Corps de l’article

Contexte

Il est bien connu que les parents vivant avec un enfant présentant une déficience intellectuelle (DI) ou un trouble du spectre de l’autisme (TSA) sont particulièrement susceptible d’épuisement et de détresse psychologique (Bromley, Hare, Davison et Emerson, 2004; Hare, Pratt, Burton, Bromley et Emerson, 2004; Ludlow, Skelly et Rohleder, 2012; Protecteur du citoyen, 2012; Weiss, 2002). Le poids des responsabilités parentales a aussi des répercussions importantes sur leur santé physique et mentale, sur leur relation de couple et sur leur participation sociale (Brannan et Heflinger, 2006; Emerson, Hatton, Llewellyn, Blacker et Graham, 2006; Emerson et coll., 2015; Feldman et coll., 2007; Murphy, Christian, Caplin et Young, 2007; Norlin et Broberg, 2012; Ones, Yilmaz, Cetinkaya et Caglar, 2005; Resch et coll., 2010; Woodgate, Ateah et Secco, 2008). Selon Ludlow et ses collaborateurs (2012), plusieurs parents se sentent incapables de se libérer pour aller chercher de l’aide en participant, à titre d’exemple, à un groupe de soutien. Pourtant, il s’agit d’une stratégie fort efficace pour se dégager d’émotions négatives, échanger sur des expériences similaires et obtenir de l’information. Par ailleurs, plusieurs parents vivant avec un enfant qui présente une DI ou un TSA se sentent isolés et démunis (Des Rivières-Pigeon et Courcy, 2014; Hatton et Emerson, 2003). Certains rapportent avoir perdu contact avec leurs amis ou les membres de leur famille élargie, puisqu’ils doivent constamment décliner les activités qui leur sont proposées (Myers, Mackintosh et Goin-Kochel, 2009). D’autres ont l’impression d’être la cible de jugements entretenus par les membres de leur réseau social informel qui critiqueraient leur manière de composer avec les comportements de leur enfant (Ludlow et coll., 2012; Siklos et Kerns, 2006). Le Protecteur du citoyen (2009) met en lumière que ces préjugés seraient souvent entretenus, entre autres, « par la méconnaissance [du TSA] dans de nombreux milieux d’intervention et dans la société en général » (p. 47). Parmi les croyances véhiculées à l’égard de ces parents, on retrouve la perception qu’ils dramatiseraient ou sous-évalueraient la gravité de la situation de leur enfant et qu’ils seraient responsables, de par leur attitude et leur encadrement, des comportements inadaptés de leur enfant.

Par ailleurs, le manque de services appropriés et abordables viendrait accroître le stress vécu au sein de ces familles (Poirier et Des Rivières-Pigeon, 2013; Protecteur du citoyen, 2009). Certaines seraient aussi non admissibles à certains services offerts (p.ex. : répit) lorsque l’enfant présente aussi un trouble du comportement ou un trouble grave du comportement (TG/TGC) associé à sa condition. Cette situation alimenterait l’insatisfaction des familles à l’égard des services (Wodehouse et McGill, 2009), provoquerait l’accroissement du niveau de stress parental (Lecavalier, Leone et Wiltz, 2006) et contribuerait à une plus grande détresse émotionnelle (Moscato, Morin et Tassé, 2009). Au Québec et ailleurs, plusieurs familles vivant avec un enfant présentant une DI ou un TSA rencontrent des problèmes financiers importants, ce qui peut s’expliquer, en partie, par la présence de coûts importants associés aux besoins de l’enfant, sans égard à son âge (Courcy et Des Rivières-Pigeon, 2013; Emerson et coll., 2006; Emerson et coll., 2015; Olsson et Hwang, 2008). Les mères rencontrées dans une étude québécoise rapportent aussi avoir diminué leurs heures de travail pour s’adonner à la recherche de services ou accompagner leur enfant à des rendez-vous (Courcy et Des Rivières-Pigeon, 2013). D’autres ont même dû quitter leur emploi. Aussi, plusieurs parents qui doivent souvent assurer une supervision constante de leur enfant présentant une DI ou un TSA, ressentent de la culpabilité découlant du manque de temps dont ils bénéficient pour s’occuper de leurs autres enfants ou pour participer à des activités en famille (Myers et coll., 2009; Resch et coll., 2010). Le manque de services de répit impose des restrictions importantes à la réalisation d’activités de la vie quotidienne (p. ex. : faire l’épicerie) (Myers et coll., 2009) et d’activités sociales et récréatives (p. ex. : pratiquer un sport, manger au restaurant, voir des amis) (Courcy et Des Rivières-Pigeon, 2013; Luther, Canham et Young-Cureton, 2005).

