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L’intervention ergonomique comme acte pédagogique

Ergonomic intervention as a teaching strategy
La intervención ergonómica como acto pedagógico
Bernard Dugué, Johann Petit et François Daniellou

Résumés

La pratique de l’ergonomie est un champ de recherche qui permet depuis une vingtaine d’années, de produire des connaissances utiles à l’élaboration de démarches d’intervention et, par conséquent, utiles à la formation des ergonomes. À partir d’un modèle décrivant les registres possibles de l’échange en pédagogie, et insistant sur les liens possibles entre l’intervenant, les apprenants et les savoirs, nous tentons de montrer l’intérêt de puiser dans le creuset des sciences de l’éducation pour comprendre et structurer des démarches d’intervention en ergonomie. Sur la base de 3 interventions différentes, les résultats que nous obtenons nous permettent, non seulement, d’admettre qu’il existe une dimension pédagogique dans l’intervention ergonomique, mais aussi, d’explorer des possibilités de structurer l’intervention compte tenu des objectifs pédagogiques que l’on pourrait se fixer en tant qu’ergonome.

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Texte intégral

1. Introduction

1La démarche participative est une question centrale en ergonomie, car elle concerne la nature des liens que les ergonomes vont tisser, dans le cours de leur intervention, avec (et entre) les concepteurs et les utilisateurs des dispositifs de travail qu’ils contribuent à concevoir. Elle renvoie à la fois à des questions d’efficacité de l’intervention (comprendre les écarts entre le travail prescrit et le travail effectivement réalisé, en s’intéressant aux différences de représentations que les divers acteurs ont des situations de travail), mais aussi à ce que nous pourrions appeler une éthique de la citoyenneté, la volonté d’associer les travailleurs (de tout niveau hiérarchique) à la détermination des éléments qui vont conditionner leur vie au travail.

2Comme l’ont rappelé St-Vincent et coll. (2000, p. 4), la démarche d’ergonomie participative concerne

« la mise en commun et la confrontation de savoirs : ceux d’ergonomes, d’opérateurs et de spécialistes techniques ».

  • 1 Par « intervention » nous entendons ici toute forme d’action des ergonomes visant à analyser et/ou (...)

3Le transfert de connaissances et le partage de savoirs entre les différents acteurs est donc au fondement de la démarche. C’est pour cette raison que nous souhaitons, dans ce texte, aborder l’intervention ergonomique en montrant en quoi elle est, aussi, un acte pédagogique. Il ne s’agit pour nous ni de réduire, bien évidemment, l’acte pédagogique à la question de la participation, ni de réduire la participation à une question de pédagogie. Par conséquent, il n’est pas dans notre propos de présenter de manière exhaustive les approches pédagogiques, mais de retenir ce qui nous semble pertinent pour expliquer ce qui se joue entre les acteurs dans les démarches participatives, et au-delà nous semble-t-il dans toute intervention ergonomique1. L’objet premier de ce papier n’est pas d’enrichir les connaissances sur les démarches participatives en ergonomie, mais bien d’apporter un regard sensiblement différent sur ce concept, à partir du registre de la pédagogie. Autrement dit, nous souhaitons proposer ici des éléments en faveur d’un développement de la dimension pédagogique dans les démarches participatives.

4Cet article constitue un retour réflexif sur la pratique de l’intervention ergonomique à partir de trois interventions que nous avons réalisées ces dernières années dans l’industrie et les services : une mutuelle nationale de santé, une entreprise d’abattage et de découpe de canards et un établissement bancaire. Les objets de ces interventions sont divers : réorganisation des process, conception d’une nouvelle chaîne de production, conception d’un poste de travail. Les modalités le sont également : demande de la direction pour une assistance à la maîtrise d’ouvrage pour les deux premières, intervention à la suite d’une expertise demandée par le Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) pour la troisième. À partir de ces différents exemples, notre fil conducteur consistera à examiner en quoi la pédagogie nous permet de réinterroger la manière dont les ergonomes construisent leurs interventions, et en particulier l’organisation de la participation des salariés. Ce texte s’inscrit résolument dans la réflexion déjà largement engagée sur la pratique de l’ergonomie.

2. De quelles formes de rationalité l’ergonome est-il porteur ?

2.1. Les logiques de l’entreprise

5Toute entreprise peut être abordée à partir de trois dimensions fondamentales (Piotet et Sainsaulieu, 1994) :

  • sa structure formelle, symbolisée par son organigramme, faite de prescriptions, de règles, de procédures, de répartition formelle des tâches, de systèmes officiels de communication ;

  • les interactions entre les individus, les collaborations et les diverses formes d’entraide, les règles et les réseaux informels, non officiels, qui permettent de faire face aux aléas et d’assurer la production (de biens ou de services) dans des conditions « les plus acceptables possibles » ;

  • une culture, c’est-à-dire des formes de socialisation spécifiques des différents acteurs, des valeurs de référence, des savoir-faire particuliers, des compétences de métiers, des relations professionnelles, une attention particulière à certaines questions, un « style » de management.

Figure 1 : les trois dimensions de l’entreprise

Figure 1 : les trois dimensions de l’entreprise

6Le fonctionnement réel de l’entreprise correspondra toujours à une configuration particulière de ces trois dimensions. Mais l’entreprise n’est pas une entité homogène (Thuderoz, 1996). Elle est traversée par des divisions, des oppositions, entre par exemple la production et la maintenance, le commercial et le service après-vente, les représentants des salariés et la direction. Ces tensions génériques vont conduire à des ajustements permanents, à des compromis élaborés, officiellement ou pas, et sans cesse retravaillés.

7C’est à l’intérieur de cet agencement singulier et changeant que l’ergonome va se positionner et construire son intervention. Il va donc veiller, en fonction du périmètre et de l’objet de son travail, à assurer l’expression et la participation (sous des formes évidemment très variées) des acteurs qui sont porteurs de ces logiques en concurrence, parfois partiellement contradictoires : les cadres dirigeants bien sûr, les responsables concernés par le projet (production, ressources humaines, commercial, maintenance, hygiène-sécurité, qualité, environnement...), l’encadrement de proximité, les représentants des salariés. Le résultat de son intervention constituera donc également une forme de compromis entre des attentes diverses, de multiples contraintes et rationalités, toutes légitimes, mais demandant à être ajustées à celles des autres.

8Lors d’une intervention ergonomique incluant la mise en place de structures participatives, l’entreprise et ses salariés vont ainsi devoir composer avec trois éléments potentiellement déstabilisateurs : (a) le projet lui-même car tout projet vient, par définition, bousculer les règles en vigueur, (b) la présence d’un intervenant extérieur porteur d’une rationalité et de valeurs qui lui sont propres, (c) la conduite participative du projet qui va venir bousculer le mode habituel de prise de décision dans l’entreprise.

2.2. Des formes de rationalité en concurrence

9Comme le rappelle Falzon (2004, p. 23),

« la spécificité de l’ergonomie réside dans la tension entre deux objectifs. D’une part, un objectif centré sur les organisations et leur performance. Cette performance peut être appréhendée sous différents aspects : efficacité, productivité, fiabilité, qualité, durabilité, etc. D’autre part, un objectif centré sur les personnes, lui aussi décliné sous différentes dimensions : sécurité, santé, confort, facilité d’usage, satisfaction, intérêt du travail, plaisir, etc. (...) Il est utile d’insister sur ce point : aucune autre discipline n’affiche ainsi explicitement ce double objectif ».

