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Varia

Les caractéristiques des enseignants efficaces en question

Questioning efficient teachers’ features
Las características de los docentes eficaces en cuestión
Die Charakteristika der effizienten Lehrer in Frage
Vincent Carette
p. 81-93

Résumés

L’efficacité des pratiques enseignantes est depuis longtemps un objet de recherche important en éducation. Nous trouvons dans la littérature une distorsion importante dans les conclusions entre les recherches « processus-produits » qui déterminent les caractéristiques des enseignants efficaces sur la base de résultats obtenus par des élèves à des épreuves d’évaluation et celles énoncées dans les discours pédagogiques diffusés dans le cadre de la formation initiale et continue des enseignants. Pourquoi une telle distorsion ? Telle est la question centrale posée dans cet article.
L’hypothèse de notre recherche est que cette distorsion est due aux outils d’évaluation utilisés dans les recherches « processus-produits » qui orienteraient considérablement les conclusions sur les caractéristiques des pratiques pédagogiques efficaces déduites à partir des résultats obtenus par les élèves à ce type d’épreuves. À partir d’un dispositif expérimental mis en place dans des classes de seize écoles primaires de la Communauté française de Belgique, nous avons tenté de mettre cette hypothèse à l’épreuve.

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Texte intégral

Problématique

1L’actualité pédagogique nous invite régulièrement à des débats sur la qualité de l’enseignement, sur l’efficacité des pratiques enseignantes à travers l’analyse, entre autres, de résultats à des épreuves internationales. Celles-ci organisées sous l’égide d’organisations internationales (OCDE, Banque mondiale, UNESCO, etc.) permettent la diffusion de résultats obtenus par des élèves du même âge et de pays différents à des épreuves de lecture, de mathématiques, de sciences, etc. Ces résultats entraînent des comparaisons entre les différents pays desquelles on déduit un ensemble d’indicateurs qui présumeraient de l’efficacité ou non des systèmes scolaires.

2Le principe méthodologique qui consiste à évaluer les acquis des élèves et à comparer les résultats obtenus avec d’autres variables ne se limite pas à l’analyse des systèmes éducatifs dans leur globalité, mais est également un principe régulièrement utilisé pour évaluer l’efficacité d’un établissement ou l’efficacité des pratiques enseignantes. Même si ce principe n’est pas la seule approche que l’on rencontre dans la littérature sur ce que l’on appelle dans le jargon pédagogique « l’effet-établissement » ou « l’effet-maître », il apparaît néanmoins que les recherches sur l’efficacité des pratiques des enseignants ou de l’établissement en fonction des résultats obtenus par les élèves à des épreuves d’évaluation ont une réelle audience dans les sphères politiques et éducatives.

3Basée sur des méthodologies rigoureuses qui font appel à des traitements statistiques sophistiqués, ces recherches inscrites dans ce que l’on appelle le paradigme « processus-produits » présentent un ensemble de résultats sur les caractéristiques que devrait avoir un enseignant pour être « efficace ». Il est intéressant et interpellant de signaler que ces recherches qu’elles soient anglo-saxonnes (Rosenshine & Stevens, 1986 ; Doyle, 1986 ; Watkins, 1995 ; Chall, 2000) ou francophones (Bressoux, 1994 ; Attali & Bressoux, 2002, Duru-Bellat & Mingat, 1994 ; Mellouki et al., 2003 ; Bissonette et al., 2005 ; Lessard, 2006) présentent des résultats très convergents.

4Globalement et schématiquement, l’enseignant efficace dans une approche « processus-produits » serait un enseignant qui propose des activités « très » structurées. Il travaille à petit pas. Il arrive à gérer son programme avec dextérité en insistant suffisamment longtemps sur les matières importantes. Il propose des évaluations qui correspondent à ce qui a été effectivement enseigné. Il pose de nombreuses questions et pratique un feedback positif (des louanges rares, mais distribuées à bon escient). Il est expert, s’intéresse aux apprentissages fondamentaux et se démarque de l’enseignant « animateur ». L’enseignant efficace peut travailler de manière « frontale » et négliger la différenciation des apprentissages et les travaux de groupes. Il arrive à impliquer les élèves dans les exercices individuels. C’est une personne rigoureuse.

5Cette synthèse a de quoi surprendre bon nombre de pédagogues habitués à d’autres discours basés sur des propositions pédagogiques qui s’éloignent fortement de celles présentées par ces chercheurs. Ainsi, l’enseignant « efficace » (Perrenoud, 1999 ; Meirieu, 1990 ; Astolfi 1992 ; Rey, 1998 ; Tardif, 1992), tel qu’il est présenté dans de nombreux discours pédagogiques contemporains habituellement tenus dans les formations initiales et continues, est un enseignant qui organise et anime des situations d’apprentissage. Il construit des activités où les élèves sont mis en recherche. Par l’action, les élèves sont amenés régulièrement à résoudre des problèmes. Ceux-ci ont comme objectif d’amener les élèves à modifier leurs représentations en les confrontant à des obstacles cognitifs. Il pratique régulièrement une évaluation formative, propose des travaux de groupes et met en place une différenciation des apprentissages. Il travaille avec les enfants en difficulté, suscite le désir d’apprendre, explicite le rapport au savoir et le sens du travail scolaire.

6Cette opposition entre ces deux manières d’envisager la pratique d’enseignement manque sans aucun doute de nuance et apparaît depuis longtemps pour des auteurs comme Not (1988) comme trop sommaire, voire caricaturale. Toutefois, c’est bien cette opposition qui alimente actuellement de nombreux débats pédagogiques aussi bien dans la sphère politique que dans la sphère pédagogique. Ainsi, l’article de Bissonnette et al. (2005) dans la Revue française de pédagogie tente de démontrer à partir de recherches inscrites dans le paradigme « processus-produit » que les pratiques enseignantes centrées sur l’enseignement seraient de loin plus efficaces que les pratiques enseignantes centrées sur l’élève. Ces auteurs sur la base de nombreuses recherches défendent l’idée que l’enseignement explicite (Direct Instruction) fortement influencé par la pédagogie de maîtrise serait beaucoup plus efficace que les pratiques enseignantes s’inspirant des propositions pédagogiques associées au paradigme de l’apprentissage et du constructivisme. D’après ces chercheurs, de nombreux auteurs estiment « que les approches centrées sur l’élève, comme l’apprentissage à l’aide de tâches complexes, contextualisées et signifiantes, sont au mieux fortement contestées, au pire carrément invalidées » (Bissonette et al., 2005).