Au Québec, les besoins de répit et de soutien à la participation sociale des familles avec un enfant ayant une DI ou un TSA de tous âges demeurent nombreux et persistants. Or, l’offre de services de répit, de gardiennage ou d’accompagnement dans les loisirs offerts par des organisations locales varie considérablement selon les régions (Ministère de la Santé et des Services sociaux, 2016; Protecteur du citoyen, 2012; Vérificateur général du Québec, 2013). Dans un contexte de ressources limitées et de besoins croissants, les parents rencontrent trop souvent de longues listes d’attente, des disponibilités insuffisantes et des critères qui limitent l’accessibilité (p. ex. : lors de la présence d’un trouble du comportement chez l’enfant) (Conseil de la famille et de l’enfance [CFE], 2008; Poirier et Des Rivières-Pigeon, 2013; Protecteur du citoyen, 2009). Certains parents choisissent de se débrouiller autrement et de se passer de tels services parce qu’ils estiment que le personnel ne détient pas la formation nécessaire pour composer avec les particularités de leur enfant. De plus, les conditions dans certains de ces lieux de répit (p. ex. : personnel changeant régulièrement) suscitent parfois trop d’anxiété chez leur jeune (CFE, 2008; Vérificateur général du Québec, 2013). Aussi, dans toutes les régions du Québec, ces services sont très rarement offerts à domicile ou dans les milieux que l’enfant et sa famille souhaiteraient fréquenter au sein de leur communauté. À l’été 2016, une consultation régionale élargie menée auprès de parents ayant un enfant avec une DI ou un TSA de la ville de Québec[1] a permis de mettre en lumière un besoin récurrent, non répondu et partagé par plusieurs, soit celui d’accéder à une personne-ressource de confiance, disponible pour leur offrir du répit à domicile et qui détiendrait une formation spécialisée pour intervenir adéquatement auprès de leur enfant. Comme de telles personnes-ressources sont rares et que leurs services sont onéreux (CFE, 2008), seulement quelques familles plus avantagées financièrement peuvent en bénéficier.

Cette réalité laisse transparaître l’urgence d’innover pour répondre promptement et efficacement à ce besoin récurrent des familles, quel que soit leur statut socioéconomique. C’est ainsi qu’une recherche-action participative a débutée à l’hiver 2017 dans la ville de Québec (Québec, Canada) pour élaborer un modèle d’offre de services d’accompagnement aux familles avec un enfant ayant une DI ou un TSA, offerts à domicile et dans la communauté. Notons que le concept d’accompagnement va bien au-delà du soutien à la participation de la personne ayant une incapacité dans des loisirs. L’accompagnement est défini comme tout service offert par un individu:

« de façon régulière ou ponctuelle, pour pallier les incapacités d’une personne handicapée et faciliter sa participation sociale (…) L’accompagnement se présente sous forme d’assistance ou de suppléance. Par l’assistance, on soutient la personne dans la réalisation de ses activités, notamment par l’aide à la communication, l’assistance personnelle, l’aide aux déplacements, etc. La suppléance consiste à poser des gestes à la place de la personne qui ne peut le faire par elle-même. »

Office des personnes handicapées du Québec, 2009, p. 65

Ainsi, les modalités d’accompagnement pouvant être offertes aux familles avec un enfant présentant une DI ou un TSA peuvent prendre plusieurs formes. À titre d’exemples, elles peuvent s’actualiser par de l’accompagnement destiné à l’enfant et à sa famille lors d’activités de loisirs, par de l’aide dans la réalisation des tâches de la routine familiale (p. ex. : bains, devoirs, tâches ménagères), par du gardiennage de l’enfant et de sa fratrie tandis que les parents font une activité sociale ou encore, par du dépannage occasionnel (p. ex. : lors du décès soudain d’un proche) (Tétreault et coll., 2012a).