10Dans son intervention, l’ergonome va ainsi être porteur de formes de rationalité qui vont se confronter à celles des autres acteurs. Pour reprendre la distinction proposée par Weber (1995), à côté de la rationalité formelle de l’entreprise s’exprimant par des raisonnements chiffrés et comptables, l’ergonome est porteur d’une rationalité matérielle tenant compte d’autres exigences, de valeurs (éthiques, politiques, de santé, etc.) qu’il appliquera à l’activité économique et organisationnelle. Mais, contrairement à d’autres intervenants ou consultants, par exemple les consultants en management (Villette, 2003), l’ergonome défendra aussi, dans son intervention, une rationalité substantielle fondée sur une connaissance approfondie de la « matière » traitée, avec un état final non connu car élaboré dans le processus même de l’intervention, s’opposant à une rationalité procédurale fondée sur une instrumentation intellectuelle, des méthodologies, la fourniture « d’outils » reproductibles auxquels il suffit de donner du contenu contextuel. L’intervention ergonomique va alors consister en la confrontation de plusieurs modèles de l’entreprise :

  • un modèle porté par l’ergonome, se fondant sur l’analyse de l’activité réelle, insistant sur les différences, les variabilités et s’attachant aux possibilités de régulation dont disposent les individus, avec des objectifs de santé et de performance ;

  • le modèle des consultants, au mieux centré sur l’application de normes dans une optique « facteurs humains », au pire portant des logiques de rationalisation « fordienne » ou « taylorienne » de la production de biens ou de services

  • les modèles existants dans l’organisation, souvent marqués fordiens et généralement hybridés avec la culture de l’entreprise.

  • L’organisation de la participation des salariés dans la conduite d’un changement correspond justement à la volonté de faire tenir ensemble a) une rationalité en valeur, d’ordre éthique, c’est-à-dire des modes d’action qui valent pour eux-mêmes, et qui correspondent à la volonté d’associer les acteurs concernés à la détermination même du changement de leur situation, et b) une rationalité en finalité, qui vise à l’efficacité, qui s’attache à atteindre des objectifs (de santé et de production) et qui sera donc matériellement rationnelle, distincte d’une rationalité purement formelle mesurée à partir de quelques indicateurs quantitatifs.

11La particularité du travail des ergonomes est qu’ils traitent de questions qui pourraient très bien être traitées sans eux, par d’autres professionnels (la construction d’un bâtiment, la conception d’une chaîne de production, la prévention des risques professionnels, la sécurité, etc.). Mais l’intervention ergonomique est la seule à avoir comme objectif de chercher à faire tenir ensemble, à articuler ces deux formes de rationalité.

2.3. La participation des salariés dans l’intervention ergonomique

12De nombreux auteurs soulignent l’intérêt et l’efficacité des démarches participatives en ergonomie (Woods et Buckle, 2006 ; Vink et Kompier, 1997 ; Kuorinka, 1997 ; Nagamachi, 1995 ; Liker et coll., 1995 ; Hagberg et coll., 1995). Un historique du développement de l’ergonomie participative et une revue de littérature ont été réalisés par St‑Vincent et coll. (2000). Nous pouvons considérer que, dans les démarches participatives mises en œuvre dans les interventions ergonomiques, les travailleurs sont sollicités avec quatre objectifs essentiels :

  • découvrir les représentations que chacun des acteurs concernés a des situations de travail et des questions à traiter ;

  • avoir une connaissance la plus précise possible du travail réel, de la façon dont les personnes sont sollicitées dans le cours de leur activité de travail, et des formes de coûts que cela représente pour elles ;

  • donner aux personnes la possibilité d’agir sur leurs propres situations de travail (Wilson et Haines, 1997), avec le double souci de préservation de la santé et d’efficacité économique (Coutarel, 2004) ;

  • continuer à faire vivre l’apport des ergonomes après la fin de l’intervention en transmettant un certain nombre de savoirs qui vont être « mis à l’épreuve » dans les structures existantes ou celles mises en place pour l’intervention : groupes de pilotage, groupes de travail, groupe de suivi, CHSCT, etc.

  • 2 Nous entendons ici la décision comme processus, et pas seulement comme acte final qui appartient bi (...)

13La participation peut alors être considérée comme une forme de négociation implicite entre des personnes détenant des savoirs différents et occupant des positions stratégiques et professionnelles différentes. Ce qui se joue avec la mise en place de dispositifs divers de participation et d’association des salariés, c’est bien aussi une forme de rééquilibrage des rapports sociaux, par une volonté clairement affirmée de légitimer, et donc de mettre en débat, la parole des travailleurs et de leurs représentants. L’ergonome se retrouve ainsi porteur d’une conception de la gouvernance d’entreprise favorisant, sous des formes diverses, la participation des différents acteurs dans les prises de décision. La participation représente alors une forme de « démocratie provisoire » (Daniellou, 2009), une délocalisation partielle de la décision2 par rapport au fonctionnement habituel de l’entreprise. Mais cela nécessite quelques préalables. En effet, il va s’agir de mettre en confrontation des points de vue différents, qui n’ont, a priori, aucune raison de coexister. Les logiques professionnelles, qui sous-tendent ces points de vue, sont essentielles au fonctionnement de l’entreprise mais souvent profondément divergentes, voire contradictoires. La participation aura alors comme particularité de mettre en débat ces différentes logiques dans les espaces de décision. Pour que cela reste réalisable, sur un plan opérationnel, il est indispensable d’assurer un travail d’articulation et de coordination entre des « mondes professionnels » différents de façon à faire « œuvre commune » (Béguin, 2007). L’élaboration d’un « monde commun » entre différentes logiques professionnelles est ici considérée comme indispensable pour de futurs apprentissages par les acteurs concernés. Dit autrement, mettre en place un processus de conception participative, synonyme d’apprentissages réciproques, renvoie à l’idée selon laquelle il est nécessaire de préparer socialement le dispositif. La participation est souvent un acte socialement déstabilisant, car représentant une remise en cause, même momentanée, du fonctionnement courant de l’entreprise. Il est alors préférable d’amener les concepteurs à dépasser l’idée selon laquelle les opérateurs ne sont qu’un élément parmi d’autres qui composent le dispositif de production (Darses et Wolff, 2006). Cela nécessite à la fois de définir le périmètre d’action du dispositif mis en place et les règles du jeu, et de donner aux acteurs, notamment à ceux qui ne sont généralement pas en situation de décision dans l’entreprise, les connaissances et les marges de manœuvre nécessaires pour que leur participation ne soit pas, dans les faits, une imposition déguisée (Dugué, 2005).

3. L’intervention ergonomique interrogée par la pédagogie

14Cette dimension participative de l’intervention ergonomique nous conduit à la question centrale, soulevée dans cet article, à savoir : à travers les liens qu’elle permet de tisser entre les acteurs, à partir des connaissances qu’elle permet de produire et de transmettre, l’intervention ergonomique peut-elle être envisagée comme un acte pédagogique ?

15Pour situer notre propos, nous accorderons ici deux finalités principales à l’acte pédagogique : la première concerne le fait de rendre des individus capables en situation, c’est-à-dire de leur permettre d’acquérir des connaissances, de construire des savoir-faire intellectuels et physiques, et de les mobiliser de façon pertinente dans des contextes d’action singuliers ; la seconde a trait au développement personnel de ces mêmes individus (Lerbet, 1980), à la transmission de valeurs ou au développement d’une culture spécifique.

16Avant d’aller plus loin, revenons brièvement sur les étapes d’une intervention ergonomique. Par souci de clarté, nous faisons le choix d’en distinguer quatre. Par conséquent, certains raccourcis pourront amputer une part, que nous assumons, de la complexité relative à la démarche d’intervention. De plus, nous verrons plus loin que les interventions de l’ergonome ne prennent pas toujours, pour des raisons diverses, les formes décrites ci-dessous.

3.1. L’analyse de la demande

17L’analyse de la demande, formulée par un acteur d’une entreprise, constitue la première étape de l’intervention ergonomique, et certainement la plus stratégique vis-à-vis des transformations futures. Il va s’agir pour l’ergonome d’identifier, en peu de temps, les enjeux, les objectifs de cette demande, ainsi que le ou les demandeurs et décideurs. Dit autrement, cette phase consiste, pour l’ergonome, à construire le problème posé par la demande initiale. Pour cela, l’ergonome réalise une analyse à partir de la lecture de documents, mais surtout sur la base d’entretiens avec des acteurs clés, comme le demandeur initial, le responsable de l’entreprise, de production, des ressources humaines, le médecin du travail, un représentant du personnel, etc. Durant cette étape, l’ergonome ne se contente pas seulement de recueillir des informations. En effet, elle va être aussi l’occasion, pour l’ergonome, de fournir des éléments sur son propre travail à ces différents acteurs. L’ergonome pourra alors échanger sur sa pratique, les méthodes de travail qu’il utilise et ainsi donner des renseignements concernant les types de résultats qu’il est susceptible de fournir. À partir d’histoires d’autres interventions (Beaujouan, 2008), il pourra peut-être commencer à réinterroger ces premiers interlocuteurs sur leurs propres représentations de l’ergonomie et du problème posé.

