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Prévention et infodémie

Le Covid Organics et l’émergence des théories de l’Afro-charlatanisme ; plaidoyer pour une hybridation des savoirs

Koué-Kévin Boumy

Résumés

Cette contribution s’intéresse aux discours et contre-discours d’actants africains sur le Covid Organics, la tisane malgache à base d’Artemisia contre la Covid 19. Portés d’une part, par les chantres du pragmatisme ou de la réflexivité à l’africaine et de l’autre, par les dénonciateurs auto-proclamés et autolégitimés d’un Afro-charlatanisme abject et paresseux, ces discours créent une dynamique de la réception et sollicitent implicitement un arbitrage opérationnel. C’est l’intérêt même de cet article qui, avec les apports de la linguistique pragmatique, analyse les différentes stratégies discursives comme révélatrices de la tension permanente entre la médecine allopathique dite moderne, fermentée dans le moule occidental et la médecine traditionnelle à laquelle nombre d’Africains vouent un respect cultuel. La dimension ‘‘urgence de santé publique’’ du nouveau virus à couronne pourrait faire du Covid Organics le substrat de l’hybridation des savoirs, s’il bénéficie d’une rigueur expérimentale mais qui intègre les réalités sociétales et les systèmes de croyance africains.

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Texte intégral

Introduction

  • 1 Le Nouveau coronavirus désigné Corona Virus Disease 2019 (Covid 19)
  • 2 L’Organisation Mondiale de la Santé
  • 3 Tisane à base d’Artemisia proposée par Madagascar comme remède traditionnel amélioré contre le nouv (...)

1Les expériences de soins, guidées à maints égards, par l’urgence d’endiguer un ennemi méconnu, sont révélatrices en Afrique de pratiques et discours qui bien souvent passent outre les procédures scientifiques formellement construites. L’objectivité de la médecine dite allopathique, dans sa dimension impersonnelle voire dans sa saine horreur des charges émotionnelles de la subjectivité, s’en trouve prise au dépourvu. Mais faut-il nier l’évidence d’une configuration tout à fait nouvelle des mécanismes rationnels de riposte face à une menace de type nouveau comme la Covid 191 ? Dans une dynamique survivaliste, et surtout avec le temps matériel dont l’écoulement fragilise davantage l’édifice sanitaire déjà exsangue sur le continent africain, des initiatives ou risques sont pris à l’échelle continentale.
En même temps que l’orthodoxie médicinale, érigée en norme de vérité, avec toutes ses démarches scientifiquement prouvées, et garanties par le gendarme sanitaire l’OMS2, prescrit ses principes et ses valeurs ; nait en Afrique un débat qui emballe les réseaux sociaux, absorbe les colonnes de la presse papier et envahit tous les écrans cathodiques. Dans cet espace ouvert, apparait une contradiction fondamentale entre d’un côté, les laudateurs d’une salvatrice réflexivité à l’africaine, d’une légitime fierté d’un orgueil gagnant avec la mise à disposition du Covid Organics3 et de l’autre, les dénonciateurs autoproclamés de l’Afro-charlatanisme, les chantres de la prudence, mieux de la déconstruction des pratiques et produits de soins non certifiés dans le moule de l’essai et de l’observation objectifs. Dès lors, émerge de la confrontation une attitude intellectuelle de dépassement, une conciliation dynamique des contraires qui, à notre sens, confère tout l’intérêt de cette contribution. Sans la prétention de nous inféoder - par un faux-semblant -, aux argumentaires des uns, au détriment de ceux des autres, notre position dans cette étude (qui exposera avec force détails ces extrémités) sera d’initier un débat dans le débat. Elle est d’autant plus pressante que la Covid 19, dans son degré de résistance aux protocoles de soins existants et dans son effroyable niveau de contagiosité, inaugure tacitement la construction des approches nouvelles.
Comment, dans un réflexe sans doute survivaliste, l’Afrique, à travers le Covid Organics désormais soustrait de la discrétion, a-t-elle, à sa manière, misé sur les ressources endogènes pour faire front à ce gênant cohabitant ? Quels ont été les schémas discursifs mis en place pour une appropriation massive et assumée de cette solution authentique africaine ? Aussi comment comprendre et analyser une émergence presque simultanée des discours d’actants de tous les échelons sociaux, sur le caractère risqué des produits sans essais cliniques, donc sans une certification scientifique ? Quels arsenaux argumentatifs déploient-ils ? Ce sont autant de questions légitimes dont les éléments de réponse s’érigeront en substrat même d’une approche plus conciliante ; surtout qu’il faut traiter avec la plus grande attention la dimension ‘‘Urgence de santé publique de portée internationale’’ la pandémie de la Covid 19. A ce titre, elle rejette dans ses approches dictionnairiques toute appréciation classique. Le terme est défini comme « un événement de santé publique extraordinaire dont il est déterminé qu’il constitue un risque de la santé publique dans d’autres Etats en raison du risque de propagation internationale des maladies et qu’il peut requérir une action internationale coordonnée » (Astagneau, Thierry, 2011, 261). Cela implique naturellement « une situation grave, inhabituelle ou inattendue ; qui pourrait avoir des répercussions sur la santé publique au-delà des frontières nationales et qui pourraient nécessiter des mesures internationales immédiates. Ce terme couvre désormais toutes les pathologies humaines ou affections, quelle qu’en soit l’origine ou la source, ayant ou susceptibles d’avoir des effets notifs importants sur l’être humain » (2011, 261).
Il est alors aisé de formuler une toute autre problématique. Comment maintenir cet équilibre délicat entre urgence dans un environnement sanitaire sinistré en Afrique et exigences de rationalité et d’objectivité qui gouvernent les pratiques galiéniques ? Quels sont les niveaux de complexités environnementales, culturelles ou socioéconomiques à surmonter dans une Afrique qui dispose de ses propres pratiques de soins validées par la routine et autres mécanismes socialement admis ? Cet article dont l’objectif avoué est de favoriser un élan participatif dans les processus de riposte thérapeutique face à la Covid 19, s’appuiera sur quelques acquis de la linguistique pragmatique en termes d’analyse de discours. Il s’agit d’étudier plusieurs séquences discursives produites par plusieurs locuteurs dans l’espace public (réseaux sociaux, presse écrite ou audiovisuelle…), et de les répartir en grands pôles idéologiques.

