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Dossier

Quel expérimentalisme pour Alfred Binet ?
Les éclairages insoupçonnés d’un manuscrit oublié

Alexandre Klein

Texte intégral

  • 1 Lettre du 19 février 1894 (Klein, 2011, p. 84)

1Mort prématurément à l’âge de 54 ans, Alfred Binet (1857-1911) n’eut pas le temps d’exposer l’ensemble de sa psychologie, ni même de préciser les linéaments de son épistémologie. Si le travail de commentaire de son œuvre, mené depuis plus de cent ans maintenant, a permis de clarifier certains points de sa démarche et de préciser la cohérence de son parcours, les zones d’ombres sont encore nombreuses et les contresens répandus. C’est notamment le cas de son expérimentalisme qui reste aujourd’hui encore mal compris. C’est pourtant toute l’originalité et la force de l’œuvre de Binet que d’avoir pensé et pratiqué un expérimentalisme unique, inédit, à la mesure de ses efforts pour faire et envisager la psychologie comme une science humaine singulière et à part entière. Heureusement, les archives du psychologue, redécouvertes au cours des vingt dernières années, nous permettent aujourd’hui de combler certains manques et de mettre à jour une partie de ses ambitions et de ses accomplissements. C’est notamment le cas d’un manuscrit inédit intitulé « Nouveau programme de psychologie individuelle » et récemment redécouvert. Il renouvelle en effet notre compréhension de la démarche méthodologique et épistémologique de Binet et nous aide à cerner plus précisément cet expérimentalisme critique original autour duquel le savant a développé sa psychologie scientifique.
Alfred Binet (1857-1911), expérimentateur. La formule semble presque pléonastique, tant le psychologue n’eut, au cours de sa carrière, d’autre exigence que d’appliquer la méthode expérimentale à l’étude de l’esprit humain. Homme de son siècle, il était en effet marqué par le positivisme qui, sous les plumes de Claude Bernard (1813-1878) ou Émile Littré (1801-1881), avait érigé l’expérimentation en canon unique de la Science moderne. À 22 ans, sur les bancs de la Bibliothèque Nationale, Binet avait découvert, en lisant notamment Théodule Ribot (1839-1916), qu’il était possible de fonder une science positive de l’esprit humain, une véritable psychologie scientifique, en s’appuyant sur la méthode expérimentale. Puis auprès de Jean-Martin Charcot (1825-1893), il avait appris à manier les outils expérimentaux, hypnose en tête, avant de s’engager dans des études de sciences naturelles, sous la direction de son beau-père, l’entomologiste Édouard-Gérard Balbiani (1823-1899). Expérimentateur, Binet l’était donc, sans aucun doute. Le titre même de ses publications, depuis l’Introduction à la psychologie expérimentale (1894) jusqu’à l’Étude expérimentale de l’intelligence (1903) en témoigne. Sa correspondance s’en fait également l’écho, que ce soit quand il affirme en 1894 à son mentor Henry Beaunis (1830-1921) que l’expérimentation est « la seule vraie critique »1 ou quand il écrit, en juillet 1902, à son ami Édouard Claparède (1873-1940) :

  • 2 Lettre du 6 juillet 1902 (Klein, 2011, p. 140).

Je ne puis qu’être heureux de nous voir aborder les mêmes questions, qui sont d’un si haut intérêt, il est seulement nécessaire de les aborder par la voie expérimentale ; sur ce point, j’avoue que je suis un peu intransigeant, et je crains que si on délaissait la méthode expérimentale, on reviendrait tout doucement de 30 ans en arrière2.

  • 3 Archives de la Société Binet-Simon, sans cote.
  • 4 40e leçon du Cours de philosophie positive (Comte, 1830-1842, vol. 1, p. 665-746)
  • 5 Sur ce glissement, voir Grange, 1996, p. 204-208.
  • 6 Comte avait d’ailleurs refusé à la psychologie le statut de science, lui préférant la phrénologie c (...)

2Incontournable exigence donc d’un savant qui, conscient de l’élan de scientifisation dans lequel se trouvait engagée la science de l’esprit en ce dernier quart du XIXe siècle, entendait y contribuer pleinement. Binet n’aura ainsi de cesse de chercher les moyens les plus adéquats pour sortir la psychologie de la spéculation philosophique et pour explorer l’esprit humain et ses fonctions supérieures de manière expérimentale, scientifique. Cette quête, qui occupera sa vie et forgera son œuvre, il la résume en une simple phrase inscrite au bas d’une photographie le représentant aux côtés d’un enfant à qui il fait passer des épreuves : « Il ne s’agit que d’expérimenter et d’observer, cela est vrai ; mais, que de peine à trouver la vraie formule de l’expérience »3.
Il faut dire que la méthode expérimentale se prête particulièrement mal aux sciences humaines, dont l’objet est à la fois vivant, mouvant et indivisible. Auguste Comte (1798-1857) s’en était rendu compte en arrivant dans sa hiérarchie des sciences à la biologie4 et donc à l’homme. Il avait choisi d’opérer un glissement méthodologique en remplaçant l’analyse par la synthèse et l’expérimentation par la comparaison5. Pour la psychologie, le défi était d’autant plus grand que son objet, l’esprit humain, est volatile, changeant et par définition immatériel6. Mais Binet décida de tenter sa chance et d’essayer de résoudre ce problème d’application de la méthode expérimentale à l’esprit humain. Pour ce faire, il testa l’une après l’autre les méthodologies à sa disposition, au point de dessiner un expérimentalisme singulier, aussi mouvant que son objet et aussi prudent que sa quête. C’est ce que je souhaite montrer dans cet article en étudiant tout d’abord le parcours méthodologique de l’expérimentateur Binet, puis en présentant un manuscrit oublié dans lequel il dévoile la méthode qui doit constituer le cœur de sa psychologie individuelle, nous offrant ainsi un regard inédit sur son expérimentalisme en construction.