3.2. La mise en place des structures d’intervention

18À partir de la reformulation de la demande, et après s’être mis d’accord avec le demandeur sur les conditions d’intervention, l’ergonome va pouvoir mettre en place des structures d’intervention. Il n’existe pas de règle générale qui permette de déterminer le contour des structures nécessaires, l’ergonome devant les adapter à chaque contexte. Néanmoins, il doit s’assurer qu’elles permettent de remplir quatre fonctions (Daniellou et Béguin, 2004) :

  • le pilotage politique de l’intervention ;

  • la coordination technique entre les différentes spécialités participant à la conception ;

  • l’interface avec les instances représentatives du personnel, quand elles existent ;

  • et l’instruction des choix de conception, au plus près de la connaissance des situations de travail.

19Cet aspect méthodologique de l’intervention apparaît relativement tôt après les premiers contacts dans l’entreprise, quand la plupart des acteurs ne sont pas encore familiarisés avec la démarche ergonomique. Pour mettre en place de telles structures, l’ergonome va donc, dans de nombreux cas, devoir expliquer et convaincre de leur intérêt. Une nouvelle fois, mais de façon plus approfondie que dans l’étape précédente, l’ergonome va transmettre des connaissances relatives à son travail, à sa démarche ou encore sur les formes de résultats que pourra produire telle ou telle structure. Les acteurs concernés par ces connaissances seront multiples et différents selon les cas, mais globalement, on risque de retrouver le responsable de l’entreprise pour le pilotage politique, les responsables industriel, production, méthodes, maintenance, qualité ou encore ressources humaines à propos de la coordination technique entre les spécialités, les représentants du personnel pour gérer les relations avec les instances, et les chefs d’ateliers pour expliquer et préparer les groupes de travail visant l’instruction des choix.

3.3. L’élaboration du diagnostic

20Une fois ces préalables assurés, l’ergonome peut alors élaborer un diagnostic qui établira des liens entre les difficultés repérées avec les interlocuteurs et les caractéristiques des situations de travail existantes. Dans un premier temps, l’ergonome procède à des observations libres, puis systématiques après que des hypothèses aient été émises. Il va alors regarder plus finement certaines situations en fonction de leur pertinence vis-à-vis des hypothèses. Ces analyses de l’activité ne peuvent pas être considérées comme suffisantes pour le diagnostic, et il est donc nécessaire d’entendre ce que les responsables et opérateurs disent de leur travail, notamment concernant les arbitrages, conscients ou non, qu’ils peuvent faire et les actions qu’ils ne peuvent pas accomplir (Clot, 2008 ; Sznelwar et coll., 2006). Dès lors que l’ergonome procède à des entretiens et des observations, il s’engage à restituer ce qu’il a pu comprendre du travail aux salariés concernés. Par conséquent, d’abord de façon individuelle avec chaque personne interrogée ou observée, puis éventuellement collectivement, l’ergonome va transmettre des éléments sur sa manière de regarder le travail et d’en rendre compte. On peut supposer que pour les opérateurs, deux types de connaissances peuvent alors être générés : des connaissances sur la manière de percevoir et d’analyser le travail (à partir de liens entre efficacité et santé par exemple), et des connaissances sur leur propre travail ou celui des autres (souvent exprimées sous la forme : « Je ne savais pas que je faisais tout cela » ou « c’est pour ça qu’il me demande de faire ainsi »). Ces deux étapes - préparation des entretiens/observations et restitution/validation du diagnostic - constituent donc, selon nous, des moments d’échanges privilégiés entre les concepteurs, les opérateurs et l’ergonome. Nous les considérons donc comme une source potentielle d’apprentissage.

3.4. La construction des changements : des simulations aux transformations

21L’ergonome engagé dans une action participative ne cherche pas seulement à favoriser une démarche de conception pour les futurs utilisateurs, mais aussi une démarche avec les futurs utilisateurs. La distinction est d’importance : une conception avec les futurs utilisateurs les engage dans un processus qui peut leur permettre d’exprimer ce qu’ils considèrent de la situation actuelle et future, et d’apprendre ainsi sur le fonctionnement de la situation future (Daniellou, 2007). L’épaisseur de ces apprentissages va être fonction des moyens mis à disposition pour les simulations et les recherches de solutions (Petit, 2008). Par exemple, à partir de maquettes plus ou moins proches de la réalité future, l’ergonome va tenter de mettre en scène ce que sera l’activité de demain. En fonction du temps, des moyens matériels dont il dispose, des opérateurs engagés dans la démarche, l’ergonome pourra provoquer des situations dont la richesse des échanges, et donc des apprentissages probables, pourra varier. Néanmoins, un but commun, concernant la recherche de solutions pour la situation future, guidera les différents participants, ce qui les conduira à l’élaboration de représentations sur leur activité future et à la construction de liens entre eux. Enfin, plus particulièrement durant cette étape de l’intervention, un objectif de l’ergonome peut être de laisser des traces de son travail pour la suite, en tentant de former des « acteurs ergonomiques » (Rabardel, 2003).

3.5. Les registres de l’échange

22Tel que nous l’avons abordé ci-dessus, il nous semble que ces différents « moments » de l’intervention peuvent être interrogés sous l’angle de la pédagogie, dans le sens où chacun d’entre eux permettrait l’acquisition de connaissances ou encore le développement de l’agir. Pour éclairer la réflexion, plusieurs auteurs (Martin et Savary, 2003 ; Raynal et Rieunier, 2003) s’accordent à dire que, de façon générale, il existe deux démarches principales de pédagogie : la démarche déductive et la démarche inductive. La démarche déductive consiste à aller du général au particulier. Elle consiste à exposer ce qui doit être appris en commençant par un énoncé d’ordre général, pour finir par des exercices d’application, des cas particuliers : des règles pour aller aux exemples, de la théorie pour aller à la pratique. La démarche inductive revêt, quant à elle, les caractéristiques inverses de la première. Il s’agit, cette fois-ci, de partir de l’expérience pour découvrir des principes, décrire des faits pour rechercher des causes. En fait, on part du particulier, pour aller au général et revenir ensuite au particulier. Cette démarche permet de faire participer plus fortement les apprenants au processus d’apprentissage. Le fait de construire des concepts à partir de cas concrets (connus des apprenants) permet alors un « ancrage cognitif » plus important. Pour aller plus loin, Martin et Savary (2003) proposent de distinguer trois registres de l’échange, dans le cadre d’un acte d’apprentissage (figure 2) :

  • Le registre de l’expertise ;

  • Le registre de la relation ;

  • Le registre de l’apprentissage.

Figure 2 : Les trois registres de l’échange en formation (adapté de Martin & Savary, 2003)

Figure 2 : Les trois registres de l’échange en formation (adapté de Martin & Savary, 2003)

3.5.1 Le registre de la relation

  • 3 Au cours de ce texte, nous appellerons « apprenant » (vs formateur) celui qui apprend, qui s’inscri (...)

23Concernant le registre de la relation, il s’agit, pour l’intervenant, de favoriser l’interaction avec l’apprenant, en se positionnant sur l’axe « Apprenant-Intervenant ». Dans ce cas, le formateur ne cherche pas à transmettre de connaissances à l’apprenant3. En effet, lorsqu’un formateur utilise ces méthodes, il tente d’intéresser l’apprenant en lui donnant l’impression qu’il découvre les principes qui font l’objet de l’apprentissage. Il est possible de considérer ce registre comme une phase de préparation des apprenants à l’acte d’apprentissage : on s’intéresse d’abord à la construction de liens entre les apprenants et le formateur (ou entre les apprenants) avant de mettre en œuvre un processus de transmission et/ou de construction de savoirs.