Stratégies discursives de valorisation du covid organics

  • 4 Cette définition est extraite du ‘‘Trésor de la langue française numérisé’’.
  • 5 Le coronavirus est de type nouveau. Une grande unanimité de spécialistes s’est faite sur l’absence (...)

2Si nous nous interdisons de spéculer sur les propriétés pharmacologiques du Covid Organics ou même son niveau d’efficacité (questions qui relève de la haute science des spécialistes de santé publique) dans le traitement de la Covid 19 ; nous faisons cependant objet d’étude les postures réflexives comme méta-compétences ou « propriétés consistant à pouvoir réfléchir sur soi-même »4 adoptées par scientifiques et politiques sur le continent africain dans la riposte. Cette réflexivité féconde, qui semble avoir privilégié moins la connaissance de la Covid 195 que la connaissance des modes typiquement africains de traitement des pathologies, a fait l’objet d’une production abondante, certes mal coordonnée, mais révélatrice d’une tendance à l’autolégitimation de l’Africain. Quelques stratégies y sont repérables.

Techniques d’amplification du savoir-faire local

  • 6 Allocution de M. Andry Rajoelina, lors du lancement du Covid Organics (CVO), à Madagascar, le 20 av (...)
  • 7 Dictionnaire universel François et latin, Bibliothèque nationale centrale de Rome, 1752, p 1211.