Pour offrir de telles modalités d’accompagnement aux familles, miser sur l’implication active d’étudiants issus de programmes universitaires en santé et services sociaux formés semble une avenue prometteuse. D’ailleurs, il s’agit d’une recommandation formulée par Tétreault et collaborateurs (Tétreault et coll., 2012b), à la suite de consultations réalisées auprès de plus de 200 acteurs dans le domaine (p. ex. : intervenants, parents, décideurs politiques) dans le cadre d’une vaste étude québécoise. D’abord, mentionnons que les étudiants ont souvent des disponibilités pouvant être mieux adaptées aux besoins des familles (p.ex. : en soirée ou la fin de semaine). En plus, ils forment un « bassin » qui se renouvelle chaque année. Aussi, une telle implication pourrait permettre d’enrichir grandement le curriculum de formation théorique et pratique des futurs professionnels. Ceux-ci seraient accompagnés dans l’acquisition de savoirs théoriques, et lors de la mise en application de leurs nouvelles connaissances sur le terrain, auprès des enfants et de leur famille. Ces éléments pourraient contribuer au développement d’une offre de services pérenne tout en permettant aux étudiants de développer des savoir-agir à la base d’interventions centrées sur les besoins des familles. Ceci apparaît particulièrement crucial lorsque l’on considère les difficultés que rencontrent les parents à établir un partenariat de qualité avec les professionnels impliqués dans la vie de leur enfant présentant une DI ou un TSA; plusieurs se sentent confrontés à un manque de sympathie à leur égard et ont l’impression de ne pas être véritablement écoutés et consultés lors de prises de décision les concernant (van Tongerloo, van Wijngaarden, van der Gaag et Lagro-Janssen, 2015; Vohra, Madhavan, Sambamoorthi et St-Peter, 2014). Nous croyons que de solliciter l’engagement d’étudiants pour mieux répondre aux besoins récurrents et non répondus des familles pourrait aussi contribuer à la formation de futurs professionnels plus ouverts, curieux, rigoureux, engagés, empathiques et humains. À notre connaissance, peu de programmes misant sur l’engagement d’étudiants de niveau universitaire ont fait l’objet d’une expérimentation rigoureuse en recherche. Les études recensées réfèrent à l’implantation d’une offre de services de répit misant sur le bénévolat, et ce, exclusivement pour les familles ayant un enfant présentant un TSA (Breithaupt, Thomas, Wong, Mesibov et Morrissey, 2017; Murphy et Verden, 2013; Openden, Symon, Koegel et Koegel, 2006). Or, nous croyons que d’offrir aux étudiants de la génération actuelle une expérience rémunérée tout au long de leurs études et favorisant le développement de compétences pertinentes à l’exercice de leur profession favoriserait leur engagement à plus lon terme.

Dans le but d’explorer les composantes[2] à inclure dans le modèle d’offre de services, les points de vue des familles et des étudiants de la ville de Québec ont été recueillis. Cet article fait état des résultats de cette démarche qui visait à: (1) documenter l’intérêt des étudiants, leurs disponibilités, leurs besoins en termes de formation et de soutien ainsi que les facilitateurs à leur engagement dans l’offre de services; (2) caractériser le degré d’intérêt des parents, leurs besoins d’accompagnement, leurs points de vue sur les thèmes à couvrir dans la formation des étudiants ainsi que les facilitateurs à leur engagement dans l’offre de services.

Méthodologie

Tel que mentionné précédemment, le projet s’inscrit dans une démarche de recherche-action participative. Cette approche permet de réunir différents acteurs concernés par une situation jugée insatisfaisante à travers un processus itératif visant à co-développer une solution innovante, réaliste et adaptée (Bradbury et Reason, 2003; Chatterton, Fuller et Routledge, 2007; Reason et Bradbury, 2001). Elle permet d’activer l’engagement de partenaires détenant des compétences diversifiées et complémentaires afin de passer collectivement à l’action, tout en facilitant l’actualisation de changements systématiques et durables pour résoudre un problème bien concret (Bradbury et Reason, 2003; Chevalier et Buckles, 2013; Jagosh et al., 2012). Ainsi, un collectif de recherche, constitué de membres possédant des expertises diversifiées et partageant la volonté de répondre aux besoins de répit et de participation sociale des familles avec au moins un enfant ayant une DI ou un TSA de la ville de Québec[3], a été formé. Ce collectif est composé de deux chercheures, deux étudiants au 1er cycle en ergothérapie et en travail social, cinq représentants d’organismes communautaires et deux parents. Mentionnons que de solliciter des parents dès les premières démarches visant la création d’une offre de services est recommandé par plusieurs experts dans le domaine (Hiebert-Murphy, Trute et Wright, 2011; Merriman et Caravan, 2007). Les membres du collectif sont invités à participer activement à chaque étape du projet, selon un degré d’intensité répondant à leurs attentes et souhaits. Par ailleurs, ce degré d’implication souhaité a été discuté dès la première rencontre du collectif.

Collecte de données

Les points de vue des étudiants en ergothérapie et en travail social[4] de l’Université Laval (Québec, Canada) et des parents d’enfants ayant une DI ou un TSA de la ville de Québec ont été recueillis à travers l’administration de questionnaires en ligne.