24D’une manière générale, intervenir dans une entreprise, c’est toujours intervenir dans et sur des relations sociales. De ce fait, l’ensemble de l’intervention ergonomique est constitué d’événements relationnels entre l’ergonome et d’autres acteurs. De la phase d’analyse de la demande à la construction des changements, l’ergonome va devoir apprendre à connaître ses interlocuteurs, cerner leurs enjeux et favoriser des interactions avec eux, dans un premier temps, afin de créer des échanges et construire une relation. Dans une réunion de travail, il n’est pas rare pour l’ergonome de faire face à des conflits entre deux participants. Pour Lerbet-Séréni (1997, p. 42),

« un conflit interpersonnel [...] trouvera ses possibilités de résolution dans la coïncidence momentanée des représentations individuelles au prix d’éventuelles négociations et remaniements de part et d’autre. » Dès lors, toute mise en relation modifie les représentations que chacun peut se faire, tant de soi, de l’autre que du monde. » (Ibid., p. 91).

3.5.2 Le registre de l’expertise

25Lorsque l’intervenant utilise le registre de l’expertise, il se place sur l’axe « Intervenant-Savoirs » et privilégie les connaissances et les compétences de sa spécialité. Dans ce cas, les méthodes déployées par l’intervenant s’apparentent à la méthode expositive ou démonstrative. Dans la première, l’apprenant est considéré comme un « récepteur » des informations exposées par le formateur. Cette méthode s’appuie essentiellement sur la technique de l’exposé. Son principe de base consiste à dire qu’il suffit d’enseigner pour que l’apprenant apprenne. Elle est principalement centrée sur le formateur. Il présente le savoir, et cette action doit permettre une transmission des connaissances chez l’apprenant. Le cours magistral et l’exposé en sont les figures majeures. Lorsque le formateur utilise la méthode démonstrative, il s’agit de mettre en œuvre une logique de transmission de savoir-faire ou la reproduction de gestes observés. Le formateur montre le geste ou présente la procédure et l’apprenant reproduit ce qui est fait par la personne experte. Quoi qu’il en soit, dans ce mode relationnel, l’intervenant se place comme un spécialiste (d’une discipline, d’une technique) et interagit avec l’apprenant en argumentant du bien-fondé de ce qu’il propose. Il va tout faire pour convaincre son interlocuteur.

26Lors des discussions et négociations qui ont cours avec un directeur d’établissement, un responsable de production ou encore un représentant du personnel, durant la phase d’analyse de la demande, l’ergonome peut-être amené à se positionner sur ce registre. En effet, il est parfois nécessaire d’expliquer que les problèmes de troubles musculo-squelettiques (TMS) qui se développent dans l’entreprise ne sont certainement pas seulement le fruit de gestes inappropriés de la part des opérateurs, mais peuvent être dus à des modes d’organisation du travail. Dans ce cas, l’ergonome s’appuie sur des connaissances élaborées au cours de ses expériences sur le terrain ou durant sa formation (initiale ou continue). Ensuite, l’ergonome peut aussi user de cette posture lors de la construction des changements. Il pourra alors être porteur de connaissances sur le travail durant les phases clés de conception et tenter d’imposer des éléments du travail comme arguments pour favoriser un choix de conception qu’il juge moins pathogène, par exemple.

3.5.3 Le registre de l’apprentissage

27Enfin, si l’intervenant valorise le registre de l’apprentissage, il s’interroge sur les difficultés de compréhension que peuvent rencontrer les apprenants. Il cherche à mieux savoir ce qui cause problème et mobilise donc un mode d’accompagnement de l’apprenant, en se situant sur l’axe « Apprenants-Savoirs ». On retrouve dans ce registre des composantes des méthodes actives, pour lesquelles l’apprenant est explicitement au centre de l’acte pédagogique. À l’heure actuelle, sont classées dans cette catégorie les méthodes grâce auxquelles le formateur essaie de faire participer l’apprenant, en utilisant des techniques telles que l’étude de cas, la simulation ou encore le jeu de rôles. Il s’agit en fait d’une construction du savoir dans et par l’action à partir d’informations mises à disposition. C’est en résolvant des situations à problèmes que l’apprenant développe ses connaissances et savoir-faire. Le formateur, qui apporte une aide méthodologique et des informations, doit proposer des situations pertinentes et fournir des consignes. De façon générale, les méthodes actives comportent des caractéristiques particulières :

  • une confrontation des points de vue à l’intérieur du groupe,

  • une référence à l’expérience des participants,

  • une activité réalisée de façon autonome, hors de la présence du formateur.

28Même si, sur la globalité de l’intervention, l’ergonome peut « jouer » sur un registre d’apprentissage, il nous semble que deux phases sont plus particulièrement propices à ce mode d’échanges. Tout d’abord, durant l’élaboration du diagnostic, l’ergonome peut alterner des moments d’étude de documents, d’observations et d’entretiens. Durant les échanges individuels et collectifs, l’ergonome livre des résultats de ses analyses. Ceci est particulièrement vrai lorsqu’il présente un diagnostic pour validation collective. En fait, il met en débat une représentation du travail que les opérateurs discutent, contredisent, enrichissent. Pour partie, l’ergonome apprend (encore) du travail des opérateurs. Pour autre partie, ce sont les opérateurs qui apprennent de leur propre travail et du travail des autres, à travers les échanges. Dans ce contexte, la parole des opérateurs joue un rôle majeur dans l’efficacité de l’acte pédagogique (Conil, 2006). Ensuite, pendant la construction des changements, si l’ergonome met en place des groupes de travail qui permettent de simuler l’activité future, il a généralement un double objectif : le premier concerne l’utilisation de l’« expertise » des opérateurs sur leur travail, afin de discuter de choix de conception ; le second a trait aux apprentissages potentiels des opérateurs au sein de ces mêmes groupes de travail. Ces apprentissages peuvent concerner le travail d’autrui ou sa propre activité future.

3.6. Les objectifs et contenus de l’échange

29Pour mieux comprendre le parallèle que nous souhaitons établir entre l’acte pédagogique et l’intervention ergonomique, il nous faut aussi nous intéresser aux objectifs et aux contenus de l’échange.

3.5.4 L’acquisition de connaissances

30Un premier niveau concerne l’objectif d’information, c’est-à-dire l’assimilation d’informations complémentaires à ce que l’apprenant connaît déjà. Pour l’apprenant, le cadre conceptuel existe et il s’agit de mettre à jour des connaissances pour lesquelles les principes sont déjà connus, comme par exemple la présentation d’informations relatives à l’évolution de la réglementation à des responsables sécurité. Dans ce cas, les apprenants sont expérimentés et, par le contenu de ce type d’acte pédagogique, ils vont pouvoir actualiser un socle de connaissances existant. Un second niveau s’apparente à un objectif de conceptualisation. Sur le plan cognitif, l’apprenant met en œuvre un modèle d’acquisition et de construction des connaissances différent. Il s’agit pour lui de s’approprier des nouveaux concepts, principes ou encore règles. Lorsque l’ergonome propose à un directeur une configuration possible des structures d’intervention (un comité de pilotage, des groupes de travail, un chef de projet, etc.), il transmet, peut-être, une représentation différente du concept de conduite de projet par exemple. Il peut aussi influencer l’élaboration de nouvelles règles du type « si on n’implique pas les salariés concernés pour l’instruction de choix de conception, il existe un risque de concevoir des situations non adaptées ».

3.5.5 Le développement de l’agir

31Une autre façon d’envisager le contenu de l’échange est de s’intéresser aux objectifs concernant le développement de moyens d’action des apprenants, autrement dit le développement de l’agir. Un premier niveau a trait à un objectif d’application. L’apprenant doit être capable, à la fin de la formation, de reproduire un geste ou d’appliquer une méthode proposée, dans un contexte similaire ou quasiment stable. Ceci est nettement plus « visible » à propos du développement des capacités motrices, comme apprendre à démonter une roue, mais cela concerne aussi le développement de capacités cognitives, comme l’apprentissage de méthodes de résolution de problèmes : par exemple, apprendre à résoudre un système de deux équations à deux inconnues. Le contenu de l’échange dépasse ici le simple transfert d’informations puisque y est associée une action motrice ou cognitive de la part du formateur : un geste visuellement perceptible par l’apprenant ou un mode de résolution de problème perceptible par la formalisation et la présentation écrite de ces principales étapes par exemple. Enfin, un dernier niveau d’acquisition, certainement le plus élaboré, concerne l’objectif de créativité. Il s’agira dans ce cas, pour l’apprenant, d’être capable de réaliser une tâche compte tenu d’un certain nombre de variables. Contrairement au niveau précédent, le contexte dans lequel l’apprenant devra utiliser ce qu’il a acquis durant la formation variera. Par exemple, l’apprenant devra être capable d’organiser le travail d’une équipe. Les configurations de l’équipe, l’environnement dans lequel elle s’insère et donc le contenu même des tâches pourront varier. Pour autant, l’apprenant devra pouvoir faire face à cette variabilité et élaborer, créer des méthodes appropriées. L’ergonome peut être vecteur de ces formes d’acquisition. Durant les phases de simulation, la participation des opérateurs est l’occasion, pour eux, d’acquérir des capacités d’action pour la future situation de travail, notamment des capacités corporelles. De façon plus générale, nous considérons alors la démarche participative comme un facteur d’efficacité dans l’acte d’apprentissage (Tsien et Tsui, 2007).