3L’ambition d’intégrer dans le discours les « mécanismes qui intensifient l’adhésion » (Barry, 2011, 257), convoque implicitement les techniques de l’amplification, vues comme indispensables pour « parler à l’imagination et triompher de l’esprit » (Néville, Panckoucke, et Al., 1784, 712). S’il convient qu’une stratégie discursive n’est autre que « l’ensemble des mécanismes dont dispose un locuteur pour atteindre un objectif (linguistique et cognitif) préalablement établi » (Alvarez, 2010, 60) ; il est juste d’ajouter que l’amplification qui s’y intègre, dans le cadre de cette étude, se fonde sur un objet ou un factuel. L’important n’étant pas la qualité de l’objet ou du factuel amplifié, mais le discours qui le porte et le supporte, qui tend à optimiser sa visibilité et à déclencher un feedback. Le discours institutionnel sur le Covid Organics fera office d’exemple. Surfant indubitablement sur la conscience collective d’une solide expérience locale du phyto-médicament et sur une indispensable souveraineté sanitaire, la République malgache annonce les 22 Avril 2020, un remède traditionnel amélioré, le Covid Organics (CVO). L’événement fait une petite révolution et fait déployer un important marqueur technique de l’amplification. M. Andry Rajoelina, président de la République de Madagascar, qui offre un appui institutionnel à la tisane à base d’Artemisia, lors du discours officiel, affirme : « Aujourd’hui, nous pouvons affirmer que nous avons de bons résultats avec cette potion. Elle est notre gilet pare-balles dans cette guerre contre le coronavirus. On peut changer l’histoire du monde entier »6
Dans ces propos à forte valeur métaphorique du dirigeant malgache, se plus perçoit aisément un marqueur technique de l’amplification qu’est l’exagération. L’exagération, « le emblématique des marqueurs techniques de l’amplification » (Macé, 2014, 18), reste cette « figure de rhétorique par laquelle on augmente, on amplifie les choses »7. Le ‘‘gilet pare-balles’’équipement de protection du thorax, de l’abdomen et du dos contre le tir d’armes à feu, n’est pas une métaphorisation fortuite de Covid Organics ; il renferme toute la fiabilité et l’efficacité de la tisane-bouclier pour se prémunir de la pandémie. La logique amplificative se poursuit avec la transformation d’une urgence de santé publique en une guerre de tranchées, avec toutes les destructions qui s’y annexent. L’évocation même de la guerre, en même temps qu’elle niche l’esprit de terreur dans la psyché collective, se constitue en réponse implicite aux théoriciens de l’orthodoxie sanitaire. La guerre dont l’effectivité est en elle-même une urgence, tolère les libertés prises vis-à-vis de ses propres règles ; car « l’urgence suprême peut être invoquée par un Etat dont l’existence même est en danger » (David, 2015, 491). En passant en revue tout le dispositif lexicologique de l’urgence dans un processus discursif d’amplification, l’Institut malgache de recherches appliquées (IMRA) et le président Ange Rajoelina, opposent ainsi à la rigueur scientifique la souveraineté sanitaire. Cette réflexivité assumée ne met pas seulement en selle la faculté pour un Etat de mobiliser ses ressources endogènes afin de se prémunir d’un péril certain, elle couve également un discret refus de s’inféoder aux procédures bienpensantes et expérimentales de confirmation de l’efficacité du médicament.

Rhétorique anti-impérialiste et de soupçons de condescendance

4En s’émancipant des frontières chinoises pour coloniser le monde entier, le virus à couronne a charrié avec lui les germes de la réactivation de toutes les tensions entre les peuples. Les légitimes soupçons de volonté de puissance, d’interventionnisme, d’expansionnisme ou de faux-semblants générés dans ce contexte sanitaire inédit ont, en contrepoint, resuscité un vieux réflexe anti-impérialiste en Afrique. Si l’impérialisme consacre, selon Santraud JM et Al (1988, 59), un système de « domination d’un peuple sur un autre ; ce qui fait automatiquement d’un impérialiste, un expansionniste », l’anti-impérialisme va consister en une résistance active ou passive à la mise sous tutelle politique, culturelle ou économique. Dès les premières réserves de l’Occident et de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) sur le Covid Organics, émerge un discours anti-impérialiste avec tout son dispositif argumentatif. Une forte mobilisation panafricaniste qui se veut l’alternative sûre de l’Afro-pessimisme contemporain, occupe l’espace public. L’Occident, ses firmes pharmaceutiques et l’OMS, considérée dans l’imaginaire collectif comme le garant de leurs intérêts, sont l’objet d’une stratégie discursive fondée sur la dénonciation. Dénoncer, au-delà de son approche dictionnairique de « révéler quelque chose, le faire connaître publiquement comme néfaste », révèle une notion…

« de distance, un phénomène énonciatif fondamental dans l’approche du discours ; dénoncer c’est, pour le locuteur, prendre une distance par rapport aux faits, c’est y porter un regard de remise en question, de rupture ; ainsi la dénonciation peut prendre plusieurs sens dans la classe des verbes illocutoires : contester, remettre en cause, asserter ou révéler, douter, s’opposer, regretter, se révolter… » (Bendjelid, 2012, 14-15)

  • 8 Marius Comoé est le président de la Fédération des associations de consommateurs actifs de Côte d'I (...)
  • 9 Fotsing Linus est un naturopathe Camerounais.