Le parcours d’expérimentateur de Binet

  • 7 Notamment dans Le Magnétisme animal qu’il publie avec Charles Féré (1852-1907) en 1887 (Paris, Alca (...)
  • 8 Binet rencontre Beaunis à la fin de l’été 1891, alors que le manuscrit de son ouvrage est déjà ache (...)

3Les commentateurs qui se sont penchés sur l’œuvre d’Alfred Binet ont souvent contourné le délicat problème de sa méthodologie, préférant l’aborder du point de vue de sa chronologie ou de ses thématiques étudiées. Quant à ceux qui s’y sont attardés, ils sont souvent tombés dans les écueils des extrêmes. En 1924, Robert Martin résumait ainsi l’approche de Binet à une seule méthode « avant tout analytique, soucieuse des détails, et qui repose surtout sur l’interprétation que donne le psychologue des résultats qu’il rassemble » (Robert, 1924, p. 19), allant même jusqu’à la comparer à la « psycho-analyse de Frend [sic] » (Ibid., p. 20). Six ans plus tard, François-Louis Bertrand consacrait lui plus de soixante pages aux différentes méthodes de Binet, formant ainsi une liste exhaustive, mais sans unité ni volonté d’organisation épistémologique (Bertrand, 1930, p. 65-132). Il faut dire que, comme l’a affirmé Guy Avanzini (1969), la question de la méthode est intimement liée à celle de l’unité de l’œuvre du psychologue. Or, pour ces deux commentateurs, comme pour de nombreux autres après eux, cette unité se résumait à une tripartition chronologique et thématique séduisante certes, mais définitivement « trompeuse » (Ibid., p. 17). Diviser l’œuvre de Binet en une phase psychopathologique à la Salpêtrière, une phase différentielle au Laboratoire de la Sorbonne et une phase pédagogique à l’école de la Grange-aux-belles ne permet pas de saisir la démarche binetienne dans sa singularité et son originalité. Cette division artificielle masque en effet le chevauchement de ces phases et méthodologies, voire leur accumulation, et cache donc la démarche d’investigation épistémologique menée par le psychologue au cours de sa carrière. Comme le révéla en 2001 Bernard Andrieu, dans l’importante synthèse qu’il réalisa pour le premier volume des Œuvres complètes du psychologue, il faut au contraire suivre « Binet en mouvement » (Andrieu, 2001) pour aborder le problème de sa méthodologie. Car à observer le parcours du savant, on constate vite qu’il ne se contentait pas de varier les sujets d’étude, mais également les méthodes.
Binet semble en effet avoir souvent été déçu par les méthodologies qu’il rencontrait et expérimentait. Cela a commencé avec l’hypnose. Après avoir été un fervent défenseur de l’École de la Salpêtrière7, il s’en est progressivement éloigné, émettant dès lors des doutes à l’égard de l’hypnose comme outil d’expérimentation de l’hystérie. Avant même sa rencontre avec Beaunis8 et à l’instar de nombreux collaborateurs de Charcot, il avait en effet compris le caractère suggestif des expériences parisiennes, tant dénoncé par les tenants de l’École de Nancy. En 1892, dans son ouvrage Les altérations de la personnalité, il affirmait ainsi :

À la première heure, quand les études sur l’hypnotisme et le somnambulisme furent remises en honneur par M. Charcot, il y eut un grand mouvement d’enthousiasme. Depuis cette époque, il faut bien le reconnaître, l’enthousiasme a un peu diminué ; on s’est aperçu que ces études présentent une foule de causes d’erreur, qui en faussent bien souvent les résultats, à l’insu de l’expérimentateur le plus soigneux et le plus prudent, et personne ne peut se vanter de n’avoir jamais failli. Une des principales causes d’erreurs incessantes, on la connaît, c’est la suggestion, c’est-à-dire l’influence que l’opérateur exerce par ses paroles, ses gestes, ses attitudes, ses silences mêmes, sur l’intelligence si subtile et souvent si éveillée de la personne qu’il a mise en somnambulisme (Binet, 1892, p. 66-67).

4Mais, au-delà de la querelle de l’hypnotisme, Binet semble surtout avoir très vite compris que la neuropathologie pratiquée par le maître de la Salpêtrière, même si elle s’ouvrait vers la psychologie, ne pouvait permettre à cette dernière de s’émanciper. Charcot considérait en effet la psychologie comme une « physiologie rationnelle de l’écorce cérébrale » (Charcot, 2002, p. 154), autrement dit une partie de la médecine, alors que Binet souhaitait pour sa part lui donner son autonomie disciplinaire en la détachant tant du champ médical que de la philosophie. C’est pour cette raison qu’il rejeta très tôt l’approche psychopathologique à laquelle il s’était formé. En 1901, dans une lettre à son ami Paul Passy (1859-1940) concernant sa candidature au Collège de France, il écrivait ainsi :

  • 9 Lettre du 4 juillet 1901 (Klein, 2011, p. 239-240).

J’ai fait de la psychologie expérimentale, c’est le titre de la chaire de Ribot, je suis même le seul en France qui en ait fait ; ni Ribot ni Janet n’en ont fait, le premier est un critique et le second fait de la psychologie pathologique avec l’hypnotisme, l’hystérie, etc9.

