Bernadette BENSAUDE-VINCENT
Camille Flammarion : Prestige de la science populaire
En 1862, Camille Flammarion publie son premier ouvrage La Pluralité des mondes habités, une composition «enflammée d'une bouillante ardeur», inspirée par une vision presque religieuse de l'astronomie. Le jeune Flammarion Га rédigée en contrepoint des calculs fastidieux que lui impose son emploi d'élève-astronome à l'Observatoire de Paris. Astronomie pure et dure en activité diurne et libre spéculation sur les planètes, en nocturne.
Mais cet harmonieux arrangement entre deux types de science ne dure qu'un temps. Peu après la sortie du livre, Le Verrier, patron de Flammarion et directeur de l'Observatoire, convoque son employé et le met à la porte. D'après les Mémoires de Flammarion, il aurait déclaré : «Monsieur, vous n'êtes pas savant mais poète».Le discours de science qui n'est pas strictement soumis aux normes académiques bascule donc dans la littérature. Le titre du livre est-il le motif de cet acte d'exclusion ? Il est vrai que les extra-terrestres sont un thème littératire longuement développé par Balzac dans Séraphîta, qu'ils hantent le système cosmogonico-économique de Charles Fourier x. Mais ils ne sont pas bannis par les savants académiciens. Fontenelle, premier Secrétaire perpétuel de l'Académie des Sciences, donnait l'exemple dans les Entretiens sur la pluralité des mondes. Les astronomes du 19e siècle, Arago après Lalande, continuent d'envisager comme une hypothèse plausible l'existence d'habitants sur la lune, sur les planètes et même sur le soleil 2. Ce n'est donc pas la pluralité des mondes habités qui choque les autorités académiques, c'est le style de Flammarion, la liberté de sa plume.
Que contenait ce petit texte de 54 pages ? Il n'en reste rien, car l'ouvrage tiré à 500 exemplaires a été vite épuisé. Mais ce n'était pas le premier essai de Flammarion. Tandis qu'il était apprenti chez un graveur-ciseleur, à l'âge de seize ans, Flammarion avait déjà produit un volumineux manuscrit intitulé Cosmogonie universelle 3, auquel il doit son entrée à l'Observatoire car son médecin, ayant porté attention à cet écrit, avait recommandé son jeune patient à Le Verrier. Par la suite, Flammarion écrit un Voyage extatique aux régions lunaires : correspondance d'un philosophe adolescent. A l'âge de vingt ans, Flammarion en est donc à son troisième livre. Pour le soumettre à un éditeur, il use d'un stratagème enfantin : comme il était chargé de porter le manuscrit de l'Annuaire de l'Observatoire chez Mallet-Bachelier (future maison Gauthier- Villars), il a glissé un chapitre de son propre manuscrit au milieu du paquet. Et ce fut le miracle, point de départ d'une brillante carrière. Flammarion s'enhardit : la seconde édition, parue chez Didier en 1864, a plus de 500 pages. Elle est bientôt
ROMANTISME n° 65 (1989 - Ш)