5L’immédiateté dans la construction d’un discours de mise en cause de la position occidentale et de tous les organismes considérés comme annexes, est le résultat des relations complexes entre colonisateurs et colonisés. Il y ressort un soupçon de supériorité bienveillante ou de condescendance non ouvertement assumée. Comoé M.8, un acteur de la société civile ivoirienne, marque son indignation : « Les réticences de l’OMS ne se justifient pas dans la mesure où l’OMS, une fois informée de la créativité de nos chercheurs, ne cherche pas à découvrir, à analyser en profondeur leurs trouvailles. L’OMS ferait mieux de venir en Afrique pour s’informer sur la donne que de rejeter de façon discourtoise leurs trouvailles ». Il est rejoint par Fotsing L.9 : « Pour nous, les critiques de l’OMS s’apparentent à un sabotage ».
Il est évident que la pandémie de la Covid 19, aussi soudainement qu’elle est apparue, a également éveillé la réserve réflexive de l’Africain ; autant par sa capacité à inventer ses propres ingrédients survivalistes (hors des canaux scientifiquement certifiés) que par son habilité à construire un schéma discursif de veille face à un soupçon de condescendance. Toutefois, dans un monde plus ouvert, toujours interconnecté, faut-il se soustraire consciemment ou non aux procédures universalisées ? La ‘‘dépossession’’ de la caste savante de son inviolable privilège de promouvoir le médicament produit, ne confère-t-elle pas au remède une connotation plus politique que thérapeutique ? Cet ensemble de questionnements semble avoir porté en germe un contre-discours de l’afro-charlatanisme, avec sa modélisation et ses propres marqueurs.

Schéma argumentatif d’un contre-discours sur l’afro-charlatanisme

  • 10 Selon Plantin (1996 : 12), trois actants tiennent des rôles discursifs : le proposant tient le disc (...)

6La structure argumentative des théoriciens du néologisme de l’afro-charlatanisme, révèle une démarche de mise en crise du discours sur ce qu’il convient d’appeler la réflexivité médicinale africaine. Si le discours, dans sa structure verbale, reste une séquence cohérente d’affirmations ou de propositions, le contre-discours, lui, fait naître la confrontation voire la polémique. Ce cas limite de « communication conflictuelle en ce que domine un désaccord fondamental et radical » (Amossy, 2011, 8), met en situation un nouvel actant collectif : « l’opposant ». « L’opposant » conteste le discours du « proposant » devant un « tiers »10 (Plantin, 1996, 12) que l’on souhaite convaincre. L’ensemble des contenus verbaux produits aux fins de promouvoir une thérapie locale et porter un regard accusateur sur un Occident supposé expansionniste, est déconstruit par les contradicteurs assumés, dénonciateurs d’une certaine Afro-charlatanisme. Même si ce concept nouveau n’a manifestement pas encore offert à la critique un fond définitionnel consensuel ; il faut s’en convaincre, par sa suffixation, qu’il relève d’une pratique géographiquement localisée. La dérivation lexicale introduit une pratique à l’échelle du continent africain du charlatanisme. Dans le discours de la préface de Quelques mots sur le charlatanisme, (Gerinal, 1727, 3) affirme :

« On donnait autrefois le titre de charlatan à des gens qui élevaient des tréteaux sur les places publiques, et qui vendaient aux peuples des remèdes auxquels il attribuaient toutes sortes de propriétés (…) Tous les hommes ont enfin recours au charlatanisme ; ceux mêmes qui cherchent à tromper les autres sont les premiers à se laisser abuser par les charlatans qui deviennent dupes à leur tour ».

7La mise en orbite du remède africain contre la Covid 19 et l’ensemble des discours afro-réflexifs ne sont vus que comme l’opérationnalisation d’un Afro-charlatanisme. Quelle est la logique argumentative bâtie pour convaincre l’espace public ?

