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Introduction

En guise d’entrée en matière

Au Québec, la formation initiale des enseignants est orientée vers la professionnalisation et se base sur une approche par compétence depuis près d’une vingtaine d’années. Cette mise en oeuvre d’un référentiel de 12 compétences professionnelles (Gouvernement du Québec, 2001) qui implique le développement de l’identité professionnelle s’avère être un élément complexe puisqu’ils requièrent le développement de compétences d’ordre didactico pédagogique, cognitives et sociales, certes, mais aussi d’ordre personnel (Dubar, 1996 ; Gohier, Anadón, Bouchard, Charbonneau & Chevrier, 2001). En effet, si les savoirs professionnels sont en partie construits par l’enseignant qui conceptualise sa profession au regard de ses connaissances et de ses expériences, d’où en émergent des représentations personnelles (Lefeuvre, Garcia & Namolovan, 2009), la formation est, ou devrait être, l’occasion de se « se penser » en tant que personne et qu’enseignant. Or, étrangement, ce dernier aspect, qui se retrouve souvent en filigrane lors de la formation initiale et qui a des répercussions notables sur le cheminement de l’étudiant lors de ses études universitaires et de son insertion professionnelle, est, en fait, fort peu exploité (Devos, 2012 ; Pelletier, 2013 ; De Stercke, 2014). Peut-être cela n’est-il pas étranger au fait que, malgré des efforts soutenus pour améliorer la qualité de la formation, les enseignants débutants jugent toujours cette dernière comme étant relativement inadéquate (Martineau, Portelance, Presseau & Vivegnis, 2014). Il en résulte souvent un choc de la réalité (Cattonar, 2006) ce qui conduit de trop nombreux novices à souffrir de détresse psychologique (stress, anxiété), détresse qui peut les mener vers le décrochage professionnel (Goyette, 2014 ; Karsenti & Collin, 2009) surtout lors des trois premières années de carrière (Karsenti et al., 2015). Devant ce constat, il importe de se questionner sur les dispositifs à mettre en place pour permettre une meilleure formation psychologique des futurs enseignants afin que les nouveaux enseignants soient mieux préparés à évoluer dans le milieu scolaire en ressentant du bien-être dans la profession, et cela, malgré les difficultés quotidiennes.

Cet article propose une réflexion essentiellement théorique où nous revisiterons les concepts de développement professionnel (Uwamariya & Mukamurera, 2005) et d’identité professionnelle (Gohier et al., 2001), pour nous attarder spécifiquement au processus d’identisation relatif à l’identité personnelle du futur enseignant. Nous souhaitons plus spécifiquement tisser des liens entre ce processus d’identisation et le développement des forces de caractère (Peterson & Seligman, 2004) dans l’optique de penser une formation qui permette à l’enseignant de mieux ressentir du bien-être dans sa pratique professionnelle, et ce, dès la formation initiale (Goyette, 2014). Ainsi, certains dispositifs associés à l’intégration d’une formation psychologique dans leur parcours universitaire seront discutés, en accord avec notre volonté de penser une formation qui pourrait initier adéquatement les débutants à la réflexion sur soi afin de se connaître et construire un sens de la profession. Cette réflexion sur soi, nous la situons à l’intérieur du travail sur l’identité professionnelle. Une hypothèse de travail guide notre démarche à savoir que, dans la formation initiale, il serait nécessaire d’accentuer le travail sur la construction identitaire des étudiants en tant que professionnels afin de favoriser leur bien-être face à un contexte de travail à la fois difficile et changeant. Cette réflexion que nous amorçons ici n’en est qu’à sa première étape et nous sommes conscients des lacunes qu’elle peut présenter.

Pour situer le problème

Rappelons d’abord quelques éléments contextuels. Au Québec, depuis la dernière réforme des programmes de formation à l’enseignement des années 2000 et la mise en place d’un référentiel de 12 compétences professionnelles commun à toutes les universités, les instances de formation des enseignants n’ont eu de cesse de retravailler leurs programmes afin de mieux préparer à la pratique professionnelle laissant toutefois la question de l’identité professionnelle dans une relative marginalité. Cette initiative modifie considérablement les fondements des programmes de baccalauréat en enseignement qui passent d’un paradigme formation universitaire académique vers un paradigme axé sur un cursus socioprofessionnel (Roegiers, 2012). Les apprentissages théoriques (cours) et expérientiels (stages) s’articulent autour du développement de compétences professionnelles dans un cursus de programme progressif (Gervais & Leroux, 2011). Pour ce faire, les universités doivent développer une approche-programme qui guide le cheminement de l’étudiant à travers quatre années de formation, où les cours théoriques et un stage par année (pour un total de 700 heures à la fin de ses études) cohabitent parfois en concomitance. L’accent est mis sur la pratique réflexive qui, au fil de l’évolution de l’étudiant, devrait le mener vers la professionnalisation (CSE, 2006, 2014). Plus particulièrement, l’objectif de professionnalisation incite à une transformation de la formation initiale et continue des enseignants en « une formation plus réflexive [qui devrait faire] porter l’attention sur la construction d’une identité professionnelle de l’enseignant » (Anadón, Bouchard, Gohier & Chevrier, 2001, p. 2). En ce sens, la compétence 11 de ce référentiel, entre autres, dont l’énoncé stipule que l’enseignant doit « s’engager dans une démarche individuelle et collective de développement professionnel » (Gouvernement du Québec, 2001, p. 125) illustre bien la pluralité des enjeux auxquels il est confronté pour la développer. Être professionnel « appelle conséquemment des pratiques pédagogiques davantage orientées vers la résolution de problèmes, la conduite de stratégies en fonction d’objectifs larges et une capacité d’autocritique et d’autorégulation » (Paris & Ayres, 2000 dans Lebel, 2002, p. 2). On l’aura compris, la professionnalisation constitue un élément de complexité supplémentaire qui s’ajoute au rôle que doivent jouer les enseignants quotidiennement dans le cadre de leur travail. Bien que l’on rehausse l’importance de ce rôle dans la réussite du système éducatif dans un objectif de professionnalisation et de valorisation du métier (Tardif, 2013), il n’en reste pas moins qu’il existe toujours une dissonance entre l’aspect conceptuel de la compétence professionnelle et son opérationnalisation dans le milieu (Jonnaert, 2012 ; Perrenoud, 2000). Le développement de l’identité professionnelle constitue donc un défi de taille, autant pour les formateurs que pour les futurs enseignants, en considérant le fait qu’il ne s’agit pas seulement d’effectuer une analyse réflexive de ses pratiques didactico-pédagogiques, mais aussi d’être capable « de repérer, de comprendre et d’utiliser toutes les ressources […] disponibles sur l’enseignement », « de préciser ses forces et ses limites, ainsi que ses objectifs personnels et les moyens d’y arriver » et « d’entreprendre des projets de recherche sur des aspects ciblés de son enseignement » (Gouvernement du Québec, 2001, p. 129).