32Quoi qu’il en soit, dans l’intervention ergonomique, l’acquisition de connaissances et le développement de l’agir sont intimement imbriqués et interdépendants. En effet, l’élaboration de connaissances sur la réalité du travail est orientée vers la construction de stratégies de transformation qui elle-même permet de révéler une part de cette réalité (Hubault, 2007).

33La question qui nous anime reste :

  • d’une part, de savoir comment s’articulent les méthodes, les objectifs et la nature des échanges dans l’acte pédagogique comme peut le soulever Lerbet-Séréni (1997, p. 98) « Que ce qui s’oppose aux « relations » soit les « savoirs » rejoint bien cette idée que nous évoquions : se centrer sur la relation revient à exclure toute préoccupation liée aux savoirs à transmettre [...] nous aurons, dans un contexte pédagogique, à penser conjointement relations (comme concept interfaciel entre représentations et actions) et savoirs (comme ce qui « justifie » les mises en relations) » ;

  • et, d’autre part, de comprendre en quoi la pratique de l’ergonomie pourrait s’apparenter à un acte pédagogique, compte tenu des distinctions que nous venons de présenter.

4. Intervenir, c’est tenir en permanence différents registres

34Le cadre théorique que nous venons de brosser nous permet de réinterroger les interventions que nous allons présenter et de considérer avec plus d’attention certaines formes de résultats. Nous souhaitons montrer, à partir de nos exemples, comment l’ergonome articule en permanence, de façon très contingente, les différents registres de l’échange (relation, expertise et apprentissage), loin de toute idée d’équidistance ou de modèle figé.

4.1. Méthodologie

35Nous pouvons admettre que la recherche en ergonomie vise à produire deux types de modèles (Petit et coll., 2007) : des modèles de l’activité des « opérateurs » observés (opérateurs de production, concepteurs, utilisateurs, usagers de services...), et des modèles de l’action ergonomique de transformation (Pinsky, 1992 ; Falzon, 1997). Ainsi, l’activité des ergonomes est devenue un objet d’analyse, dont la modélisation vise :

  • à décrire les mécanismes par lesquels les ergonomes contribuent à la transformation des situations de travail (Daniellou, 1992) ;

  • à favoriser la réflexion de chaque professionnel dans l’action, les discussions entre professionnels, le traitement des situations les plus difficiles, l’évaluation des interventions, et l’élaboration des règles de métier (Martin et Baradat, 2003) ;

  • à favoriser l’enseignement et la transmission du métier.

36Cette recherche sur l’activité des ergonomes s’inscrit dans un mouvement plus large d’analyse des pratiques professionnelles (Jobert, 1992 ; Blanchard-Laville, 1993, 2003 ; McLeod, 1999). Elle a été profondément marquée par les travaux de Schön (1983) sur « le praticien réflexif », qui ont établi que l’action de ce dernier ne pouvait pas se décrire comme une « application » des connaissances fondamentales acquises au cours de sa formation, et ont caractérisé l’activité cognitive du praticien (réflexion dans l’action - dialogue avec la situation - et réflexion sur l’action, raisonnement à partir de bibliothèques de situations). Trois familles de méthodologies sont principalement utilisées pour analyser l’activité des ergonomes (Daniellou, 1999) :

  • La première consiste à traiter l’ergonome en action comme n’importe quel opérateur, dont l’activité est analysée par un autre ergonome (on pourrait imaginer aussi un sociologue, un anthropologue...) qui n’intervient pas dans le projet en cours. C’est la méthode utilisée par Baradat (1999) ou par Lamonde (2000). Cette méthode permet de bénéficier de tous les acquis de l’analyse ergonomique du travail, en les appliquant à l’activité de l’ergonome. Elle a aussi l’avantage d’être reconnue comme une méthode scientifiquement acceptable. Elle présente l’inconvénient d’être extrêmement lourde, et est susceptible d’introduire des difficultés vis-à-vis des « clients » de l’ergonome observé. Par ailleurs, elle pose la question des inévitables interactions entre l’ergonome chercheur et l’ergonome intervenant, qui devraient faire l’objet d’une discussion approfondie.

  • La seconde méthode est la pratique réflexive, où l’ergonome-chercheur est la même personne que l’ergonome-intervenant, accumulant tout au cours de l’intervention des données pour pouvoir en reconstituer un récit et en tirer des leçons. Cette méthode est celle qui a donné lieu à tous les cours des fondateurs de la discipline sur la pratique de l’ergonomie (par exemple, Wisner, 1979) ou à certains manuels (par exemple Guérin, Laville, Daniellou, Duraffourg et Kerguelen, 1991).

  • La troisième méthode est intermédiaire entre les deux précédentes, on pourrait la décrire comme « une gestion réflexive de l’intervention ». Un membre de l’équipe d’ergonomes (par exemple, un doctorant) participe à l’intervention au même titre que ses collègues, mais il est plus spécialement chargé de la « gestion réflexive ». Il accumule des traces factuelles des différentes étapes (par exemple, comptes rendus de réunions...) et conduit les entretiens nécessaires. C’est la position adoptée, par exemple, par Jackson (1998) qui a notamment analysé les délibérations au sein d’une équipe d’ergonomes quant à la conduite à tenir à différentes étapes d’une intervention de conception.

37En ce qui concerne les travaux que nous présentons ci-après, nous avons principalement tenu des postures ayant trait à la seconde et à la troisième méthode. Les deux premières interventions ont été réalisées par des équipes de trois et quatre ergonomes, dont l’un d’eux était un doctorant. Elles ont d’ailleurs fait l’objet de deux thèses de doctorat (Petit, 2005 ; Coutarel, 2004). La troisième intervention a été réalisée par deux ergonomes ; les données qui ont servi à en élaborer un récit sont issues de la confrontation des tableaux de bord des deux intervenants. La réflexion sur la pédagogie que nous présentons dans ce texte n’était pas présente au démarrage de nos interventions. Il s’agit donc d’une réflexion a posteriori sur notre pratique, d’une manière de réinterroger les modes d’intervention qui ont été les nôtres. Nous ne nous sommes pas appuyés sur l’ensemble des résultats produits par ces interventions, mais avons seulement utilisé leur récit pour étayer une réflexion sur la pratique de l’ergonomie. La suite, que l’on pourrait donner à ces travaux, devrait quant à elle s’appuyer sur des données plus précises et systématiques.

4.2. Présentation globale des interventions

  • Une mutuelle nationale de santé (que nous nommerons la Mutuelle) : l’intervention a consisté à accompagner, sur une durée de quatre ans, la direction de la Mutuelle dans la mise en place d’un changement organisationnel (Petit, 2005). Cette mutuelle compte 7000 salariés et gère à la fois le régime général de sécurité sociale de ses adhérents (par délégation) et le régime des prestations complémentaires et supplémentaires. Il s’agissait pour la Mutuelle de faire dorénavant traiter les remboursements de soins par cinq « centres de traitement régionaux », et d’orienter les 90 « sections départementales », qui avaient précédemment la charge de ces traitements, vers le développement de divers services aux adhérents. Le projet avait dans un premier temps été mené de manière très « descendante », et d’importants dysfonctionnements avaient conduit la Mutuelle à solliciter une aide extérieure. Notre intervention s’est déroulée à partir d’une expérience pilote menée dans une région et permettant de travailler sur des situations expérimentales, avant d’envisager une généralisation au niveau national. Les 20 sections départementales et le centre de traitement concernés ont participé à plusieurs groupes de travail mis en place par les ergonomes, dont la fonction était de choisir les questions à traiter et de proposer des solutions organisationnelles. Un comité de pilotage national, composé des dirigeants de la Mutuelle et des intervenants, se réunissait tous les deux mois environ.

