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1. Introduction et problématique

La Convention sur les droits des personnes handicapées (Organisation des Nations Unies, 2006), ratifiée par le Canada et le Québec, reconnait aujourd’hui les principes d’une éducation inclusive qui vise la participation pleine et entière à l’école et à la vie en société des personnes ayant des besoins particuliers (Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2010). L’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (2008) définit l’éducation inclusive selon une conception plus large que celle d’intégration. Le terme d’inclusion, en référence à la notion d’éducation inclusive, sera donc privilégié dans la suite du texte, sauf lorsque l’appellation usuelle est celle de service d’intégration en emploi ou lorsque cela réfère à une intégration. L’individu, pour s’intégrer, s’adapte aux normes, styles, procédures et pratiques existants, dans un environnement qui doit inclure, c’est-à-dire être adapté à la diversité des besoins des apprenants (Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture, 2008). Une perspective inclusive repose sur la base de changements organisationnels et pédagogiques (Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture, 2008), un processus qui tend à identifier et à éliminer les obstacles et à faciliter cet environnement d’apprentissage, notamment en termes de ressources ou de services. Un réseau de services sur le plan scolaire, communautaire, du travail, de la santé et des services sociaux peut favoriser la participation sociale de la personne ayant des incapacités intellectuelles (Letscher, Paré, Parent, Point et Beaulieu, 2015).

Le concept de participation sociale nécessite de considérer la dynamique du processus interactif entre les facteurs personnels et les facteurs environnementaux déterminant le résultat situationnel de la performance de réalisation des domaines ou habitudes de vie (Fougeyrollas, Cloutier, Bergeron, Côté et St-Michel, 1998 ; Fougeyrollas, 2010). Le concept de participation sociale est applicable à tout individu et renvoie à la réalisation de 12 habitudes de vie : communication, déplacements, nutrition, condition physique et bienêtre psychologique, soins personnels et de santé, habitation, responsabilité, relations interpersonnelles, vie associative et spirituelle, éducation, travail et loisirs (Fougeyrollas, 2010). Cette étude met en évidence la relation plus étroite entre les facteurs personnels et environnementaux et la participation sociale dans les domaines de l’éducation et du travail des personnes ayant des incapacités intellectuelles.

Le fait d’occuper un travail est une activité essentielle de la participation sociale (Alliance québécoise des regroupements régionaux pour l’intégration des personnes handicapées, 2013). De même, l’éducation est un vecteur important de la participation sociale puisque la scolarisation favorise l’accès au marché du travail, l’obtention d’un emploi valorisant, rémunéré, des conditions de travail intéressantes et donc un niveau et une qualité de vie accrus (Émond, 2006). Or, le marché du travail demeure encore inaccessible pour une grande partie des adultes ayant une déficience intellectuelle (Ministère de la Santé et des Services sociaux, 2001). Environ 22 % à 27 % des personnes ayant une incapacité non physique liée, entre autres, à la déficience intellectuelle réussissent à obtenir un emploi, tandis que 67,6 % à 77 % sont sans emploi (Berthelot, Camirand et Tremblay, 2006 ; Statistique Canada, 2017). La plupart des personnes ayant une déficience intellectuelle ont des revenus inférieurs au seuil de la pauvreté (Ministère de la Santé et des Services sociaux, 2001).

Cette recherche se situe donc dans le contexte actuel d’évolution des services relatifs aux activités socioprofessionnelles des personnes ayant des incapacités intellectuelles au Québec (Ministère de la Santé et des Services sociaux, 2016) et vise à répondre à la question : « Quels sont les obstacles et les facilitateurs à l’inclusion et à la participation sociale de personnes ayant des incapacités intellectuelles issues des services d’intégration en emploi d’un Centre intégré de santé et de services sociaux ? »

2. Contexte théorique

Plusieurs études font ressortir des obstacles ou des facilitateurs qui peuvent influer sur l’inclusion, au sens large, ainsi que sur la participation sociale des personnes ayant des incapacités intellectuelles. Ces obstacles et facilitateurs sont décrits selon leur présence sur le plan personnel et environnemental (microenvironnement personnel, mésoenvironnement communautaire et macroenvironnement sociétal). Ces éléments font écho au modèle écosystémique de Bronfenbrenner (1979, 1986) et au modèle du développement humain et du processus de production de handicap (Fougeyrollas, 2010). En ce qui concerne les facteurs personnels, la personne ayant des incapacités intellectuelles peut présenter des facteurs de protection individuels en lien avec l’estime de soi, son identité positive, ses habiletés relationnelles, la reconnaissance de ses compétences, l’autonomie, la maturité sociale, l’expression des émotions, la vie active, les expériences diversifiées, la maitrise de soi, l’optimisme et l’humour (Jourdan-Ionescu et Julien-Gauthier, 2011), la motivation et les aspirations professionnelles (Holwerda, van der Klink, de Boer, Groothoff et Brouwer, 2013), ainsi que l’autodétermination (Caouette et Lachapelle, 2014).

Dans le microenvironnement personnel, la recension de Jourdan-Ionescu et Julien-Gauthier (2011) sur la notion de résilience fait ressortir l’importance de certains facteurs familiaux. Les éléments suivants favorisent notamment la résilience et, par le fait même, la participation sociale de la personne ayant des incapacités intellectuelles : des relations familiales positives, l’acceptation des différences de l’enfant, la mise en place d’activités structurées de participation sociale de l’enfant, l’estime de soi parentale, le bienêtre psychologique et la santé des parents, ainsi qu’une vision positive de l’avenir.