En plus des données sociodémographiques, les questions portaient sur plusieurs thématiques similaires pour les deux groupes. Elles ont été circonscrites dans le but de mieux connaître les intérêts envers les modalités d’actualisation potentielles des services (p.ex. : gardiennage, dépannage, accompagnement dans les loisirs, soutien dans les tâches de la routine quotidienne) ; les besoins de formation ; les formats de soutien favorables à un engagement pérenne ; les facilitateurs/obstacles, ainsi que les points de vue à l’égard d’aspects financiers (p.ex. : taux horaire/salaire étudiant). À ce dernier sujet, les parents ont aussi été amenés à se prononcer sur leur capacité à assumer les frais pouvant être éventuellement associés à l’embauche d’un accompagnateur-étudiant. Une autre question portait sur les allocations gouvernementales auxquelles ils ont accès.

Une première version du questionnaire a été rédigée, laquelle a été pré-testée par les deux étudiants et les deux parents du collectif de recherche. Ensuite, les chercheures principales (EM et MG) ont rencontré ces étudiants et ces parents pour recueillir leurs commentaires et valider les questionnaires destinés aux deux groupes qu’ils représentent. Comme la rétroaction reçue par les représentants des deux groupes était légèrement différente, certaines questions n’étaient pas exactement posées de la même manière aux parents et aux étudiants.

Le questionnaire destiné aux étudiants des programmes d’ergothérapie et de travail social de l’Université Laval au premier cycle comportait onze questions à choix de réponses et trois questions à développement. Le recrutement des étudiants s’est fait par l’entremise des représentants étudiants du collectif de recherche. Ceux-ci ont d’abord invité verbalement leurs collègues à remplir le questionnaire lors de visites dans les classes. Puis, ils ont transmis l’invitation à le compléter par courriel et par l’entremise des pages Facebook des associations étudiantes. Le processus de recrutement a duré un mois avec une relance après deux semaines.

Le second questionnaire a été envoyé par courriel aux parents ayant au moins un enfant (c.-à-d. : enfants, adolescents, adultes) ayant une DI, un TSA ou une DI avec TSA résidant à temps complet dans le milieu familial naturel, et dont la condition réfère à divers degrés de sévérité. Cet outil comportait douze questions à choix de réponses ainsi que trois questions à développement. Le message de recrutement destiné aux parents de la région a été envoyé par courriel et diffusé sur les pages Facebook des organismes communautaires du collectif de recherche, par leur représentant impliqué dans ce projet. Comme pour les étudiants, le processus de recrutement s’est échelonné sur un mois, avec une relance effectuée après deux semaines.

Analyse des données

Un processus systématique et itératif a guidé l’analyse des données qualitatives et quantitatives recueillies par les questionnaires. Les données recueillies auprès des étudiants et des parents ont été analysées distinctement avant de procéder à leur intégration, selon des thématiques circonscrites. Les données qualitatives (questions à développement) ont fait l’objet d’analyses de contenu thématique avec l’aide de N’Vivo 11, en empruntant une approche mixte, soit à la fois déductive et inductive (Miles et Huberman, 2003). Concrètement, ces données ont été analysées question par question de façon inductive. Par souci d’assurer la validité de ce processus et la justesse des interprétations (Fortin, 2010; Padgett, 2008), les deux chercheures principales ont validé la codification initiale réalisée. Puis, les données quantitatives ont fait l’objet d’analyses descriptives (Howell, 2008; Saint-Jacques, 2000), facilitées par l’utilisation d’Excel. Ce processus a permis de dresser un portrait des réponses aux questionnaires et d’établir un profil sociodémographique des participants des deux sous-groupes.

Résultats

Description de l’échantillon

Participants du sous-groupe 1- Étudiants. Parmi les 106 étudiants au premier cycle ayant rempli le questionnaire, 60% proviennent du programme d’ergothérapie et 40% du programme de travail social de l’Université Laval. Les participants sont en majeure partie de sexe féminin (95%) et âgés de moins de 24 ans (91%). Plus de la moitié d’entre eux (64%) n’ont aucune expérience de bénévolat ou de travail auprès de personnes ayant une DI ou un TSA. De plus, 72% des répondants n’ont jamais reçu de formation portant sur des thèmes pertinents à l’intervention auprès de ces personnes et de leur famille.