Ainsi, au Québec, devenir enseignant aujourd’hui ce n’est plus uniquement maîtriser des savoirs à enseigner. Ce n’est pas non plus maîtriser simplement des compétences didactico-pédagogique. Devenir enseignant, c’est s’investir dans un processus d’apprentissage lié, entre autres, à la professionnalisation et l’approche culturelle de l’enseignement (Gouvernement du Québec, 2001). Plus encore, apprendre à enseigner c’est intégrer des manières de faire, de penser et d’être qui sont intimement liées, dans un rapport complexe à soi en tant que personne (Goyette, 2014). D’une part, la professionnalisation requiert une prise de conscience de l’enseignant par rapport à son rôle de professionnel puisqu’il prend des décisions d’ordre pédagogique en fonction de la réflexion et des questionnements émergeant de sa pratique (Demers, 2005). D’autre part, l’enseignant doit aussi être « porteur de culture (première et seconde) [s’inscrire] dans un rapport au monde, à lui-même et à autrui (ses élèves, ses pairs, la communauté) » (Gouvernement du Québec, 2001, p. 37). Ce changement de paradigme fait appel au concept de développement professionnel qui prend forme grâce à la capacité d’alimenter la mise en cohérence des pratiques, ce qui donne du sens à la profession chez l’enseignant (Goyette & Martineau, 2016). Or, le contexte de la crise des institutions dans les sociétés occidentales (Dubet, 2002) qui se reflète conséquemment en éducation complexifie le statut des enseignants au point où ces derniers vivent une crise du sens vis-à-vis leur profession. En effet, dans cette mouvance sociale, économique et politique qui façonne le système de l’éducation québécois depuis plus de cinquante ans, l’absence de l’institution pour définir clairement leurs rôles de plus en plus nombreux et ambigus ne facilite pas leur développement professionnel et identitaire.

On peut rapidement identifier deux manières d’approcher la question du sens : analyser les processus cognitifs en jeu dans la pensée qui donne sens au monde : démarche cognitive ; comprendre comment ce qu’un acteur a vécu prend sens pour lui : démarche herméneutique. Ces deux approches renvoient à deux types de sujets différents : un sujet épistémique (démarche cognitive qui vise à saisir les processus mentaux à l’oeuvre dans la création de sens) ; un sujet héroïque (démarche herméneutique qui vise à comprendre le sens que le sujet attribue au monde). On l’aura compris, c’est à l’intérieur du deuxième type d’approche portant sur le sujet héroïque que s’inscrit notre démarche réflexive. Comment advient donc le sens ? Dans l’action le sens vient la plupart du temps « après coup ». Donner du sens est ainsi, une activité essentiellement herméneutique. Plus précisément, le sens est une construction mentale qui s’effectue à l’occasion d’une expérience, laquelle est mise en relation avec des expériences antérieures. En schématisant et en simplifiant, il est possible d’identifier quelques caractéristiques du processus de construction de sens : il est tout autant cognitif qu’affectif ; il se réalise sur la base d’une certaine tradition interprétative ; il implique une mise en relation des représentations préalables avec des nouvelles ; il implique aussi une opération de qualification des nouvelles expériences au regard des anciennes ; il conduit à une transformation des représentations ; pour aboutir à une modification de l’identité de l’acteur qui construit du sens. Enfin, il s’appréhende dans le discours par la mise en récit de l’expérience.

La crise des institutions et la multiplicité des logiques du social, ne laissent d’autre choix aux acteurs que de créer du sens à partir de leur propre expérience. Cette création de sens s’avère alors être un processus de mise en récit de soi, création personnelle ayant pour finalité la mise en ordre de l’expérience. C’est Ricoeur (1986) qui fournit ici des pistes pour comprendre ce phénomène. Dans son ouvrage Du contexte à l’action, il situe l’herméneutique par rapport à la question du temps. Le temps échappe toujours à toutes les tentatives pour le conceptualiser. On ne peut conceptualiser le temps, il fuit, il s’échappe sans arrêt. Subséquemment, comment rendre le temps qui passe cohérent ? Comment éviter de se sentir noyé dans le flot des événements privés de sens ? Comment donner sens au temps ? Ricoeur répond : par l’intrigue !

Une intrigue c’est ce qui permet de transformer le flot des événements multiples en une suite cohérente de faits. L’intrigue c’est la mise en récit de soi dans le temps, c’est rendre le temps intelligible, c’est identifier un départ, un développement, une fin au récit. Chaque étape du déroulement de l’intrigue devient un élément qui participe du sens du récit et conduit d’une manière cohérente à la fin. Si on suit la pensée de Ricoeur, on en arrive à dire que le sens d’une action n’est pas un donné immédiat mais un construit a posteriori. Alors, l’acteur, qui agit au travers de logiques souvent contradictoires dans des institutions, s’il souhaite « faire du sens » avec ses expériences, n’a d’autre option que de construire un récit de soi. Dans ce cas, comprendre une pratique (comme celle de l’enseignement) c’est nécessairement l’interpréter et la situer par rapport à d’autres pratiques ou à la pratique des autres. Plus encore, comprendre sa pratique c’est aussi se comprendre comme acteur et donc se construire une identité (en contexte de travail, une identité professionnelle).

Aujourd’hui au Québec, les enseignants doivent élaborer eux-mêmes le sens de leurs actions et de leurs expériences afin de développer leur identité professionnelle. Cette création de sens s’avère alors être un processus de mise en récit de soi, création personnelle ayant pour finalité la mise en ordre de l’expérience (Dubet, 2002 ; Martineau & Presseau, 2007). Pourtant, force est de constater que la formation initiale à l’enseignement prépare bien peu à ce défi majeur.

Dans la foulée de trois réformes du curriculum scolaire au primaire et au secondaire qui témoigne ainsi d’un besoin institutionnel de s’adapter aux changements afin de scolariser la totalité de la population québécoise (Tardif, 2013), la formation initiale des enseignants demeure une phase importante du développement professionnel (Mukamurera, 2014) permettant l’amorce d’un développer un sens au métier (Goyette, 2016). Elle témoigne du fait que « l’identité enseignante est ainsi devenue un enjeu social explicite des politiques scolaires qui la considèrent comme un levier d’amélioration de la qualité, de l’efficacité et de l’équité du système éducatif » (Cattonar, 2006, p. 196). L’acte d’enseigner étant une expérience professionnelle où il faut exercer une pratique réflexive pour affronter la complexité de l’intervention éducative (Boutet, 2004 ; Perrenoud, 2001 ; Schön, 1994), elle n’est toutefois pas aisée. Cette pratique réflexive fait intervenir trois enjeux principaux pour les enseignants : réussir à résoudre la complexité des situations d’enseignement-apprentissage, affirmer son identité professionnelle en l’adaptant aux contextes et « sortir de l’idiosyncrasie traditionnelle de la pratique de l’enseignement pour s’engager dans une démarche professionnelle collective fondée sur l’identification à une communauté de pratique » (Boutet, 2004, p.1). Et bien que durant la formation initiale, ces enjeux soient considérés dans certains cours et durant les stages, ils constituent tout de même des défis de taille pour les enseignants novices (Lacourse, Martineau, Nault, 2011).