Le mésoenvironnement communautaire renvoie : 1) aux attitudes et au soutien des personnes de l’entourage (Foley, Girdler, Bourke, Jacoby, Llewellyn, Stewart, Tonge, Parmenter et Leonard, 2014) ; 2) aux actions orientées vers une approche d’inclusion sociale, scolaire et professionnelle (Letscher et coll., 2015), d’autodétermination de la personne (Caouette et Lachapelle, 2014), un contexte favorable à l’autonomie, des occasions de faire des choix et de participer dans les prises de décision (Verdonschot, DeWitte, Reichrath, Buntinx et Curfs, 2009b), de développer la participation sociale (Jourdan-Ionescu et Julien-Gauthier, 2011), des adaptations en aide humaine et technique (Foley et coll., 2014), ou en aménagement à domicile, à l’école et dans le milieu de travail, une collaboration entre l’éducateur et le parent (Jourdan-Ionescu et Julien-Gauthier, 2011). Divers besoins se remarquent, notamment en ce qui concerne l’utilisation actuelle des services d’orientation (Boutin, 2012) ou de transition (Julien-Gauthier, Ruel, Moreau et Martin-Roy, 2016). En effet, la formation des enseignants et des intervenants doit permettre de cibler davantage les intérêts de la personne sur le plan scolaire, professionnel et des loisirs, de même qu’un accompagnement plus étroit de la personne et de sa famille (Jourdan-Ionescu et Julien-Gauthier, 2011).

Le macroenvironnement sociétal met en évidence l’importance des services d’appoint résidentiels, des services variés et de stimulation dans l’environnement physique, des services de transport (Verdonschot et coll., 2009a), des orientations politiques en matière d’inclusion et d’égalité des chances, des programmes de compensation financière, des actions des organismes de soutien (Letscher et coll., 2015), par exemple.

Concernant ces enjeux, Proulx et Dumais (2010) ont effectué une étude de six contextes socioprofessionnels proches des grands centres accueillant des personnes ayant une déficience intellectuelle. La collecte de données a été réalisée sous forme d’entrevues individuelles auprès de professionnels ou de fournisseurs de services et de groupes de discussion auprès des parents et des personnes ayant une déficience intellectuelle. Les résultats mettent en évidence des contextes émergents au sein de ce réseau d’acteurs en vue de favoriser la participation sociale de la personne dans son milieu de travail. Ces milieux sont issus de services spécialisés de main d’oeuvre d’une organisation entrepreneuriale ou communautaire. Également, l’étude de Caouette, Proulx, Poulin, Dumais, Jacques, Julien-Gauthier et Ruel (2018) a fait ressortir des modèles de services socioprofessionnels qui ne sont toutefois pas spécifiques aux personnes ayant des incapacités intellectuelles issues des services d’intégration en emploi des Centres intégrés de santé et de services sociaux. Les services d’intégration en emploi sont une appellation usuelle d’une structure de services des Centres intégrés de santé et de services sociaux qui renvoie à un contexte plus proche du marché régulier de l’emploi (Alliance québécoise des regroupements régionaux pour l’intégration des personnes handicapées, 2013).

À partir des constats qui se dégagent de ces études, des questions surgissent : « Quel arrimage peut-il y avoir, dans une démarche interdisciplinaire du réseau de la santé et des services sociaux, avec l’équipe éducative composée notamment des enseignants en formation préparatoire au travail ou de la formation aux métiers semi-spécialisés ? » Également, « De quelle manière s’illustrent les contextes issus de services d’intégration en emploi des Centres intégrés de santé et de services sociaux en termes d’accessibilité, ou d’obstacles et de facilitateurs, à l’inclusion et à la participation sociale des personnes ayant des incapacités intellectuelles ? » Il appert qu’il existe donc un manque de connaissances sur le contexte de services d’intégration en emploi, liées à une démarche interdisciplinaire, à partir des perceptions de personnes ayant des incapacités intellectuelles, de parents, d’enseignants, de professionnels du réseau de la santé et de services sociaux, d’intervenants en milieu communautaire et d’employeurs. En conséquence, sous l’angle des obstacles et des facilitateurs à l’inclusion et à la participation sociale des personnes ayant des incapacités intellectuelles (Letscher et coll., 2015 ; Letscher, Jolicoeur, Beaupré, Milot, Julien-Gauthier et Point, 2016), la question de l’accessibilité des services d’intégration en emploi demeure entière. L’objectif de la recherche décrite dans cet article est donc d’explorer des obstacles et des facilitateurs à l’inclusion et à la participation sociale de personnes ayant des incapacités intellectuelles issues de services d’intégration en emploi d’un Centre intégré de santé et des services sociaux.

3. Méthodologie

La méthodologie de la présente recherche s’appuie sur une étude de cas qualitative à partir de groupes de discussion (Julien-Gauthier, Héroux, Ruel et Moreau, 2013) et d’entrevues individuelles, dans un contexte issu de services d’un Centre intégré de santé et des services sociaux. Les participants ont tous bénéficié des services d’intégration en emploi d’un Centre intégré de santé et des services sociaux. Plus précisément, les services d’intégration en emploi renvoient ici à des contextes plus proches du marché régulier du travail, sous forme de plateau de travail, c’est-à-dire d’un stage de groupe avec des pairs ayant des incapacités, de stages individuels, avec aide sociale, ou d’emploi rémunéré subventionné ou non subventionné (Alliance québécoise des regroupements régionaux pour l’intégration des personnes handicapées, 2013), dans une institution ou une entreprise regroupant des employés sans incapacité. Ce contexte est reconnu comme étant lié à des services d’inclusion au travail (Alliance québécoise des regroupements régionaux pour l’intégration des personnes handicapées, 2013) favorisant une interaction avec des employés sans incapacité, de même qu’une participation sociale au travail.