Procès de l’Afro-chartanisme et refus de l’hétérodoxie

8Les techniques discursives mises au point s’appuient sur le patrimoine lexicologique de la dénonciation de ce qui est qualifié d’imposture. Sans démontrer l’inefficacité de la solution thérapeutique proposée sur le continent, les pourfendeurs de l’Afro-charlatanisme soupçonnent une volonté de certains vendeurs d’illusion africains de surfer sur les peurs sociales et de se poser en recours. Pour eux, les mécanismes de production de la tisane dite préventive et curative confortent l’idée que l’Afrique, par paresse intellectuelle ou attitude hétérodoxe, se soustrait de la compétition mondiale. Intervenant sur l’Afro-charlatanisme, dont il se proclame un des plus grands dénonciateurs, le journaliste-écrivain ivoirien Konan A. S, écrit :

  • 11 André Sylvère Konan est un journaliste-écrivain, analyste politique ivoirien. Très actif sur des qu (...)

« Je ne suis pas un Afropessimiste. Je suis contre l’Afro-charlatanisme. La tisane (Le Covid Organics) présentée peut guérir. Elle peut être aussi une grosse blague. Ma position est constante : si nos guérisseurs et tradipraticien(ne)s veulent entrer dans l’histoire des savants de l’humanité ; ils (elles) doivent impérativement (je répète : inconditionnellement) pouvoir expliquer par quel mécanisme scientifique la guérison s’opère, avec la solution qu’ils ou elles présentent. (…) Le seul mérite de l’Afro-charlatanisme est de maintenir nos savants dans l’obscurité de l’histoire.»11

  • 12 Banga Arthur est un expert ivoirien des questions militaires et stratégiques. Il est enseignant-che (...)

9Au-delà de l’ambiguïté conceptuelle de l’Afro-charlatanisme consacrée par ce corpus (moins que les discours sur une trouvaille douteuse, il semble désigner plutôt les libertés prises vis-à-vis de l’orthodoxie pharmacologique) ; émerge l’idée qu’est afro-charlataniste, toute procédure d’étude des propriétés thérapeutiques des médicaments en dehors des canaux impersonnels de la science. « Avec du sérieux, l’Afrique aura sa place dans la mondialisation mais pas avec des incantations »12, renchérit Banga A., un autre critique de l’Afro-charlatanisme. Ce néologisme simultanément propulsé avec la naissance d’un Afro-optimisme face à la Covid 19, se donne, à la lecture, un double objectif : inviter à une prudence sur la réflexivité médicale africaine et encourager à la pratique objective des soins, par des essais cliniques, avec toutes leurs approches expérimentale, galénique et socioéconomique. L’essai clinique étant « raisonnement, méthode expérimentale, puis métrologie et statistiques » (Chipeaux, 2004, 249) reste « une étape décisive du développement d’un médicament, processus complexe qui commence par l’identification d’une molécule supposée active, et se poursuit jusqu’à son utilisation comme médicament préventif ou curatif » (2004, 249). En contestant le déficit d’objectivité dans le processus de mise en circulation du remède malgache, les anti-Afrocharlatanites autolégitimés s’en prennent également à l’édifice discursif des théoriciens du complot qui serait oudi contre les Etats faibles africains.

Déconstruction des théories complotistes

  • 13 In Interview accordée par le président malgache Andry Rajoelina, conjointement à la chaîne français (...)
  • 14 Post du 15 Mai à 13h 45 sur la page officielle facebook, du journaliste écrivain André Sylvère Kona (...)

10Dans un contexte africain où la production des discours à rebours des versions officielles est si fréquente, en raison de la complexité des rapports entre les grandes puissances, les grandes firmes pharmaceutiques d’un côté, et les pays en voie de développement de l’autre ; les dénonciateurs de l’Afro-charlatanisme développent un argumentaire contre les récits alternatifs. Les objectifs non avoués de ce mouvement de pensée aux contours encore insaisissables, seraient de stimuler l’esprit critique, d’initier au fact-checking ou de reconnaître une rhétorique complotiste. Cette levée de bouclier anti-complotiste dans le discours prend appui sur une interrogation fondamentale du président malgache, en ces termes : « Si ce n’était pas Madagascar, mais un pays européen qui avait découvert le remède Covid-Organics, y aurait-il autant de doutes ?»13. Cette question, aux allures de ras-le-bol, conforte les discours dominants d’une prudence systématique des organismes mondiaux autour des fruits de la recherche africaine ; une recherche qui se heurterait à une sous-évaluation rarement assumée, probablement en raison d’une insuffisance infrastructurelle et des effectifs déficitaires et peu qualifiés. En réponse, les anti Afro-charlatanites, n’y voient aucune entrave si les chercheurs africains épousent les canaux scientifiques élaborées. Contre le discours complotiste, ils évoquent un déficit de volonté en Afrique. Le journaliste Konan A. S. écrit à nouveau : « Dans le monde, près de 80 laboratoires conduisent des recherches pour un vaccin contre Covid-19. Aucun laboratoire africain parmi ceux-ci. Vous avez bien lu. Aucun Etat africain ne finance la recherche contre le virus. Et comme par hasard, on prétend avoir trouvé le médicament. Ouvrons les yeux sur l’Afro-charlatanisme ! »14. Cette confrontation dynamique entre les « proposants » et les « opposants », devant des « tiers » (l’opinion) sur les inventions africaines pour lutter contre le coronavirus, exhume le débat sur le dialogue des cultures pour une approche scientifique plus inclusive.

