REVUE FRANÇAISE DE PEDAGOGIE

N° 6 1 oct -nov -dec 1982 17-27

THEORIE ET PRATIQUE, APPROCHE CRITIQUE DE L'ALTERNANCE EN PÉDAGOGIE (I)

par G. M ALGLAIVE et A. WEBER

L'alternance en pédagogie pose la double question de l'articulation et de la séparation entre l'école et la vie. Le problème est abordé ici du point de vue de la relation entre théorie et pratique : quelle est la nature du savoir pratique et quelle est celle du savoir théorique ? Les modes d'appropriation de ces savoirs sont-ils différents ? Après avoir défini deux voies d'acquisition des connaissances, l'une fondée sur le rapport symbolique et l'autre sur le rapport matériel au réel, les auteurs insistent sur les intérêts et les limites de chacune d'elles.

Une seconde partie abordera le problème du point de vue des lieux d'apprentissage : l'entreprise et le centre de formation.

L'alternance éducative, l'enseignement en alternance sont des thèmes à l'ordre du jour de la réflexion et de la pratique pédagogique. Pour autant, il ne s'agit pas d'une idée nouvelle, comme le rappelle B. Girod de l'Ain dans une « petite histoire socio-linguistique d'une idée qui court beaucoup » ( 1 ).

On s'accorde généralement pour attribuer aux Maisons Familiales et Rurales l'origine du terme « alternance » appliqué à l'éducation. Pour cette association, à la fin des années 40, il s'agissait autant d'un moyen pédagogique destiné à former les futurs agriculteurs que d'un outil « politique » conçu « pour vaincre la tradition et la

routine, apprendre à critiquer et à raisonner les actes journaliers »(2) d'un monde rural en profonde mutation

La notion fut reprise à la fin des années 1960 par l'association d'étude pour l'expansion de la recherche scientifique (AEERS) en son colloque d'Amiens (1968), dans une claire visée de politique éducative : il s'agissait de rénover l'école. Enfin, dans le cadre de la crise économique des années 1970, le thème apparut dans les sphères officielles, tant européennes que françaises, pour aboutir successivement : aux journées d'étude du CNPF, à Deauville en novembre-décembre 1978, préconisant « l'élargissement des expériences actuelles des stages en entreprises (...) et, à plus long terme, l'établissement d'une formule généralisée de formation par alternance » ; au « relevé de conclusions » établi par le ministre de l'Éducation à la suite des discussions menées avec la Fédération de l'Éducation Nationale et le CNPF, puis à la circulaire du 1 6 juillet 1979 relative à l'organisation de séquences éducatives en entreprise ; à la résolution du Conseil Européen du 22 novembre 1979 concernant la formation en alternance des jeunes ; et enfin, à la loi du 1 2 juillet 1 980, relative aux formations professionnelles alternées en concertation avec les milieux professionnels »(3).

Ce qui était en jeu alors, ce n'était plus seulement la pédagogie (une nouvelle manière d'apprendre), ni seulement la rénovation de l'école, mais l'emploi, l'ajustement qualitatif et quantitatif des formations aux places offertes par un système économique en difficulté.

Au fur et à mesure de ce passage de la notion d'alternance du champ de la pédagogie, avec les maisons familiales et rurales, au champ des activités sociales et professionnelles avec les récentes mesures législatives françaises (4), la problématique pédagogique qui lui servait de fondement s'estompait pour devenir un postulat : « l'école est coupée de la vie. Or, on apprend aussi par la vie, autant, plus ou mieux, que par l'école ». Sans avoir la naïveté de prétendre que les problèmes posés par « l'alternance » aujourd'hui relèvent seulement d'un débat pédagogique, nous pensons que les pédagogues se doivent d'expliciter les ressorts du fonctionnement de cette formule éducative, ne serait-ce que pour avoir la possibilité d'interpeler ceux qui seraient tentés d'en faire un moyen au service de leur politique. Aussi notre intention est-elle, dans le cadre de cet article, d'analyser et de questionner de manière critique l'opposition de l'apprentissage par l'école et de l'apprentissage par la vie, et plus particulièrement par le travail productif.

Ecole et vie ou théorie et pratique ?

L'école n a pas toujours existé et les ethnologues (5) nous ont appris à connaître ces sociétés où elle n'existe toujours pas. où l'acquisition des competences néces-

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