D’entrée de jeu, il faut spécifier des limites inhérentes à l’étude de cas qualitative qui met en cause la portée de généralisation des résultats. Toutefois, la triangulation des sources de données est la méthode de validation la plus efficace pour l’étude de cas (Karsenti et Demers, 2004 ; Letscher, 2012). Cette triangulation a pu se faire ici à partir : 1) d’une analyse transversale du site et du cas avec le recoupement des informations entre les participants ayant des incapacités intellectuelles, leurs parents, les professionnels et les employeurs, 2) d’une révision des données par les participants eux-mêmes, 3) de l’utilisation de différents moyens de collecte des données, dont les recherches antérieures, les groupes de discussion et les entrevues semi-structurées, 4) d’un échantillon de situations caractérisant le milieu de travail de la personne ayant des incapacités intellectuelles, en emploi non rémunéré, subventionné ou rémunéré.

3.1 Participants

Les groupes de discussion regroupent 27 informateurs clés dans des groupes distincts : huit personnes (N = 8) ayant des incapacités intellectuelles en emploi, issues des services d’intégration en emploi du Centre intégré de santé et des services sociaux, dont une qui a perdu son emploi au cours de la dernière année (au moment de la collecte des données), accompagnées d’une personne de confiance. Des huit personnes ayant des incapacités intellectuelles, trois groupes de discussion composés de deux personnes ayant des incapacités ont été réalisés. Les deux autres personnes ont été rencontrées de façon individuelle tout en étant accompagnées d’une personne de confiance. Trois parents et trois intervenants en santé et services sociaux (N = 6), autres que ceux des groupes de discussion ont agi comme personnes de confiance lors des rencontres avec les participants ayant des incapacités intellectuelles. Un intervenant a agi comme personne de confiance pour trois participants dans les groupes de discussion. Les trois parents (N = 3) dont l’enfant est ou a été rattaché au service d’intégration en emploi d’un Centre intégré de santé et des services sociaux ont été rencontrés à partir d’un groupe de discussion. Le groupe de discussion des professionnels (N = 7) était composé de deux enseignants de la Formation préparatoire au travail, de deux enseignants de la Formation aux métiers semi-spécialisés, d’un agent pivot d’intégration en emploi du Centre intégré de santé et des services sociaux, d’un agent d’intégration en emploi du Service spécialisé de main d’oeuvre et de la directrice d’une association de défense des droits de personnes ayant une déficience intellectuelle. Enfin, les trois employeurs (N = 3) ont été rencontrés lors d’entrevues individuelles. Au total, cinq groupes de discussion et cinq entrevues individuelles ont été réalisés. Le tableau 1 présente une répartition des informateurs clés.

Tableau 1

Répartition des informateurs clés

Répartition des informateurs clés

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Huit participants ayant des incapacités intellectuelles ont été sélectionnés, selon leur capacité à réaliser une entrevue, sur une quarantaine d’usagers du service d’intégration en emploi, par le coordonnateur du Centre intégré de santé et des services sociaux. Trois participants sont âgés entre 20 et 29 ans, deux sont âgés de 30 à 39 ans et trois de 40 ans et plus. Un participant est sans emploi, mais a occupé un emploi dans la dernière année, dont un pourcentage du salaire a été subventionné. Deux participants fréquentent des plateaux de travail qui correspondent à un milieu intégré dans une institution publique en contact avec des travailleurs réguliers pour des tâches qui portent, entre autres, sur l’entretien et la récupération. Un éducateur spécialisé soutient, coordonne et encadre les participants du plateau de travail. Ces deux participants reçoivent des prestations du Programme d’aide sociale québécois, une somme journalière remboursant leurs frais de déplacement ainsi qu’un montant journalier d’environ cinq dollars. Cinq participants ont un emploi dans une entreprise de la région où ils accomplissent des tâches reliées à la production. Un participant reçoit le salaire minimum et un pourcentage de sa rémunération est subventionné par le gouvernement. Une supervision est effectuée ponctuellement par un agent d’intégration en emploi du Service spécialisé de main d’oeuvre. Un autre reçoit le salaire minimum sans subvention salariale. Trois autres personnes réalisent un stage individuel non rémunéré dans des commerces ou des entreprises de la région, reçoivent des prestations du Programme d’aide sociale québécois et un remboursement des frais de transport. Un agent d’intégration en emploi du Centre intégré de santé et des services sociaux offre du soutien ponctuel. Le tableau 2 présente certaines données sociodémographiques et socioprofessionnelles des participants.

Tableau 2

Description des participants issus des services d’intégration du Centre intégré de santé et des services sociaux

Description des participants issus des services d’intégration du Centre intégré de santé et des services sociaux

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Trois groupes de discussion ont été formés avec les participants ayant des incapacités intellectuelles, un groupe avec les parents et un autre avec les professionnels. Les employeurs ont été rencontrés individuellement pour faciliter leur implication. Deux d’entre eux emploient une personne en stage non rémunéré et un autre, un employé dont une partie du salaire est subventionné. Julien-Gauthier et coll. (2013) suggèrent de privilégier un nombre limité de participants au groupe de discussion lorsque ceux-ci présentent des incapacités. Ainsi, les groupes sont composés de deux personnes ayant une incapacité intellectuelle accompagnées d’une personne de confiance et de deux chercheurs. Dans tous les cas, la personne de confiance accompagnant le participant avait la possibilité d’ajouter des informations complémentaires. Le groupe de discussion des parents est composé de trois parents des participants ayant des incapacités intellectuelles en emploi, soit deux mères et un père. Le premier est le parent d’un jeune réalisant une activité de travail en garderie. Le deuxième est le parent d’un jeune adulte employé à temps plein dans un marché d’alimentation dont une partie du salaire est subventionnée. Le troisième parent a un enfant employé à temps plein par deux entreprises de la région qui ne reçoit aucune subvention salariale. Lors des rencontres de discussion, les participants ont reçu un montant pour rembourser leurs frais de déplacement. Les entretiens ont tous été enregistrés à l’aide d’un magnétophone et sous forme vidéo. Les échanges ont été transcrits intégralement pour permettre une analyse thématique.

