Marc DOMINICY Université Libre de Bruxelles
LES STEREOTYPES ET LA CONTAGION DES IDEES
Dans La contagion des idées (1996), Dan Sperber reformule sa théorie de l'interprétation symbolique (cf. Sperber 1974, 1975, 1979ab, 1982) en distinguant, parmi les croyances, deux catégories essentielles : les « croyances intuitives » et les « croyances reflexives » l. Ce « dualisme des croyances » (pour s'exprimer comme Recanati 1997 : 93) permet de caractériser en termes cognitifs les inputs du « dispositif symbolique » : en effet, c'est à partir des « croyances reflexives » que se déclenchera le processus d'« évocation » (1996 : 97-102, 118-135). J'entends commenter ici ces propositions de manière critique, afin de mieux fonder ou d'éclaircir certaines des thèses que j'ai pu avancer dans le cadre de ma propre « théorie de l'évocation » 2. Je serai amené, entre autres choses, à introduire une dichotomie entre « prototype » et « stéréotype » qui me semble indispensable si l'on veut comprendre le statut que revêt la parole « poétique » dans l'exercice du langage naturel.
1. Croyances intuitives et croyances reflexives
1.1. Je commencerai par définir ce que j'appelle une « croyance potentielle intuitive » (en abrégé : « СРГ »). Admettons, sans plus de discussion, qu'il existe un « langage de la pensée » , dont les unités atomiques sont des « concepts » capables de se combiner en des « représentations conceptuelles ». Une С FI est alors une représentation conceptuelle d'un genre particulier : il s'agit d'une « représentation proposition- nelle » (en abrégé : « RP »), susceptible d'être (tenue pour) vraie ou fausse. En d'autres termes, une CPI n'est pas une représentation « publique » — par exemple, un énoncé ou une phrase d'un langage « public », naturel (comme le français) ou artificiel (comme Prolog) — mais un élément de l'ensemble infini des RP qui se laissent construire dans le langage de la pensée.
1. Sperber a considérablement varié dans sa manière de nommer, et de (re)présenter, les croyances qu'il a fini par appeler « reflexives ». Dans un premier temps (1974 : 113, 1975 : 404), il a parlé de « représentations conceptuelles mises entre guillemets » ou « défectueuses » ; ensuite (1982 : 69-80), de « représentations semi-propositionnelles » ou de « croyances représentationnel- les ». Ces flottements terminologiques tiennent, en partie, au fait que la croyance peut être vue comme un contenu ou comme une attitude. 2. Sur ce sujet, voir Dominicy (1995c, 1997, 1998), où l'on trouve toutes les références antérieures ; cf. aussi Aroui (1996), Choi-Diel (1998), Gouvard (1995, 1996), Michaux (1998).
105