Dans ce contexte, on constate que les stages ne permettent souvent pas le recours aux savoirs théoriques puisque le stagiaire est régulièrement en constant état d’urgence (Martin dans Gervais & Leroux 2011). Il a donc peu recours aux savoirs savants et se tourne vers des savoirs opératoires « argumentés par des explications de sens commun […] ce qui conduirait à un lessivage de savoirs universitaires plus formels » (Ibid, p. 286). En outre, les croyances issues de l’expérience alimentent davantage les actions des enseignants que les connaissances objectives (parfois en opposition) (Gervais & Leroux, 2011 ; Martineau & Gauthier, 2000), ce qui se reflète plus tard dans la pratique puisque « la mobilisation des ressources théoriques pour enseigner est relativement limitée chez les enseignants » (Gervais & Leroux dans Leroux, 2012, p. 55). De plus, on relève chez les étudiants en cours de formation, certaines difficultés en stage quant à la gestion de classe et des interrelations avec les élèves, phénomène relié à un manque de confiance en soi (Lebel, Bélair & Goyette, 2012). De leur côté, Buysse et Renaudlaud (2014) affirment que « la nécessité de se conformer aux exigences de la formation dans le cadre des évaluations vient toutefois s’inscrire en tension avec le développement professionnel » (p. 57).

Malgré l’évolution considérable de la qualité de la formation à l’enseignement (Martineau et al., 2014), 63% des étudiants se sentent peu préparés à la réalité de la classe (Karsenti et al., 2015). Ils reprochent à leur formation universitaire le fait qu’elle soit encore trop théorique et redondante. La profession est perçue comme étant difficile et non conforme à leurs attentes (OCDE, 2005 dans Mukamurera, 2014). En fait, les enseignants novices sont loin d’être des professionnels achevés (Mukamurera, 2014) et l’insertion professionnelle est loin d’être facile (Dufour, Portelance, Dupont-Plamondon & Meunier, 2016 ; Martineau et Presseau, 2003). En intégrant le milieu, ils font face à une « réalité désenchantée » (Cattonar, 2008) et ils peinent souvent à évoluer au même rythme que les changements imposés du milieu et à s’adapter aux contextes qui s’imposent à eux (Tardif, 2005). De plus, l’environnement dans lequel évolue le novice a une incidence sur son sentiment d’efficacité personnelle (SEP) et son sentiment de bien-être (Devos, 2016). L’insertion professionnelle, qui génère du stress et de l’anxiété chez les novices, est loin de favoriser du bien-être en enseignement si ces derniers n’évoluent pas dans un milieu qui ne leur offre pas de soutien.

Cette évolution fulgurante de la société qui heurte fréquemment le quotidien des enseignants demande une adaptation constante à une complexité qui se dessine sans cesse (Lantheaume & Hélou, 2008 ), malgré une formation orientée vers le développement de leurs compétences professionnelles dans une formation en alternance (Portelance, Martineau et Caron, 2014). Et bien qu’il semble nécessaire d’analyser les pratiques d’enseignement des praticiens afin de transformer leurs actes et leurs représentations de la classe au regard des changements, le travail sur soi et l’autoréflexion et l’autorégulation deviennent un enjeu considérable (Perrenoud, 1996) et relève de compétences personnelles peu exploitées explicitement dans leur formation (Goyette, 2014). Pourtant, ces dernières peuvent les aider à construire un sens de la profession qui favorisera un sentiment de bien-être (Goyette, 2016). Et bien que l’on souhaite former des praticiens réflexifs et que l’on reconnaisse une dimension personnelle et psychologique à l’insertion professionnelle (Mukamurera et al., 2013), peu de formation psychologique leur est offerte à l’université (Pelletier, 2013 ; Leroux et al., 2016). Pourtant, cela pourrait favoriser un meilleur développement identitaire nécessaire pour bien évoluer dans la profession. Il importe donc de se poser les questions suivantes :

  1. Comment favoriser un meilleur développement professionnel chez les futurs enseignants leur permettant d’appréhender la complexité de la profession et ressentir du bien-être ?

  2. Quels dispositifs mettre en place pour construire une identité personnelle affirmée afin de les préparer à une meilleure insertion professionnelle ?

Comme nous l’avons dit plus haut, dans ce texte, nous aborderons le développement professionnel sous l’angle de la construction identitaire psycho-individuelle (Anadón, Goyer & Chevrier, 2007) dans la formation initiale en vue de penser des dispositifs à mettre en place afin de favoriser l’émergence de ressources psychologiques chez l’étudiant. Notre objectif n’est pas de clore le débat ou de proposer un programme d’actions « clés en main », mais, bien plus modestement, d’ouvrir la discussion sur un aspect qui nous semble occulté dans la formation initiale des enseignants. La prochaine section présente les concepts sur lesquels se base notre réflexion.

Quelques concepts afin de baliser le terrain de la réflexion

Dans l’optique qui est la nôtre, il est important d’explorer, ne serait-ce que brièvement, les concepts de développement professionnel, d’identité professionnelle, de bien-être en enseignement ainsi que de forces de caractère.