Participants du sous-groupe 2- Parents. Parmi les 87 parents ayant répondu au questionnaire, 91% sont des femmes. La majorité des répondants vivent en couple; ils sont soit mariés (39%) ou vivent en union libre (37%). Alors que 56% d’entre eux occupent un emploi à temps plein, 11% ont un emploi à temps partiel, 16% sont sans emploi et demeurent à la maison et 5% sont à la retraite. Parmi les familles ayant participé, 48% d’entre elles comptent au moins un enfant ayant une DI, 38% vivent avec au moins un enfant ayant un TSA et 17% ont au moins un enfant ayant une DI et un TSA. Aussi, 7% des familles vivent avec deux enfants ayant un TSA ou une DI et un TSA. Les réponses des participants réfèrent à 96 enfants qui pourraient profiter du service d’accompagnement qui ont soit une DI, un TSA ou une DI avec TSA. Parmi ces enfants, plus de la moitié (64%) sont âgés de moins de 12 ans, alors que 19% sont âgés de 13 à 21 ans et seulement 13% ont plus de 21 ans.

Points de vue des participants

Les données quantitatives et qualitatives recueillies portent principalement sur cinq thèmes, soit : (1) l’intérêt et l’investissement potentiel dans l’offre de services; (2) la formation des étudiants; (3) le soutien aux étudiants tout au long de leur implication; (4) les types de services offerts aux familles; (5) les facilitateurs à l’engagement des étudiants et des parents. Les points de vue des étudiants et des parents à l’égard de ces thèmes sont abordés conjointement dans cette section.

Il est à noter que certains parents et étudiants ayant participé au questionnaire n’ont pas répondu à certaines questions. De plus, les participants n’étant pas intéressés à s’impliquer pour offrir ou recevoir des services d’accompagnement (parents : n = 4 [5%] et étudiants : n = 9 [9%]) n’étaient pas invités à compléter les questions portant sur les composantes du modèle d’offre de services. Conséquemment, le nombre de réponses recueillies au regard de certains sujets est parfois inférieur au nombre total de participants. Le nombre de répondants pour chaque question est mentionné, et ce, particulièrement aux tableaux 1 et 2, lorsque l’information est pertinente à la compréhension.

1. Intérêt et investissement potentiel dans l’offre de services. Lorsque sondés sur leur intérêt à participer à l’expérimentation de l’offre de services aux familles, 91% des 106 étudiants ayant répondu au questionnaire se sont montrés intéressés ou très intéressés (tableau 1). Ils ont aussi mentionné qu’ils pourraient investir un nombre d’heures plus important par semaine s’ils recevaient un salaire pour leur implication dans l’offre de services, comparativement à si leur contribution était bénévole ou récompensée par des crédits universitaires. À ce sujet, les étudiants ont aussi été invités à indiquer le salaire horaire qu’ils estimeraient convenable. L’analyse des réponses recueillies permet d’identifier 13,45$ CAD comme taux horaire moyen, avec un taux médian de 14$/h et un taux modal de 15$/h. Si leur implication était rémunérée, 38% des étudiants intéressés pourraient travailler auprès des familles à raison de 4 à 6 heures par semaine, 30% à raison de 6 à 9 heures et 17% à raison de 10 à 15 heures hebdomadairement.

Les étudiants ont aussi pu indiquer, par oui ou par non, auprès de quel(s) sous-groupe(s) ils souhaiteraient s’impliquer en fonction de l’âge de la personne ayant une incapacité (c.-à-d. : enfants, adolescents ou adultes) et du diagnostic (c.-à-d. : DI ou TSA), ce qui figure au tableau 1. L’analyse de leurs réponses témoigne d’un intérêt égal envers une implication auprès de personnes ayant l’une ou l’autre de ces deux conditions, un intérêt qui est toutefois plus marqué envers une implication auprès d’enfants. Plus de la moitié des répondants sont tout de même ouverts à travailler auprès d’adultes ayant une DI ou un TSA.

Tableau 1

Intérêt des étudiants à offrir des services d’accompagnement

Intérêt des étudiants à offrir des services d’accompagnement

-> Voir la liste des tableaux

En ce qui a trait aux parents, 96% des répondants se sont dit intéressés ou très intéressés à participer à l’expérimentation (tableau 2). Lorsque questionnés sur leurs besoins en termes de nombre d’heures de services, 79% ont répondu que six heures et moins par semaine seraient suffisantes. En ce qui a trait aux allocations gouvernementales auxquelles ils ont accès, seulement 30% des répondants mentionnent en recevoir. Les autres n’y ont soit pas accès (36%) ou ne savent pas s’ils sont éligibles à en recevoir (34%). La majorité des parents (92%) se sont prononcés sur le tarif horaire qu’ils seraient prêts à débourser pour obtenir des services d’un étudiant formé. Les réponses quantitatives recueillies sont variées, ce qui peut être constaté à la lecture du tableau 2.