  • 10 Sur la vie et l’œuvre de Ribot, voir Nicolas, 2005a.
  • 11 Binet rentre au Laboratoire de psychologie physiologique de la Sorbonne en 1891 comme assistant bén (...)
  • 12 Notamment « des pneumographes, des esthésiomètres, un chronoscope de Hipp, l’appareil à phonation d (...)
  • 13 « [I]l est à désirer qu’on mesure aussi le temps de différents actes intellectuels exécutés sans au (...)
  • 14 Les archives du laboratoire, conservées dans le fonds Piéron des Archives Nationales, montrent que (...)
  • 15 Binet s’en plaint d’ailleurs à Gaston Paris (1839-1903) dans une lettre du 3 octobre 1895 (Klein, 2 (...)
  • 16 La mémoire, la nature des images mentales, l’imagination, l’attention, la faculté de comprendre, la (...)
  • 17 Notamment pour la réalisation de son Étude expérimentale de l’intelligence qui se fonde en grande p (...)

5Binet, qui œuvrait alors depuis près de 10 ans dans le Laboratoire de psychologie physiologique de la Sorbonne, semblait davantage se ranger du côté de cette psychologie expérimentale inaugurée en Allemagne par Wilhelm Wundt (1832-1920) que de la psychopathologie de Charcot ou encore de la psychologie philosophique de Théodule Ribot (1839-1916)10. En ouverture de son Introduction à la psychologie expérimentale parue en 1894, il signalait d’ailleurs, déjà, la création du laboratoire de Leipzig (Nicolas, 2005b) comme le premier pas d’une nouvelle ère pour la psychologie (le second étant le travail de Charcot à la Salpêtrière). Rapidement donc, dans ce qui devenait à cette époque son laboratoire11, il se pencha à son tour sur l’étude des sensations (Binet, 1896), des perceptions visuelles (Binet, 1895a) ou des représentations (Binet et Henri, 1894), au moyen des divers instruments de mesure dont Beaunis avait, sur le modèle leipzigois, équipé le petit local12. Il compléta même la collection en achetant, améliorant ou inventant de nouveaux instruments, comme cet ergographe à ressort qu’il imagina avec son élève Nicolas Vaschide (1874-1907) pour pallier les faiblesses de l’ergographe d’Angelo Mosso (1846-1910) (Binet et Vaschide, 1898). Mais là encore l’enthousiasme ne fut que de courte durée. Progressivement, Binet infléchit les protocoles wundtiens (Carroy et Schmidgen , 2006) pour se concentrer davantage sur le ressenti des sujets lors des mesures de temps de réaction. Il critiquait notamment l’isolation des sujets d’expérimentations qui devenaient, selon lui, des automates aux actes appris et non plus spontanés13, à l’image des hypnotisées de la Salpêtrière. Il trouvait finalement cette psychométrie limitée, invitant à la considérer pour ce qu’elle était, c’est-à-dire une « méthode générale » pour « analyser un certain nombre de phénomènes mentaux » (Ibid., p. 130). Ceci explique que Binet délaissa progressivement le Laboratoire de la Sorbonne – qui en plus de manquer de chauffage et d’électricité, était en manque d’assistants et d’élèves (et donc de sujets d’expérience14) puisqu’aucun diplôme ne pouvait y être délivré15 – pour se tourner davantage vers des sujets plus singuliers qu’il allait étudier dans leurs milieux, en particulier les dramaturges (Binet et Passy, 1894) et les enfants (Binet, 1894b).
La raison de ce déplacement d’objets et de regard est également, à nouveau, d’ordre théorique ou épistémologique. Contrairement aux psychologues allemands, Binet n’entendait pas, en effet, produire une psychologie générale. Son but était ailleurs. Il voulait avant tout comprendre ce qui singularise les individus les uns des autres, il voulait produire ce qu’il nomma, dans un fameux article de 1896, une « psychologie individuelle ». Dans ce texte, écrit avec son élève Victor Henri (1872-1940), Binet revient sur les méthodes qui permettent d’étudier les relations entre les différents processus psychiques. Rejetant d’emblée la méthode dite des « cas anormaux » (Binet et Henri, 1896, p. 421), autrement dit la psychopathologie, il distingue deux autres méthodologies possibles pour la psychologie individuelle : d’une part, faire varier un processus psychique chez un même individu et d’autre part examiner différents processus psychiques chez plusieurs individus. Si la première a été bien exploitée, précise-t-il, notamment au moyen de l’étude du temps de réaction (donc par la psychométrie), la seconde a surtout été explorée, à l’étranger, par le biais des mental tests (Ibid., p. 425-427). Or c’est ce dernier modèle que Binet entend reprendre pour l’étude qu’il veut réaliser de dix processus psychiques majeurs16. Si la suite de l’article se veut surtout une présentation du cadre général de cette psychologie individuelle, plus qu’un exposé précis des méthodes à utiliser, Binet s’est clairement trouvé une nouvelle méthodologie, qui ne sera pas sans impact d’ailleurs sur ses travaux sur l’intelligence17. Mais en 1896, le psychologue est encore en phase d’exploration : s’il a désormais identifié son objectif – la psychologie individuelle –, les méthodes effectives pour l’atteindre restent, à ce stade, assez floues. On sait seulement que ces mental tests qu’il privilégie devront être « aussi variés que possible », « surtout relatifs aux facultés supérieures », ne dureront pas « plus d’une heure et demi pour un individu » et ne nécessiteront pas « d’appareils compliqués et d’installation spéciale » (Ibid., p. 465). Le programme de Binet est alors d’appliquer cette méthode à l’étude des races, des enfants, des malades et des criminels, mais c’est finalement auprès d’un tout autre public et par le biais d’une tout autre méthode qu’il va d’abord concrétiser cette psychologie individuelle.

Un manuscrit oublié

  • 18 Créée en 1899 par Ferdinand Buisson (1841-1932), la SLEPE accueille Binet comme collaborateur dès s (...)
  • 19 Fonds Larguier des Bancels, Bibliothèque de l'université de Lausanne-Dorigny, IS 1907 (95), 3 f.
  • 20 Le 14 avril 1904, Binet écrit à Larguier : « Cher Ami, je n’ai pas de nouvelles d’Henri, on le dit (...)
  • 21 Je remercie Serge Nicolas pour m’avoir mis sur la piste de ce congrès et m’avoir transmis les docum (...)
  • 22 Qui se tint du 18 au 21 avril 1904.