7Par suite, la distorsion entre les principes pédagogiques couramment défendus dans la formation initiale ou continue des enseignants basés, du moins on l’espère, sur la recherche d’une réelle efficacité et ceux énoncés au terme des différentes recherches inscrites dans le paradigme « processus-produits » pose problème. Certains pédagogues formateurs d’enseignants ont-ils tendance à défendre le contraire de ce qu’il faudrait présenter ? Baignent-ils dans un climat idéologique qui les amènerait, en dépit de résultats scientifiques probants, à enseigner des principes pédagogiques inefficaces ? Ou bien, ces recherches inscrites dans une méthodologie basée sur l’étude d’une efficacité mesurée à partir d’épreuves d’évaluation, présentent-elles des insuffisances, des manquements qui les conduiraient à des conclusions abusives ? Ces recherches ne seraient-elles pas idéologiquement orientées vers une vision limitée de l’efficacité ?

8Les réponses à ces questions représentent un réel enjeu pour l’école. La place de plus en plus importante donnée par les responsables politiques, encouragés d’ailleurs par les médias, aux enquêtes internationales doit faire réfléchir aux conséquences des décisions politiques et pédagogiques qui pourraient être prises sur la base de leurs résultats. La proximité entre les méthodologies utilisées dans les enquêtes internationales et celles utilisées dans les recherches « processus-produits » sur « l’effet-établissement » ou « l’effet-maître » pourrait rapidement conduire à des conclusions « scientifiques » sur les caractéristiques « universelles » d’un système éducatif efficace ou du moins efficient, voire d’un établissement ou d’un enseignant efficaces. Les recherches « processus-produits » qui revendiquent le statut d’études scientifiques risquent également de conduire à une simplification des caractéristiques des pratiques de classe efficaces qui comme le montrent de nombreux travaux inscrits dans des paradigmes de recherche écologique se distinguent par leur complexité (Bru, 2002).

9Dans ce contexte, la question de la définition des caractéristiques de l’enseignant efficace représente un enjeu dont nous ne mesurons peut-être pas toujours l’importance. Elle nous conduit à défendre l’idée qu’il est intéressant de s’interroger sur la distorsion entre les discours pédagogiques habituellement diffusés dans les formations continues et initiales et les résultats sur les caractéristiques d’un enseignant efficace issus des recherches « processus-produits ».

10Une manière d’aborder ce problème est de questionner les méthodologies utilisées, qui conduisent à se prononcer sur l’efficacité ou non des pratiques enseignantes. Si cette discussion peut amener à s’interroger sur le bien-fondé des méthodologies qui lient l’efficacité des pratiques enseignantes aux performances des élèves, nous nous sommes plutôt orientés pour notre part vers un débat sur le choix des variables indépendantes habituellement utilisées dans les recherches « processus-produits ». En d’autres termes, le caractère « surprenant » des caractéristiques de l’enseignant efficace présenté dans les recherches « processus-produits » pourrait trouver son origine dans la conception des épreuves d’évaluation utilisées pour déterminer le niveau des acquis des élèves. La question de la distorsion entre les recherches « processus-produits » qui mesurent l’efficacité des pratiques enseignantes par les résultats obtenus par leurs élèves à des tests standardisés et les propos énoncés régulièrement dans les discours pédagogiques a été au centre d’une recherche que nous avons menée en Communauté française de Belgique (Carette, 2006). L’hypothèse centrale de cette recherche est que cette distorsion trouve son origine dans la conception des outils d’évaluation utilisés dans les recherches « processus-produits », lesquelles évaluent les acquis des élèves dans une perspective fort inspirée par les principes de la pédagogie par objectifs.

L’approche par compétence : des nouvelles intentions

11Des réformes engagées en Communauté française représentaient une opportunité de tester notre hypothèse. En effet, depuis 1997, la Communauté française de Belgique s’est engagée dans une réforme de ses curriculums qui a conduit à la rédaction de référentiels de compétences. La compétence est définie comme l’aptitude qu’a un élève à utiliser ce qu’il a appris dans de nouvelles circonstances. L’idée essentielle qui est au cœur de la notion de compétence, est qu’un individu compétent est celui qui, non seulement sait accomplir des opérations auxquelles on l’a entraîné, mais est capable de les mobiliser à bon escient dans des situations relativement nouvelles. De fait, la Communauté française de Belgique en modifiant ces anciens référentiels rédigés en termes objectifs et en les remplaçant par des référentiels énoncés en termes de compétences, a défini ce que l’on pourrait appeler un nouvel attendu.

12Dans ce contexte spécifique, nous avons été amenés lors de recherches antérieures (Rey, Carette, Defrance & Kahn, 2003) à construire des épreuves d’évaluation destinées aux élèves de l’école primaire et conformes aux exigences de ce nouvel attendu. La plupart des auteurs (Roegiers, 2001 ; Beckers, 2002 ; Scallon, 2004) qui s’intéressent à l’évaluation des compétences s’accordent, avec des nuances, sur les conditions nécessaires d’une telle forme d’évaluation.

