TROUBLES ET REVOLTES POPULAIRES
EN FRANCE, XVIe-XVIIe SIÈCLES.
Essai de mise au point *
Depuis la polémique des années 1958-1967 entre R. Mousnier et B. Porchnev1, le champ chronologique de l'étude des révoltes et troubles populaires en France à la fin du féodalisme, longtemps limité au XVHe siècle, a été fortement étendu en amont et en aval. En ce qui concerne le XVIe siècle, selon Y. Bercé, il n'y a pas de mouvement important avant 1548, un calme relatif dans ce domaine s'étant établi depuis 14202. Cependant divers indices donnent à penser que des vagues de troubles assez vifs, au moins dans les villes, se produisent avant le milieu du siècle. Dès 1522-1523, à Paris, on redoute l'émeute des pauvres, dans les campagnes les méfaits des gens de guerre sont partout signalés3. Ces événements coïncident avec l'inquiétude due à la conspiration du connétable de Bourbon, la maladie du roi en 1523, puis sa défaite et son emprisonnement en Espagne en 1525-1526. La guerre entraîne une augmentation des impôts spectaculaire au nominal, même si elle ne dépasse pas la dévalorisation de la monnaie et l'accroissement de la population et de la production : la taille passe de 2,4 millions en 1519 à 2,660 en 1525, les levées extraordinaires, surtout sur les villes, se multiplient et un certain mécontentement apparaît dans les Parlements de Paris et de Rouen et les Etats de Normandie. Ensuite en 1529, éclate la Grande Rebeyne de Lyon où des placards apposés avant l'émeute invitent le peuple à se soulever "comme dans les autres villes", ce qui coïncide avec la crise nationale de subsistances de 1528- 15324. En 1539 des grèves importantes éclatent à Lyon et Paris5, en même temps que se marque le déficit de la récolte de 1538, au moins pour le Bassin Parisien. Cette agitation d'avant
* Version augmentée et mise à jour d'une communication présentée au colloque de Trêves (R.F.A.) : Le féodalisme (mai 1981), et publiée dans les Cahiers d'Histoire de l'Institut de Recherches Marxistes, 1981, 5. Paru en russe dans le Bulletin de la Faculté d'Histoire de l ' Université de Moscou, 1 990.
1 R. MOUSNIER, « Recherche sur les soulèvements populaires en France avant la Fronde », RHMC, 1958, 2. B. PORCHNEV, Les soulèvements populaires en France de 1623 à 1648, Paris, 1963. Discussion dans G. LEMARCHAND, «Les soulèvements populaires en France au XVIIe siècle », La Pensée, juin 1965, et « Le XVIIe siècle en France : orientations de recherches nouvelles », La Pensée, avril 1968 ;
2 Y. M. BERCE, Croquants et Nu-Pieds, Paris, 1974. Il est suivi par E. LEROY- LADURIEe, Histoire économique et sociale de la France, tome I, vol. 2. Paris, 1977, pp. 822- 825 et par J. JACQUART, François 1er, Paris, 1981, p. 359.
3 H. LEMONNIER, Histoire de la France (dirigée par E. Lavisse), t. V, 2. Paris, 1904. Entre 1518 et 1527, neuf mentions de brigands et pilleries des gens de guerre dans les campagnes près de Rouen et dans le Pays de Bray (décompte d'après Arch. comm. Rouen, Délibérations du Chapitre cathédrale, Registres secrets du Parlement). Dans quelle mesure n'y a-t-il dans les brigands que des soldats ? Même situation en Poitou, Limousin, Auvergne et Anjou.
4 R. GASCON, Grand commerce et vie urbaine au XVIe siècle. Lyon et ses marchands, Paris, 2 vol., 1971, pp. 768-775.
5 E. COONAERT, Les compagnonnages, Paris, 1966, p. 384.
Cahier des Annales de Normandie, 2000, n° 30