6Au moment où il rédige ce texte programmatique, Binet poursuit en effet depuis quelques années déjà une étude sur les auteurs dramatiques avec son ami Jacques Passy (1864-1898). Après une série de portraits publiés en 1894 dans Le Temps, ils ont produit ensemble une synthèse pour la Revue philosophique de France et de l’Étranger (Binet et Passy, 1894), republiée dans le premier numéro de l’Année psychologique (Binet et Passy, 1895). Binet voyait dans ces hommes au talent certain des sujets d’étude de choix pour une science qui voudrait « relever les différences psychologiques individuelles, afin d’établir expérimentalement une classification des caractères » (Binet, 1904a, p. 3). L’écriture dramaturgique lui donnait en effet l’occasion d’étudier des usages différents de l’imagination dans la création, depuis la moins sollicitée jusqu’à la plus autonome, comme dans le cas de François de Curel (1854-1928) qui subit un véritable dédoublement de personnalité quand il écrit (Binet, 1895b). On retrouve d’ailleurs presque chez ce dernier, nous dit Binet, la rigueur des dédoublements qu’on obtient « par l’expérimentation hypnotique » (Binet et Passy, 1894, p. 237) ; à ceci près, et cela fait toute la différence, que contrairement aux aliénées de la Salpêtrière, il s’agit là d’un sujet normal, non pathologique. Chez les dramaturges, Binet trouve ainsi la solution à tous ses problèmes, pratiques ou épistémologiques : il a des sujets entrainés, mais pas automates, normaux et non pathologiques, ayant des capacités hors du commun facilitant l’étude des différences individuelles. Leur étude s’imposa donc comme le point d’ancrage de sa psychologie individuelle et demanda par conséquent à être poursuivie. Certes, sa rencontre en 1899 avec Théodore Simon (1873-1961), puis son entrée la même année à la Société libre pour l’étude psychologique de l’enfant18 allaient donner à Binet l’occasion d’explorer davantage, dans les années qui suivirent, deux des champs d’investigations de son programme de 1896, soit les malades et les enfants. Mais il n’abandonna pas pour autant les dramaturges, comme en témoigne sa rencontre en 1900 avec André de Lorde (1869-1942), grâce à qui il pourra finalement expérimenter le théâtre comme un laboratoire psychologique à part entière (Klein, 2016a), et surtout la publication en 1904 du portrait de Paul Hervieu (1857-1915) (Binet, 1904a) qui venait compléter la première série de portraits de dramaturges parue dix ans plus tôt. C’est néanmoins dans un tout autre document, produit à la même période, que l’on trouve le véritable bilan méthodologique de ce travail.
Il s’agit d’un manuscrit de trois feuillets très explicitement intitulé « Nouveau Programme de Psychologie Individuelle »19, qui fut envoyé par Binet le 15 avril 190420 à son ami et collègue Jean Larguier des Bancels (1876-1961), pour une communication au congrès de psychologie expérimentale qui commençait à Giessen21 trois jours plus tard (Claparède, 1904). Connue depuis près de 20 ans, grâce au classement du fonds du psychologue suisse réalisé par la BCU de Lausanne suite aux requêtes de Serge Nicolas (19997, p. 666, note 1), cette archive n’a pourtant jamais été ni étudiée ni publiée, perdue qu’elle était entre les styles documentaires. Moi-même en éditant la correspondance de Binet à Larguier en 2008 (Klein, 2008), je l’avais mise de côté, la considérant comme un manuscrit plus que comme une archive épistolaire, me fiant, trop aveuglement, à la liste transmise par la bibliothèque de Lausanne qui ne la signalait pas dans la correspondance entre les deux hommes.
Pour comprendre l’origine de ce document et en cerner la raison d’être, il faut d’abord commencer par son dernier feuillet. En effet, le manuscrit se conclut par une lettre, adressée à Larguier des Bancels qui en éclaire rétrospectivement le contenu et la portée. Dans ce courrier, Binet demande à son ancien élève de réaliser un « petit topo » sur les données présentées dans le document, en insistant tout particulièrement sur le rôle de ce qu’il appelle la « conversation confession », cette méthode psychologique qu’il juge la « plus utile » (f. 3). Il enjoint ensuite son collègue à présenter également dans son allocution une partie de l’étude qu’il vient de réaliser sur Hervieu, avant de lui promettre l’envoi rapide d’une analyse bien résumée sur les « Frontières des anormaux » (Binet, 1904b). Binet tente en fait, à quelques jours du congrès de Giessen22, de tenir son engagement d’y présenter une communication sur la psychologie individuelle. En effet, comme on l’apprend dans la correspondance régulière qu’il a entretenue avec Larguier, Binet devait venir y présenter ce « nouveau programme de psychologie individuelle » avec Victor Henri (Binet ne parlant pas l’allemand). Or, Henri, qui se détourne alors de la psychologie pour s’orienter vers la chimie (Nicolas, 1995), abandonne son mentor. Dans une lettre du 1er avril 1904, Binet exprime à Larguier son désarroi face à ce collaborateur qui manque « si souvent de parole » :

L’histoire de Giessen n’est plus claire du tout. Je lui avais proposé de faire là-bas en allemand une grande communication sur un nouveau programme de psych.[ologie] individuelle que je lui ai exposé, car j’ai des idées récentes là-dessus. Ça l’a emballé au point qu’il est venu une après-midi à Meudon, il a pris des notes, nous avons passé ensemble une charmante après-midi d’excitation intellectuelle. Et j’ai eu la naïveté de croire qu’il ferait ce travail. Maintenant, je suis à peu près certain qu’il ne le fera pas. D’abord, il est très surmené ; ça, c’est réel. Que voulez-vous que je vous dise ? Je ne sais plus rien. J’avais voulu vous associer à nos projets, parce que je tenais à ce que ce fût une œuvre collective. Mais il n’y a guère qu’Henri qui puisse exposer la question en allemand dans son ensemble, car il est là-dedans avec moi depuis des années et des années. Je suis très ennuyé, mais je n’ai pas la force de lui en vouloir. (Klein, 2008, p. 43-44).