13La première condition est de proposer aux élèves des tâches complexes. Par tâche, on entend une activité contextualisée qui présente une finalité et qui a du sens pour les élèves. Toutefois, il est important de ne pas enfermer la notion de tâche dans un aspect uniquement pragmatique ou utilitariste. Une tâche peut présenter une finalité et un sens à l’intérieur même d’une discipline sans pour autant s’inscrire comme le préconisent certains auteurs (Scallon, 2004) dans la vie courante. Que le contexte soit disciplinaire ou inscrit dans la vie de tous les jours, que les tâches soient authentiques, artificielles ou scolaires, l’important est de présenter une activité inscrite dans un contexte qui ne soit pas un prétexte à la vérification de procédures, mais fasse partie intégrante de la résolution. En d’autres termes, une tâche inédite portera réellement ce nom si elle demande à l’élève le « cadrage » de la situation. Par cadrage, Rey (1996) entend la capacité d’un individu à déterminer au sein d’une situation les traits pertinents qui le conduiront aux choix et à la combinaison des procédures nécessaires à la résolution de la tâche.

14La seconde condition est que ces situations complexes doivent être inédites. Sans ce caractère inédit, ce que l’on demanderait aux élèves serait de l’ordre de l’application.

15La troisième condition est que les situations complexes qui doivent être résolues par les élèves nécessitent la mobilisation de procédures qu’ils sont censés avoir préalablement acquises.

16À ces trois conditions, nous en ajoutons une quatrième : toute évaluation de compétence doit avoir un caractère diagnostique, pour permettre de gérer les paradoxes engendrés par l’introduction de cette notion.

17En effet, la notion de compétence en insistant sur la mobilisation des acquis modifie ce que l’on attend des élèves et augmente le niveau d’exigence. Sachant qu’un des buts initiaux de la réforme des curriculums est, dans des systèmes scolaires comme le Québec ou la Communauté française de Belgique, de lutter contre le retard et le décrochage scolaires (Carette, 2005), il apparaît que l’introduction de la notion de compétence au travers de la diffusion de nouveaux référentiels rédigés en termes de compétences présente bien un premier paradoxe.

18Un second paradoxe est que l’approche par compé­tence demande aux enseignants d’amener les élèves à pouvoir mobiliser leurs acquis alors que cette activité cognitive de mobilisation reste bien « mystérieuse ». Ainsi, un élève sera compétent s’il est capable de pouvoir montrer la maîtrise de certains savoirs et savoir-faire, mais surtout sa capacité à pouvoir les mobiliser face à de nouvelles situations. Apprendre à mobiliser devient l’objectif central dans une approche par compétences et soulève une question majeure : comment amener les élèves à pouvoir utiliser dans de nouvelles circonstances ce qu’ils ont effectivement appris ? Sans cet apprentissage, la notion de compétence deviendrait réellement dangereuse et risquerait d’amener à discriminer encore plus les élèves entre eux.

19Si la question de la mobilisation est pertinente dans la problématique de la définition de l’apprentissage, il apparaît que les réponses susceptibles d’amener les élèves à devenir compétents restent fort hypothétiques. Actuellement, même si certains principes méthodologiques issus, entre autres, des courants constructivistes en éducation semblent être susceptibles de favoriser la mobilisation des acquis, notre connaissance sur cette capacité reste dans l’ensemble très incertaine. Les études réalisées sur le transfert des apprentissages aussi bien dans les paradigmes cognitivites que constructivites ou contextualistes (Presseau, 2000 ; Frenay, 2004 ; Basque, 2004 ; Bracke, 1998 ; Greeno, Collins & Resnick, 1996) soulignent notre méconnaissance sur l’activité cognitive qui consiste à utiliser un ensemble d’acquis dans de nouvelles circonstances.

20Face à ce paradoxe, plusieurs attitudes sont possibles. La première est de rejeter tout simplement la notion de compétence en insistant sur son caractère incomplet et non scientifique (Crahay, 2006). La seconde est d’estimer que l’intérêt de la question posée compense l’incertitude de la réponse.

21Dans cette deuxième optique qui accepte l’incertitude engendrée par la notion de compétence, il est nécessaire de construire des outils susceptibles d’objectiver les apprentissages des élèves. Il est donc nécessaire de construire des outils d’évaluation qui permettront aux enseignants, mais également aux chercheurs, de se prononcer sur la capacité des élèves à mobiliser leurs acquis. Ce sont les observations recueillies grâce à ce type d’outils qui conduiront les enseignants ainsi que les chercheurs à se prononcer sur la pertinence des propositions pédagogiques mises en place dans les classes.

22Le modèle d’évaluation que nous avons construit dans le cadre de nos recherches sur l’évaluation des compétences (Rey, Carette, Defrance & Kahn, 2003) respecte les quatre conditions que nous venons d’indiquer. Composé de trois phases distinctes, il est régi par deux principes : le premier est de confronter les élèves à des situations complexes et inédites qui leur demandent de choisir et de combiner un ensemble de procédures normalement maîtrisées. Le second est d’offrir aux enseignants et également aux chercheurs un outil qui permet de réaliser un diagnostic des capacités de mobilisation de leurs élèves.

Une première phase

23Dans la première phase du modèle, une situation complexe et inédite est présentée aux élèves. Elle comprend une à trois tâches. Chaque élève est susceptible de rencontrer cette situation dans son quotidien scolaire. Chaque tâche complexe demande la mobilisation de plusieurs procédures que les élèves connaissent. À l’aide du portefeuille de documentation et de ses référentiels, l’élève est invité à résoudre les tâches proposées. L’originalité de la phase 1 est que l’élève se retrouve « devant une feuille blanche » et doit choisir et organiser lui-même les procédures nécessaires à la réussite de la tâche.

24Exemple : Les élèves de douze ans reçoivent une lettre, annexe 1.

25Trois tâches dans cette épreuve sont demandées : déterminer à partir de l’enquête réalisée dans l’école le type d’aménagement de la cour de récréation souhaité par la majorité des élèves ; déterminer à partir des différentes informations communiquées dans la consigne et dans le portefeuille de documentations le terrain de sport susceptible d’être aménagé ; rédiger une lettre de réponse au comité de parents.