3.2 Instrumentation

La collecte des données a été effectuée à partir d’un guide d’entrevue adapté de Letscher (2012) pour chacun des groupes de discussion, une version pour les groupes des parents, des professionnels et des employeurs et une autre, simplifiée, pour les participants ayant des incapacités intellectuelles. La première version du guide d’entrevue auprès des professionnels comprend une introduction où les participants se présentent, décrivent leurs fonctions et leur lien avec le participant ayant des incapacités intellectuelles. Dans chacun des groupes de discussion, les participants ont à faire mention d’obstacles et de facilitateurs à l’inclusion et la participation sociale de personnes ayant des incapacités intellectuelles en lien avec le contexte d’intégration en emploi. Les participants formulent des recommandations à l’égard des fournisseurs de services. La version simplifiée, adaptée de Milot (2014), repose sur l’utilisation du français simplifié et de pictogrammes pour illustrer les questions, ce qui peut faciliter la compréhension des participants lors de la rencontre. Ce guide simplifié comprend une introduction où les participants se présentent et décrivent les tâches qu’ils effectuent dans leur travail. Ils identifient ensuite une tâche qu’ils aiment et une autre qui leur plait moins. Puis, il est question des personnes qui les aident et de la façon dont cette aide se réalise. Cette section se termine par une discussion sur la rémunération qu’ils reçoivent. À la fin de l’entrevue, le participant aborde les dernières années passées à l’école et ce qui a été mis en place pour faciliter sa transition vers le milieu du travail. Une section supplémentaire est présente pour le participant sans emploi explorant son cheminement, son projet de vie et les moyens qu’il doit déployer pour rechercher un nouvel emploi.

3.3 Déroulement

Une première rencontre a été établie avec les personnes ayant des incapacités intellectuelles afin d’expliquer le projet, de signer le formulaire simplifié de consentement éclairé, d’échanger sur leur contexte d’inclusion scolaire, sociale et professionnelle. Un dépliant d’information sur les étapes du projet de recherche en français simplifié leur a été remis. Lors de cette première rencontre, les personnes ayant des incapacités intellectuelles sont invitées à être accompagnées d’une personne de confiance qui cosigne le formulaire de consentement éclairé, écrit en français simplifié. À cette première rencontre, toutes étaient accompagnées d’un témoin de confiance. Au total, huit personnes ayant des incapacités intellectuelles ont été rencontrées à leur domicile et une dans son milieu de travail. Suite à cette première rencontre, une personne s’est désistée.

Lors d’une deuxième rencontre, d’une durée d’environ une heure, un groupe de discussion de deux personnes a eu lieu pour faciliter les échanges. Une durée de 45 minutes est suggérée dans la recension des écrits de Julien-Gauthier et coll. (2013), dans le but de favoriser une participation optimale lors d’un entretien avec des personnes ayant des incapacités intellectuelles. L’animateur débute l’entrevue en rappelant le projet de recherche et les dimensions éthiques s’y rattachant. Bien que les personnes ayant des incapacités aient déjà signé le formulaire de consentement, un bref retour était effectué en ce sens. Les autres participants remplissent le formulaire de consentement au début de la rencontre. Un guide de discussion est remis à chacun des participants. Une courte vidéo est présentée en guise d’activité brise-glace sur l’inclusion au travail de personnes ayant des incapacités intellectuelles. Cette vidéo montre une personne ayant des incapacités travaillant chez le même employeur depuis plusieurs années et appréciant sa situation d’emploi. Cette vidéo servait à situer le contexte de la rencontre et à favoriser l’amorce des échanges entre les participants. À la fin de l’entrevue, lorsque tous les sujets ont été abordés, une collation a été servie aux participants, donnant lieu à des échanges informels. En plus des trois groupes de discussion dans le groupe de participants ayant des incapacités intellectuelles, deux entretiens individuels ont été réalisés. Dans le premier cas, le participant souhaitait participer, mais de façon individuelle. Dans le deuxième cas, le désistement d’un participant explique la décision de réaliser un entretien individuel.

La durée des entrevues est d’environ deux heures avec les parents et les professionnels. La même démarche est effectuée avec les employeurs, sauf l’activité brise-glace, sous forme individuelle, avec une durée moyenne de 20 minutes d’entrevue. Les employeurs ont été rencontrés individuellement, car leur horaire ne leur permettait pas de se déplacer de leur milieu de travail respectif.

3.4 Méthode d’analyse des données

La méthode d’analyse de contenu est employée par codage et catégorisation, les propos des répondants transcrits intégralement (188 pages de verbatim), ont été codés en unités de sens (Paillé et Muchielli, 2008) avec l’assistance du logiciel QSR N’Vivo. La préoccupation première était de laisser émerger les données, c’est-à-dire les propos des personnes qui participent à l’étude, mais les termes abordés sont demeurés proches des thèmes qui ont guidé les entretiens et ont permis de classer les résultats selon des facteurs personnels et environnementaux (microenvironnement personnel, mésoenvironnement communautaire et macroenvironnement sociétal). Les résultats de cette analyse ont été remis pour relecture, commentaires et suivi de modifications, sous forme de rapport, aux parents, professionnels, employeurs et personnes de confiance afin d’augmenter la fiabilité interne des données (Gagnon, 2012).