  • 23 Dans une lettre du 23 février 1904, Binet lui demandait s’il devait venir à Giessen (Klein, 2008, p (...)

7Ainsi, Larguier semble avoir accepté de sauver la situation23 en présentant la communication de Binet et Henri intitulée « Über die Methoden der Individualpsychologie » (« Sur les méthodes de la psychologie individuelle ») (Claparède, 1904, p. 315-316). C’est à cet égard que Binet lui envoie des informations condensées sur ce nouveau programme de psychologie individuelle et, notamment, sur cette méthode psychologique singulière qu’est la « conversation confession ». Mais revenons au début du document.
Dans un style des plus télégraphiques, Binet rappelle d’abord l’histoire de son enquête de psychologie individuelle : « J’ai entrepris l’étude d’une centaine d’hommes célèbres, littérateurs, commerçants, hommes politiques, savants, militaires, etc. Gens très au-dessus de la moyenne. Facultés mieux développées que chez les moyens » (f. 1). Avant de préciser que parmi ces études, celle qui est déjà réalisée est la « série des auteurs dramatiques » dont il égrène plusieurs noms qu’il dit avoir rencontrés pour des études de six séances de 3 heures chacune en moyenne. Il précise ensuite que le but de ces enquêtes est la psychologie individuelle, réalisée sans aucune idée a priori puisque « La comparaison des observations doit révéler, par les ressemblances et les différences, ce qui est important et ce qui ne l’est pas » (f. 1). Si le cadre méthodologique général est donc cette comparaison qu’Auguste Comte avait déjà établie comme critère de scientificité pour les sciences du vivant, les méthodes utilisées sont, elles, plurielles ainsi que le détaille le paragraphe suivant. Il y a des mesures physiques, des tests, des renseignements chez des amis, des études sur les manuscrits des auteurs interrogés, des analyses dans les œuvres, mais il y a surtout la « conversation méthodique » qui est pour Binet « la première » et « la meilleure » méthode (f. 1).
Cette conversation dite « confession » dans le courrier est ici caractérisée de « méthodique » car, affirme Binet, elle est constituée de « questions précises, écrites à l’avance, bien mûries » (f. 1) et dont les réponses sont sténographiées. Les questions portent sur différents thèmes dont la liste est donnée par Binet dans la suite du manuscrit et qui vont de l’ascendance et l’enfance aux relations entre l’œuvre et la personnalité, en passant par toutes les fonctions supérieures de l’esprit, mais aussi les influences littéraires, religieuses ou philosophiques ainsi que les différents procédés de travail. L’exemple donné ensuite, qui concerne simplement l’état physiologique, montre la précision et le détail de l’interrogatoire mené puisque pour un seul thème, il n’y a pas moins de six sections, intégrant entre trois et huit items chacune. Conversation très détaillée et méthodique donc, qui pourra faire l’objet d’amélioration, nous dit Binet, à mesure des entretiens réalisés, mais qui conduit déjà, selon lui, les sujets interrogés à faire les mêmes confessions « qu’on fait habituellement à un prêtre » (f. 2) ; d’où le nom qu’il lui accorde dans la lettre finale. C’est à ce titre qu’elle est considérée comme la principale méthode, la meilleure et que Binet peut affirmer à son propos : « voilà le nouveau programme » (f. 1).
En effet, si les précédentes études portant sur les auteurs dramatiques suivaient bien un canevas assez similaire à celui exposé ici, les choses étaient bien moins verrouillées, bien moins déterminées en termes de méthode. D’ailleurs, dans son article publié avec Passy en 1894, Binet affirmait à propos de leur méthode d’interrogatoire :

Notre premier soin a donc été de rédiger un long questionnaire ; nous ne le transcrivons pas ici, parce qu’il n’a pas plus d’importance que les échafaudages servant à construire une maison ; la maison construite, on les démolit (Binet et Passy, 1894, p. 40).

  • 24 Dans le résumé qu’il fait de la communication de Binet et Henri, Claparède précise ainsi : « le tra (...)
  • 25 L’Échelle métrique de l’intelligence, qui est la partie psychologique des méthodes mises de l’avant (...)
  • 26 Valorisée notamment par Victor Cousin (1792-1867) dans ses Fragments philosophiques (1833).
  • 27 Voir notamment le chapitre XIV intitulé « La vie intérieure » (p. 282-298).