  • Une entreprise agro-alimentaire d’abattage et de découpe de canards (que nous nommerons l’entreprise Agro) : cette entreprise rencontrait des problèmes de plus en plus aigus de maintien dans l’emploi de ses salariés atteints de maladies professionnelles (TMS) qui reprenaient le travail avec des restrictions d’aptitudes (Coutarel, 2004). À l’occasion d’un projet important d’extension de ses bâtiments de production (abattage et découpe), elle a souhaité mener une réflexion sur la conception des chaînes de production et sur l’aménagement des postes de travail. Sur proposition des médecins du travail et des conseillers en prévention, les ergonomes ont été sollicités pour accompagner le projet de restructuration. Deux groupes de travail, l’un avec des opérateurs de la chaîne et l’autre avec des responsables de production, ont été constitués sous la responsabilité des ergonomes pendant les deux ans de déroulement du projet. Un comité de pilotage réunissait les dirigeants de l’entreprise, les médecins du travail, les préventeurs et le cabinet d’ingénierie.

  • Un établissement bancaire régional (que nous nommerons la Banque) : le développement des zones « libre service » dans les nouvelles agences bancaires a donné à la fonction d’accueil une place centrale dans le fonctionnement de ces agences et dans le service rendu à la clientèle. Après deux ans de fonctionnement et par suite de vives critiques exprimées par les représentants des salariés sur ce poste et sur l’organisation du travail, cet établissement a voulu concevoir un nouveau poste d’accueil de la clientèle pour ses 160 agences (Dugué et Petit, 2009). Un poste réaménagé a été proposé par la direction mais a été unanimement rejeté par les élus du personnel réunis au sein d’un groupe de travail. Le CHSCT a alors souhaité, comme la loi lui en donne la possibilité, faire appel à un expert pour analyser le projet de la direction et formuler des propositions. Les ergonomes ont alors été sollicités, au départ pour « donner leur avis » sur le meuble proposé. Dans un premier temps, les intervenants ont procédé à un diagnostic de l’existant mettant en évidence la diversité et la variabilité des situations d’accueil ainsi que les interactions avec les autres fonctions dans l’agence (conseil notamment). Après cette phase d’expertise, la direction a finalement accepté de reprendre la réflexion globale sur la conception de ce poste et sur l’organisation du travail d’accueil. Elle a demandé aux ergonomes de l’accompagner dans ce travail et leur a confié l’animation du groupe de travail composé du responsable du projet, de salariés et de représentants élus au CHSCT (Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail) et dès lors étendu à des responsables de services concernés par le projet (logistique, commercial, RH) et à l’architecte d’intérieur chargé de la réalisation.

4.3. Les registres de l’intervention

  • 4 Nous parlons bien entendu ici de notre pratique.

38Chaque intervention4 mobilise différents modes d’échange entre les acteurs partie prenante au projet (direction, encadrement, représentants du personnel, salariés, acteurs externes à l’entreprise, médecin du travail, maître d’œuvre, préventeurs, etc.), selon le contexte, l’objet à traiter, l’étape du projet. Nous allons essayer de voir comment cela s’est concrètement réalisé dans les interventions décrites.

4.3.1 L’expertise

39La transmission de savoirs, formalisée ou non, est toujours présente dans les interventions. Parfois, l’intervention ergonomique fait suite à une formation dispensée à des acteurs de l’entreprise. C’est le cas de l’intervention dans la Banque où la demande d’expertise du CHSCT prolonge une formation donnée aux élus, formation dans laquelle avaient été abordées les missions et prérogatives du CHSCT (dont la possibilité du recours à un expert), ainsi que les bases de l’analyse ergonomique du travail. C’est ce qui les a aidés également à défendre auprès de la direction l’intérêt du recours à des ergonomes dans un projet de conception de poste de travail.

40La transmission formelle de savoirs peut aussi être une première étape de l’intervention elle-même. Dans la Mutuelle, sous couvert d’une présentation de la démarche des ergonomes sur une demi-journée, c’est bien une formation de l’équipe de direction à la conduite de projet et à l’approche ergonomique qui a été donnée. Dans l’entreprise Agro, la décision de la direction de nous faire intervenir fait suite à un colloque sur les TMS organisé par les organismes de prévention, pour présenter à la fois l’état des connaissances sur les TMS et les démarches qu’il est possible d’entamer dans les entreprises, notamment à l’occasion de projets d’investissements. Dans ce prolongement, la première réunion du comité de pilotage a fait une large place à l’exposé de l’approche du travail et de l’homme au travail qui est portée par les ergonomes.

41Mais cette transmission de savoirs peut aussi se retrouver dans les formes que prend la restitution du travail réalisé (par exemple lors de la remise du rapport d’expertise CHSCT) ou la réunion de clôture de l’intervention (le dernier comité de pilotage). Ainsi à la Banque, la restitution de l’expertise a porté sur l’objet de l’étude (le poste d’accueil), mais aussi sur la méthodologie de conduite de projet à partir d’un point de vue sur le travail réel qui pourrait être pérennisée dans l’entreprise.

42Très souvent, c’est le « schéma à cinq carrés » (Leplat et Cuny, 1977 ; Doppler et coll., 1989) qui sert de support à ce transfert de connaissances, généralement au démarrage de l’intervention. Il va alors s’agir d’expliquer que l’approche des ergonomes consiste à essayer de faire « tenir ensemble » des objectifs d’efficacité productive et des objectifs de santé au travail. Que pour cela, il sera nécessaire de partir d’un recueil d’éléments de contexte (concernant l’organisation du travail, l’environnement physique, les outils de travail, les modes de management, etc.), et d’éléments concernant les caractéristiques des personnes (âge, ancienneté, formation, etc.). Que ceci permettra de comprendre l’activité réelle de travail des individus, c’est-à-dire les modes opératoires qu’ils mettent en œuvre et « ce que ça leur demande » que d’essayer d’atteindre les objectifs quantitatifs et qualitatifs qui leurs sont fixés. Et qu’à partir de cette compréhension, des voies de transformation pourront être élaborées avec la contribution des intéressés eux-mêmes.

43À la Mutuelle, c’est le griffonnage du schéma sur un « paperboard » dans le bureau d’un directeur qui a permis d’expliquer l’approche qui allait être développée par les ergonomes. Dans l’entreprise Agro, le schéma (simplifié) a été utilisé dans une présentation formelle lors du comité de pilotage, mais également de façon orale au démarrage des groupes de travail, auprès des participants qui n’avaient qu’une très vague (et restrictive) vision de ce qu’était l’ergonomie. Dans la Banque, la trame de la restitution reprend, moins formellement, ce même schéma, tout en montrant l’intérêt d’une telle approche dans les projets de conception. Dans une réunion de groupe de travail, il peut être aussi nécessaire d’apporter des connaissances sur tel ou tel aspect du fonctionnement de l’homme au travail (par exemple, pour expliquer les raisons pour lesquelles il est coûteux de travailler fréquemment avec les bras au-dessus du cœur, ou bien sur le mode de calcul des décibels). Il s’agit bien là de transmission de savoirs, sous une forme expositive, qui pourront être réutilisés par les apprenants dans d’autres situations.

4.3.2 L’apprentissage

44La mise en place de groupes de travail est bien sûr un élément habituel, même s’il n’est ni le seul ni systématique, de la démarche participative en ergonomie. À la Mutuelle, les groupes de travail ont permis de déterminer avec précision la nature des problèmes de fonctionnement dans le traitement des feuilles de soins, puis pour chacun des problèmes, d’envisager et de simuler les solutions possibles qu’il faudrait ensuite faire valider par la direction. Les ergonomes ont réalisé des observations et des entretiens, mais n’ont pu le faire que dans un nombre limité de lieux de travail. Les participants ont donc été mis à contribution pour procéder à ces analyses de terrain et les restituer lors des réunions du groupe de travail. Dans l’entreprise Agro, ce sont les ergonomes qui ont procédé au recueil de données, ces éléments étant ensuite discutés et validés en groupe de travail. Sur cette base, le groupe a défini des situations d’action caractéristiques qui ont servi pour effectuer des simulations de l’activité future et pour déterminer le cahier des charges de la chaîne de production. Dans ces deux situations, les participants ont à la fois mis en œuvre une pratique d’investigation sous la direction des ergonomes, mais ont aussi été des pourvoyeurs de connaissances (sur les process, sur les variabilités, etc.) transmises aux intervenants.