26La correction de chaque tâche se fait sur la base d’une échelle de neuf niveaux (zéro à huit). La correction est guidée par le but d’évaluer la réussite globale de chaque tâche. Pour ce faire, des indicateurs sont déterminés par les chercheurs à partir d’une analyse de ce que l’on attend effectivement des élèves. Les éléments nommés doivent être présents dans les productions des élèves. L’échelle de zéro à huit permet de traduire ce nombre d’indicateurs en un niveau de maîtrise atteint pour la tâche à accomplir. Par suite, plus la note obtenue par l’élève est faible, plus la distance entre ce qui est attendu par les évaluateurs et la production de cet élève est importante.

 Une seconde phase

27La phase deux présente la même situation complexe et les mêmes tâches qu’en phase un. Toutefois, ici, la tâche complexe est décomposée en tâches élémentaires dont les consignes sont explicites. Elles conduisent progressivement l’élève à la réalisation de la tâche complexe globale. Chaque tâche de cette seconde phase est décomposée en items que l’on comptabilise pour obtenir un score.

Une troisième phase

28La phase trois comprend des items plus classiques qui évaluent la maîtrise des procédures de base nécessaires à la résolution des tâches proposées en phases un et deux ; Les concepteurs des épreuves, à partir de l’analyse des tâches, déterminent les procédures que les élèves doivent choisir et combiner pour résoudre les tâches proposées. L’addition des items conduit à l’obtention d’un score.

29Par exemple, pour déterminer à partir de l’enquête le souhait des élèves de l’école quant à l’aménagement de la cour de récréation, plusieurs procédures mathématiques doivent être « mobilisées ». Ce sont des procédures de numération (comparaison de fractions et de nombres décimaux).

30Outre le fait que les élèves dans ce type d’épreuves sont confrontés à des tâches complexes et inédites, l’originalité du modèle est qu’il permet aux évaluateurs de réaliser un diagnostic quant aux difficultés susceptibles d’être rencontrées par les élèves. Ainsi, la comparaison entre les trois phases qui est au fondement du modèle leur apporte des informations sur la capacité de mobilisation des élèves.

31Ces épreuves diffèrent considérablement des épreuves habituellement proposées dans le cadre des évaluations nationales et internationales et de celles utilisées dans les recherches « processus-produits », lesquelles restent dans la logique de l’approche par objectifs. Ces dernières ne proposent pas la résolution de tâches complexes et inédites au sens fort du terme. En effet, la conception de ces épreuves, même lorsqu’elles prétendent évaluer des compétences, reste enfermée dans un carcan imposé par les méthodes statistiques utilisées pour les traiter. Ainsi, au nom de la fiabilité et de la validité au sens statistique des termes, ces épreuves sont toutes composées de nombreux items à questions ouvertes courtes ou à questions fermées. Ces méthodes statistiques basées sur les principes de la théorie des scores sont inadéquates dans une évaluation de compétence qui par définition confronte les élèves à une, deux voire trois tâches (items) au maximum (De Ketele & Gérard, 2005).

32Le tableau ci-après résume les différences entre les deux approches (Carette, 2006).

Tableau I. – Synthèse de l’analyse comparative d’épreuves d’évaluation construites dans une approche par compétences et d’épreuves construites dans une approche par objectifs

Approche par compétences

Approche par objectifs

Optique de l’évaluation

Compétences : évaluer consiste à proposer
une ou des situations complexes,
qui nécessitera (ont) de la part de l’élève
une production elle-même complexe
pour résoudre la situation

Objectifs : évaluer consiste à prendre
un échantillon représentatif d’objectifs ­spécifiques et opérationnels et à générer
un échantillon de questions qui traduisent
au mieux cet échantillon d’objectifs

Type
de questions

Tâches complexes et inédites

Nombreux items qui traduisent un échantillon représentatif d’objectifs

Ce que
l’on évalue

La mobilisation des acquis

La maîtrise de procédures
La maîtrise de contenus

Validité
et fiabilité

Privilégie la pertinence à la validité
et la fiabilité

Nécessité d’inventer de nouvelles techniques

Étude de la fiabilité et de la validité suivant
la théorie des scores

Le rôle
de la situation

La situation fait partie intégrante
de la résolution

Pas de situation ou situation « prétexte »
ou « habillage »

Formes
de questions

Questions ouvertes longues (page blanche)

Questions fermées ou ouvertes à réponses courtes

33Concrètement, les épreuves d’évaluation utilisées dans les recherches « processus-produits » que nous avons analysées se présentent sous la forme d’une série d’items qui participent chacun à la mesure d’un objectif visé. Plus le nombre d’items est élevé et plus l’épreuve sera valide et fiable. D’après nos analyses, les situations proposées, dans la plupart des cas, se révèlent être un prétexte à l’évaluation de procédures spécifiques et les réponses attendues sont courtes ou fermées. De fait, les élèves ne sont pas amenés, dans ce genre d’évaluation, à construire une démarche qui nécessite le choix et l’organisation d’un ensemble de procédures. Dans une évaluation de compétences, la situation proposée aux élèves fait partie intégrante de la résolution. La tâche ou les tâches à résoudre nécessitent de la part des élèves la construction d’une démarche.

34En synthèse, le nouvel « attendu » imposé par la notion de compétence dans les pays qui l’ont introduite au travers de leurs référentiels fait que la pertinence définie comme « le caractère plus ou moins approprié de l’épreuve, selon qu’elle s’inscrit dans la ligne des objectifs visés » (De Ketele & Dufays, 2003) est prioritaire par rapport à la fiabilité et à la validité mesurées à partir de tests statistiques.

Dispositif expérimental

35Pour tester l’hypothèse selon laquelle la distorsion observée entre les caractéristiques des enseignants efficaces défendues dans les discours pédagogiques contemporains et celles déterminées dans le cadre de recherches « processus-produits » trouve son origine dans la conception des outils d’évaluation, nous avons construit le dispositif expérimental suivant.

36Six épreuves construites selon le modèle en trois phases ont été administrées à mille deux cent cinquante sept élèves. Chaque épreuve comportait trois tâches distinctes intégrées dans un scénario. Toutes les épreuves ont été administrées et corrigées par les chercheurs qui ont suivi un entraînement systématique avant de se lancer dans les corrections.