Certains ont aussi nuancé leurs propos en ajoutant des commentaires qualitatifs. À ce sujet, plusieurs ont mentionné avoir un budget trop restreint pour assumer les frais réels associés à une offre de services par des étudiants formés. Ainsi, 64% pouvaient offrir 10$/heure ou moins aux étudiants. Quelques parents mentionnent qu’ils aimeraient pouvoir offrir un salaire différent selon le type de service offert. Selon certains, donner des soins d’hygiène ou accompagner l’enfant lors d’une sortie au cinéma, à titre d’exemples, devraient être des tâches rémunérées selon des taux horaires différents.

Tableau 2

Intérêt des parents à recevoir des services d’accompagnement

Intérêt des parents à recevoir des services d’accompagnement

-> Voir la liste des tableaux

2. Formation des accompagnateurs-étudiants. Les analyses des données recueillies auprès des étudiants et des parents confirment que la formation des accompagnateurs-étudiants constitue une composante cruciale du modèle d’offre de services. En ce qui a trait aux contenus, une grande proportion des étudiants et des parents ont mentionné que la formation devrait porter principalement sur la gestion des comportements et la communication avec les personnes ayant une DI ou un TSA. Les étudiants souhaiteraient aussi acquérir des connaissances sur les particularités associées à ces conditions. Les parents ont aussi mentionné que le développement de connaissances et de savoir-agir pour mieux collaborer et mieux répondre aux besoins des familles est crucial. Finalement, certains ont souligné que les accompagnateurs-étudiants devraient aussi être outillés pour être en mesure de soutenir l’autonomie de leur enfant.

Les étudiants ont aussi eu à se prononcer sur les modalités d’offre de formation qui conviendraient le mieux à leurs besoins. En ce qui a trait à la durée et l’intensité, leurs points de vue sont plutôt variés. Alors que certains évoquent qu’une formation d’une durée de 3 à 4 heures serait suffisante, d’autres souhaiteraient que celle-ci soit plus intensive (p. ex. : cours chaque semaine pendant un mois ou se déroulant sur une fin de semaine complète). Plusieurs ont aussi fait part de leur intérêt pour une formation hybride constituée de modules d’apprentissages en ligne et d’ateliers de formation interactifs misant sur la participation de parents et de professionnels.

3. Soutien aux étudiants. En ce qui a trait au soutien qui serait offert aux accompagnateurs-étudiants tout au long de leur implication, quelques étudiants ont mentionné qu’ils souhaiteraient pouvoir interpeler une personne-ressource au besoin, et ce, par courriel ou par téléphone. D’autres ont évoqué qu’ils souhaiteraient accéder à un forum en ligne ou à un groupe Facebook pour discuter avec des pairs. Certains ont aussi fait part de leur intérêt à participer à des rencontres mensuelles, dont la fréquence, plus importante dans les débuts, pourrait diminuer au fil de leur implication.

4. Types de services offerts par les étudiants-accompagnateurs. En ce qui a trait aux modalités de services offerts aux familles, les étudiants avaient à indiquer celles qu’ils seraient prêts à offrir parmi quelques options. À ce sujet, 92% ont mentionné avoir de l’intérêt pour l’accompagnement de l’enfant lors d’activités sociales et de loisirs avec ou sans sa famille; 88%, pour de l’accompagnement de l’enfant dans la vie quotidienne (p.ex. : bain, devoirs) en présence d’un parent et 84%, pour du gardiennage de l’enfant et de sa fratrie lors de courtes périodes à domicile en l’absence des parents. De plus, 52% se sont dits intéressés à offrir de l’aide dans les tâches domestiques (p. ex. : lavage, préparation des repas).

À ce sujet, les parents étaient invités à mentionner s’ils étaient intéressés ou pas à recevoir différents types de services. Les services semblant les plus populaires sont le dépannage en situation d’urgence (92%), le gardiennage de l’enfant et de sa fratrie pendant de courtes périodes à domicile en l’absence des parents (90%), ainsi que l’accompagnement de l’enfant lors d’un loisir, en absence des parents (82%). Dans une moindre proportion des parents se sont dits intéressés ou très intéressés par de l’accompagnement dans les loisirs en famille (51%) ou par l’offre d’aide dans la réalisation de tâches domestiques simples (52%).

5. Facilitateurs à l’engagement des étudiants et des familles. Du point de vue des étudiants, trois principaux facteurs faciliteraient leur éventuel engagement à offrir des services d’accompagnement aux familles, soit : (1) l’obtention d’un salaire suffisant; (2) la proximité du lieu d’accompagnement pour alléger leur transport, ainsi que (3) la flexibilité (p.ex. : être sollicités pour un nombre d’heures plus restreint lors des examens).