3.5 Considérations éthiques

Une certification éthique a été obtenue auprès du Comité d’éthique de la recherche conjoint destiné aux centres de réadaptation en déficience intellectuelle et en troubles envahissants du développement, du Comité éthique de l’Université du Québec à Rimouski et du Centre intégré de santé et des services sociaux impliqué dans l’étude. Dans les écrits formels, les noms des personnes ont été modifiés, le nom de l’endroit où elles travaillent n’est pas divulgué. Un rapport de recherche a été remis aux fournisseurs de services et un résumé des principales conclusions aux autres participants.

4. Résultats

L’analyse des résultats renvoie aux facteurs personnels et environnementaux (microenvironnement personnel, mésoenvironnement communautaire et macroenvironnement sociétal), reliés à l’inclusion et la participation sociale de personnes ayant des incapacités intellectuelles issues des services d’intégration en emploi d’un Centre intégré de santé et des services sociaux.

4.1 Facteurs personnels

En ce qui concerne les facteurs personnels, chacune des personnes ayant des incapacités intellectuelles présente des capacités et des besoins ou des défis personnels. Alors que les capacités facilitent la participation en milieu de travail, les défis sont susceptibles de compromettre l’inclusion. D’abord, les participants mentionnent certains traits de la personnalité qui font partie des aptitudes que la personne peut développer pour favoriser sa participation sociale (9 groupes/entrevues de discussion). Ainsi, posséder des compétences sociales, comme le fait d’aimer discuter ou de se montrer serviable, de même qu’exprimer la fierté d’occuper un emploi joue en faveur des employés ayant des incapacités intellectuelles. Un employeur évoque un contexte de travail inclusif, solidaire, où le jeune développe des compétences qui peuvent être comparables à celles d’autres collègues. Inversement, il est mentionné que, si la personne présente des problèmes de comportement, il risque d’avoir plus de difficulté à s’intégrer (5 groupes/entrevues de discussion).

Un autre facteur personnel abordé se rapporte à la capacité d’autonomie de l’employé (9 groupes/entrevues de discussion). Des participants de tous les groupes interrogés soulignent le besoin d’accompagnement des employés ayant des incapacités intellectuelles. Ceci peut se traduire par la présence ou la désignation d’une personne de référence et, chez certains, des rappels quotidiens des tâches à effectuer. Pour certaines personnes (7 groupes/entrevues de discussion), cet accompagnement s’estompe avec le temps, mais il est récurrent pour d’autres. Les entretiens permettent de relever quelques cas (3 groupes/entrevues de discussion) où le manque d’autonomie solde l’expérience de travail par un échec, car l’employeur ne peut se permettre d’offrir un accompagnement supplémentaire au travailleur.

Un troisième facteur personnel mentionné concerne le rythme ou la vitesse de travail (5 groupes/entrevues de discussion). Les différents témoignages montrent que les employés qui arrivent à augmenter leur rendement au fil du temps réussissent mieux à s’intégrer (3 groupes/entrevues de discussion). Inversement, lorsque la personne perçoit que la productivité est impossible à atteindre, cela peut l’empêcher de s’intégrer à son milieu de travail (7 groupes/entrevues de discussion).

Un autre facteur renvoie à la capacité d’adaptation des personnes ayant des incapacités (4 groupes/entrevues de discussion). Dans diverses sphères du travail, un besoin de stabilité ressort. Par exemple, un changement de personne de référence peut occasionner des variations dans le rendement de l’employé. Un agent d’intégration du Centre intégré de santé et des services sociaux souligne que la stabilité des collègues qui gravitent dans le quotidien de l’employé est un élément facilitant. Cette stabilité touche également l’horaire et les tâches à réaliser. Cette stabilité est présente depuis plusieurs années au sein d’une entreprise dans le cas d’un travailleur ayant des incapacités intellectuelles rémunéré sans subvention.

4.2 Facteurs environnementaux

Les prochaines sections décrivent les obstacles et facilitateurs liés au microenvironnement personnel, au mésoenvironnement communautaire et au macroenvironnement sociétal.

4.2.1 Microenvironnement personnel

Cette partie s’intéresse plus particulièrement aux facilitateurs et aux obstacles du milieu familial. Les attentes des parents apparaissent comme l’un des principaux prédicteurs de la réussite de l’insertion socioprofessionnelle de leur enfant (Wehman, Sima, Ketchum, West, Chan et Luecking, 2015). Dans le cadre de l’étude décrite dans cet article, le milieu familial compte non seulement les parents, mais aussi la fratrie et, dans deux cas, la famille élargie. Parmi les obstacles qui ressortent, le groupe des parents indique que les ressources disponibles sont souvent méconnues des parents ou ces derniers hésitent à les utiliser. Ce même groupe de parents observe également que certains parents surprotègent leur enfant ce qui nuit, selon eux, à leur participation sociale. Les parents rencontrés demeurent un intermédiaire important entre leur enfant et les professionnels en ce qui a trait à leur transition vers le milieu de travail, et ce, bien au-delà de l’âge de la majorité. Lors d’un groupe de discussion, une mère explique que, face à la déception de son garçon ayant compris qu’il ne pourrait accéder à la conduite automobile, elle a assuré ses déplacements, surtout dans le milieu rural, et l’a plutôt accompagné vers les ressources nécessaires à la réalisation de son projet de vie professionnel.

4.2.2 Mésoenvironnement communautaire

Cette partie se penche sur les relations entre les différents milieux de vie de la personne soit son milieu scolaire, son milieu de travail et les ressources issues du milieu communautaire.