Le développement professionnel

Le concept de développement professionnel est polysémique puisqu’il renvoie à une variété d’expression et de significations (Mukamurera, 2014 ; Uwamariya & Mukamurera, 2005) et le définir dépend d’une variété d’orientations théoriques. « Ces orientations théoriques sont caractérisées par des liens logiques entre des postulats et des hypothèses qui les distinguent » (Lefeuvre et al., 2009, p. 281). Or, Uwamariya & Mukamurera (2005), à la suite d’une analyse de plusieurs travaux tentant de le définir, en viennent à l’élaboration de deux perspectives : la vision développementale et la vision axée sur la professionnalisation. La vision développementale présente le développement professionnel sous l’angle de la croissance personnelle et professionnelle en tant que processus marqué par des changements au fil du temps en fonction d’étapes ou de stades qui s’emboîtent comme autant de passages obligés. La vision axée sur la professionnalisation fait état d’un processus dynamique d’acquisition, de consolidation ou de renouvellement de compétences et de savoirs en fonction d’expériences signifiantes (Maubant & Martineau, 2011 ; Mukamurera, 2014) qui « va nécessairement de pair avec le développement personnel. Selon Uwamariya et de Mukamurera (2005) dans l’optique de favoriser le développement professionnel, la formation initiale devrait tendre vers une perspective axée vers la professionnalisation qui s’oriente vers la recherche et la réflexion :

(…) le développement professionnel signifie ici une sorte de recherche continuelle faite par l’enseignant sur sa propre pratique. L’enseignant étudie, analyse et évalue régulièrement ses activités pour être en mesure de relever les défis auxquels il fait quotidiennement face. L’amélioration de la pratique, la maîtrise du travail enseignant et l’évolution sont des actions qui impliquent pour l’enseignant un examen critique des faits éducatifs et de sa pratique”

Uwamariya & Mukamurera, 2005, p.143

Retenons ceci, que l’on s’inscrive dans l’une ou l’autre des deux approches, le développement professionnel est vu comme un processus qui engage toute la personne. Toutefois, une vision trop cognitive de ce processus tend à minimiser l’importance des émotions, ce qui peut rendre les chercheurs aveugles à ce qui colore le rapport au travail du praticien, soutient sa motivation et donne sens à son action. Se développer professionnellement c’est certes accroître son efficacité au travail, mais c’est aussi augmenter son potentiel de bien-être. Dans les deux cas, c’est donc aussi se construire une identité professionnelle positive.

L’identité professionnelle

Depuis plus de vingt ans, le concept d’identité professionnelle a longuement été documenté et différentes conceptions ont été abordées par de nombreux auteurs. Riopel (2006) a répertorié cinq conceptions de l’identité professionnelle en lien avec la culture professionnelle des enseignants (Lessard, 1986), les savoirs professionnels (Tardif, 1993), la trajectoire sociale (Maheu & Robitaille, 1990), la personnalité professionnelle (Baillauquès & Brense, 1993) et l’identité globale (Gohier et al., 2001). L’orientation psychosociologique proposée par le modèle de construction de l’identité professionnelle de Gohier et al. (2001) a été retenu pour fin d’analyse.

  • À l’instar de ces auteurs, l’identité professionnelle est « la représentation que l’enseignant ou le futur enseignant élabore de lui-même comme enseignant. Elle se situe à l’intersection de la représentation qu’il a de lui comme personne et de celle qu’il a de son rapport aux enseignants et à la profession enseignante » (Gohier et al., 2001, p. 13). Cette vision de l’identité professionnelle repose donc sur deux dimensions : l’identité personnelle (dimension psycho-individuelle qui se construit au regard des représentations personnelles de la profession) et l’identité sociale (dimension sociale qui se construit au regard des représentations professionnelles de la profession) (Beauchamp & Thomas, 2009). Ces deux identités interagissent dans la construction identitaire de l’enseignant. Dans cette interaction constante se déclinent deux processus nommés l’identification (qui permet de se reconnaître dans un groupe professionnel) et l’identisation (qui relève du besoin de se singulariser comme individu par rapport au groupe).

  • « L’identité professionnelle est donc tributaire à la fois de la représentation que l’enseignant a de lui comme personne (identisation) et de celle qu’il a des enseignants et de la profession (identification) et évidemment de la représentation de ses compétences ainsi que des références collectives des compétences associées à la profession. Ces représentations portent sur les rapports à soi-même, au travail, aux responsabilités, aux apprenants, aux collègues et à la société » (Anadon et al., 2007, p. 15).

  • La construction identitaire s’élabore en congruence (sentiment d’être soi et en cohérence avec ses valeurs) et en contigüité (sentiment de confiance envers l’autre). Elle est souvent provoquée par des remises en question qui constituent le moteur de la dynamique du processus de construction identitaire (Gohier et al., 2001). Ce qu’il faut retenir tout particulièrement ici c’est que l’identité professionnelle n’est pas quelque chose de figé, de stable, ni une entité indépendante des événements de la formation ou de la pratique. L’identité professionnelle du futur enseignant commence à se développer dès la formation initiale au grès des succès, des échecs, des expériences marquantes, bref, au grès de ce qui meuble son parcours d’apprentissage. Or, la préparation « à faire face aux événements », « à leur donner sens », « à se penser soi-même en fonction des situations rencontrées » aura une répercussion importante sur l’identité professionnelle. Si développer son efficacité et son efficience dans l’action joue un rôle majeur dans la construction de l’identité professionnelle, ce développement doit s’accompagner d’une réflexion sur soi comme personne et professionnel, praticien dont les savoirs sont incorporés (Tardif & Lessard, 1999), dont l’agir mobilise toute la personnalité.

Bien-être dans l’enseignement

Le bien-être dans l’enseignement est un phénomène en émergence en science de l’éducation (De Sterke, 2014 ; Devos, 2012 ; Goyette, 2014 ; Théorêt & Leroux, 2014). Plus particulièrement, Goyette (2014) traite de ce sujet dans une approche axée sur la psychologie positive, elle a montré que cela constitue une avenue digne d’intérêt dans le domaine. En effet, la psychologie positive se penche principalement sur l’étude du fonctionnement optimal ainsi que des aspects positifs de l’individu pour l’aider à se construire des forces et des compétences psychologiques et ainsi, devenir résilient face aux écueils de la vie (Peterson & Seligman, 2004 ; Seligman & Csikzentmihalyi, 2000). Il s’agit de le doter de moyens de construire des forces lui permettant d’accéder à une meilleure qualité de vie donnant accès au bien-être et à en faire la promotion (Lopez & Gallager, 2009). Ainsi, le courant de la psychologie positive s’engage dans une perspective où l’individu évolue non seulement personnellement, mais aussi de façon interpersonnelle par ses interactions avec son entourage, relations influencées par les représentations et les valeurs de la société dans laquelle il vit. Le développement de ces compétences l’aidera donc à trouver un sens à sa vie et à se sentir bien à trois niveaux (personnel, interpersonnel & social) ce qui, le cas échéant, permettra, à plus grande échelle, de construire une meilleure société (Gillham et Seligman, 1999).

Les travaux de Goyette (2014) s’inscrivent dans cette approche en étudiant spécifiquement la profession enseignante. Ils permettent de penser la formation à l’enseignement et, tout particulièrement, la construction de l’identité professionnelle au-delà d’une vision uniquement cognitive ou axée sur l’efficacité dans l’action. Dans l’optique de cette auteure, la construction identitaire peut être alimentée par le souci de ressentir du bien-être et, pour ce faire, le développement de forces de caractère est essentiel. En considérant les dimensions du bien-être de Seligman (2011)[1], sa recherche conclut que l’élément central du bien-être dans l’enseignement est le sens que les enseignants donnent à l’exercice de leur profession (Goyette, 2016) et autour duquel gravitent les émotions positives et les relations positives.