Pour une hybridation des savoirs face a la covid-19

11La confrontation discursive sur les réponses thérapeutiques offertes par l’Afrique à la pandémie de la Covid 19, ont pour grand mérite d’enrichir le débat sur les procédures admises. Il est vérifié que les méthodes objectives, fondées sur une orthodoxie inoxydable et universelle, recommandent une rigueur clinique pour faire d’une substance possédant des propriétés pharmacologiques, un médicament reconnu. Car l’objectif des essais cliniques, c’est fort justement de « confirmer l’innocuité de la molécule, de mesurer son efficacité et d’évaluer sa tolérance » (Chipeaux, 2004, 249).
Cependant, le caractère inédit de la Covid 19, l’urgence qu’elle implique, les souverainetés qu’elle éprouve, les réflexes survivalistes qu’elle éveille, n’initient-ils pas une réévaluation du processus classique de mise en circulation du médicament ? La réflexivité médicinale africaine fondée sur une expertise locale n’offre-t-elle pas un recours pour une pratique de soins plus concertée voire plus solidaire ? Questionnons donc l’objectivité qui immanquablement s’est laissée submerger par l’urgence, mais également les conditions expérimentales, culturelles et spirituelles de sa maturation qui semblent être propres aux pays industrialisés.

Au-delà des discours, bâtir une complémentarité dynamique

12L’objectivité, mère l’orthodoxie médicinale, est avant tout une valeur-baromètre de la pensée occidentale. Bien qu’un large consensus ait émergé autour de ce concept dans les pratiques médicinales, il faut dire que des doutes, alimentés par l’urgence, ne sont plus inaudibles sur le continent africain. Pour les promoteurs des solutions contre la Covid 19, faire face à une situation inédite n’est pas nécessairement une question d’inféodation aux infaillibilités des processus scientifiques ; surtout qu’il est rarement prouvé que l’urgence comme celle occasionnée par le nouveau coronavirus, ait présidé aux conditions de mise au point de ses schémas expérimentaux. D’ailleurs, pour le naturopathe camerounais, Fotsing Linus, « Avec la médecine à base de plantes, on parle de l’observation clinique. Il est question de données. Il n’y a pas une étude scientifique à faire ». En misant sur son patrimoine végétal avec le Covid Organics, les chercheurs malgaches puisent ainsi dans les réserves réflexives de la très célèbre médecine traditionnelle améliorée. Sinon, pendant une pandémie qui invite à bâtir ou à donner sens aux souverainetés sanitaires, l’Afrique peut-elle attendre passivement les résultats des nombreux essais cliniques lancés hors de son sol pour se réveiller ? Berche écrit : « Les questions relatives au délai entre la recherche et ses résultats d’une part, et l’utilisation de ces résultats dans l’action d’autre part (faut-il attendre des résultats pour agir et que faire en attendant ?) reviennent à déterminer les informations indispensables pour agir selon le terme de l’action (court ou moyen terme) » (Berche, 1998, 34). Le critique revient sur l’impossibilité opérationnelle de réunir toutes les données et de les formater dans le moule de la rigueur scientifique. « Il est donc possible d’agir avec le minimum d’information sur les groupes sociaux, à condition qu’on ne s’en contente pas, car le développement de l’action va rendre ce minimum insuffisant » (Berche, 1998, 34).
En clair, la menace générale que fait planer la Covid 19 sur l’humanité et la responsabilité des Etats qu’elle sollicite dans l’urgence, sont des facteurs dominants de la mobilisation des compétences internes. Une telle situation ne s’accommode pas toujours des lenteurs des processus expérimentaux. Entre la pratique formaliste de la science et la mise en œuvre des process de la médecine traditionnelle améliorée, l’Urgence de santé publique devrait faire sauter les verrous et favoriser le dialogue des savoirs. Car, comme le souligne Thill (2001, 15), « les axes de coopération Sud-Sud, Nord-Sud, Sud-Sud, Nord-Nord et l’hybridation des savoirs qu’ils induisent garantissent le dialogue inter-culturel et la mise en œuvre d’initiatives non mandarinales.»