Milieu scolaire

Lorsqu’il est question du milieu scolaire, les personnes interrogées soulignent spontanément le dévouement des enseignants (2 groupes/entrevues de discussion). De leur côté, les enseignants cherchent à faire vivre des expériences variées pour développer l’employabilité de leurs élèves (4 groupes/entrevues de discussion). Toutefois, les enseignants rencontrés soulignent qu’il est difficile de trouver un milieu de stage qui corresponde aux intérêts de la personne, qui plus est en milieu rural. Comme l’explique une enseignante en Formation aux métiers semi-spécialisés, les horaires des milieux où les jeunes aimeraient réaliser leur stage ne correspondent pas nécessairement à celui du milieu scolaire. Contrairement aux enseignants, l’objectif des agents d’intégration de stage du Centre intégré de santé et des services sociaux est de trouver un milieu de travail stable pour la personne (5 groupes/entrevues de discussion). Cependant, selon une enseignante en Formation aux métiers semi-spécialisés, le manque de communication avec le Centre intégré de santé et des services sociaux quant aux milieux de stage crée une sursollicitation. En effet, comme il n’existe pas de registre des milieux ou des employeurs sollicités, il arrive que des milieux soient interpellés fréquemment. Enfin, les enseignants interrogés sentent que leur formation est méconnue et que le certificat de formation à un métier semi-spécialisé obtenu en fin de parcours gagnerait à être davantage reconnu par les employeurs.

Milieu de travail

Certains aspects dans le climat de travail facilitent l’inclusion. Les participants trouvent facilitants que les employés se considèrent comme une famille, se montrent ouverts d’esprit en acceptant une diversité dans le rythme et les capacités de chacun et collaborent pour faciliter l’inclusion de nouveaux travailleurs (8 groupes/entrevues de discussion). Dans les groupes de discussion composés des personnes ayant des incapacités intellectuelles, les participants trouvent facilitant de travailler dans un milieu où ils se sentent respectés et écoutés, lorsque les employés présentent un bon sens de l’humour et lorsqu’ils reçoivent de petites attentions, comme se faire saluer le matin, ou être félicités à l’occasion (5 groupes/entrevues de discussion).

Au contraire, un milieu moins stable ou prévisible insécurise les employés ayant des incapacités intellectuelles (6 groupes/entrevues de discussion). Un autre obstacle fait référence à la méconnaissance des qualités des employés ayant des incapacités intellectuelles, comme leur constance ou leur capacité à effectuer des tâches répétitives (5 groupes/entrevues de discussion). Un employeur et un agent d’intégration du Centre intégré de santé et des services sociaux soulignent que même si les tâches confiées à la personne ayant des incapacités intellectuelles ne s’apparentent pas à celles d’autres employés, celles-ci restent essentielles au bon fonctionnement de l’entreprise.

Milieu communautaire

Lors des entretiens réalisés pour cette recherche, il a été mentionné que les acteurs du milieu communautaire se montrent disponibles et flexibles au besoin (7 groupes/entrevues de discussion). Ils sont souvent considérés comme une ressource importante, notamment si le milieu de travail vit une difficulté avec l’employé ayant des incapacités intellectuelles. Ces acteurs ont à coeur les intérêts et le bienêtre tant des parents que de leur jeune ayant des incapacités intellectuelles. Dans les groupes ou entrevues de discussion, les intervenants du milieu communautaire sont perçus comme des ressources bénéfiques fournissant au besoin des stratégies au milieu de travail pour faciliter l’inclusion. De la même façon, les personnes interrogées ayant des incapacités intellectuelles les perçoivent comme une aide ou un support dans leur travail (5 groupes/entrevues de discussion).

Toutefois, des professionnels interrogés mentionnent que leur charge de travail ne leur permet pas d’être présents aussi souvent qu’ils le souhaitent auprès des personnes qu’ils supervisent (3 groupes/entrevues de discussion). Dans les dernières années, les acteurs des milieux communautaires ont vu leur charge de travail augmenter de manière importante, ce qui les oblige à resserrer les critères d’inclusion de personnes bénéficiant d’un suivi ou à diminuer le nombre d’heures octroyées à chacun (2 groupes/entrevues de discussion). Des parents interrogés, dont deux présents à titre de personne de confiance, s’inquiètent de voir les services se retirer dès que le jeune fonctionne bien en milieu de travail, car ce changement fragilise son inclusion (3 groupes/entrevues de discussion, 7 références).

4.2.3 Macroenvironnement sociétal

L’existence d’un soutien au revenu facilite l’inclusion dans le milieu de travail des personnes ayant des incapacités intellectuelles (5 groupes/entrevues de discussion). Ce soutien au revenu compense le rendement moindre de la personne ayant des incapacités intellectuelles. Bien que la personne puisse augmenter son rendement, les participants admettent qu’il est plutôt rare que la productivité de ces travailleurs atteigne au fil du temps celle des autres employés (3 groupes/entrevues de discussion). Pour cette raison, des participants contestent la durée limitée de ce type de subvention, soulignant que les incapacités de la personne perdurent, ce qui met en péril son maintien au travail (2 groupes/entrevues de discussion).

De plus, la rigidité des structures actuelles, en ce qui a trait aux diplômes exigés, aux conventions collectives ou à l’aide sociale, nuit à l’inclusion (6 groupes/entrevues de discussion). Par exemple, certains milieux maintiennent une personne dans un statut de stagiaire non rémunéré, plutôt que de l’embaucher en tant qu’employée rémunérée, pour lui permettre de maintenir un horaire de travail réduit ou flexible. Cette concession ne serait pas possible si elle accédait au statut d’employée, en raison des règles syndicales de son milieu (3 groupes/entrevues de discussion). Un employeur précise que l’ancienneté qui prévaut, avec les règles syndicales de son entreprise, amènerait à donner seulement 5 ou 10 heures de travail plutôt qu’un temps plein à un travailleur ayant des incapacités intellectuelles en situation d’emploi rémunéré.