45Dans la Banque, de semblables groupes de travail ont été mis en place, mais avec une particularité, car les élus du CHSCT ont accompagné les ergonomes pour la réalisation des observations et des entretiens avec les salariés. Pour ces élus, il s’agissait là, d’une certaine manière, de prolonger la formation qu’ils avaient eue précédemment et de bénéficier, en quelque sorte, d’exercices pratiques. Mais dans le cours de l’intervention, le responsable du projet s’est montré surpris des éléments qui remontaient grâce à ce travail de terrain et qui, de quelque façon, lui avaient échappé. Malgré ses craintes du début, son travail se trouvait ainsi facilité et il pouvait plus aisément anticiper d’éventuelles difficultés. Il a donc souhaité lui aussi suivre les ergonomes pour comprendre « comment ils s’y prenaient » pour recueillir des données et analyser l’activité de travail des salariés. Ce travail d’apprentissage conduit par les ergonomes n’avait absolument pas été anticipé et a donné lieu à des formes de débriefing un peu informelles après chaque séquence de travail de terrain.

46Les simulations du travail futur réalisées ou restituées dans un comité de pilotage, à la Mutuelle mais aussi dans l’entreprise Agro, peuvent aussi être considérées comme une forme d’apprentissage des participants qui vont alors quasiment éprouver les conséquences de certains choix. Dans l’entreprise Agro, une simulation, improvisée et bricolée, d’une nouvelle technique de découpe a été organisée lors d’une réunion du groupe de travail des encadrants, qui comprenait le directeur de l’établissement, les responsables de production, les responsables qualité, sécurité et maintenance, et l’organisme chargé de mettre en place cette nouvelle technique de découpe et de former les opérateurs. Cette simulation a été réalisée sur une carcasse de canard que l’un des responsables était allé chercher dans l’atelier, et a permis de démontrer la réalité de problèmes que les ergonomes avaient décelés avec le groupe de travail des opérateurs mais qui étaient niés par certains participants. Ce résultat a conduit à une réorientation importante concernant un choix technique qui avait été retenu et validé par la direction du groupe. Mais au-delà de l’événement, cet épisode est resté comme une forme d’apprentissage d’une certaine méthode de travail (en mettant certains choix à l’épreuve du réel du travail) par les responsables de l’entreprise.

4.3.3 La relation

47Les relations, formelles et informelles, que l’ergonome va nouer avec les différents acteurs et interlocuteurs au cours de son intervention vont compter pour beaucoup dans le résultat final. C’est à travers ces multiples échanges que vont être préparées les conditions des différents apprentissages, et que l’ergonome va pouvoir affirmer les formes de rationalité dont il est porteur, tant du point de vue de ses valeurs et de son éthique que du point de vue des objectifs qu’il cherche à atteindre.

48À la Mutuelle, dans laquelle les valeurs mutualistes servent de support aux politiques de communication, les dirigeants ont proposé aux ergonomes d’intervenir lors de l’assemblée générale annuelle de leurs adhérents (plus de 3000 personnes dans un illustre lieu de congrès). Cette intervention avait uniquement pour but de montrer, en explicitant le regard que l’ergonomie porte sur le travail, comment les dirigeants faisaient vivre les valeurs mutualistes, y compris dans la conduite des grands projets de restructuration qui étaient en cours. Cette intervention orale a par la suite fréquemment servi de référence lors de rencontres avec les directions et les personnels dans les sections départementales.

49La constitution et la préparation des groupes de travail peut aussi être un moment délicat. Dans l’entreprise Agro, des tensions fortes existaient au sein de la hiérarchie entre le responsable maintenance et le responsable production, mais aussi entre ce dernier et son adjoint. Des contacts préalables individuels ont été nécessaires pour convaincre tous ces acteurs de l’intérêt qu’il y avait, pour le projet mais aussi pour eux, de participer à ces structures projet. Dans la Banque, des conflits entre la direction et les organisations syndicales rendaient difficile le travail avec le CHSCT, pourtant peu concerné par les objets du conflit (les rémunérations et les classifications), les sujets de discorde finissant par se retrouver en discussion dans toutes les instances. Les ergonomes en charge de l’animation des groupes de travail (portant, rappelons-le, sur la conception d’un poste de travail) ont choisi d’adopter une forme de pédagogie chaque fois que ces sujets apparaissaient dans les discussions. Il s’agissait alors de reconnaître l’importance du sujet évoqué, de le noter sur un tableau, et de définir immédiatement dans quelle instance ou dans quel lieu cette discussion avait sa place puisqu’elle n’était pas du ressort du CHSCT. Cette attitude a fini par satisfaire tous les participants, et notamment les participants externes à l’entreprise qui avaient évidemment beaucoup de mal à trouver leur place dans ces échanges. Elle n’a été efficace que parce que les intervenants avaient au préalable pu nouer des relations de confiance avec les principaux acteurs du projet (le DRH, le responsable du projet, les élus du CHSCT) en leur présentant, de manière séparée, les objectifs de l’intervention et les méthodes de travail.

50Les rencontres singulières, plus ou moins formelles, sont l’occasion de comprendre les contraintes et les positionnements de chacun des acteurs. Elles vont permettre de détecter sur quoi achoppent les échanges, quels sont les enjeux de pouvoir, comment les relations sociales se nouent au quotidien dans l’entreprise. La structuration de l’intervention tâchera de prendre alors en compte la culture de l’entreprise, les attentes spécifiques, les modes de fonctionnement existants. Pour l’ergonome, c’est souvent aussi l’occasion de rassurer les personnes qui ne sont pas à l’origine de la demande d’intervention : les représentants du personnel si la demande émane de la direction, ou la direction dans le cas d’une expertise CHSCT. Ce sont les valeurs de l’ergonomie qui vont alors servir de ciment aux échanges (« tenir ensemble les questions de santé et d’efficacité », voire la référence à la charte de déontologie du titre d’Ergonome Européen5).

51Dans un groupe de travail, il est important pour l’intervenant de bien signifier que chacun des participants va jouer, selon le moment, le rôle de formateur ou d’apprenant. Les qualités d’écoute de l’autre, l’attitude d’empathie et de bienveillance vis-à-vis des différents acteurs, la démarche compréhensive qui est au fondement de l’analyse de l’activité sont aussi des valeurs que l’ergonome va chercher à transmettre par son comportement et sa pratique dans l’intervention.

5. Conclusion et discussion

52À travers les trois interventions décrites ci-dessus, nous avons tenté de montrer qu’il existait un intérêt à se pencher du côté de la pédagogie pour comprendre certains mécanismes et phénomènes de l’intervention ergonomique. Au cours de l’intervention, l’ergonome est amené à échanger avec différents acteurs. De différentes manières, allant du « colloque singulier » au comité de pilotage en passant par l’animation d’un groupe de travail, l’ergonome est, par la définition même de l’intervention, un « catalyseur » d’échanges. Si les objectifs de ces échanges semblent aujourd’hui clairement définis par l’ergonomie, il nous semble qu’un certain nombre d’objectifs sous-jacents, permettant de développer des formes d’apprentissage, guident et structurent implicitement ces différents espaces d’échanges.

53Wilson (1995) définit la démarche participative comme

« the involvement of people in planning and controlling a significant amount of their own work activities, with sufficient knowledge and power to influence both processes and outcomes in order to achieve desirable goals ».

54La mise en scène et la confrontation des savoirs dans le cadre du processus participatif vont contribuer à déterminer le réel pouvoir d’influence des acteurs sollicités. Autrement dit, la relation qui se noue dans une intervention, que ce soit au sein des groupes de travail ou dans des comités de pilotage, comporte à la fois une dimension de transmission de savoirs et une dimension d’apprentissage, dimensions inscrites dans le projet commun de produire un « nouvel ordre » dont les contours restent à définir. Mais la participation s’inscrit aussi dans la culture de l’entreprise, et celle-ci constituera le ciment des échanges en même temps que l’objet de conflits entre les participants, et elle viendra se confronter à la culture et aux valeurs portées par l’ergonome.