  • 1 En Belgique, l’école primaire comprend six années. De fait, un élève termine son école primaire à (...)

37Lors de l’année scolaire 2000-2001, dans seize écoles différentes de la Communauté française de Belgique, trois cent soixante quatre élèves de 3e primaire (élèves de huit ans) et trois cent quatre élèves de 6e primaire (élèves de douze ans)1 ont été évalués au moyen d’épreuves construites selon le principe du modèle décrit ci-dessus. Deux années plus tard, dans les mêmes écoles, trois cent sept élèves de 5e année primaire (élèves de onze ans) et deux cent quatre vingt deux élèves de 6e année primaire ont été évalués au moyen d’épreuves du même type. Parmi eux, cent quatre vingt trois élèves de 5e année avaient déjà été évalués deux années auparavant lors de la première expérimentation. dix enseignants de 6e primaire ont participé aux deux phases de l’expérimentation (en 2000-2001 et 2002-2003). La moitié des écoles qui ont participé à l’expérimentation sont des écoles en « discrimination positive », c’est-à-dire des écoles fréquentées par des élèves de milieux sociaux peu favorisés.

38Pour tenter de déterminer les caractéristiques des pratiques des enseignants à partir d’épreuves d’évaluation de compétences, un questionnaire a été construit et administré auprès de tous les enseignants des seize écoles primaires participant à la recherche et des entretiens semi-dirigés des enseignants de 5e et de 6e primaire impliqués dans l’expérimentation ont été réalisés.

Détermination des classes performantes

39Ce dispositif de recherche a permis de réaliser plusieurs constats importants :

  • de nombreux élèves sont en difficulté lorsqu’on leur présente des tâches complexes. La moyenne en phase 1 aux différentes épreuves varie entre 27 % et 46,55 % ;

  • il existe une hiérarchie entre les trois phases. Les élèves réussissent moins bien les tâches complexes (Phase 1) et mieux les exercices qui évaluent les procédures nécessaires à la résolution des tâches complexes (Phase 3) ;

  • l’analyse des liens entre les trois phases indique que la maîtrise des procédures (Phase 3) est une condition nécessaire à la résolution des tâches complexes, mais pas suffisante. En effet, de nombreux élèves qui maîtrisent les procédures sont incapables de les utiliser dans de nouvelles circonstances. Ce ne sont pas pour autant les meilleures classes dans la maîtrise des procédures (phase 3) qui sont les meilleures en phase 1. En effet, nous avons pu observer lors de l’analyse des différentes épreuves que les résultats à la phase 1 ne s’accroissent pas de manière linéaire avec ceux de la phase 3. Ainsi, un élève doit être performant en phase 3, mais il existerait un « point de saturation » à partir duquel la progression des résultats en phase 3 n’influencerait plus beaucoup ceux de la phase 1 ;

  • les classes des écoles fréquentées par des élèves de milieu favorisé obtiennent en moyenne des résultats très significativement supérieurs aux classes des écoles fréquentées par des élèves de milieu social défavorisé. Cependant, nous avons pu montrer qu’à niveau équivalent de maîtrise des procédures, la différence entre les deux groupes sociaux n’était plus significative. Cela apparaît comme une piste importante de recherches qu’il serait opportun de mener.

Tableau II. – Synthèse des résultats globaux

Moment de la ­passation

Année

Épreuves

N

École

N

Classes

N

Élèves

Phase 1

Phase 2

Phase 3

Total

Écart-Type

Total

Écart-Type

Total

Écart-Type

Global

2000-2001

3

1 et 2

16

20

364

45,5

21,75

57,28

22,23

62,8

22,3

Global

2000-2001

6

3 et 4

16

18

304

44,68

19,37

54,62

21,9

62,8

22,3

Global

2002-2003

5

5 et 6

16

20

307

26,97

17,49

37,44

20,94

40,7

20,5

Global

2002-2003

6

5 et 6

16

20

283

41,55

21,27

53,16

22,84

53

20,9

« moment de la passation » correspond au moment où la passation a été réalisée : soit lors de l’année scolaire 2000-2001, soit lors de l’année scolaire 2002-2003)
« année » correspond à l’année d’étude des élèves interrogés (3e, 5e et 6e primaire)
« Épreuves ». six épreuves différentes ont été créées et administrées.
« Total » correspond au pourcentage moyen obtenu par les élèves de chaque échantillon.

40Pour tester l’hypothèse de la recherche, il était nécessaire de déterminer des classes que l’on peut considérer comme plus performantes. Ceci nécessitait le choix de critères qui à vrai dire ne s’imposaient pas de soi. En effet, qu’est-ce qu’une classe performante dans une approche par compétences ? À partir de quels critères allait t-on les sélectionner ? Quel était le seuil de réussite que l’on allait choisir à partir duquel on allait considérer une classe comme performante ?

41Pour ne pas s’enfermer dans la logique d’un critère, l’analyse « brute » des résultats aux trois phases nous a conduit à déterminer huit critères différents faisant appel à des logiques différentes d’envisager « la performance d’une classe ».

42Pour chaque critère, nous avons mis en évidence les classes qui l’atteignaient et celles qui ne l’atteignaient pas. Les huit critères sont :

  • le résultat moyen de la classe en phase 1 est égal ou supérieur à 50 % ;

  • 50 % d’élèves de la classe ont obtenu une note supérieure à 50 % en phase 1 ;

  • le résultat moyen « pondéré » (la moitié des points sont attribués aux résultats de la phase 1 ; 1/3 aux résultats de la phase 2 et 1/3 aux résultats de la phase 3) de la classe aux trois phases est égal ou supérieur à 50 % ;

  • le résultat moyen « pondéré » de la classe aux trois phases est égal ou supérieur à 60 % ;

  • la classe obtient à chaque phase un résultat égal ou supérieur à 50 % ;

  • en moyenne, 50 % des tâches proposées sont réussies par la classe ;

  • au moins la moitié des élèves de la classe ont réussi au minimum une tâche ;

  • au moins la moitié des élèves de la classe ont réussi au minimum deux tâches.