5. Discussion

Les résultats obtenus permettent de constater que la situation actuelle des personnes ayant des incapacités intellectuelles en milieu de travail est étroitement liée à des facteurs personnels, plus spécifiquement à des aptitudes, en termes de capacités ou de défis, mais aussi à la présence de facilitateurs et d’obstacles dans leur environnement (microenvironnement personnel, mésoenvironnement communautaire et macroenvironnement sociétal).

En ce qui concerne les facteurs personnels, la présence de compétences sociales permet à la personne ayant des incapacités intellectuelles de s’intégrer plus facilement au travail et d’accroitre sa participation sociale. En effet, le désir d’entrer en contact avec les autres, d’être capable d’accueillir des gens et de les saluer a un impact sur la participation sociale concernant les relations interpersonnelles et du travail, tandis que la présence de problèmes de comportement peut amener la personne à être en situation de handicap, isolée et exclue, comme le remarquent Letscher et coll. (2015). Des habiletés relationnelles (Jourdan-Ionescu et Julien-Gauthier, 2011) et la capacité d’adaptation psychosociale (Hamelin, Jourdan-Ionescu et Boudreault, 2014) constituent un facteur de protection de la personne ayant des incapacités intellectuelles. Un lien étroit apparait entre le développement d’un réseau de soutien social et des compétences sociales au travail pour le jeune en transition école-travail (Julien-Gauthier et coll., 2016). En même temps, un contexte de travail inclusif est tributaire de compétences et de relations sociales avec les collègues (Lysaght, Cobigo et Hamilton, 2012) et l’employeur. Cela a pu être le cas pour plusieurs participants de l’étude qui ont développé de bonnes relations avec leurs collègues et leur employeur et ont réussi à maintenir leur emploi. Une stabilité du personnel, des horaires et des tâches prévisibles à réaliser favorisent la capacité d’adaptation des personnes ayant des incapacités intellectuelles dans le milieu de travail, selon une agente d’intégration au travail du Centre intégré de santé et des services sociaux.

Le contexte du travail met en jeu l’autonomie de l’employé ayant des incapacités intellectuelles qui se traduit en termes de rythme du travail par rapport aux exigences et de besoin de soutien de l’entourage que peut offrir le milieu. La personne peut avoir besoin de rappels quotidiens sur la tâche à réaliser et d’une personne de référence, comme le constatent Jourdan-Ionescu et Julien-Gauthier (2011). Ainsi, un tel contexte peut nécessiter une adéquation entre les aptitudes, les exigences du travail et une supervision (Baril, Tremblay et Tellier, 2006). De plus, dans le même sens que Proulx et Dumais (2010), il apparaît que les participants peuvent contribuer de différentes manières, en termes : 1) d’activités productives, par un travail non rémunéré et 2) d’emploi, avec un travail rémunéré, subventionné, ou non subventionné, par exemple.

En ce qui concerne le microenvironnement personnel, les parents reconnaissent qu’ils manquent d’information au sujet des ressources disponibles. Cet aspect est également soulevé par Jourdan-Ionescu et Julien-Gauthier (2011) comme un facteur de risque familial. De même, le groupe de discussion des parents observe que la surprotection parentale nuit à la participation sociale des personnes ayant des incapacités intellectuelles. Un style parental protecteur (protector), avec un contrôle et une structure de participation élevée des parents (Lindstrom, Doren, Metheny, Johnson et Zane, 2007), peut agir comme un obstacle et nuire au développement de la participation sociale. Au contraire, un parent défenseur (advocate) donne du soutien, des conseils, de la flexibilité, des opportunités de prendre des décisions et de s’autodéterminer (Lindstrom et coll., 2007). La surprotection parentale risque d’entraver la participation sociale pour la personne ayant des incapacités intellectuelles, contrairement à un style défenseur (Letscher et coll., 2015). Dans la présente recherche, il faut souligner la participation d’un parent défenseur, lui-même un professionnel du réseau de la santé et des services sociaux, qui a joué un rôle marquant dans la mise en place d’une transition école-vie active pour sa fille (participant 5) en collaboration avec le milieu scolaire. En fonction du projet de vie et des intérêts de sa fille à travailler auprès des enfants, de nouvelles tâches de travail qui n’avaient pas été investiguées auparavant, dans le cadre de ses stages, ont été développées d’abord dans une garderie en milieu familial, puis dans un centre de la petite enfance (service de garde de type « installation »).

Dans les groupes ou entrevues de discussion, il ressort que le milieu familial supporte la personne ayant des incapacités intellectuelles, même au-delà de la majorité, comme le constatent Proulx et Dumais (2010). De ce fait, il importe de s’assurer que les familles possèdent les informations nécessaires pour accompagner la personne dans la réalisation de ses aspirations personnelles comme apprendre à conduire un véhicule personnel et poursuivre un projet de vie. D’après Baril, Tremblay et Tellier (2006), les parents ont besoin d’informations et d’aides techniques pour renforcer leurs compétences parentales, et ce, selon Proulx et Dumais (2010), dans le contexte d’une jeune génération qui a des aspirations plus élevées à participer comme tout le monde, à avoir un emploi normal, dans un milieu normal, par exemple.