Les parents ont aussi fait part de leurs points de vue à ce sujet. Parmi les facilitateurs à leur engagement éventuel se retrouvent la disponibilité des accompagnateurs étudiants selon des plages horaires établies d’avance, la continuité/stabilité de l’offre de services ainsi que l’accès à un financement pour couvrir une partie des frais associés. Par exemple, ce financement pourrait varier dépendamment de l’intensité de leurs besoins et de leur capacité à payer. Parmi les autres facilitateurs mentionnés se retrouve aussi l’importance que s’établissent complicité et lien de confiance entre l’accompagnateur-étudiant et les membres de la famille. Ils ont aussi fait part de leur besoin de ressentir l’intérêt de l’étudiant à s’impliquer dans la vie de leur enfant. Les parents ont aussi fait part de qualités que devraient posséder les accompagnateurs-étudiants lorsque questionnés sur les facilitateurs à leur engagement. À ce sujet, ils ont principalement évoqué la patience, l’ouverture d’esprit, l’empathie, le respect des engagements, la ponctualité et le dynamisme.

Discussion

Pour s’assurer que les réalités des familles et des étudiants susceptibles de s’engager dans l’offre de services qui sera développée soient considérées dans toute leur complexité, des parents et des étudiants ont partagé leurs points de vue sur le sujet par l’entremise de questionnaires en ligne. L’analyse des données a permis d’établir différents constats. Le premier réfère au taux d’intérêt très élevé, au sein des deux sous-groupes de l’échantillon, à l’idée d’offrir ou de recevoir des services d’accompagnement misant sur l’engagement d’étudiants formés et soutenus. Ceci confirme que cette avenue est d’une grande pertinence sociale. Un deuxième constat porte sur l’importance de bien préparer les accompagnateurs étudiants avant leur implication en leur offrant une formation portant sur des thèmes précis. À cet égard, la gestion des comportements et la communication avec les personnes ayant une DI ou un TSA sont considérés prioritaires, et ce, tant pour les étudiants que les parents. Le développement des savoir-agir sur ces sujets apparaît primordial pour assurer la sécurité des enfants ayant une DI ou un TSA et pour que les parents se sentent en confiance. D’ailleurs, dans différents rapports, il est mentionné que plusieurs parents à bout de souffle mettent fin à leur utilisation de services de répit à domicile et dans des ressources communautaires, car trop inquiets des conséquences pouvant potentiellement résulter du manque de formation du personnel (Corriveau, Martin, Lemieux et Gingras, 2016; Ministère de la Santé et des Services sociaux, 2016; Protecteur du citoyen, 2009).

Ensuite, les étudiants ont fait part d’un intérêt plus marqué pour une implication à temps partiel rémunérée, comparativement à une participation bénévole ou récompensée par des crédits universitaires. Puisque la majorité d’entre eux doivent occuper un emploi pendant leurs études, l’accès à un travail leur permettant, par le fait même, d’acquérir des savoirs et habiletés pertinents au regard de l’exercice de leur profession apparaît une option fort intéressante pour plusieurs. D’ailleurs, le modèle qui sera ultimement développé devrait permettre d’enrichir grandement leur curriculum de formation. Concrètement, ils participeront à des modules de formation pertinents et variés, et pourront rapidement mettre en application leurs nouvelles connaissances sur le terrain, auprès des enfants et de leur famille. Néanmoins, pour qu’ils s’y engagent réellement, leur salaire, ainsi que le nombre d’heures relatifs à leur implication, doivent être suffisants. Alors que près de la moitié des participants-étudiants souhaiteraient s’impliquer plus de six heures hebdomadairement, les parents rapportent que leurs besoins seraient comblés en moins de six heures par semaine. Conséquemment, il semble essentiel de permettre aux étudiants qui le souhaitent d’offrir des services à deux familles. Comme la stabilité, la continuité et la disponibilité des accompagnateurs-étudiants ont aussi été identifiées comme des aspects cruciaux à considérer, une liste de remplaçants disponibles lors des périodes d’examen ou lors de situations d’urgence devrait aussi être constituée et mise à jour périodiquement.