Pour l’intégration des spécifiés africaines

13La fonction dite universelle de la raison et la conception de l’objectivité comme ce qui n’est « pas le point de vue de nulle part, mais celui de partout » (Wartofsky 1994, 18), pourrait amener les chercheurs africains à récuser leur propre expérience réflexive, au nom de cette même objectivité scientifique. Une telle conception qui n’offre point d’alternative suscite au moins deux légitimes interrogations en ce moment précis où la Covid 19 pose à l’humanité toute entière la question de sa propre survie. Premièrement, comment tirer une législation universelle à partir des expériences faites presqu’uniquement dans les pays du Nord ? Chipeaux (2004, 249) qui a fait une importante étude sur les essais cliniques sur le continent africain, semble dénoncer l’application sans tenir compte des spécificités de l’Afrique. Il est catégorique :

« La pratique des essais cliniques en Afrique ne peut se résumer à une simple et directe application des procédures définies par les pays du Nord. Cela s’explique autant par le contexte historique particulier dans lequel se sont élaborées les règles scientifiques, techniques et éthiques qui régissent les essais cliniques dans les pays industrialisés que par les particularités environnementales, culturelles, socio-économiques que l’on rencontre dans les pays en développement »

14Deuxièmement, comment les chercheurs africains devraient se détourner de leur propre réflexivité et de toute considération subjective si tant est que l’intérêt à découvrir un remède commande toute recherche ? Il est donc difficile pour les acteurs africains de la médecine traditionnelle améliorée de se départir de leur connaissance intime des essences médicinales, pour ne céder qu’aux injonctions de l’expérimentation désintéressée. Vue sous cet angle, l’objectivité serait « une volonté de mettre en application perpétuelle ce que les autres recommandent sans se démêler » (Caraco, 1982, 55) ou « le fait de se compter pour rien et de se sacrifier sans nul avantage au métier de contempteur » (1982, 55).
Le Covid Organics, la célérité de sa mise au point ainsi que son process, devraient donc ouvrir une importante brèche dans le formalisme en ce qui concerne les rigueurs pharmacologiques. L’Afrique détient ses propres mécanismes de survie à travers une connaissance des plantes, qu’il faut intégrer et non brimer. Fotsing L. note, à juste titre d’ailleurs que « les Européens arrivent au Cameroun au XIXème siècle. Pourtant, le Cameroun a toujours existé et les gens soignaient toutes sortes de maladies ».