43Sur les soixante dix huit classes qui ont participé à l’expérimentation, quarante classes ne satisfont à aucun des huit critères. Vingt et une classes satisfont à un nombre de critères compris entre un à quatre et dix sept en comptabilisent cinq ou plus. Nos analyses nous ont conduit à décider que les classes qui comptabilisaient au moins cinq critères pouvaient être considérées comme performantes. Outre le fait que ces classes sont statistiquement les plus performantes, elles présentent la caractéristique d’être composée d’une majorité d’élèves qui ont montré leur capacité à résoudre des tâches complexes. Ainsi, sur la base de ces critères, la performance n’est pas une construction uniquement arithmétique et normative, mais est définie sur la base des capacités des élèves de chaque classe à pouvoir mobiliser dans de nouvelles circonstances des savoirs et des savoir-faire. La performance est de fait évaluée en adéquation avec la notion de compétence.

Les caractéristiques des enseignants des classes performantes

44Quelles sont les caractéristiques pédagogiques des enseignants des classes performantes déterminées à partir d’épreuves d’évaluation de compétences ? Telle est la question à laquelle nous avons essayé de répondre. Pour tenter d’y apporter des éléments de réponse, nous avons utilisé comme outils d’investigation un questionnaire et des entretiens.

45Un questionnaire a été administré auprès de tous les enseignants des seize écoles concernées par l’expérimentation. Quatre vingt huit enseignants sur les cent quarante six des seize écoles ont complété correctement le questionnaire. Celui-ci les interrogeait sur plusieurs aspects de leur métier. L’objectif de ce questionnaire était de tenter de dresser un « profil pédagogique » général de chaque enseignant pour mettre en évidence ses orientations pédagogiques, sa manière d’envisager son métier. L’hypothèse sous-jacente à ce questionnaire est que chaque enseignant exerce son métier sur la base d’un ensemble de conceptions qui influencent directement sa pratique. Ainsi, comme le précise Astolfi (1997), « tout enseignant est tributaire d’une certaine conception qu’il se fait de l’apprentissage, d’un système de valeurs auquel il adhère ou dont il est porteur ». De fait, au-delà d’une analyse de la manière dont les enseignants envisagent leur pratique dont nous aurions pu nous contenter, il nous apparaissait intéressant d’essayer de connaître leurs opinions par rapport à différentes questions débattues actuellement dans le monde de l’école et également leur sentiment par rapport à leur « vécu » quotidien. Sur une échelle de Likert (échelle graduée de zéro à six), les enseignants devaient montrer leur accord ou leur désaccord par rapport à des affirmations portant sur leurs conceptions par rapport à plusieurs aspects de leur métier. À partir de la littérature, cent vingts affirmations furent énoncées et regroupées dans neuf catégories : les conceptions des enseignants par rapport au redoublement, au rôle de l’école et au niveau général des élèves, à la gestion de la classe, à l’apprentissage et à l’autorité, à l’éducabilité des élèves, à l’évaluation des apprentissages, leur sentiment d’efficacité, leur relation avec les collègues et les parents et leurs opinions vis-à-vis des réformes mises en œuvre en Communauté française de Belgique.

46En plus de ce questionnaire, des entretiens semi-dirigés ont été réalisés auprès des enseignants qui ont participé à la deuxième phase de l’expérimentation. Ces entretiens interrogeaient les enseignants sur leur manière d’envisager concrètement les apprentissages en classe. À titre d’exemples, on demandait aux enseignants interrogés de nous décrire les principaux conseils qu’ils donneraient à un enseignant stagiaire qu’ils accueilleraient dans leur classe. On leur demandait également de décrire une séquence d’apprentissage sur le trapèze (notion utilisée dans deux des six épreuves).

47Idéalement, il aurait été opportun d’essayer de déterminer les caractéristiques des enseignants des classes performantes à partir d’observations de leurs pratiques dans leur classe. Toutefois, l’expérience montre que cette démarche méthodologique demande un investissement en temps. En effet, pour déterminer des récurrences à partir d’une observation des pratiques des enseignants, il est important de les observer de nombreuses fois. Ceci était peu compatible avec la taille de notre échantillon.

48De fait, un reproche pouvant être formulé à l’encontre de notre travail est que nous n’avons pas travaillé sur les pratiques effectives des enseignants mais bien sur leurs pratiques déclarées. Ce biais se doit pourtant d’être nuancé. En effet, la plupart des recherches « processus-produits » dont sont déduites les caractéristiques des pratiques enseignantes efficaces se basent elles-mêmes sur des pratiques déclarées et non sur des pratiques observées. De fait il apparaît défendable de déterminer les caractéristiques des classes performantes à des épreuves de compétences à partir d’un questionnaire et d’entretiens pour les comparer aux caractéristiques déduites des recherches « processus-produits » qui utilisent cette même méthodologie. L’analyse des convictions des enseignants à partir du questionnaire et des pratiques déclarées sur la base des entretiens permet de se prononcer sur la manière dont ces enseignants envisagent leurs pratiques, même si nous sommes conscients qu’il peut exister chez les enseignants un écart entre leurs propos et leurs pratiques. Toutefois, il serait intéressant de pouvoir dans des recherches ultérieures analyser avec précision cet écart parce que, dans notre recherche, la convergence des convictions et des propos des enseignants des classes performantes et leurs divergences avec les enseignants des classes moins performantes nous laisse penser que cet écart n’est pas automatiquement aussi important que certains auteurs l’estiment.

  • 2 Pour analyser ce questionnaire, nous avions prévu lors de sa conception d’essayer de déterminer, p (...)