Quand ils traduisent leur bien-être par les émotions positives, les enseignants expriment cet état par des moments particuliers d’enseignement où ils ressentent que les élèves accordent un intérêt particulier aux activités et éprouvent du plaisir. Ils parlent également du fait qu’ils adorent côtoyer les élèves et être quotidiennement en leur présence. Ce besoin de proximité leur apporte, une fois le lien de confiance établi, des moments plaisants et positifs. Les résultats de Goyette vont donc dans le même sens que ceux de Tardif et Lessard qui, en 1999, affirmaient que le rapport aux élèves est central dans l’identité professionnelle des enseignants, car ce rapport est source des expériences les plus signifiantes (expériences qui peuvent être positives ou négatives). Par ailleurs, les enseignants décrivent que l’entretien de relations positives avec des collègues et parfois avec la direction est nécessaire à la construction d’un sentiment de valorisation de leur travail. On peut observer que le besoin d’être reconnus et appréciés par le milieu leur donne également confiance en eux et contribue à leur construction identitaire professionnelle et personnelle ainsi qu’au développement d’une image positive d’eux-mêmes dans le regard des autres.

En somme, la recherche de Goyette (2014) indique qu’une réflexion sur son expérience, sur le sens qu’on lui accorde, sur les situations génératrices de bien-être qu’elle recèle permet à l’enseignant d’élaborer une vision de l’enseignement conforme à ses valeurs. Ce travail de réflexion aide le praticien à penser son agir professionnel en lien avec son bien-être sans que l’un prenne le pas sur l’autre. Ce faisant, l’enseignant est en mesure de développer une conscience plus claire non seulement de ce qui fait sens pour lui, mais aussi de lui « comme outil de travail » dont il doit prendre soin (Lebel, Bélair & Goyette, 2012).

Force de caractère

Les forces de caractère se définissent comme des traits cognitifs ou non cognitifs liés à la personnalité de l’individu (Peterson & Seligman, 2004). Elles se regroupent dans un ensemble de dispositions positives qui définissent un bon caractère chez lui, mais aussi ce qui le distingue des autres : « nous supposons que les forces de caractère ressemblent à des traits : elles sont à l’origine des différences individuelles, ont une certaine généralité et une certaine stabilité, même si elles ne sont pas nécessairement fondées sur des caractéristiques biogénétiques immuables » (Peterson & Park, 2005, p.24). Dans cet ordre d’idée, Seligman (2011) affirme que le bien-être puise sa source dans les forces de caractère de chaque personne si elles en prennent conscience, d’où l’importance accordée à la réflexion sur soi dans un objectif de développement personnel qui mène vers la prospérité.

« […] les forces reposent sur l’acquisition et l’utilisation de connaissances et de compétences ; par conséquent, elles peuvent être cultivées et renforcées à travers l’apprentissage, l’exercice et la pratique. […] Cependant, elles sont rarement toutes présentes chez un ·même individu ; il s’agit de traits dimensionnels, ou différences individuelles, qui sont plus ou moins manifestes selon les personnes »

Della Fave, 2011, p. 50

Les forces de caractère poussent les êtres humains à faire des choix en cohérence avec leurs valeurs personnelles afin de les aider à éprouver du bien-être dans la vie et que cette dernière acquiert un sens pour eux (Peterson & Park, 2005 ; Peterson & Seligman, 2004 ; Seligman, 2002). L’étude des forces de caractère a mené Peterson et Seligman (2004) à répertorier vingt-quatre forces de caractère qu’ils ont regroupées en six vertus morales. La figure 1 présente la classification des forces de caractère de Peterson et Seligman (2004).

Figure 1

Les 24 forces de caractère selon Peterson et Seligman (2004)

Les 24 forces de caractère selon Peterson et Seligman (2004)

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La recherche de Goyette (2014) a fait ressortir cinq forces de caractère saillantes chez les enseignants. Il s’agit de la bienveillance, l’amour, la persévérance, l’autorégulation ainsi que la créativité. La bienveillance consiste à « faire de bonnes actions pour l’autrui ; aider à prendre soin des autres » (Peterson & Seligman, 2004[2]). Elle se traduit par le désir d’aider l’élève à progresser dans ses apprentissages et dans le développement de compétences cognitives, émotionnelles, personnelles et sociales. L’amour, qui se décrit par le fait que l’individu valorise « les relations intimes avec les autres, particulièrement les relations réciproques ; être proche des gens » (Peterson & Seligman, 2004). Ils sont conscients que cette attitude envers les élèves est garante de succès, puisqu’elle est un auxiliaire au développement d’un lien de confiance qui favorisera l’apprentissage. Puis, la persévérance, force de caractère relevant de la vertu du courage, implique que l’individu « finit ce qui est commencé, persiste malgré les difficultés et prend plaisir à compléter une tâche » (Peterson & Seligman, 2004). Elle s’exprime d’une part par les petits défis quotidiens qu’amènent les différents contextes de l’enseignement tels que l’atteinte d’objectifs pédagogiques ou les difficultés académiques et personnelles des élèves. L’autorégulation, relevant de la vertu de la tempérance, se décrit comme une force de caractère qui pousse l’individu à « gérer ses sentiments et ses actions ; être discipliné ; contrôler ses appétits et ses émotions » (Peterson & Seligman, 2004). Cette force de caractère dont font preuve ces enseignants leur permet de réfléchir sur leurs pratiques et de les adapter aux élèves en plus de fixer des objectifs à long terme à atteindre. Enfin, la créativité, qui se classe dans la vertu de la sagesse et de la connaissance, se caractérise par le fait que les individus pensent « à des façons nouvelles et productives de faire les choses » (Peterson & Seligman, 2004). Délaissant la plupart du temps les cahiers d’exercices ou manuels d’activités habituels, ils préfèrent créer des activités d’enseignement/apprentissage adaptées spécifiquement à leurs élèves et en fonction des compétences qu’ils ont ciblées.

Et pour ce qui est de la formation des enseignants ?

Développement professionnel, identité professionnelle, bien-être, force de caractère, quatre concepts qui pris séparément sont intéressants, mais qui mis en conjonction en formation initiale pourraient peut-être aider à mieux préparer les futurs enseignants. Comment cette conjonction peut-elle se faire ?