8Dix ans plus tard, au contraire, le temps est venu de fixer le cadre méthodologique de ces entretiens afin de faire de cette conversation méthodique une méthode psychologique à part entière, la méthode du nouveau programme de psychologie individuelle.
Il faut dire qu’en reléguant ainsi les tests au second rang, comme des approches accessoires et non plus centrales, Binet opère ici un renversement complet par rapport au programme promu en 1896 dans son article avec Henri24. Renversement qui, un an avant la création de l’Échelle métrique de l’intelligence, interroge d’autant plus25. D’autant que la méthode de la conversation n’est pas neuve, puisque le questionnement de sujets expérimentaux sur leur propre expérience psychique était au cœur de la méthode classique de la psychologie du XIXe siècle, qu’était l’introspection26. Or, tout l’objet de la psychologie expérimentale, mise en marche en France par Ribot, fut de dépasser cette méthode peu fiable, car difficilement contrôlable. Binet en avait parfaitement conscience et fait donc tout pour s’assurer que sa méthode réponde aux critères scientifiques qu’il avait déjà mis en avant en 1896, c’est-à-dire « que les moyens de détermination soient indépendants de la personne de l’expérimentateur [et] qu’on puisse comparer entre eux les résultats obtenus par un observateur avec ceux obtenus par d’autres » (Binet et Henri, 1896, p. 435). C’est pour cette raison qu’il prend soin d’ajouter, dans la lettre qui clôt le manuscrit de 1903-1904 que « Le contrôle est donné par les amis et confrères qui sont sans pitié pour les erreurs » (f. 3). Bien que ce moyen de contrôle paraisse un peu faible, cette phrase reflète l’intention de Binet de donner ses lettres de noblesse scientifique à la conversation méthodique. S’étant déjà assuré, notamment pour la réalisation de son Étude expérimentale de l’intelligence (Binet, 1903) où il utilisait déjà la méthode introspective27, du problème de la suggestibilité, Binet pouvait désormais, en s’appuyant sur ce contrôle externe, valider cette conversation-confession comme méthode centrale de la psychologie scientifique qu’il œuvrait à établir.

Vienne ou Würzburg ?

  • 28 Sa communication s’intitule d’ailleurs « Sur les méthodes de la psychologie individuelle » (Claparè (...)
  • 29 Mais aussi pour l’avoir lu, ainsi que semble en témoigner le compte rendu qu’il fait en 1902 du liv (...)
  • 30 Sur les liens de Binet à la psychanalyse, voir Grollier, 2011.
  • 31 « [L]e désir, par exemple, ne représente-t-il pas un complément de la conscience ? Le désir et la c (...)
  • 32 Binet avait également sollicité Alphonse Maeder (1882-1971) pour écrire un article sur le mouvement (...)
  • 33 Un article de Victor Henri, publié en 1895 dans la revue russe Вопросы философіи и психологіи (Henr (...)

9Mais dès lors, faut-il convenir, avec Robert Martin (1924, p. 20) que la méthodologie binetienne s’approche finalement de la psychanalyse freudienne ? Cela pourrait peut-être sembler être le cas si Binet accordait l’exclusivité méthodologique à sa conversation méthodique. Or, comme il le détaille dans le manuscrit, et comme en témoigne ses recherches sur les dramaturges, si la conversation est la première et la meilleure méthode de la psychologie individuelle, les autres méthodes ne sont pourtant autant pas exclues de son analyse psychologique28. La psychologie individuelle repose au contraire sur la mutualisation des approches médicales, psychométriques et conversationnelles. Mais surtout, Binet, qui connaît le penseur viennois pour l’avoir rencontré chez Charcot29, est encore peu au fait de sa doctrine dont il ne partage que peu de fondement. Ainsi, Binet défend, par exemple, un inconscient de type physiologique lié à l’automatisme30 qui est loin de celui théorisé par Sigmund Freud (1856-1939). Comme le révèle son traité philosophique de 1905 intitulé L’âme et le corps, Binet ne se détache pas du fondement physiologique pour penser l’inconscient, ce qui le conduit d’ailleurs à buter sur la question du désir31, qui est au cœur de la pensée freudienne. Ce n’est en fait qu’à partir de 1907 que le psychologue va commencer à s’intéresser plus sérieusement à la psychanalyse, invitant notamment Carl Jung (1875-1961) à publier dans son Année psychologique (Jung, 1909). Il faudra même attendre 1911 pour que Binet se fasse l’écho, dans l’habituel bilan annuel de la psychologie qu’il fait pour sa revue, de l’importance croissante de cette psycho-analyse (Binet, 1911, p. viii)32 que développent Freud et ses élèves.
Cet intérêt pour la conversation et pour le questionnement des sujets rattache en fait probablement moins Binet à l’Autriche qu’à l’Allemagne. En effet, cette volonté de faire de la conversation une méthode expérimentale à part entière rapproche le psychologue français de cette école de Würzburg qui se développe à partir de 1894 autour d’un ancien élève de Wundt, un certain Oswald Külpe (1862-1915). Ce dernier s’est en effet attaché, jusqu’à son départ pour Bonn en 1909, à développer avec Karl Marbe (1869-1953) et plusieurs jeunes collaborateurs, une méthode d’introspection qui répondrait aux critères de la science expérimentale (Friedrich, 2008). Or Binet va à plusieurs reprises s’affirmer comme le précurseur de cette approche développée à Würzburg. Dans son « Bilan de la psychologie en 1908 », paru en 1909 dans L’Année psychologique et dans lequel il rend hommage aux travaux du professeur Külpe et à son « excellente et nouvelle » méthode, Binet demande ainsi explicitement qu’elle soit renommée la « méthode de Paris », « sans insister, dit-il, sur les raisons toutes personnelles qui nous font protester contre cette tendance d’annexion » (Binet, 1909, p. viii). Binet aurait, selon ses dires, été, aux côtés d’autres éminents chercheurs dont il cite les noms, l’un des fondateurs de cette méthode d’introspection expérimentale33. C’est ce qu’il affirme à nouveau en 1911, dans son « Bilan de la psychologie en 1910 » : « Je signalerai encore, parmi les questions à l’ordre du jour, les méthodes de questionnement, que j’ai inauguré en 1903, et qui sous le nom impropre de méthode de Wurzbourg, sont en train de faire le tour du monde » (Binet, 1911, p. viii). Si Binet renvoie ici à son Étude expérimentale de l’intelligence plus qu’à son « Nouveau programme de psychologie individuelle », force est de constater que la conversation méthodique dont il dessine les contours dans ce manuscrit s’inscrit dans ce même mouvement de revalorisation expérimentale de l’interrogatoire et de l’introspection dont il se fait l’écho dans ce bilan. Tout comme la méthode développée outre-Rhin, cette conversation méthodique s’avère en effet « utile pour connaître dans leur intimité les processus mentaux les plus compliqués, comme les plus simples » (Binet, 1909, p. viii).