Conclusion

15Cette contribution se proposait d’encourager le dialogue des savoirs, au moment où la Covid 19 ébranle les fondements même de l’humanité, entre les pratiques modernes des sciences pharmacologiques fondées sur les processus objectifs, et les modes opératoires de mise au point des remèdes traditionnels africains. Pour y arriver, nous nous sommes fondés sur le Covid Organics (non pas pour confirmer ni infirmer son efficacité, ce qui relève de la marge souveraine des spécialistes), mais pour soumettre à l’étude les stratégies discursives développées sur le continent dès réception du remède. Ainsi, avec des schémas argumentatifs enrichis d’un vaste répertoire lexical, les défenseurs d’une sorte d’Afro-réflexivité menés par le président malgache, Andry Rajoelina, voient dans le Covid Organics, un nouvel espoir, une réponse infaillible d’une Afrique émancipée. Ils se posent en boucliers contre les discours supposés condescendants des puissances ex-colonisatrices et d’autres lobbies.
Cependant, l’avènement du remède fait naître une ligne de tension sur les nouveaux territoires d’écriture de soi que sont les réseaux sociaux et autres médias, avec les dénonciateurs autoproclamés et autolégitimés d’une certaine Afro-charlatanisme. Avec une logique argumentative axée sur une sévère critique de l’hétérodoxie médicinale qui gèle les capacités de l’Afrique de prendre part à la compétition mondiale ; et sur la déconstruction des discours dits conspirationnistes, les pourfendeurs du cheminement expérimental du Covid Organics disent s’en remettre à la science aux méthodes rigoureuses. S’ils ne remettent pas en cause son efficacité, ils émettent des doutes sur la méthode pour en faire un traitement. Au-delà des lignes discursives, la polémique occasionnée par la mise en circulation du Covid Organics est révélatrice de la tension permanente entre la médecine allopathique dite moderne, fermentée dans le moule occidental et la médecine traditionnelle à laquelle un nombre important d’Africains vouent un respect cultuel.
Cependant, en tenant compte de la variable « urgence » qui fait douter l’humanité, expose vertement ses vulnérabilités et favorise les réflexes les plus survivalistes, il est responsable de dépasser les contradictions fondamentales. Le Covid Organics pourrait être le point de suture des nouvelles convergences s’il bénéficie des lumières de l’objectivité, des essais cliniques qui respectent les valeurs culturelles, les systèmes de croyances, les pratiques thérapeutiques du continent. Une position conciliante et certainement porteuse de nouvelles espérances car, comme le soulignent Micha JC, Didier J. (1996 : 4ème de couverture) « dans un secteur aussi vital que celui de la santé, composante incontournable d’un développement humain et social viable, le métissage des cultures et l’hybridation des savoirs, savoir-faire et faire-savoir devient une voie alternative à l’exclusion ».

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Bibliographie

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Notes

1 Le Nouveau coronavirus désigné Corona Virus Disease 2019 (Covid 19)

2 L’Organisation Mondiale de la Santé

3 Tisane à base d’Artemisia proposée par Madagascar comme remède traditionnel amélioré contre le nouveau coronavirus, la Covid 19.

4 Cette définition est extraite du ‘‘Trésor de la langue française numérisé’’.

5 Le coronavirus est de type nouveau. Une grande unanimité de spécialistes s’est faite sur l’absence de traitement purement viral contre ce virus, malgré quelques essais cliniques en cours. Les traitements qui sont admis étant plutôt symptomatiques.

6 Allocution de M. Andry Rajoelina, lors du lancement du Covid Organics (CVO), à Madagascar, le 20 avril 2020.

7 Dictionnaire universel François et latin, Bibliothèque nationale centrale de Rome, 1752, p 1211.

8 Marius Comoé est le président de la Fédération des associations de consommateurs actifs de Côte d'Ivoire. Il s’exprimait sur www.dw.com après que le président malgache ait expliqué les réticences de l’OMS sur le Covid Organics, par le simple fait qu’il a été mis au point par un pays africain.

9 Fotsing Linus est un naturopathe Camerounais.

10 Selon Plantin (1996 : 12), trois actants tiennent des rôles discursifs : le proposant tient le discours de proposition, l’opposant le discours de l’opposition et le tiers prend en charge la question.

11 André Sylvère Konan est un journaliste-écrivain, analyste politique ivoirien. Très actif sur des questions de société, il intervient ici sur lien https://www.afriksoir.net/andre-silver-konan-il-faut-en-finir-avec-afrocharlatanisme/.

12 Banga Arthur est un expert ivoirien des questions militaires et stratégiques. Il est enseignant-chercheur à l’Université d’Abidjan. Propos tenus sur le réseau social facebook, le 20 Mai 2020.

13 In Interview accordée par le président malgache Andry Rajoelina, conjointement à la chaîne française France 24 et à Radio France Internationale (RFI), le 11 Mai 2020.

14 Post du 15 Mai à 13h 45 sur la page officielle facebook, du journaliste écrivain André Sylvère Konan.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Koué-Kévin Boumy, « Le Covid Organics et l’émergence des théories de l’Afro-charlatanisme ; plaidoyer pour une hybridation des savoirs »Recherches & éducations [En ligne], HS | Juillet 2020, mis en ligne le , consulté le 28 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/rechercheseducations/9906 ; DOI : https://doi.org/10.4000/rechercheseducations.9906

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Auteur

Koué-Kévin Boumy

Université Félix Houphouët-Boigny (Abidjan, Côte d’Ivoire)
kouekevin2@yahoo.fr
(225) 40 99 20 69/ (225) 40 99 20 69

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