49L’analyse des questionnaires traités suivant le principe statistique des « nuées dynamiques2 » et l’analyse de contenus des trente quatre entretiens ont conduit à dresser le portrait de l’enseignant des classes performantes à des épreuves de compétences. En voici la synthèse :

50Les enseignants « efficaces » évalués à partir des résultats à des épreuves d’évaluation de compétences sont des enseignants qui défendent fortement le principe d’éducabilité. De fait, ils défendent l’idée que tous les élèves peuvent apprendre malgré des difficultés liées entre autres à l’influence du milieu social. Ils défendent plutôt l’idée qu’«  il n’y a pas des élèves intelligents et d’autres qui ne le sont pas » et estiment plutôt que l’école contribue à la progression de l’intelligence des élèves.

51Ils défendent plutôt une école orientée vers une préparation à la vie et ont pour la plupart d’entre eux une vision assez optimiste des élèves d’aujourd’hui. Ils sont partagés sur la question de la pratique du redoublement.

52Par rapport à la gestion de la classe, ils défendent l’idée que l’apprentissage doit se réaliser dans l’action. Ils travaillent régulièrement avec leurs collègues dans le cadre, entre autres, du travail en cycles.

53Ces enseignants proposent régulièrement des problèmes aux élèves, que ce soit sous la forme de défis ou de projets qui donnent du sens et de la cohérence aux apprentissages. Ces projets doivent, toutefois, à leurs yeux, être orientés vers l’apprentissage plutôt que vers la production. Ils ne négligent pas l’automatisation des procédures, car ils défendent l’idée que les élèves, sans cet outillage, risquent d’être complètement démunis face aux problèmes. Ils insistent sur le principe que les élèves doivent régulièrement confronter ce qu’ils pensent aux conceptions des autres élèves et avec celles de l’enseignant Pour favoriser cette confrontation, un climat de classe où les élèves se sentent bien est nécessaire. Ce climat doit permettre d’établir une bonne communication.

54Observer et écouter les élèves sont des qualités importantes. Ces enseignants se remettent souvent en question et abordent les questions portant sur leurs pratiques en les « problématisant ».

55Au-delà de ces pratiques, les enseignants efficaces présentent auprès de leurs classes « des intentions cognitives », et plus précisément pour la majorité d’entre eux des « intentions de mobilisation » qui favorisent l’adoption « d’un cadrage instruit » par leurs élèves.

56L’intention de l’enseignant vis-à-vis des apprentissages de ses élèves apparaît comme déterminante pour expliquer les résultats des classes les plus performantes. Les enseignants qui aident le mieux leurs élèves à mobiliser leurs acquis sont ceux qui montrent, au travers de leur pratique (déclarée), une intention cognitive, une intention de mobilisation. En d’autres termes, ces enseignants ont comme souci quotidien d’amener les élèves à s’approprier ce que nous appelons « un cadrage instruit ». À l’inverse, les enseignants des classes non performantes, quelles que soient les pratiques défendues, sont ceux qui les justifient par des intentions de résultats (réussir l’examen) ou des intentions de conformisme (satisfaire les exigences de l’inspection).

57Nos analyses nous permettent de dire que deux variables importantes interviendraient dans la réussite des tâches complexes : d’une part la maîtrise des procédures et d’autre part la capacité à choisir dans la situation proposée les traits pertinents à sa résolution. C’est ce deuxième aspect que nous appelons le « cadrage ».

58Pour rentrer dans le « cadrage instruit » (Rey, Carette, Defrance & Van Lint, 2004), l’élève doit avoir compris, d’une certaine manière, les objectifs de l’école. Il sait que la tâche proposée poursuit un objectif d’apprentissage ou d’évaluation. Il sait également que la tâche est dans la plupart des cas artificielle mais que sa résolution exige la construction d’un sens. Que ce sens soit inscrit dans des situations de la vie quotidienne ou que ce sens se situe au sein même du « texte » de la discipline, l’élève doit avoir saisi que pour résoudre la tâche proposée, il devra comprendre la situation, choisir les procédures nécessaires à sa résolution et les combiner, être exhaustif et pouvoir communiquer correctement une réponse complète.

Discussion

59Les différents résultats de recherche confirmeraient l’hypothèse que la détermination des caractéristiques des enseignants efficaces dépendrait des contenus et de la forme des épreuves auxquelles on soumet leurs élèves pour mesurer cette efficacité.

60Ainsi, nous avons pu montrer à partir de notre dispositif que les caractéristiques des enseignants efficaces déterminées à partir d’épreuves d’évaluation de compétences étaient sensiblement différentes de celles déterminées à partir d’épreuves plus « classiques » inspirées par les principes de la pédagogie par objectifs. Les pratiques déclarées des enseignants des classes performantes évaluées à partir d’épreuves d’évaluation de compétences présentent des caractéristiques qui se rapprochent de celles énoncées dans des discours pédagogiques influencés par les courants constructivistes, discours qui sont les plus couramment défendus dans les formations initiales et continues des enseignants

61On se rend vite compte de la portée de ce constat Loin d’être des outils qui saisiraient objectivement les acquis des élèves comme l’affirment des auteurs comme C. Gauthier (2006), les épreuves d’évaluation utilisées dans les recherches « processus-produits » ainsi que les épreuves nationales ou internationales conduiraient à orienter le discours sur les pratiques enseignantes.

62Toutefois, plusieurs limites dans notre travail sont à souligner :

  • Nous n’avons pas d’informations rigoureuses qui permettent d’évaluer l’effet des pratiques efficaces (déclarées) sur les élèves en difficulté. Nous nous sommes contentés de travailler sur les résultats globaux des classes. Si les classes considérées comme performantes sont bien celles dans lesquelles il y a le plus d’élèves qui ont été à même de résoudre des tâches complexes, néanmoins elles présentent toutes des élèves en difficulté. De fait, rien ne nous permet d’affirmer que les pratiques déclarées par les enseignants des classes performantes seraient efficaces pour ces élèves.