Rappelons aussi que plusieurs parents rapportent ne pas avoir accès à un revenu ou à des allocations gouvernementales suffisantes pour assumer les frais relatifs à l’offre de services d’un accompagnateur-étudiant qui répondrait à leurs besoins. Cela rejoint étroitement les constats réalisés dans des écrits récents sur le sujet (McGill, Papachristoforou et Cooper, 2006; Siklos et Kerns, 2006; Vérificateur général du Québec, 2013). À ce sujet, le collectif de recherche impliqué dans le co-développement du modèle d’offre de services devra être créatif pour trouver des sources de financement récurrentes pour que l’accompagnement soit accessible à toutes les familles en ayant besoin, et ce, en collaborant étroitement avec les partenaires du réseau public. D’ailleurs, plusieurs membres du collectif de recherche sont activement engagés dans des démarches visant une meilleure reconnaissance des grands besoins de répit et de soutien à la participation sociale des familles d’enfants ayant une DI ou un TSA auprès des décideurs politiques et favoriser un meilleur accès à des allocations familiales plus généreuses. De telles démarches apparaissent aussi essentielles au déploiement d’une offre de services accessible et pérenne.

Forces et limites

Diverses limites doivent être considérées pour accéder à une compréhension éclairée des résultats présentés dans cet article. Tout d’abord, la période de recrutement des parents s’est faite de juin à juillet 2017. Cette période de l’année, qui annonce la fin des classes pour les enfants d’âge scolaire et le début des vacances, est souvent particulièrement chargée pour les familles. Conséquemment, il est possible que certains parents, qui auraient souhaité participer au questionnaire, n’aient pas été rejoints. De plus, mentionnons que le recrutement s’est fait exclusivement par l’entremise d’organismes communautaires de la région. Ainsi, l’utilisation d’une stratégie complémentaire pour rejoindre d’autres répondants par l’entremise du réseau public, à titre d’exemple, aurait probablement permis d’accéder à des données encore plus diversifiées ou à les confirmer. En ce qui a trait au recrutement des étudiants, rappelons que deux représentantes des programmes visés ont circulé dans les classes pour parler du projet et de l’importance de remplir le questionnaire en ligne. Toutefois, il a été impossible de rejoindre certains étudiants qui étaient en stage à ce moment. Pour pallier cette limite, des rappels ont tout de même été faits par courriel et sur différentes pages Facebook fréquentées par les étudiants. Les hauts taux d’intérêt envers le projet pourraient surestimer un peu la réalité de l’ensemble des étudiants et des parents de la région, puisque ceux ayant pris le temps de répondre au questionnaire étaient plus susceptibles d’être intéressés à s’impliquer.

Aussi, il est possible que le projet d’offre de services imaginé par le collectif de recherche ait pu sembler insuffisamment concret, clair ou réaliste. Ainsi, certains parents et étudiants ont peut-être éprouvé des difficultés à répondre à certaines questions. Conséquemment, des répondants ont peut-être partagé des réponses qui ne reflétaient pas tout à fait leur réalité ou leurs besoins.

Conclusion

Les points de vue des parents et des étudiants relatifs aux composantes d’un modèle d’offre de services d’accompagnement pour les familles avec un enfant présentant une DI ou un TSA doivent être considérés dans la création d’un modèle d’offre de services pertinent, pérenne et adapté aux besoins récurrents des familles avec un enfant ayant une DI ou un TSA. Les données présentées dans cet article seront analysées conjointement à celles recueillies lors d’entrevues téléphoniques réalisées avec dix représentants d’organismes québécois offrant des services d’accompagnement et de répit aux familles d’enfants présentant des incapacités. Ces entrevues permettront d’accéder à une meilleure compréhension des conditions gagnantes et des obstacles à éviter dans le développement d’une offre de services de cette nature. Lorsque les composantes du modèle seront validées, le collectif entamera les démarches relatives à la création de la formation des étudiants et préparera l’expérimentation du modèle d’offre de services.

L’expérimentation du modèle permettra de tester s’il permet aux parents de mieux concilier leurs rôles, de ressentir une moindre surcharge parentale ainsi que des effets positifs chez l’enfant et sa fratrie, tout en permettant aux étudiants d’acquérir de nouveaux savoirs et savoir-faire pertinents pour l’intervention. Mentionnons aussi que le collectif participera à des ateliers tout au long de l’implantation de l’offre de services, ce qui favorisera son amélioration continue. Les discussions et actions qui en découleront se baseront sur les données recueillies auprès des parents (degré de satisfaction, sentiment de surcharge parentale) et des étudiants (sentiment de compétence, degré de satisfaction) à trois moments planifiés à travers sa première implantation officielle d’une durée de 9 mois.

Nous croyons que ce modèle présente un fort potentiel de transférabilité (p.ex. : familles avec un enfant présentant une autre condition) et d’exportation (p.ex. : dans d’autres régions). Son adaptation et implantation dans d’autres régions pourraient ultimement permettre de mieux répondre aux besoins variés des familles avec un enfant présentant des besoins particuliers, tout en facilitant leur participation sociale au sein de communautés plus inclusives.