Petit retour sur quelques éléments connus

Lors de la formation initiale, le développement professionnel constitue un élément central afin de préparer les futurs enseignants aux exigences et à la complexité de la profession (Mukamurera, 2014). À cet égard, Gervais et Leroux (2011) recensent la difficulté qu’éprouvent les étudiants à prendre conscience des savoirs théoriques et de les mobiliser dans la pratique lors des stages. « La mise en relation des pratiques enseignantes et des résultats de recherche devrait favoriser le développement du sens critique des enseignants ainsi qu’une plus grande aptitude dans la résolution de problèmes, autant que le souci de se munir d’un répertoire d’outils et de moyens pour améliorer l’apprentissage » (CSE, 2006, p. 20). De là l’importance de se munir de ressources, tant incorporées qu’externes (Le Boterf, 2002), de les intérioriser et de les mobiliser pour agir lors de l’exercice de la profession (Gervais & Leroux, 2011). Nécessaires à une meilleure construction identitaire, ces savoirs théoriques contribuent à l’élaboration d’un sentiment de compétence (Martineau & Presseau, 2003) lors de leurs stages et plus tard, lors de leur insertion professionnelle.

En effet, les ressources incorporées (savoirs théoriques, savoir-faire, qualités ou aptitudes, ressources émotionnelles) s’acquièrent lors de la formation et sont inséparables de la personnalité de l’individu (Le Boterf, 2002). Ces ressources pourraient intervenir dans l’intériorisation des apprentissages théoriques et expérientiels et ainsi contribuer au développement de l’identité professionnelle puisque la connaissance de soi y est intimement liée. Comme nous l’avons entrevu plus haut, la connaissance de soi relève d’un travail que l’individu opère sur lui-même et se situe dans le pôle de l’identité personnelle (Beauchamp & Thomas, 2009). Lauriala & Kukkonen (2005) décortiquent le concept de soi selon trois dimensions en constante interaction : « the actual self (the one that currently prevails), the ought self (the one recognized by society or an external group as the goal), and the ideal self (the one set by the individual as possible target for achievement) » (Beauchamp &Thomas, 2009, p. 179). En résumé, ces trois dimensions de l’identité personnelle de l’enseignant (et de l’étudiant), influencées par différentes situations vécues dans son milieu de travail (ou de stage), contribueront à la construction de son identité professionnelle et vont l’aider à créer du sens de sa profession (Goyette, 2016).

La construction identitaire se définit « […] comme un processus biographique continu, qui engage une transaction entre une “identité héritée” du passé et une “identité visée” par l’individu ou “imposée” par la situation présente » (Dubar, 1996 dans Cattonar, 2008, p. 90). Ce qui veut dire que l’individu arrive dans sa formation avec des croyances, des valeurs et une représentation personnelle de la profession. Il a également une vision de lui-même comme futur enseignant le plus souvent implicite, mais néanmoins structurante au regard de ses expériences de formation. Tout au long de son cheminement, il se voit proposer une identité par le programme, identité elle-même plus ou moins explicite. Il doit conjuguer avec cette identité proposée ce qui cause parfois des tensions identitaires (Bourgeois, 1998) puisque la représentation qu’il possède ne coïncide pas nécessaire avec ce que le programme propose et avec ce qu’il vit en stage. Cette construction identitaire au regard des apprentissages ne se fait donc pas sans heurts puisqu’« apprendre, c’est transformer les connaissances “déjà-là” en connaissances nouvelles » et que pour ce faire, l’apprenant doit remettre en question « ses conceptions, ses croyances, ses savoirs et savoir-faire familiers, à faire le deuil des manières familières de penser le monde et d’agir » sans trop savoir où cela va le mener (Bourgeois, 1998, p. 106).

Cette construction se fait souvent à partir de moments de crise, de changements ou de situations conflictuelles internes ou externes qui entament une remise en question permettant à l’enseignant de façonner son identité (Thomas & Beauchamp, 2009 ; Gohier et al., 2001). Il en va de même avec les étudiants en enseignement lors de leur cheminement universitaire puisque devenir un professionnel provoque des tensions identitaires générées par des remises en question grâce auxquelles ils doivent reconfigurer leurs représentations de soi vis-à-vis les autres et abandonner l’image idéalisée de soi et de la profession pour faire face à la réalité. Les savoirs théoriques et expérientiels contribuent à changer les paramètres de ses croyances et de ses représentations, mais seulement si l’étudiant est ouvert à les changer. En outre, « l’engagement en formation est donc un choix coûteux à bien des égards, sur les plans, non seulement pratiques, mais également cognitifs et affectifs. Il n’est pas étonnant, dans ces conditions, que le sujet “résiste” souvent à l’acte d’apprendre » (Bourgeois, 1998, p. 106) pour ainsi préserver les connaissances initiales et éviter les conflits cognitifs auquel il est exposé. Cette situation pourrait peut-être en partie expliquer le fait qu’on valorise beaucoup l’expérience au détriment des savoirs universitaires parce que ces derniers remettent non seulement en question les pratiques établies, mais aussi une représentation de soi.

Développer des compétences et intégrer des savoirs, certes, mais il y a plus

En considérant les difficultés inhérentes à l’apprentissage de la profession d’enseignant et des tensions identitaires engendrées lors du développement professionnel des étudiants, on peut se demander comment il est possible de les accompagner dans ce processus pour que cette expérience en formation se traduise par l’élaboration d’une identité professionnelle positive et affirmée afin d’affronter la complexité de la profession et qu’ils ressentent du bien-être.

L’expérience est certes, un élément incontournable dans le développement professionnel des enseignants, mais pour développer une identité professionnelle qui met un accent sur le développement psycho-individuel (Anadón et al, 2007), il faut que les étudiants, durant leur formation s’orientent vers un processus de réflexion qui va au-delà de leurs pratiques. Ils doivent réfléchir sur eux-mêmes et apprendre à se connaître comme individu afin de construire des représentations positives, ce qui se rattache au concept d’identisation de Gohier et al. (2001), pour ensuite appréhender l’environnement social dans lequel ils exerceront la profession afin de construire un sens. Cette construction de sens n’est possible que si l’individu développe une représentation de soi positive qui permet d’établir une certaine congruence entre ses valeurs personnelles et l’environnement de travail. Ce sens qui se construit au gré des expériences vécues est un élément qui contribue au bien-être en enseignement (Goyette, 2016).

Construire une représentation de soi positive est un travail perpétuel où l’individu faire preuve d’une autoréflexion constante relative à ses expériences et prendre conscience de ses ressources personnelles (cognitives, émotionnelles, valeurs, croyances…). Cette prise de conscience lui permet d’interagir dans des situations en les mettant à profit afin de contribuer à son bien-être, quelle que soit la situation. Dans un contexte de formation initiale, l’approche par compétence permet de réfléchir sur les pratiques enseignantes concernant des éléments liés à l’exercice de la profession. Cependant, ces situations professionnelles ont une incidence par rapport au développement identitaire global de l’individu (Gohier et al., 2001) puisque plusieurs remises en question vécues dans leur cheminement universitaire vont bien au-delà du cadre de la profession qu’ils veulent exercer.