55Ce que nous avons voulu souligner, c’est que ces trois registres (la transmission de savoirs, l’apprentissage, et l’échange sur les valeurs) sont alternativement et en permanence mobilisés dans l’intervention ergonomique, qui va donc être aussi une relation de type pédagogique entre un intervenant, des apprenants, et des savoirs.

56D’ailleurs, nous pouvons regarder comment chacun de ces registres « s’adosse » finalement à chacune des trois dimensions de l’entreprise que nous avons évoquées plus haut :

  • le registre de l’expertise, en cherchant à faire évoluer les règles formelles par des apports de connaissances ou de méthodologies (ce que nous pourrions appeler le « conseil »), agit plutôt au niveau de la structure de l’organisation. Il s’agit là du positionnement « classique » des consultants ;

  • le registre de l’éducation se situe principalement dans le registre des valeurs et de la culture. C’est le regard que les ergonomes portent sur l’homme au travail, sur la santé et au-delà sur la performance des entreprises ;

  • enfin, le registre de l’apprentissage vise explicitement à influencer les pratiques des acteurs et, en se situant au cœur des interactions, à favoriser les régulations individuelles et collectives de l’activité de travail.

57C’est ce que nous avons voulu illustrer par le schéma ci-après qui croise les deux figures déjà présentées plus haut.

Figure 3 : croisements entres registres et dimensions

Figure 3 : croisements entres registres et dimensions

58À la lumière de ces réflexions, il nous semble utile d’aller plus loin dans la compréhension des mécanismes de transmission de l’information et de construction de savoirs dans l’intervention ergonomique. Ceci pourrait permettre d’alimenter quatre aspects liés à la pratique de l’ergonomie :

  • La question de la structuration des interventions ergonomiques en cherchant à y développer un axe pédagogique, comme gage d’efficacité des interventions ;

  • La réflexion sur la formation des futurs ergonomes en y introduisant un volet pédagogique plus conséquent ;

  • La problématique de l’évaluation des interventions ergonomiques, en ajoutant des critères pédagogiques à ceux déjà existants (Berthelette, 2002 ; Contandriopoulos et coll., 1992) ;

  • Enfin, si l’on s’accorde à dire qu’il est tout aussi important de transformer les représentations des acteurs de l’entreprise (Daniellou, 1992) que de modifier physiquement une ligne de production, les travaux sur ce pan de la recherche sur la pratique de l’ergonomie nous paraissent devoir être encore approfondis.

59L’analyse des grands courants pédagogiques (Beauté, 1998) montre le rôle important des méthodes utilisées dans l’acte pédagogique. S’appuyer sur ces réflexions nous permettrait d’approfondir les quatre aspects proposés ci-dessus. Les méthodes expositives (ou dogmatiques) sont les plus anciennes et les plus connues, répertoriées dans le registre de la pédagogie traditionnelle (Alain, 1932). Elles s’appuient essentiellement sur la technique de l’exposé. Leur principe de base consiste à dire qu’il suffit d’enseigner pour que l’apprenant apprenne. Elles sont principalement centrées sur le formateur. Il présente le savoir, et cette action doit permettre une transmission des connaissances chez l’apprenant. Le cours magistral et l’exposé en sont les figures majeures. Or, les mondes de la recherche et de la pratique fonctionnent à partir d’objets sociaux différents (Boltanski et Thévenot, 1989). Les savoirs de la recherche ne sont pas directement actionnables (Argyris, 1995 ; Saint-Arnaud, 1992). Il y a donc nécessité de créer du lien autour de ces savoirs (Schmitt, 2004) de façon à les rendre utilisables en situation et par d’autres. Pour la pratique de l’ergonomie, il semble plus approprié de se tourner vers d’autres méthodes pédagogiques. Avec les méthodes actives (Freinet, 1964 ; Dewey, 1947 ; Cousinet, 1943 ; Decroly, 1927), l’apprenant est explicitement au centre de l’acte pédagogique. À l’heure actuelle, sont classées dans cette catégorie les méthodes grâce auxquelles le formateur essaie de faire participer l’apprenant, en utilisant des techniques telles que l’étude de cas, la simulation ou encore le jeu de rôles. Il s’agit en fait d’une construction du savoir dans et par l’action à partir d’informations mises à disposition. C’est en résolvant des situations à problèmes que l’apprenant développe ses connaissances et savoir-faire. Le formateur, qui apporte une aide méthodologique et des informations, doit proposer des situations pertinentes et fournir des consignes. De façon générale, les méthodes actives comportent des caractéristiques particulières :

  • une confrontation des points de vue à l’intérieur du groupe,

  • une référence à l’expérience des participants,

  • une activité réalisée de façon autonome, hors de la présence du formateur.

60Le cadre du développement, déjà largement engagé, des pratiques réflexives sur l’intervention ergonomique, ce papier constitue donc une invitation à poursuivre les recherches à la fois sur les pratiques de transformation des situations de travail et notamment sur les liens entre pédagogie et intervention, mais aussi sur les contenus de la formation des jeunes ergonomes et la construction des règles de métier.

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Bibliographie

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Argyris C. (1995). Savoir pour agir. Paris : InterÉditions.

Baradat D. (1999). TMS : une approche « conduite de projet ». Le processus de conception d’un poste de travail dans une entreprise d’ameublement. Éditions du Laboratoire d’Ergonomie des Systèmes Complexe de l’Université Victor Segalen Bordeaux 2.

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Notes

1 Par « intervention » nous entendons ici toute forme d’action des ergonomes visant à analyser et/ou à transformer des situations de travail existantes ou à concevoir des situations futures, qu’il s’agisse d’assistance à maîtrise d’ouvrage ou d’assistance à maîtrise d’œuvre dans le cadre d’une conduite de projet, d’aménagement de postes de travail ou d’expertise à la demande des représentants du personnel.

2 Nous entendons ici la décision comme processus, et pas seulement comme acte final qui appartient bien évidemment à la direction de l’entreprise.

3 Au cours de ce texte, nous appellerons « apprenant » (vs formateur) celui qui apprend, qui s’inscrit dans un processus d’apprentissage. Ainsi, nous déformerons le vocabulaire des « puristes » pédagogues, pour qui l’apprenant est un « élève ».

4 Nous parlons bien entendu ici de notre pratique.

5 www.artee.com/charte-deontologie.php

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Table des illustrations

Titre Figure 1 : les trois dimensions de l’entreprise
URL http://journals.openedition.org/pistes/docannexe/image/2767/img-1.png
Fichier image/png, 3,1k
Titre Figure 2 : Les trois registres de l’échange en formation (adapté de Martin & Savary, 2003)
URL http://journals.openedition.org/pistes/docannexe/image/2767/img-2.png
Fichier image/png, 4,9k
Titre Figure 3 : croisements entres registres et dimensions
URL http://journals.openedition.org/pistes/docannexe/image/2767/img-3.png
Fichier image/png, 7,4k
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Pour citer cet article

Référence électronique

Bernard Dugué, Johann Petit et François Daniellou, « L’intervention ergonomique comme acte pédagogique »Perspectives interdisciplinaires sur le travail et la santé [En ligne], 12-3 | 2010, mis en ligne le 01 novembre 2010, consulté le 18 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/pistes/2767 ; DOI : https://doi.org/10.4000/pistes.2767

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Auteurs

Bernard Dugué

bernard.dugue@ensc.fr, Université de Bordeaux, Département d’Ergonomie - Case 55, École Nationale Supérieure de Cognitique, 146, rue Léo-Saignat, 33076 Bordeaux Cedex

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Johann Petit

johann.petit@ensc.fr, Université de Bordeaux, Département d’Ergonomie - Case 55, École Nationale Supérieure de Cognitique, 146, rue Léo-Saignat, 33076 Bordeaux Cedex

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François Daniellou

françois.daniellou@ensc.fr, Université de Bordeaux, Département d’Ergonomie - Case 55, École Nationale Supérieure de Cognitique, 146, rue Léo-Saignat, 33076 Bordeaux Cedex

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