Un expérimentalisme critique

  • 34 Voir à ce propos, Klein, 2009.
  • 35 Archive de la Société Binet-Simon, sans cote.

10Au final, plus qu’une méthode unique qui serait celle de Binet, ce manuscrit nous montre surtout l’évolution méthodologique du psychologue qui, tout en dépassant les méthodes apprises, les intègre finalement au sein d’une enquête psychologique vaste, voire exhaustive. Si la dimension psychologique prend dans ce nouveau programme de psychologie individuelle, comme dans l’Échelle métrique de l’intelligence d’ailleurs, le dessus, les méthodes médicales et psychométriques ne sont pas abandonnées pour autant. Elles sont simplement utilisées, comme toutes les autres méthodes, à la hauteur de ce qu’elles peuvent apporter, car « toutes servent à quelque chose et [seules] quelques-unes sont irremplaçables » (Ibid.). Pour cerner l’esprit humain dans la diversité de ses manifestations et l’homme dans la pluralité de ses conduites, Binet se doit en effet de mutualiser les approches. Mais cette mutualisation passe d’abord par une sélection. L’œuvre de Binet fonctionne en effet sur le mode de l’accumulation sélective et de l’évolution progressive. Depuis l’hypnose jusqu’à la classe en passant par les mesures anthropologiques, l’observation biographique, l’expérimentation cognitive, l’introspection contrôlée et les tests mentaux, Binet teste les méthodes, les éprouve en les poussant les unes à la suite des autres à leurs limites. C’est ainsi qu’il peut tester la validité de ses propres hypothèses et la solidité de ses certitudes, mais aussi construire une approche plurielle et néanmoins unitaire. Car cette mutualisation se fait toujours à l’aune d’un enjeu épistémologique clairement défini, et clairement réfléchi ainsi qu’en témoignent ses travaux philosophiques34 : celui de fonder sur la méthode expérimentale une psychologie individuelle et non pathologique. C’est ce dessein, à la stabilité profonde et réelle, pour reprendre les termes de Guy Avanzini (1969, p. 18), qui détermine finalement l’expérimentalisme singulier de Binet.
Loin de l’épistémologie nomothétique des sciences de la nature promue par Claude Bernard comme de cette épistémologie clinique floue dont parlait Olivier Martin (1997, p. 36-39), Binet pratique cet expérimentalisme dont il parlait à Beaunis dans son courrier de 1894 : un expérimentalisme critique qui le conduit à tester l’une après l’autre, à la lumière de son exigence d’application de la méthode expérimentale comme de son ambition de fonder une psychologie individuelle, les méthodes qui se présentent à lui, n’en retenant que ce qui répond à ce double critère. C’est ce qui explique que les objets comme les méthodes de Binet soient évolutifs, changeants. Comme tout chercheur, tout scientifique, Binet est en constant mouvement vers son objectif, qui lui-même se définit à mesure qu’il avance. La pensée, écrivait-il au bas d’un portrait, évolue toujours « d’un état vague vers un état déterminé »35. La science est progressive, se construisant dans le temps et en tâtonnant. C’est pour cela que Binet expérimente les objets, les méthodes, les laboratoires, les collaborateurs : il dessine progressivement dans son esprit comme dans son œuvre la voie d’une psychologie individuelle proprement scientifique. Ainsi, Binet est un expérimentateur jusque dans sa méthodologie, passant à la critique expérimentale les méthodes psychologiques, comme il le fera d’ailleurs avec la graphologie (Binet, 1906). Il ne faut donc pas comprendre, chez Binet, l’expérimentation comme une méthode, mais comme une épistémologie organisant le recours aux différentes méthodes que sont les tests, les enregistrements, les observations ou les conversations au fil d’un expérimentalisme critique qui peut ainsi se définir strict dans son principe, mais souple et divers dans son application. Un expérimentalisme à l’image de l’œuvre foisonnante, mais toujours rigoureuse d’où il a émergé.

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Notes

1 Lettre du 19 février 1894 (Klein, 2011, p. 84)

2 Lettre du 6 juillet 1902 (Klein, 2011, p. 140).

3 Archives de la Société Binet-Simon, sans cote.

4 40e leçon du Cours de philosophie positive (Comte, 1830-1842, vol. 1, p. 665-746)

5 Sur ce glissement, voir Grange, 1996, p. 204-208.

6 Comte avait d’ailleurs refusé à la psychologie le statut de science, lui préférant la phrénologie comme étude physiologique du cerveau entendu comme organe de la pensée.

7 Notamment dans Le Magnétisme animal qu’il publie avec Charles Féré (1852-1907) en 1887 (Paris, Alcan). Voir également Binet, 1886.

8 Binet rencontre Beaunis à la fin de l’été 1891, alors que le manuscrit de son ouvrage est déjà achevé.

9 Lettre du 4 juillet 1901 (Klein, 2011, p. 239-240).

10 Sur la vie et l’œuvre de Ribot, voir Nicolas, 2005a.

11 Binet rentre au Laboratoire de psychologie physiologique de la Sorbonne en 1891 comme assistant bénévole. L’année suivante, il est nommé directeur-adjoint, avant de remplacer Beaunis à la direction en 1895 (il est officiellement nommé le 24 décembre 1894).

12 Notamment « des pneumographes, des esthésiomètres, un chronoscope de Hipp, l’appareil à phonation de l’abbé Rousselot, l’appareil à chute de Cattell, des dynamographes », selon un article publié le 26 octobre 1892 dans Le Temps (p. 2).

