Lynda A. DAVEY
La croqueuse d'hommes :
images de la protituée chez Flaubert, Zola et Maupassant
L'ampleur de la prostitution au xixe siècle nous est signalée de la façon la plus frappante par les dossiers de police, les statistiques fournies par les hôpitaux et les prisons, ainsi que par les témoignages plus proprement historiques *. Parmi ces derniers, il faut mentionner la première étude d'importance, et qui pour nous fait date, consacrée à ce sujet, celle d'Alexandre Parent-Duchâtel et intitulée : De la Prostitution dans la ville de Paris considérée sous le rapport de l'hygiène publique, de la morale et de l'administration.
Publié en 1836 2, cet ouvrage a non seulement eu des répercussions parmi le monde des historiens et des sociologues, orientant souvent leurs réflexions et leurs travaux, mais semble même avoir inspiré un certain nombre de romanciers. Balzac, Flaubert, Dumas fils, les frères Goncourt, Zola, Huysmans ou encore Maupassant, illustreront à leur façon cette figure prégnante qu'est devenue la prostituée au xix* siècle. Figure multiple toutefois puisqu'on la trouve aussi bien se tenant sur le seuil d'une maison close ou au coin d'une rue, que fréquentant des salons, sous des dehors de respectabilité certaine, en la personne des courtisanes.
Toutefois selon moi, ni l'importance numérique des prostituées (et parfois de leur position sociale), ni la prise en compte des fantasmes masculins collectifs ne suffisent à expliquer l'intérêt que leur portent alors les grands romanciers. Pour une bonne part ce qui m'apparaît être le facteur motivant, c'est plutôt la découverte qu'ils font de l'ambivalence de l'attitude sociale à l'égard de la prostitution.
Soit provoquant une certaine admiration, surtout lorsqu'il s'agit de la courtisane et dans la mesure où elle partage avec le bourgeois capitaliste le même modus operandi — acquérir un gain matériel ; soit menaçant le pouvoir économique bourgeois parce que ses clients lui viennent principalement de cette classe, la prostituée est à la fois modèle et menace, elle porte en elle des messages confus de condamnation morale et d'approbation économique.
Dans son livre, Parent-Duchâtelet élabore des traits tant physiques que moraux afin de faire le portrait de la femme susceptible de devenir prostituée. Par exemple, si une femme est de basse extraction et si, de plus, elle présente les défauts suivants : paresse, désordre, excès, imprévoyance, elle risque de le devenir. A ceux-ci s'ajoutent d'autres caractéristiques tel l'amour