  • Une seconde limite est liée directement à notre dispositif. Ainsi, dans de nombreuses recherches « processus-produits », l’efficacité des pratiques enseignantes sont mesurées sur la base de la progression des performances entre un pré-test et un post-test. C’est l’analyse de cette progression qui permet aux chercheurs de se prononcer sur l’efficacité ou non des enseignants. En travaillant sur une seule prise d’informations, nous ne pouvons pas démontrer que les performances obtenues par les élèves résultent effectivement du travail de l’enseignant. Toutefois, la congruence des propos des enseignants des classes performantes permet néanmoins d’émettre l’hypothèse qu’ils exercent réellement une influence.

  • Nous avons été amenés dans nos recherches à mettre en évidence que le fait qu’un élève réussisse très bien la résolution d’une tâche complexe ne garantissait pas le fait qu’il en réussisse une autre même si elle faisait appel aux mêmes procédures. Le choix du contexte de la situation proposée dans les épreuves semble jouer un rôle dans la réussite des tâches complexes par les élèves. De fait, le choix des situations proposées aux élèves dans notre expérimentation a pu jouer un rôle que nous ne sommes pas en mesure de mesurer.

  • Nous n’avons pas pu mettre en évidence qu’un enseignant « efficace » avec sa classe une année l’était encore avec une autre classe deux années plus tard. Toutefois, nous n’avons pas pu non plus montrer le contraire. Il y a également une incertitude lorsque l’on compare l’évolution des résultats des élèves sur deux années. Nous n’avons pas pu montrer que les élèves performants en 3e année l’étaient encore deux années plus tard lorsqu’ils étaient en 5e année.

63Une des principales limites de notre travail résulte d’aspects méthodologiques liés directement à la notion de compétence.

64Évaluer la mobilisation des acquis est, dans une approche par compétences, pertinent, mais conduit à une perte de fidélité et de validité de la mesure. Cette perte de validité et de fidélité interroge les résultats obtenus sans pour autant les invalider.

65En effet, le très haut degré de convergences entre les convictions et les pratiques déclarées des enseignants des classes les plus performantes évaluées à partir d’épreuves de compétences conduit à jeter un doute sérieux sur les propos énoncés par les défenseurs de l’enseignement explicite (Direct Instruction) qui justifie leur position sur la base des recherches « processus-produits » sans jamais interroger la pertinence des évaluations utilisées dans leurs recherches.

66En voulant interroger cette variable indépendante, nous mettons en évidence dans notre travail que le type d’évaluation utilisée dans les recherches « processus-produits » se doit d’être interrogé.

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Annexe

Annexe 1. – Lettre aux élèves

Association des parents de l’école du Centre

13-15, rue de Bruxelles

B. 5000 Namur

Namur, le 15 novembre 2002

Chers enfants,

Vous n’êtes pas sans savoir que l’Association des parents a décidé d’aménager la cour de l’école. L’enquête « Votre rêve pour la cour de récré » réalisée par le cycle 8-10 a donné les résultats suivants :

25/100 rêve d’un terrain de volley, 1/20 voudrait un terrain de handball, 20 % y verrait un terrain de basket, 21 des 300 enfants interrogés préféreraient un terrain de tennis, un tiers des enfants de l’école désire un terrain de football et le reste souhaiterait qu’on installe une plaine de jeux.

Très heureux de constater que les élèves aiment beaucoup le sport, nous voudrions que l’aménagement de la cour tienne compte des dimensions officielles des terrains de sport.

Nous devons maintenant choisir l’aménagement qui plairait au maximum des enfants en tenant compte des désirs des élèves, de la taille des terrains de sport et de la cour ainsi que du coût. Nous vous demandons à vous de faire cette étude et de nous dire quel aménagement est le plus souhaitable.

D’ores et déjà nous vous informons que l’installation d’une plaine de jeux est trop coûteuse et que cela dépasse le budget.

En vous remerciant d’avance pour votre collaboration, nous vous souhaitons un excellent travail.

Pour l’Association des Parents de l’école du Centre,

P.S. : Pour information : la cour de l’école a la forme d’un quadrilatère avec deux côtés parallèles et deux angles droits. Les côtés parallèles mesurent 18 m et 40 m. Le côté perpendiculaire aux bases mesure 30 m.

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Notes

1 En Belgique, l’école primaire comprend six années. De fait, un élève termine son école primaire à douze ans.

2 Pour analyser ce questionnaire, nous avions prévu lors de sa conception d’essayer de déterminer, pour chaque catégorie, des groupes d’enseignants correspondant à un profil particulier. Par suite, au terme de l’analyse, chaque enseignant était crédité d’un profil par catégorie dont la somme lui donnait un profil général.Pour réaliser cette analyse que l’on peut qualifier de typologique, nous avons décidé d’analyser chaque catégorie suivant le programme statistique des « nuées dynamiques ».Une des conditions pour pouvoir appliquer cette méthode statistique est d’utiliser une variable de rang. Ceci explique notre choix d’une échelle de Likert qui permettait aux enseignants de nuancer leurs réponses.Le programme des « nuées dynamiques » est une procédure qui cherche à identifier des groupes (ici dans chaque catégorie) d’observations relativement homogènes d’après des caractéristiques sélectionnées, au moyen d’un algorithme qui peut traiter de grands nombres d’observations. Chaque groupe correspond à un profil différent. L’objectif de cette procédure statistique est d’essayer de regrouper les enseignants qui répondent de la même manière à tous les items de la même catégorie.

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Pour citer cet article

Référence papier

Vincent Carette, « Les caractéristiques des enseignants efficaces en question »Revue française de pédagogie, 162 | 2008, 81-93.

Référence électronique

Vincent Carette, « Les caractéristiques des enseignants efficaces en question »Revue française de pédagogie [En ligne], 162 | janvier-mars 2008, mis en ligne le 01 janvier 2012, consulté le 28 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/rfp/851 ; DOI : https://doi.org/10.4000/rfp.851

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Auteur

Vincent Carette

vcarette@ulb.ac.be
Service des sciences de l’éducation, université Libre de Bruxelles

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Droits d’auteur

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