Pour réussir à accompagner les étudiants dans leur cheminement à se construire une représentation de soi positive et à les aider à changer leurs représentations idéalisées quant au travail, une prise en compte de leurs forces de caractère saillantes constitue un moyen incontournable. En effet, lors de leur expérience de stage, les formateurs mettent l’accent sur des éléments à améliorer pour progresser dans le développement de leurs compétences professionnelles, en donnant des pistes didactico-pédagogiques ou des « trucs » pour solutionner des problèmes (Portelance, Martineau & Caron, 2014). Toutefois, peu d’entre eux ciblent des pistes aidant la construction de leur identité professionnelle leur permettant de réfléchir en profondeur sur leurs actions en faisant appel à leurs ressources incorporées (Le Boterf, 2002) et leur personnalité. Un étudiant prenant conscience de ses forces de caractère pourra explorer ses expériences de formation sous un angle nouveau et positif puisqu’il ne focalisera pas seulement sur des aspects à améliorer, mais plutôt sur des forces qu’il possède déjà pour analyser ses actions et trouver des solutions vis-à-vis les conflits cognitifs et les tensions identitaires auxquelles il est confronté.

Toutefois, développer des forces de caractère permettant d’appréhender les difficultés lors de la formation ne va pas de soi. Il faut mettre en place des dispositifs permettant l’émergence du sens et du bien-être en enseignement lors de la formation initiale pour mieux préparer les étudiants à leurs stages et à leur insertion professionnelle.

Tel que constaté précédemment, le développement professionnel qui mène à l’édification d’une identité professionnelle positive est un long processus complexe qui se base sur l’interaction entre une identité personnelle et une identité sociale. Il ne suffit plus de développer la compétence liée à l’identité professionnelle en considérant seulement les pratiques d’enseignement, il faut aussi envisager le développement global de l’individu et les forces de caractère associées à sa personnalité afin qu’il ressente du bien-être malgré les difficultés rencontrées dans l’exercice de ses fonctions. Les remises en question, l’autoréflexion et l’autorégulation vis-à-vis les savoirs théoriques jumelés à l’expérience permettront de construire un enseignant résilient et positif. Pour y arriver, la mise en place de dispositifs favorisant une meilleure préparation psychologique et identitaire est requise.

La réflexion comme dispositif de développement professionnel

Le développement des compétences professionnelles ne peut pas s’appuyer uniquement sur l’expérience, les savoirs théoriques et les savoir-faire : il faut qu’elle s’appuie sur une démarche réflexive (Gervais, Correa Molina & Lepage, 2008) qui favorise un savoir-être. Cependant, il faut apprendre à réfléchir puisque ce n’est pas une action naturelle (Donnay & Charlier, 2008) et innée. De plus, réfléchir sur soi n’est pas facile, puisqu’il oblige une remise en question et une modification des représentations qu’entretient l’individu avec soi-même (Gohier et al., 2001 ; Goyette, 2015) et la profession (Dubar, 2002). Bien que la démarche réflexive soit beaucoup plus utilisée comme méthode pédagogique lors de la formation pratique dans le cadre des exigences relatives aux stages, elle s’avère d’autant plus nécessaire lors de la formation théorique, pour réussir un arrimage entre les connaissances formelles, les savoir-faire et l’expérience concrète afin de développer des compétences professionnelles prenant en compte la dimension personnelle de l’étudiant. Pour ce faire, il ne faut pas hésiter à s’attarder à la « logique de la réflexion et de l’action » (Wittorski, 2009) qui permet de résoudre des situations problématiques liées à la profession auxquelles les étudiants n’ont jamais été confrontés. Cela nécessite une recherche d’informations auprès de personnes-ressources ou de connaissances formelles issues de la recherche. Cette démarche permettra de construire graduellement un « processus d’action “intectualisée” ou “mentalisée” au sens où il [l’individu] fait l’objet d’un accompagnement réflexif » (Ibid, 2009, p. 5). Toutefois, l’analyse de l’action ne s’arrête pas là. L’individu doit également réfléchir rétrospectivement pour l’évaluer, pour la comprendre ou pour la transmettre, ce qui correspond à une « logique de la réflexion sur l’action » (Ibid, 2009). Cette démarche contribuera à enrichir leur expérience en construisant des principes et des connaissances sur leurs actions. Enfin, la « logique de la réflexion pour l’action » qui permet d’anticiper de nouvelles pratiques afin d’effectuer des changements face à l’action et d’être plus efficaces (Ibid 2009). Pour favoriser la réflexion, Chevrier, Gohier, Anadón et Godbout (2007) proposent de favoriser la réflexion en formation initiale en questionnant davantage sur la profession, sur la représentation sur soi comme enseignant, sur les choix de carrière et les acquis de formation. Plusieurs activités de formations peuvent être exploitées à cet égard, notamment le portfolio professionnel, l’élaboration de projet personnel ou la tenue d’un journal de bord. Pour réussir à bien réfléchir sur soi et sur ses expériences professionnelles, les écrits réflexifs permettent de voir la progression des savoirs professionnels tout au long de la formation des étudiants (Buysse & Renaulaud, 2014). Les écrits réflexifs devraient permettre de rendre compte du développement professionnel en fonction de l’intériorisation de savoirs.

L’ajout d’une formation psychologique à travers les cours axés sur le développement de l’identité professionnelle