Enfin, les membres des familles interrogées assurent souvent le transport de la personne ayant des incapacités, notamment dans les milieux ruraux, où le système de transport en commun est peu présent. Un service de transport peu accessible constitue donc un facteur de risque réduisant, selon la présente étude, la possibilité pour la personne de réaliser ses aspirations professionnelles et peut ainsi constituer un obstacle à sa participation (VVerdonschot, DeWitte, Reichrath, Buntinx et Curfs, 2009b).

En ce qui concerne le mésoenvironnement communautaire, les enseignants représentent une première interface de transition école-travail pour le jeune ayant des incapacités intellectuelles tant dans le cadre de la formation préparatoire au travail que la formation aux métiers semi-spécialisés. La démarche s’inscrit dans une visée de participation sociale et de développement des habiletés sociales et professionnelles dans des contextes réguliers de travail rémunéré ou non (Julien-Gauthier et coll., 2016 ; Proulx et Dumais, 2010) en tentant de faire vivre au jeune des expériences de travail variées. Cette visée se distingue de celle d’un agent d’intégration en emploi du Centre intégré de santé et des services sociaux qui est plutôt à la recherche d’une stabilité, d’un maintien en emploi, selon le groupe de discussion des professionnels. La complexité de la recherche de stages en milieu de travail, en région éloignée des grands centres urbains, tient au risque de sursollicitation des milieux d’accueil. Un tel constat s’exacerbe si une concertation et une collaboration ne sont pas établies (Julien-Gauthier et coll., 2016), par exemple à partir d’un plan de transition de l’école à la vie active (Association du Québec pour l’intégration sociale, 2016) ou d’un projet de vie axé sur les intérêts du jeune, entre les enseignants, les agents d’intégration du Centre intégré de santé et des services sociaux, du Service spécialisé de main d’oeuvre et les autres membres de l’équipe éducative. En ce sens, même si les enseignants paraissent engagés dans le projet de vie du jeune, le manque de concertation avec les autres membres de la communauté dont les employeurs, risque de compromettre le fait que la formation proposée et la diplomation soient reconnues dans le milieu.

Selon Lysaght, Cobigo et Hamilton (2012), un milieu de travail inclusif est étroitement lié à la satisfaction que la personne retire du climat de travail et des relations interpersonnelles, ce qui rejoint les propos des participants qui retiennent comme facilitateurs : le climat de travail, un sentiment d’appartenance, une ouverture d’esprit à la diversité dans le rythme et les capacités de chacun, les encouragements, le respect, l’écoute, l’humour, etc. Par contre, le changement dans la routine et le roulement de personnel sont mentionnés comme des obstacles, tout comme le relatent Letscher et coll. (2015), de même que le manque de connaissance des qualités des employés ayant des incapacités intellectuelles, comme le rapportent Baril, Tremblay et Tellier (2006).

Le milieu communautaire comprend le réseau de santé et de services sociaux, le Service spécialisé de main d’oeuvre et les associations qui apportent du soutien à la personne ayant des incapacités intellectuelles ou à sa famille. Ces services sont considérés comme une ressource importante par les participants, car ils apportent du soutien à l’orientation de la personne, fournissent des stratégies au milieu de travail ou encore reconnaissent publiquement les réussites, notamment par le biais des médias. Des limites apparaissent cependant dans l’intervention auprès des personnes, compte tenu d’un contexte de compressions budgétaires qui voit une augmentation de la charge de travail des professionnels du milieu communautaire. Si des contraintes ont cours dans l’offre de services, les intervenants et gestionnaires du milieu communautaire sont considérés comme des ressources importantes dans plusieurs études (Baril, Tremblay et Tellier, 2006 ; Julien-Gauthier et coll., 2016).

En ce qui concerne le macroenvironnement sociétal, ce sont en premier lieu l’égalité des chances et les orientations politiques en termes d’accessibilité à l’emploi qui sont remises en question par les participants. Des mesures spécifiques devraient favoriser l’embauche de personnes ayant des incapacités, en prenant en compte la réalité de ces personnes, comme un nombre d’heures limité ou des tâches adaptées à leurs caractéristiques. Ce facteur représente un obstacle, de même que les règlements et les conventions dans le milieu de vie ou la lourdeur des procédures administratives (Julien-Gauthier et coll., 2016), qui peuvent entraver le processus de participation sociale. Afin de faciliter l’inclusion des personnes ayant des incapacités intellectuelles, le gouvernement devrait envoyer un message clair sur sa volonté de les inclure. Pour ce faire, il peut encourager et renforcer les initiatives prises dans les milieux en faisant la promotion de l’emploi des personnes ayant des incapacités intellectuelles de façon plus marquée ou intensive.

6. Conclusion

Cette recherche avait pour objectif d’explorer des obstacles et des facilitateurs reliés à l’inclusion et la participation sociale de personnes ayant des incapacités intellectuelles issues des services d’intégration en emploi d’un Centre intégré de santé et des services sociaux. La méthodologie utilisée se reporte à l’étude de cas qualitative à partir de cinq groupes de discussion (trois groupes de personnes ayant des incapacités intellectuelles, un groupe de parents et un groupe de professionnels) et cinq entrevues individuelles (trois employeurs et deux personnes ayant des incapacités intellectuelles). Les résultats font ressortir des facteurs concernant les aspects personnels, le microenvironnement personnel et familial, le mésoenvironnement communautaire et le macroenvironnement sociétal. Une étude portant sur les obstacles et les facilitateurs à l’inclusion et à la participation sociale des personnes ayant des incapacités intellectuelles à plus grande échelle pourrait être d’intérêt dans le cadre de futures recherches. Une telle étude pourrait s’appuyer sur la démarche décrite dans le présent article.