimités et de son autonomie très faible par rapport au champ économique, propriétés qui ont notamment pour conséquence l'assujettissement des producteurs aux lois du marché : le dessinateur de BD travaille, souvent dans l'urgence, pour un marché anonyme dont la contrainte s'exerce essentiellement par l'intermédiaire des éditeurs spécialisés (Société française de presse illustrée, Sage édition, Vaillant, etc.) et surtout des agences -comme Opera Mundi, Intermonde, etc. (filiales le plus souvent des deux grandes firmes de distribution américaines King Features Syndicate, United Features Syndicate) qui détiennent le pouvoir de commander une bande à un dessinateur pour répondre à la demande précise d'un journal, d'imposer un scénariste à un dessinateur et vice versa, de changer de dessinateur ou de scénariste en cours de parution, de choisir les magazines