Comme l’ont bien mis en évidence les travaux de Tardif et Lessard (1999), l’enseignement est un travail interactif à forte charge émotionnelle, un travail où les savoirs sont « incorporés » à l’enseignant, où l’affectivité est omniprésente et où le professionnel met sa propre personne en jeu. Ainsi, l’enseignement est, pour reprendre l’expression des auteurs, un travail investi au sens où il ne peut se réaliser sans un investissement complet de la personne. Or, paradoxalement, très peu de formation psychologique est dispensée lors du cheminement universitaire des étudiants en enseignement (Pelletier, 2013 ; Théoret & Leroux, 2014), ce qui ne les aide pas à développer des moyens de se prémunir contre les difficultés relatives à la complexité de la profession. Cependant, l’intégration d’une formation psycho-individuelle en y intégrant l’approche de la psychologie positive et de certains concepts tels que le développement des forces de caractère chez les étudiants s’avère une piste à exploiter pour favoriser la construction d’une identité personnelle et l’émergence de compétences psychologiques nécessaires pour l’exercice de la profession. Or, découvrir ses forces de caractère pour mieux se connaître et édifier des représentations réalistes dans une prédisposition d’esprit optimiste et positive aidera les étudiants à réfléchir mieux à leurs pratiques en y apportant des éléments pour résoudre les problèmes qu’ils doivent affronter en allant plus loin des solutions didactico-pédagogiques. Le développement de l’identité professionnelle commençant dès leur entrée à l’université, il semble important qu’ils disposent de ressources pour réfléchir en profondeur sur leur profession et qu’ils élaborent des stratégies cognitives et psychologiques pour appréhender la complexité et développer un sens du métier (Goyette, 2016). Pour permettre l’intégration d’une approche psychologique dans la formation, Goyette et Dubreuil (2017) ont évalué les effets d’une démarche d’accompagnement dans un cours traitant de l’identité professionnelle dans un programme en enseignement préscolaire et primaire en concomitance avec le stage terminal chez 77 étudiants. Les résultats préliminaires laissent entrevoir que les étudiants ayant bénéficié d’une formation sur les forces de caractère ont ressenti un sentiment de bien-être accru durant leur stage.

Meilleure articulation formation théorique/formation pratique

Depuis les efforts investis depuis la mise en oeuvre des programmes universitaires axés sur l’approche par compétence, « on constate des expériences reposant sur une tentative d’articulation plus étroite entre l’acte de travail et l’acte de formation : il ne s’agit plus seulement de transmettre de façon déductive des contenus pratico théoriques ou, au contraire, d’apprendre sur le tas, mais d’intégrer dans un même mouvement l’action au travail, l’analyse de la pratique professionnelle et l’expérimentation de nouvelles façons de travailler » (Wittorski, 2009, p. 3). Cependant, il faut continuer à sensibiliser les acteurs universitaires et les acteurs du milieu à une meilleure collaboration dans une perspective préconisant une approche programme commune permettant à l’étudiant d’évoluer dans son cursus universitaire en cohérence avec cette dernière. Trop souvent encore, les programmes sont constitués dans une logistique où les cours théoriques sont cloisonnés et peu significatifs pour les étudiants lorsqu’ils effectuent leurs stages. Certains enseignants universitaires se situent encore dans une perspective d’enseignement académique (Rogiers, 2012) et peinent à faciliter le transfert des connaissances formelles vers la pratique. De l’autre côté, plusieurs enseignants du milieu discréditent la formation universitaire au profit de l’expérience sur le terrain qui leur semble constituer la seule voie pour apprendre la profession. Le décloisonnement entre les cours permettra de faciliter la construction de ressources essentielles à l’étudiant pour mener à bien ses stages et au final, sa formation. L’intégration de certains concepts liés à la psychologie du travail et de la psychologie positive axée sur le développement identitaire tout au long de la formation devrait être un élément incontournable (Goyette, 2016). Selon Chevrier, Gohier, Anadón et Godbout (2007), il est important de créer un espace d’échange entre les enseignants universitaires afin de développer un sentiment de congruence et de compétence en utilisant des pédagogies en cohérence avec « la théorie professée dans les cours » et « la prise en compte de la diversité des visions pédagogiques » (p. 156).

En guise de conclusion

En considérant ce qui précède, plusieurs défis se dressent devant la perspective d’intégrer une approche psychologique favorisant le bien-être dans les cours d’identité professionnelle. Premièrement, cette initiative repose sur un changement de paradigme quant aux représentations de la profession chez les enseignants universitaires. Ils doivent travailler en concertation pour en arriver à une vision pédagogique commune qui reconnaît la transversalité de la compétence de l’identité professionnelle à travers la formation. Son développement ne peut se faire dans des cours cloisonnés tels que le préconise la nomenclature des programmes actuels puisqu’elle nécessite toutes les ressources (incorporées et externes) (Le Boterf, 2002) mises en place pour évoluer. Deuxièmement, il faut mieux former les enseignants universitaires afin qu’ils s’engagent plus systématiquement dans un processus de développement professionnel fondé tant sur les savoirs issus de la recherche, sur ceux issus de l’expérience que sur une connaissance d’eux-mêmes et des valeurs auxquelles ils adhèrent. Troisièmement, il faut déconstruire les représentations erronées relatives à la profession en début de formation pour les amener à la considérer différemment.

Pour bien développer l’identité professionnelle, la formation ne peut tabler que sur la dimension cognitive de la profession. Elle ne peut non plus se complaire dans la proposition de trucs et recettes. Elle devrait prendre acte de la nature de la profession, de la spécificité du rapport au savoir qu’entretiennent les enseignants, donc du fait que leur personnalité entière est engagée en tant que « technologie » (au sens d’outils de travail) dans leur pratique. Oublier ce fait, c’est former des enseignants tronqués qui chercheront à combler le vide de la formation d’une manière ou d’une autre.

Apprendre à enseigner c’est bien entendu apprendre à maîtriser des compétences et des savoirs. Mais, étant donné la complexité de l’enseignement, c’est bien plus que cela. Apprendre à enseigner c’est aussi apprendre à « être » enseignant et à affronter avec aplomb les problèmes spécifiques à cette profession. Or, étrangement, la formation initiale au Québec semble avoir oublié d’intégrer en son sein des espaces et des moments pour former les futurs enseignants à cet aspect pourtant capital de lors apprentissage. La psychologie positive, sans être une panacée, offre des pistes de réflexion intéressantes pour penser une formation où le travail sur soi, dans une optique professionnalisante, est intégré à la fois dans le processus de développement d’une identité professionnelle positive, mais aussi dans la construction d’un rapport sain à la pratique via une connaissance de ses potentialités et ses limites en tant qu’enseignant. Il ne s’agit pas ici de prôner un retour aux approches rogériennes, mais plutôt de prendre acte de ce que la sociologie du travail enseignant (Tardif & Lessard, 1999 ; Tardif, 2013) nous apprend, à savoir que l’enseignement est une pratique professionnelle qu’on ne peut faire à distance de soi, qu’il s’agit d’un travail où les savoirs et les compétences sont incorporés à la personnalité du professionnel, que l’expérience de ce travail se vit en étroite conjonction avec notre identité personnelle, en somme, qu’enseigner c’est se mettre totalement en jeu en tant que personne et qu’à cet égard, une formation initiale qui ne tient pas compte de cet aspect manque à son devoir.

Étant donné que les programmes sont l’amorce d’un développement professionnel, étant donné qu’ils doivent contribuer à construire une identité professionnelle positive chez le futur enseignant, nous avons proposé qu’une réflexion sur le bien-être (réflexion passant notamment par une réflexion sur soi) doive être intégrée à la formation initiale en conjonction avec les compétences professionnelles à développer.