13 « [I]l est à désirer qu’on mesure aussi le temps de différents actes intellectuels exécutés sans aucun souci de vitesse, mais avec leur allure naturelle, par des sujets non prévenus qu’on les soumet à des expériences de psychométrie » (Binet, 1894, p. 119).

14 Les archives du laboratoire, conservées dans le fonds Piéron des Archives Nationales, montrent que Binet réalisait beaucoup de ces expériences sur ses proches collaborateurs (voir notamment les cahiers d’expérience conservés sous la cote 520 AP 44).

15 Binet s’en plaint d’ailleurs à Gaston Paris (1839-1903) dans une lettre du 3 octobre 1895 (Klein, 2011, p. 97-99).

16 La mémoire, la nature des images mentales, l’imagination, l’attention, la faculté de comprendre, la suggestibilité, le sentiment esthétique, les sentiments moraux, la force musculaire et la force de volonté, l’habileté et le coup d’œil (Binet et Henri, 1896, p. 435).

17 Notamment pour la réalisation de son Étude expérimentale de l’intelligence qui se fonde en grande partie sur l’analyse comparative de deux individus, ses filles Madeleine et Alice.

18 Créée en 1899 par Ferdinand Buisson (1841-1932), la SLEPE accueille Binet comme collaborateur dès sa fondation. Il en devient le président en 1901, poste qu’il conservera jusqu’à sa mort.

19 Fonds Larguier des Bancels, Bibliothèque de l'université de Lausanne-Dorigny, IS 1907 (95), 3 f.

20 Le 14 avril 1904, Binet écrit à Larguier : « Cher Ami, je n’ai pas de nouvelles d’Henri, on le dit à Nîmes. Je n’espère plus qu’il vienne à Giessen. Je vais vous envoyer demain sans faute des résumés de communications que je vous prie de présenter pour moi. Je suis pris de court, malheureusement » (Klein, 2008, p. 44).

21 Je remercie Serge Nicolas pour m’avoir mis sur la piste de ce congrès et m’avoir transmis les documents qui lui étaient relatifs.

22 Qui se tint du 18 au 21 avril 1904.

23 Dans une lettre du 23 février 1904, Binet lui demandait s’il devait venir à Giessen (Klein, 2008, p. 42). Il semble que non puisqu’il n’apparait dans le programme qu’aux côtés de Binet et Henri pour leur communication sur les méthodes de la psychologie individuelle.

24 Dans le résumé qu’il fait de la communication de Binet et Henri, Claparède précise ainsi : « le travail de Binet et Henri paru il y a 9 ans dans l’Ann. Psychol. (t.II) contenait l’indication d’un certain nombre de tests servant déterminer les facultés psychiques. […] Les expériences faites depuis dans les écoles montrent qu’il est prématuré de chercher des tests permettant un diagnostic pendant un temps très limité (1 à 2 heures), et que, bien au contraire, il faut étudier la psychologie individuelle sans se limiter dans le temps […]. Dans l’ancien programme, les fonctions complexes, qui constituent la caractéristique d’une personne, n’étaient pas du tout mises en évidence ; selon le programme proposé, il faut faire de la description psychologique des individus, pour déduire de cette description une classification (caractérologie) des individus (Claparède, 1904, p. 315-316).

25 L’Échelle métrique de l’intelligence, qui est la partie psychologique des méthodes mises de l’avant par Binet et Simon pour diagnostiquer les enfants anormaux s’inspire en effet beaucoup des mental tests promus comme méthode de la psychologie individuelle dans l’article programmatique de 1896. Voir à ce propos, Klein, 2016b.

26 Valorisée notamment par Victor Cousin (1792-1867) dans ses Fragments philosophiques (1833).

27 Voir notamment le chapitre XIV intitulé « La vie intérieure » (p. 282-298).

28 Sa communication s’intitule d’ailleurs « Sur les méthodes de la psychologie individuelle » (Claparède, 1904).

29 Mais aussi pour l’avoir lu, ainsi que semble en témoigner le compte rendu qu’il fait en 1902 du livre de Paul Hartenberg (1871-1949) (Binet, 1902).

30 Sur les liens de Binet à la psychanalyse, voir Grollier, 2011.

31 « [L]e désir, par exemple, ne représente-t-il pas un complément de la conscience ? Le désir et la conscience ne représentent-ils pas, à eux deux, un quelque chose qui n’appartient pas au domaine physique, et qui forme le monde moral ? C’est une question que je laisse sans réponse ». (Binet, 1905, p. 97).

32 Binet avait également sollicité Alphonse Maeder (1882-1971) pour écrire un article sur le mouvement psychanalytique dans L’Année psychologique ; article qui paraitra après sa mort, dans le volume de 1912 (Maeder, 1912).

33 Un article de Victor Henri, publié en 1895 dans la revue russe Вопросы философіи и психологіи (Henri, 1895) semble confirmer ce point. Henri y rapporte que lors de son séjour à Leipzig en 1892, personne ne reconnaissait la valeur des travaux français sur les types mentaux, mais que quelques années plus tard, le même assistant de Wundt qui dénigrait l’introspection en reconnaissait désormais l’importance (il s’agit de Külpe). Je remercie Serge Nicolas de m’avoir signalé l’existence de ce texte et de m’en avoir transmis la traduction anglaise.

34 Voir à ce propos, Klein, 2009.

35 Archive de la Société Binet-Simon, sans cote.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Alexandre Klein, « Quel expérimentalisme pour Alfred Binet ?
Les éclairages insoupçonnés d’un manuscrit oublié
 »
Recherches & éducations [En ligne], HS | 2019, mis en ligne le , consulté le 28 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/rechercheseducations/6377 ; DOI : https://doi.org/10.4000/rechercheseducations.6377

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Auteur

Alexandre Klein

Université Laval

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